Réalité numéro 124 du mercredi 2 février 2005 |
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Sommaire
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Directeur de Publication : ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 124 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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Éditorial
MUTILATIONS GÉNITALES FÉMININES :
TOLÉRANCE ZÉRO !
Il y a comme cela des domaines où, par-delà les clivages partisans, un consensus devrait se dégager pour ensemble promouvoir le bien-être de nos populations. La lutte contre les Mutilations Génitales Féminines (MGF) est l’un d’eux, actuellement sur le devant de l’actualité. Blessures physiques et psychologiques loin d’être uniquement symboliques, l’éradication de ces pratiques barbares nécessite une prise de conscience et une vigilance quotidienne de chaque citoyenne et de chaque citoyen. Quotidienne étant donné qu’il naît des filles tous les jours, dont beaucoup sont aussitôt excisées et infibulées, en toute impunité, malgré les dispositions légales en vigueur. Car, en la matière, une tradition sédimentée donne trop facilement une bonne conscience religieuse qu’il faut à tout prix déstabiliser, déranger. Preuve parmi d’autres que l’on ne change pas une société par décret, c’est tout un travail de sensibilisation qui doit être mené, en permanence.
Sur le long terme, il est bien évident que l’élévation du niveau d’instruction, spécialement chez le genre féminin, se traduira par un abandon progressif de ces mutilations. D’ores et déjà, le caractère barbare de leur prégnance varie considérablement selon ce niveau d’études : plus intolérable dans le milieu rural essentiellement illettré.
Pour l’heure, sur le court terme, c’est sur l’illégitimité religieuse des MGF que les messages de sensibilisation doivent insister. C’est dire combien la contribution des autorités religieuses est décisive dans ce juste combat. Selon la Constitution de septembre 1992, l’Islam est ici religion d’État : il serait malheureusement plus juste de dire qu’en fait c’est le « clergé » musulman qui est au service du régime.
On se souvient qu’au début du conflit civil, un prédicateur du vendredi appelait solennellement au Djihad contre une composante de la communauté nationale. Au nom de toutes les fillettes injustement et quotidiennement charcutées, on aimerait qu’un même zèle soit mis au service de l’intégrité physique et psychologique d’une personne humaine trop jeune pour se défendre. Pourquoi est-il plus facile d’inciter au meurtre de son prochain que d’inviter au respect de la vie ? Pourtant, l’Histoire est là pour nous enseigner que cette indispensable révolution culturelle n’a rien d’impossible : n’oublions pas qu’avant l’Islam, les tribus de la Péninsule Arabique avaient pour coutume de tuer les fillettes, comme le rappellent les verset 8 et 9 de la Sourate 81.
« Et quand on leur dit ‘Suivez ce qu’Allah a fait descendre’, ils répondent ‘Nous préférons suivre ce que nos ancêtres faisaient avant nous’ quand bien même ce serait le Diable qui les appellerait au châtiment du feu ». C’est bien ce Verset 21 de la Sourate 31 qui explique le conformisme culturel consistant à systématiquement mutiler les fillettes. Car l’excision et l’infibulation n’ont rien à voir avec le Coran : on les retrouve chez des peuples chrétiens de l’Afrique de l’Est comme chez des peuplades animistes d’Afrique de l’Ouest. La seule référence religieuse, cosmogonique en fait, des mutilations génitales scientifiquement attestée, est en réalité pharaonique. C’est le mythe de l’androgynie d’Amon, retrouvé par les ethnologues chez les Dogon : pour que l’humanité se perpétue, il fallait enlever à l’homme ce qu’il y a de féminin en lui (le prépuce) et à la femme ce qu’il y a de masculin en elle (le clitoris érectile). L’ablation des grandes lèvres n’étant plus, pour ainsi dire, qu’une sophistication ornementale. On chercherait en vain une telle rationalisation de ces pratiques dans le Coran ou la Sunna.
Plutôt que de tout attendre d’une inefficace pénalisation, ou de l’inévitable processus de laïcisation (et de relâchement des mœurs) qui accompagne l’élévation du niveau d’instruction, c’est aux autorités religieuses d’assumer leurs responsabilités, en insistant sur le fait que les MGF sont avant tout des pratiques païennes que l’Islam ne saurait ni cautionner ni tolérer.
Obock redécouverte :
Cérémonie de prière pour le candidat solitaire
Dans l’espoir de booster la campagne chaotique du candidat solitaire, des pèlerins peu ordinaires dépêchés de Djibouti seraient sur le point de débarquer à Obock. Ces marabouts proches du régime projetteraient de se recueillir sur la tombe du Cheik Bourhan au cimetière situé à 1km au nord de cette ville. Lieu d’un pèlerinage annuel autrefois, l’oratoire du Cheik Bourhan était rarement fréquenté depuis l’indépendance. C’est donc à cet endroit mythique qu’une cérémonie de prière à l’intention du candidat unique devrait être organisée prochainement. On le voit, le régime fatigué cherche à faire flèche de tout bois.
