Réalité numéro 88 du mercredi 17 mars 2004 |
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Sommaire
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Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 88 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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Éditorial
VOTE, GUERRE ET TERRORISME : LE DEVOIR DE VÉRITÉ
Si on lui avait dit, il y a à peine un mois, qu’après l’Omnipotence d’Allah, une partie de sa dignité serait restaurée à des milliers de kilomètres de Bagdag, au détour d’un scrutin législatif ensanglanté, le citoyen irakien n’aurait pas parié un seul peso sur la probabilité d’un tel scénario. Et pourtant : rarement verdict des urnes n’aura eu une telle incidence ( que beaucoup d’indices annoncent positive) dans l’ordre international des rapports de force. Le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), qui vient de déjouer tous les pronostics en remportant sur le fil le scrutin du 14 mars pour le renouvellement des membres du Cortès, l’a aussitôt annoncé par la voix de M. Zapatero, le futur Premier ministre : les troupes espagnoles quitteront l’Irak au mois de juin 2004. Il n’a d’ailleurs pas manqué d’inviter MM. Bush et Blair à la réflexion sur la légitimité de leur aventure militaire dans ce désert : on n’a pas le droit de bombarder un peuple ainsi, a-t-il asséné en substance. Car il est bien évident que c’est une certaine façon de faire la politique qui a été sanctionnée par les électeurs espagnols ce jour-là : la vérité contre le mensonge, le plus grossier osant même manipuler les consciences traumatisées en décrétant, contre toute évidence, l’ETA responsable des attentats, comme d’autres ont décidé, sans aucune preuve sérieuse que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive, prêtes à servir.
Mais ce n’est pas tout. La rétention d’information dont le Parti Populaire d’Aznar s’était rendu coupable a été perçu par ses concitoyens, très largement hostiles à l’invasion de l’Irak, comme une fuite inacceptable devant ses responsabilités : les soldats espagnols à Bagdag, ce n’est pas à proprement parler une variante « Lawrence d’Arabie » des Brigades Internationales. Même si, considérant l’effet désastreux de l’embargo onusien sur les conditions de vie du peuple irakien (des milliers d’enfants morts faute de nourriture ou de soins adéquats), le minimum de rigueur serait d’admettre que l’illégalité des forces coalisées a tué nettement moins que la légalité internationale : par leur sacrifice, même si les bénéficiaires indigènes n’avaient rien demandé expressément, les soldats américains morts à Bagdag ont en quelque mis un terme aux innommables souffrances des Irakiens.
Cela étant, la sanction dégoûtée par laquelle les électeurs espagnols ont balayé un régime qui n’a pas daigné prendre en considération leur refus de la guerre risque fort de faire tache d’huile, quoique les contextes politiques et historiques ne soient pas les mêmes. L’immensité du territoire américain explique en partie que sa population soit si peu curieuse de ce qui se passe ailleurs. Mais, plus fondamentalement, l’Amérique que dénonce Michael Moore n’a pas encore produit, malgré son avance technologique, des radios et télévisions capables de défier les injonctions officielles, comme tel média espagnol par qui est arrivé le scandale de la fourgonnette, obligeant le Parti Populaire à révéler plus tôt que souhaité la pertinence de la piste islamiste.
Le plus grand gagnant de ce scrutin, c’est avant tout le Peuple espagnol. Mais il ne faut pas s’y tromper, il ne s’attend pas à ce que son pays devienne un sanctuaire épargné par le terrorisme aveugle : ce peuple veut juste avoir la conscience tranquille ; car l’on se défend d’autant mieux chez soi que l’on n’agresse pas autrui chez lui ! C’est une forme inédite de la globalisation : celle qui implique une communauté de destin. En effet, il est bien évident que l’occupation de l’Irak n’est qu’un prétexte que les terroristes islamistes brandissent pour légitimer leurs lâches attentats. Il faut les isoler, en trouvant des solutions politiques à toutes les injustices, au premier rang desquelles le sionisme, qui constituent leur terreau. C’est peut-être cela, la plus humble leçon à retenir de cette victoire de la gauche espagnole.
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Brèves nationales
Transport en commun :
Une grève peut en cacher une autre
Les Djiboutiens se sont réveillés samedi matin dans une ville quasiment morte en raison de l’absence des bus et minibus, faisant office de réveil-matin pour les habitants de certains quartiers. Les plus courageux se sont rendus à pied à leur lieu de travail, tandis que d’autres, découragés, ont préféré rentrer chez eux. Les écoliers et étudiants arrivés en retard dans leur établissement, ont bruyamment manifesté leur colère en brûlant ça et là des pneus ou en harcelant les forces de l’ordre.
Comment en est-on arrivé là ? Qu’est ce qui a bien pu pousser le syndicat des bus et minibus de la Capitale à déclencher une grève sauvage lourde de conséquences sur la vie économique et sociale, sans même lancer un préavis ? Selon les chauffeurs de bus, la colère gronde dans leur milieu depuis l’augmentation du prix du gasoil, le mois dernier. Augmentation qui précariserait leur métier en grevant leurs maigres bénéfices. A la suite de quoi, les négociations en catimini conduites par des proches de la Présidence, auraient en partie détendu l’atmosphère. Le carburant aurait alors miraculeusement baissé de 4 francs dans la soirée même et les transports en commun ont repris leur ronde dès le lendemain. Pour l’heure, les transporteurs semblent avoir eu gain de cause et les usagers rassurés par le maintien de l’actuel tarif des courses.