Dans la polémique sur l’interdiction du voile islamique, au moins les choses étaient claires : un État laïc n’instrumentalise ni la religion ni le clergé. Ici, l’Islam et ses officiants ne semblent pas toujours sollicités pour la bonne cause.
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Soirée électorale de l’UMP :
Fête ou défaite ?
Afin de conjurer le sort et redonner de l’espoir au candidat solitaire, le régime organise en début de semaine prochaine une grande soirée. Les préparatifs vont bon train pour donner un éclat particulier à cette fête à la gloire du candidat officiel. Plusieurs centaines de figurants et autres réquisitionnés feront bombance avant de swinguer dans l’air du temps.
Cette méga boum du régime sera certainement l’occasion de discours creux dont le RPP a le secret. Les médias gouvernementaux sont d’ores et déjà mobilisés pour nous faire revivre les grands moments de cette fête de l’illusion organisée bien sûr aux frais du contribuable djiboutien. Une chose est sûre : le peuple sera le grand absent de cette fête qui sent la défaite, morale sûrement.
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Galafi :
Zone oubliée ou abandonnée ?
La localité de Galafi dans le district de Dikhil est un des endroits les plus désolés de notre pays. Ce poste frontalier situé sur le corridor routier reliant Djibouti et l’Ethiopie ne dispose d’aucune infrastructure de base, le lieu est si déshérité que la population se sent condamnée à l’oubli. Au début de cette année, l’ARD a ouvert une annexe dans ce village abandonné pour répondre aux souhaits maintes fois exprimés par nos militants.
Depuis cette date, des missi dominici du régime sillonnent la région et promettent monts et merveilles aux populations désespérées. Ainsi, à l’invitation de nos dynamiques militants de cette contrée, une délégation de notre parti compte se rendre prochainement sur place pour délivrer à cette population un message de lutte et d’espoir. Gageons que le candidat solitaire nous emboîtera le pas. Mais, contrairement à nous, l’agronome volant viendra les bras chargés de cadeaux et la tête pleine de fausses promesses.
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Quand les mal-élus pensent aux autres :
Le ridicule ne tue pas !
Selon le journal gouvernemental « La Nation » les mal-élus se seraient dernièrement retrouvés à l’occasion d’une session dite budgétaire pour également réfléchir à la situation de certaines régions du monde. Au cours de cette session épique, plusieurs résolutions à portée planétaire auraient été adoptées.
L’une d’elle était relative aux régions dévastées par le tsunami du 26 décembre 2004. On se souvient que le 26 décembre 2004 était précisément le jour où les mal-élus, les membres du gouvernement et autres militants de la mouvance avaient organisé un défilé parti de la route de Venise pour commémorer le dixième anniversaire de la paix d’Aba’a. Citons copieusement ce qu’à écrit notre confrère « La Nation » dans son édition de lundi dernier.
« …L’Assemblée nationale, réunie en séance plénière le samedi 29 janvier 2005, a exprimé sa compassion et sa solidarité avec les pays et les peuples touchés, et s’est félicité de l’aide d’urgence et de la méga mobilisation de la communauté internationale dans de si meilleurs délais pour venir en aide aux populations sinistrées.
L’Assemblée nationale soutient les efforts pour reconstruire les zones dévastées et pour un retour aussi rapide que possible de ces populations gravement touchées à des conditions de vie décentes, et a par ailleurs exhorté la communauté internationale à tirer les leçons de ce cataclysme qui a pris au dépourvu des milliers de personnes et à coordonner les activités de recherche sismologiques notamment sous-marines dans le but de la mise en place de mécanismes d’alerte précoce et rapide à grande échelle pour pouvoir sauver le maximum de vies humaines… ».
Une autre réaction tout aussi ubuesque concernait la situation dans certaines régions d’Afrique. Toujours selon ce confrère gouvernemental :
«… L’Assemblée nationale a exhorté la communauté internationale à ne pas oublier les victimes des guerres civiles incessantes dans certaines régions d’Afrique… ».
Quand on songe au sort injuste imposé par ce régime aux victimes du conflit chez nous, qui attendent toujours la réhabilitation et la réinsertion, cette réaction des mal-élus ne fait que confirmer le pitoyable cynisme politique du système en place depuis 27 ans : pour n’avoir pas été vraiment choisis, ils n’ont apparemment pas le temps de s’occuper de leurs compatriotes, trop pris qu’ils sont dans des considérations planétaires.
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Visite Présidentielle au quartier 4 :
Réalité d’une esbroufe
Mardi 25 janvier dernier, le chef de l’État accompagné des membres de son gouvernement a effectué une visite éclair au quartier 4 où il a vécu dans sa jeunesse. Le candidat solitaire se serait rendu sur place pour inspecter les travaux d’assainissement en cours dans ce quartier populaire. A cette occasion le candidat en campagne n’a pas manqué de lancer quelques promesses électorales dont il a le secret.
Pourtant ce quartier partiellement assaini pour les besoins de sa visite ne figure pas dans les projets d’assainissement de certains quartiers de la capitale dont l’exécution est confiée à l’Adetip. Cette agence a diffusé un appel d’offres national où il est question de l’assainissement d’Arhiba, Einguela, Cité du stade, Cité Cheik Osman et Salines Ouest, mais point de quartier 4.
Rappelons que « Réalité » avait relevé dans un précédent numéro, que les 50 millions fd destinés à l’assainissement de ce quartier avaient en fait servi au règlement d’une entreprise qui avait participé à la construction du complexe présidentiel pour le défilé du 27 juin. Alors est-ce pour réparer ce dommage et cet oubli que le chef de l’État s’en est allé parader dans son ancien quartier ?
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Commerce international :
La Chine au chevet de l’Afrique
Nouveau géant du commerce mondial, la Chine tient également à renforcer ses relations commerciales avec l’Afrique dont elle importe l’essentiel de ses matières premières et qui constitue également un grand débouché pour ses exportations.
Ainsi, depuis le 1er janvier 2005, les importations chinoises provenant de 25 pays africains seront exonérées de taxes douanières. Cette mesure concerne près de 200 articles exportés par ces pays vers la Chine. Parmi les heureuses nations africaines bénéficiaires des exemptions tarifaires chinoises, figure aussi Djibouti.
Tout en remerciant le gouvernement chinois pour l’intérêt qu’il porte à notre pays, nous nous demandons vraiment si cette mesure profitera réellement à l’économie nationale. Que peut bien exporter notre pays en direction de l’Empire du milieu ?
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Djibouti-France :
La vigilance semble de mise
L’euphémisme diplomatique a beau prétendre calmer le jeu, il y a pourtant des signes de nervosité qui ne trompent pas. La récente crispation dans les relations franco-djiboutiennes auront en tout cas fait quelques victimes collatérales : des chauffeurs de taxi djiboutiens. Alerte ou entraînement ? Toujours est-il que les ressortissants français ont déserté les rues et les commerces de la Capitale jeudi dernier tôt dans la soirée. Espérons que ce n’était là qu’une fausse alerte.
Même s’il y a ici une malheureuse tradition d’attentats anti-français, notre population ne souhaite nullement que les tragiques événements de la Côte d’Ivoire se répètent ici. Car, sur ce terrain, le régime sera ce qu’il est déjà : seul contre la majorité.
Un fantôme dans la réalité
BORREL HANTE
LA PRESSE FRANÇAISE
En représailles aux récents développements judiciaires de l’affaire Borrel (comme s’il demandait à l’État français de contrôler sa Justice), le régime djiboutien a procédé à l’expulsion de six coopérants français, après avoir fermé l’antenne locale de RFI. Sur le premier point, dans un communiqué rendu public le 29 janvier 2005, le Quai d’Orsay regrettait cette mesure, qui touche des experts oeuvrant dans des secteurs vitaux : Santé, Éducation, Sécurité publique, Développement rural. Nous le regrettons aussi, quoi que l’on aurait été plus indulgent s’il s’était agi d’un conseiller militaire. Car, pour l’honnête citoyen djiboutien, cette nervosité regrettable autant que suspecte, se résume à deux questions. 1) Soit ces coopérants expulsés ne servaient à rien ici, auquel cas pourquoi les avoir tolérés jusqu’à ce que la Justice française ait demandé à entendre deux hauts fonctionnaires djiboutiens dans le cadre d’un assassinat ? 2) Soit ces coopérants expulsés servaient à quelque chose, auquel cas est-il responsable d’en faire des boucs émissaires et des instruments de chantage à des fins ne relevant pas nécessairement de la défense des intérêts supérieurs de la République de Djibouti ? Sur le second point, concernant la fermeture de l’antenne locale de RFI, il s’agit là d’une inadmissible violation de la liberté de la presse, que nous condamnons fermement. Par solidarité journalistique, conscients de notre propre sursis et pour combler dans la mesure de nos moyens ce déficit imposé d’information, qui plus est francophone, il est de notre devoir de nous faire l’écho de tout ce que ce régime cherche ainsi à censurer. C’est pourquoi nous proposons cette semaine, suite à de nombreuses réclamations de nos lecteurs, deux articles publiés par nos confrères français : le premier paru mercredi dernier dans « Le Canard Enchaîné» n° 4396 du 26 janvier 2005, le second dans le n°1120 du 29 janvier 2005 de la « Lettre de l’Océan Indien ». Sans oublier de renvoyer l’internaute intéressé par tous les déboires de la France dans son pré carré, au site «assassinatsdecooperants.ouvaton.org,» dans lequel le chapitre consacré à Djibouti n’est pas le moins épais. Pour ce qui est de la position de l’UAD, rappelons qu’elle n’a jamais tenté aucune récupération de cette sombre affaire, même si le régime avait maladroitement accusé tel ou tel opposant d’en avoir été l’instigateur, bénéficiant de complicités au sein d’une certaine magistrature hexagonale. Car, si le fait que les plus hauts responsables du régime soient accusés de meurtre ne soit ni glorieux ni déplacé, c’est l’arbre qui cache la forêt. D’une part du fait que le chef de l’État peut être tenu pour responsable de la mort en 1999 et en 2000 ( sans parler de ses «contributions» en sa qualité de chef de cabinet de la Présidence) d’au moins cinq civils djiboutiens :en tant que chef suprême des Armées, il n’a diligenté aucune enquête. D’autre part, la seule dimension crapuleuse, aujourd’hui sur le devant de l’actualité française, nous préoccupe malheureusement moins que les multiples violations ici perpétrées contre les Droits de l’Homme d’une manière générale. C’est pourquoi, l’UAD, solidaire du juste combat que mène la veuve Borrel pour l’avènement de la vérité, estime que, face à la violation de l’Accord de paix du 12 mai 2001 et au refus de tout changement démocratique, la mobilisation du Peuple djiboutien pour mettre un terme à l’imposture de ce régime peut véritablement restaurer la dignité perdue de notre pays.
Polar franco-djiboutien
JUGES ET DIPLOMATES SOMBRENT
DANS UN POLAR FRANCO-DJIBOUTIEN
Depuis l’assassinat du juge Borrel, il y a neuf ans, tout a été fait pour cacher la vérité.
Y compris par des magistrats français, aujourd’hui ridiculisés.
( Le Canard Enchaîné n° 4396 du mercredi 26 janvier 2005)
LES militaires français n’excluent plus l’hypothèse d’un retrait pur et simple de Djibouti, leur plus importante base en Afrique. Les relations avec Ismaël Omar Guelleh, actuel président, se sont encore dégradées ces derniers jours. Six coopérants français ont été expulsés, et, le 21 janvier, l’émetteur local de Radio France Internationale a été coupé. Principal motif de la fureur des autorités djiboutiennes, la décision de la Cour d’Appel de Versailles d’ordonner l’audition du chef des services secrets, Hassan Saïd, compromis dans l’assassinat du juge Borrel, magistrat français retrouvé mort le 19 octobre 1995 à 80 km de Djibouti.
Au grand désespoir de l’état-major français, qui voit déjà les Américains s’installer à notre place, la crise n’est pas près de se tasser. Car la Ministre de la Défense, Michèle Alliot Marie, vient d’accepter de déclassifier quelques documents « confidentiel-défense » qui dormaient sagement dans les archives de la DPSD (ex-Sécurité militaire). Certains de ces papiers vont faire encore monter la pression. Notamment une note, rédigée en mars 2000 par un officier, qui dresse un tableau peu ragoûtant des mœurs politico-judiciaires locales (notre document).
Il aura fallu près de dix ans pour que la justice et l’armée acceptent de laisser poindre la vérité sur la mort du juge Borrel. On comprend aujourd’hui pourquoi : il s’agissait de haute diplomatie et d’intérêts stratégiques. L’enquête sur la disparition du magistrat a été sacrifiée à la raison d’État. En pure perte. Car l’obstination de la veuve de Bernard Borrel et l’accumulation des maladresses, voire de grossières manipulations, ont abouti à ce brillant résultat: la crise diplomatique est là. Et, en prime, une véritable affaire d’Etat, mettant en cause le fonctionnement de la justice et l’attitude de plusieurs magistrats qui risquent… des poursuites judiciaires.
EPIDÉMIE DE MYOPIE
Dés les premières heures qui ont suivi la découverte du corps à demi calciné du juge Borrel, alors détaché à Djibouti pour préparer une réforme du Code de procédure pénale, les opérations d’étouffement ont commencé. Les gendarmes, arrivés les premiers sur les lieux, rédigent, alors qu’ils ne sont pas saisis de l’affaire, deux procès-verbaux au ton catégorique : « Le suicide est l’hypothèse la plus vraisemblable, d’autant qu’aucun élément ne permet de penser le contraire. » Puissamment raisonné !
Bien que seule la justice djiboutienne soit saisie, ce sont des militaires français qui emportent le corps, et plus précisément le médecin-chef du centre hospitalier des Armées. Une autopsie devait être pratiquée. C’est du moins ce qu’on avait annoncé à la famille. En fait, les médecins militaires ne font que quelques radios. Lesquelles seront perdues : la justice ne les verra jamais. Et déjà se pose la question de la dissimulation délibérée de preuves. Car il est acquis aujourd’hui, après expertises et contre-expertises, que le juge Borrel avait une fracture du crâne et l’avant-bras cassé. Ce qui suggère, dit aujourd’hui un collège d’experts, un coup porté par un instrument contondant, et un geste de défense avec le bras. Même le plus nul des radiologues n’aurait pu passer à côté de ces fractures. Pourquoi les médecins militaires se sont-ils tus, avant de « perdre » les clichés ?
Pendant cinq ans, avec une obstination et une constance qui forcent l’admiration, la justice s’accrochera à la thèse du suicide. Deux juges d’instruction parisiens, Marie-Paule Moracchini et Roger Le Loire, vont témoigner d’un dévouement de tous les instants pour réunir les preuves en ce sens. Ils iront jusqu’à effectuer deux reconstitutions sur place. La seconde, organisée le 11 mars 2000, a été filmée.
UN SUICIDÉ ACROBATE
On peut voir, sur la cassette vidéo, les dignes magistrats batifoler dans les pierrailles où a été retrouvé le corps de leur collègue. Ils tentent d’expliquer, notamment, que le suicidé, après s’être aspergé d’essence, a pu, le corps en feu, dévaler les 15 mètres sans blesser ses pieds nus. Après avoir descendu la pente, abrupte, avec lenteur et maintes précautions, l’un d’eux montre triomphalement ses orteils intacts à la caméra. La preuve est faite…
L’enquête prend un nouveau tour lorsqu’un ancien garde du président djiboutien affirme qu’il a surpris, au lendemain de la mort du juge, une conversation d’où il ressort que le chef des services secrets de l’époque (devenu chef de l’État) aurait commandité le meurtre du petit « juge fouineur ». Lequel s’intéressait à un attentat commis à Djibouti contre un café français, et était en relation à ce sujet avec son collègue… Le Loire !
Dans un premier temps, la juge Moracchini estime l’audition de ce témoin inutile. Elle consent tout de même à l’entendre et se rend pour cela en Belgique. Mais, selon un avocat présent, elle tente de le convaincre qu’il prend de grands risques en tenant ces propos. Peu après, le chef de la grade présidentielle de Djibouti témoigne « spontanément » que ce témoin n’est qu’un fieffé menteur. En réalité, cette tentative pour le discréditer lui a été soufflée par Hassan Saïd, l’actuel chef des services secrets de Djibouti.
La manœuvre est suivie d’une démarche du procureur de la République djiboutienne, qui conseille vivement au témoin de revenir sur ses déclarations. Pure coïncidence, ledit procureur de Djibouti et Mme Moracchini se tutoient, et s’embrassent comme du bon pain.
OFFENSIVE JUDICIAIRE
En dépit de ces nombreux efforts conjugués, la vérité va peut être enfin surgir. Dessaisis en juin 2000, les magistrats Le Loire et Moracchini sont remplacés par le juge Parlos, puis par Sophie Clément. C’est cette dernière qui vient d’obtenir la communication de documents classifiés. Et elle envisage de lancer des mandats d’arrêt internationaux contre le chef des services secrets de Djibouti. Avant de mettre en cause le chef de l’État ?.
Pour parachever le désastre diplomatique, une autre procédure judiciaire a été ouverte, à Versailles, pour « subornation de témoin ». Une juge est chargée d’éclaircir le ballet des aimables « conseillers » autour du fameux témoin entendu en Belgique. Elle a déjà interrogé comme « témoins assistés » ses collègues Le Loire et Moracchini. Elle tremblait un peu à l’idée de convoquer le procureur de Djibouti et le chef des services secrets. D’autant que le parquet de Versailles, toujours à la pointe du combat pour la vérité, s’opposait à ces auditions. Mais la cour d’appel vient, en deux arrêts successifs, d’ordonner à la juge de les interroger. Bien entendu, ils ne se rendront pas aux convocations.
En d’autres temps, on aurait envoyé l’armée. Mais elle y est déjà. Et c’est elle qui sera peut-être obligée de se retirer en bon ordre…
Louis-Marie Horeau
L’homme qui défie à nouveau Paris
La Lettre de l’Océan Indien
LOI n°1120 du 29 janvier 2005
Le président Ismaël Omar Guelleh vient une nouvelle fois de défier Paris que l’intérêt pour la position stratégique de Djibouti rend impuissant face à ces chantages répétés. Mécontent de la décision de la justice française d’entendre comme témoin assisté le chef des services secrets djiboutiens dans le cadre de l’enquête sur la mort du magistrat Bernard Borrel à Djibouti en 1995. Guelleh a fait fermer l’émetteur de RFI et expulser six assistants techniques français auprès de ministères civils djiboutiens. Ne croyant pas à l’indépendance de la justice, il s’estime victime de déstabilisation avant le scrutin présidentiel d’avril où il briguera un second mandat.
Surenchère. La méfiance à l’égard de la France et la surenchère pour en obtenir le maximum de financements est une longue tradition des cercles dirigeants djiboutiens. Le président Guelleh n’a fait qu’en systématiser la pratique après 1999. Selon une note confidentielle rédigée le 18 mars 2000 par le lieutenant-colonel Clément chef de la DPSD à Djibouti et récemment déclassifiée, Guelleh avait déjà utilisé des mesures de rétorsion après un article sur l’affaire Borrel paru en France en janvier 2000 : campagne de presse et manifestations anti-françaises, refus de Guelleh de recevoir l’ambassadeur de France, interdiction du débarquement d’un détachement de chars Leclerc à Djibouti alors que les autorisations avaient été préalablement données.
Le débat sur le contrôle de l’utilisation de l’aide française à Djibouti a également donné lieu à des passes d’armes épiques entre les deux pays. Paris a finalement accédé en partie aux exigences djiboutiennes en acceptant de payer un « loyer » de 30 millions d’euros par an, durant neuf ans à partir de 2004, pour prix du maintien de la présence militaire française dans ce poste d’observation et d’entraînement au bord de la Mer Rouge.
Réputation. Bien que formé dans la police coloniale française, Guelleh a toujours eu une mauvaise réputation à Paris depuis l’époque où il était chef de cabinet du président Hassan Gouled Aptidon et patron des services secrets djiboutiens. A ce poste, il a été aux premières loges pour tous les coups fourrés contre les opposants djiboutiens susceptibles d’obtenir une oreille attentive à Paris. Des agents des services secrets français ont soupçonné les services secrets djiboutiens d’avoir été impliqués dans l’attentat du Café de Paris intervenu à Djibouti le 27 septembre 1990. Au même moment, le frère de l’actuel président, Idriss Omar Guelleh, décédé il y a dix ans, était le chef des milices tribales Issas. C’est la visite du patron de la DGSE Jacques Dawatre à Djibouti an avril 1995 qui va un peu modifier la donne : Guelleh lui apparaît comme un homme de parole qui s’est toujours acquitté de ses promesses envers la France et comme « le seul homme d’État dans le pays ». Et lorsqu’il est élu à la présidence en 1999, des mirages français survolent sa maison en battant de l’aile en signe de félicitation.
Cela n’empêche pas sa mauvaise réputation de perdurer : la note confidentielle du lieutenant-colonel Clément faisait ainsi état en 2000 de la « mise en cause de diverses personnalités politiques locales, dont l’actuel président de la République, dans des affaires de trafics d’armes, de stupéfiants ou de fausse monnaie ».
Nationalisme. Les autorités françaises ont également eu du mal à se faire au nationalisme du président Guelleh qui lui a permis de récupérer nombre de ses opposants dont certains ornent aujourd’hui son gouvernement et sa majorité au Parlement. D’autant plus colérique qu’il se sait malade, le chef de l’État djiboutien est coutumier des diatribes anti-françaises en privé et récemment, il aurait même évoqué en petit cercle l’hypothèse (finalement non retenue) de la fermeture de son ambassade à Paris.
Au plan économique, il a pris ces dernières années plusieurs mesures pour briser la position dominante des sociétés françaises dans les secteurs du transit et de l’assurance, ce qui n’a pas été sans léser certains intérêts particuliers. Sous l’influence de l’homme d’affaires djiboutien Abdurahman Boreh, il veut faire de son pays un Dubaï africain. Enfin, il a accepté d’accueillir une base militaire américaine pour faire la nique aux Français et remplir les caisses du Trésor djiboutien.
COMMENTAIRES |
Tout en souscrivant à l’analyse sur l’aspect mafieux du régime, deux réticences toutefois.
1) On cherche en vain une once de nationalisme dans l’équipe au pouvoir. Ce serait son absence, allant de pair avec l’incitation à la haine tribale, qui caractériserait ceux que la veuve Borrel tient pour responsables de l’assassinat de son mari.
2) Que la manne financière consécutive au surenchérissement du loyer des présences militaires ait pu remplir les caisses du Trésor djiboutien prête ici à sourire, si l’on reste poli. Car les retards dans le versement des salaires perdurent, pas plus tard que le mois dernier : l’opacité et les détournements des deniers publics sont encore la règle.
Courrier des lecteurs
Je suis un jeune chômeur et un lecteur assidu de « Réalité ». Je trouve votre journal très profond, responsable et même modéré. Je veux parler du ton employé bien sûr. Même si j’estime que les dirigeants que vous critiquez ne méritent pas la mesure de vos propos, en sondant mes compatriotes qui lisent votre journal, j’ai remarqué que votre lectorat, le plus nombreux, approuve votre modération.
Ce n’est pas pour tenir des propos acerbes ou injurieux que je vous écris, mais pour interpeller le Chef de l’État puisque c’est comme ça que vous vous obstinez à l’appeler. Sa dernière visite au quartier 4 a été qualifiée par un journaliste de « La Nation » comme une « visite d’inspection inopinée dans un des secteurs populaires de la ville de Djibouti, en l’occurrence le quartier répertorié n°4 ».
Inopinée ? Contrairement à vous, votre confrère n’a pas peur des mots (Xishood…). Tout le monde sait que chacun de ses déplacements est préparé plusieurs jours à l’avance et le lieu de visite, comme par exemple la place de la prière de l’Aïd, nettoyé et sécurisé dès la veille. Nous savions tous qu’il allait visiter le quartier 4, tous les riverains ainsi que le personnel des Travaux Publics affecté à la réhabilitation, tous prévenus, présents, sapés et à l’œuvre pour l’applaudir, l’écouter et l’applaudir encore. Tous les médias gouvernementaux (RTD, Nation) étaient inopinément présents pour saluer et immortaliser l’événement…
Je le félicite de s’être souvenu qu’après avoir quitté Diré-Dawa, il a été accueilli et hébergé par ce quartier et ses habitants. Je me félicite qu’à l’approche des élections présidentielles pour lesquelles il est le seul candidat sérieux et déclaré, il se soucie de l’assainissement de ce quartier et du bien-être de ses habitants, puisqu’il y a promis, pré-campagne oblige, la construction prochaine d’aires de jeux sur la place de l’ancien jardin du quartier. En espérant être démenti, je suis prêt à parier que ces aires de jeux ne verront pas le jour durant son prochain mandat, si toutefois il est réélu.
Il a précisé que le gouvernement mène les opérations de réhabilitation des quartiers populaires sur le Budget national, en attendant l’octroi du fonds prévu par l’Union Européenne à cet effet. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt la série d’articles que vous avez consacrés aux commentaires du rapport général de la Chambre des Comptes.
Je me demande de quelle ligne budgétaire ils ont détourné ces fonds pour réhabiliter le quartier 4, qui en avait bien besoin. Tant mieux pour ses habitants. Quant à moi, je réside à Einguela depuis sa création. Je voudrais tout d’abord rafraîchir la mémoire d’IOG, en lui rappelant qu’il y avait résidé quand elle était flambant neuve. Je l’invite donc, au nom de tous ses habitants, à venir nous visiter inopinément et constater par lui-même son état d’insalubrité. Il n’y a plus d’aires de jeux.
Depuis le rond-point jusqu’au théâtre des Salines, tout son pourtour est pollué par les eaux usées et pluviales et les fosses septiques qui débordent. Toutes ces eaux stagnantes ne sont pas évacuées car les canalisations sont bouchées depuis des années. Je sais qu’il le sait, mais c’est un simple rappel.
Mais, même si c’est mon droit le plus élémentaire, je suis gêné de me plaindre au vu de l’état d’insalubrité de cette cité-ghetto qu’est Arhiba. Là-bas, tous les pouvoirs publics ont démissionné depuis longtemps : les TP, l’Intérieur et le District, la Santé… elle survit en marge de toute politique publique. Est-ce parce que ses habitants sont réputés frondeurs qu’Arhiba est délibérément marginalisée ? Peut-être qu’ils le seraient moins si le pouvoir s’occupait de ses habitants comme de citoyens ordinaires. Même pendant les campagnes électorales, le RPP dont il est président y tient meeting à ses abords.
Même dans le quartier résidentiel huppé du Héron, il suffit d’une demi-heure de pluie pour rendre impraticables, pendant des jours ses rues pourtant bitumées, simplement parce que les eaux pluviales ne sont pas évacuées, ce qui dégrade le bitume, oblige les T.P à la réfection de quelques tronçons qui se dégradent à nouveau à la première goutte de pluie et engloutissent en pure perte des dizaines de millions de fd des deniers publics.
J’ai entendu dire que les riverains, les Chancelleries étrangères (Nations Unies et Ambassades qui y ont leurs bureaux et résidences) se sont plaints quand un tout nouveau résident du quartier, le Ministre des finances pour ne pas le nommer, a entrepris le bitumage de 150 mètres d’une ruelle qui mène à sa résidence en délaissant les autres tronçons dégradés.
Je l’exhorte donc à multiplier ses visites inopinées dans les quartiers populaires à l’approche d’avril 2005, ils sont très nombreux qui nécessitent son attention et ses promesses.
M.A.S
fidèle lecteur d’Einguela
COMMENTAIRES |
Merci cher lecteur pour ce sympathique papier. Nous en avons apprécié le ton ironique. Pour ce qui nous concerne, nous maintiendrons le cap concernant la mesure et le ton du propos, qui est effectivement très apprécié à en croire le volumineux courrier que nous recevons. Nous en profitons pour nous excuser auprès de tous nos lecteurs de ne pouvoir faute de place et d’une actualité toujours chargée, reproduire dans nos colonnes les nombreuses et très intéressantes lettres que vous nous adressez chaque semaine.
Quant à votre courrier, il est transmis à qui de droit. Vous avez parfaitement raison d’attirer (nous le faisons régulièrement) les pouvoirs publics sur l’état des cités populaires et des routes de la capitale. C’est une appréciable réponse d’un citoyen responsable aux campagnes de sensibilisation que le gouvernement mène à grands frais dans ses médias. Comme s’il s’agissait d’une insalubrité dont est responsable la seule population ! Même si le comportement de certains habitants est incivique (dont la majorité est une population flottante qui a envahi de plus belle la capitale, un an après la grande mascarade de l’année dernière), le premier responsable et coupable, c’est le pouvoir. La centaine de bennes à ordures offert par la Chine aurait été louée à des forces stationnées à Djibouti et l’incinérateur offert par les Américains est donc forcément inutile pour l’instant. Nous ne pouvons qu’espérer avec vous qu’à la faveur de la campagne électorale qui s’annonce insolite, votre courrier sensibilisera les malentendants et mal-voyants qui nous gouvernent.
Intikhaab : puisse ce bébé grandir !
« Election », c’est ainsi qu’une maman irakienne chiite a prénommé son fils né le dimanche 30 janvier 2005. c’est en effet les premières élections pluralistes en Irak, depuis 1953. Ce baptême symbolise à lui seul l’espoir de tout un peuple, et singulièrement de la majorité chiite jusque là marginalisée et martyrisée par la minorité sunnite qui a accaparé tout le pouvoir sous le règne du Baas… Zoom sur le contexte politique dans lequel grandira le bébé Intikhaab.
Depuis le 20 mars 2003, date à laquelle les troupes américano-britanniques et australiennes envahissent l’Irak dans le cadre d’une opération baptisée « Iraqui Freedom », jusque cette historique journée de dimanche 30 janvier, il ne s’est pas passé un jour qui n’ait vu des massacres de civils, des attentats suicides ou pas, des soldats tués (le bilan côté corps expéditionnaire dépasse le millier), des otages enlevés (plusieurs centaines dont l’écrasante majorité irakiens) ou exécutés ( la plupart des étrangers dont l’exécution a été cyniquement médiatisée). C’est pourquoi l’empressement de millions d’électeurs irakiens à se rendre aux urnes force l’admiration. Le taux de participation qui dépasse 60% en dit à lui seul suffisamment assez sur la détermination du peuple irakien à être un acteur majeur dans le jeu politique très complexe où se joue son avenir.
Alors que selon un bilan du ministère de l’Intérieur, 36 personnes, 30 civils et 6 policiers ont été tués et une centaine blessés à travers l’Irak dans des actes de violences pendant la journée des élections, 8 millions d’électeurs ont voté dans 5159 bureaux. 17 000 candidats et 223 listes étaient en lice pour 3 scrutins. 111 listes et 7 761 candidats pour 275 sièges au Parlement national.
Le taux de participation élevé s’explique également par le fait que les Kurdes ont massivement voté pour choisir 111 députés de leur parlement autonome. Enfin, les Irakiens élisaient en même temps les 41 membres des 17 Conseils Provinciaux et les 51 du Conseil de Bagdad.
Même dans les villes du « triangle de la mort » et d’autres zones sunnites où il est vrai la participation a été moindre, des milliers d’électeurs se sont rendus aux urnes, bravant les menaces de mort des organisations extrémistes et ignorant l’appel au boycottage de la principale association religieuse de la communauté sunnite, tandis que le principal dignitaire religieux chiite en Irak qui use de son influence pour favoriser une domination chiite sur le futur gouvernement a publié un décret qualifiant le vote de « devoir religieux ».
Bien que les résultats officiels définitifs ne soient pas attendus avant plusieurs jours, l’organisme chapeautant les quelques 10 000 observateurs irakiens indépendants, l’Ong Ein, le Représentant de l’Onu auprès de la commission électorale indépendante ont tous assuré que «ces premières élections multipartites depuis 1953 n’avaient connu que très peu de violations et de fraudes ». Ce qui, avec cette très forte participation devrait conforter la légitimité du pouvoir qui sortira des urnes.
Intikhaab est donc bien né, mais après ?
Car ce qu’a exprimé comme un seul homme le peuple irakien, toutes ethnies et confessions confondues, c’est outre le fait d’en finir avec l’anarchie en choisissant ses dirigeants, c’est aussi le souhait de voir prendre fin l’occupation de leur pays.
Or, le retrait des troupes ne figure pas dans l’agenda de l’administration républicaine et ses alliés. Et cela, peu après avoir reconnu l’absence d’armes de destruction massives dont la menaçante existence était le mobile de l’invasion, un porte-parole du Département d’État l’a affirmé sans ambages. C’est là que le bât blesse, car la présence de près de 200.000 soldats étrangers sur son sol, à tous les coins de rue à Bagdad, si elle ne remet pas en cause la légitimité du pouvoir, risque assurément d’en ternir l’indépendance. Personne n’arrive à lire clairement les contours de la politique US en Irak.
Certes, Saddam est en prison et la menace des missiles conventionnels pouvant atteindre Tel-Aviv n’est plus. C’est bien peu par rapport aux dommages humain, financier et surtout diplomatiques subis et en cours. Ni la région, ni le reste du monde n’en sont plus sûrs. Bien au contraire.
Car la principale conséquence de la chute du dictateur et de la gestion du chaos qui s’en est suivi, aura été la « libanisation » de l’Irak. Voulue ? Ce n’est pas sûr car près de deux ans après l’invasion, l’administration républicaine donne franchement l’impression de subir l’événement que d’en diriger le fil. Au demeurant, on voit mal en quoi l’éclatement actuel de l’Irak en communautarismes ethnique et confessionnel répondrait à la sécurité au Moyen Orient et aux intérêts immédiats des États-Unis dans la région.
Une guérilla urbaine terroriste née avec l’invasion et qui selon toute vraisemblance ne disparaîtra qu’avec le départ des forces d’occupation, un Irak éclaté en régions autonomes et communautés confessionnelles et ethniques et qui facilite l’influence des États voisins, des États-Unis déterminés à y imposer sa vision du monde, non seulement à l’Irak mais aussi à l’Iran voisin… Après une naissance pénible mais heureuse, Intikhaab connaîtra assurément un allaitement amer.
Souhaitons-lui bonne croissance.
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