Et demain, qu’en sera-t-il ? Les méchantes langues avancent que la taxe de 4 francs sur le litre de gasoil a certes sauté, mais serait en réalité répercutée sur les lubrifiants, dont sont très friands les moteurs diesel tournant aussi souvent. Alors, dans ce cas-là, le mouvement risque de quitter le point mort pour passer à la vitesse supérieure : attention aux dérapages !
D’autres corporations, particulièrement mécontentes elles aussi, seraient sur le point de leur emboîter le pas. Quoi qu’il en soit, que triomphe la justice sociale.
Explosion sur la voie ferrée :
Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Sans nous hasarder à établir un soupçon de parallèle avec les atroces attentats de Madrid, il est tout de même curieux de relever que le chemin de fer djibouto-éthiopien soit devenu de moins en moins sûr, parce que cible répétée. Ces derniers mois, cette ligne a en effet été le théâtre de plusieurs attentats terroristes, aussi bien sur le tronçon éthiopien que djiboutien. Pour ne citer que les plus récents, rappelons qu’une explosion à bord d’un wagon a fait sept blessés dont trois grièvement le 18 janvier 2004 à proximité de Daasbiyo. Cet attentat criminel aurait été précédé par un autre en septembre, n’ayant heureusement fait que des dégâts matériels au niveau du club hippique, dans les environs d’Ambouli et comme par hasard pas trop loin du camp Lemonnier occupé par les soldats Américains. Quant à la dernière explosion en date, elle s’est produite vendredi 12 mars, aux environs de 23 heures 45, exactement à hauteur du centre hospitalier militaire français Bouffard.
Pour mieux situer les lieux, la bombe, apparemment assez lourde puisque la déflagration a expédié un rail à plus de cent mètres de haut pour aller crever le plafond d’un supermarché situé à moins de trois cent mètres à vol d’oiseau, a été déposée près d’un terrain pour hélicoptère, toujours bien éclairée la nuit investis jusqu’à minuit par des enfants auxquels le régime refuse toute aire de jeu digne de ce nom.
Surtout, aucun djiboutois n’ignore que dans un rayon d’un kilomètre, soyons généreux, on recense facilement plusieurs milliers de militaires dont l’un, français justement était de faction exactement devant le lieu de l’explosion, à près de cent mètres et en contact visuel, comme on, dit dans le jargon commando.
Comme à l’accoutumée, les autorités djiboutiennes ne privilégient aucune piste, se contentant d’annoncer l’ouverture d’une enquête. Des questions se posent désormais : comment un tel attentat peut-il être commis dans une des villes les plus militarisées au monde par tête d’habitant, et de surcroît à proximité d’un secteur aussi éclairé que sécurisé ? Jusqu’à quand les dirigeants politiques laisseront-ils courir des criminels aussi audacieux qu’invisibles ?
Le temps nous semble venu d’avertir les Djiboutois sur les dangers qu’il y a à déambuler de manière insouciante aux abords de lieux désormais devenus dangereux. La population aimerait rapidement connaître les résultats des enquêtes menées et les pistes privilégiées. En plus de la sécurité des personnes et des biens, il en va de l’image de marque de notre pays.
Collège d’Ambouli :
Les raisons de la colère
La colère gronde au CES d’Ambouli, où enseignants et collégiens se plaignent des mauvaises conditions de travail et d’étude. En effet, selon de nombreux témoignages, plusieurs classes de cet établissement secondaire seraient durablement dépourvus de ventilateurs et cette situation rend les cours bien sûr pénibles à l’approche de la saison chaude. C’est, semble-t-il, pour protester contre la mauvaise volonté des autorités à résoudre ce problème, que les élèves de cet établissement ont successivement fait grève mercredi et jeudi derniers. A chaque fois, les forces de l’ordre ont brutalement dispersé les manifestants, n’hésitant même pas à emprisonner quelques heures durant des jeunes élèves de 6ème et de 5ème.
Si la répression reste la méthode de « dialogue » préférée de ce régime insouciant qui se trompe manifestement de priorités, nous interpellons pour notre part les responsables de l’Éducation Nationale, afin qu’ils se penchent rapidement et sérieusement sur les mauvaises conditions de travail et d’étude dans cet établissement, comme dans d’autres d’ailleurs, périodiquement secoué par des grèves toujours justifiées.
A l’heure où ce ministère se lance dans la communication politique et invite les Djiboutiens à venir visiter ses nouveaux locaux rénovés (immeubles de l’ancienne unité de la marine française), il nous semble urgent de lui conseiller de visiter les classes pas rénovées du tout du CES d’Ambouli (et d’ailleurs) et d’en rendre scrupuleusement compte dans son bulletin Educ-Info. Histoire de montrer au contribuable djiboutien que son argent est convenablement utilisé.
Insalubrité durable :
Domiciliée à Arhiba II
La « gestion de vraie problématique » est décidément cause d’amnésie pour son illustre théoricien. En tournée électorale à Arhiba en janvier 2003, le Premier ministre alors tête de liste de la mouvance présidentielle, s’était ému de la misérable condition de vie des habitants de ce quartier surpeuplé. Il s’était même engagé à l’époque vis-à-vis de cette population, en affirmant haut et fort : «Je connais par cœur le nombre exact d’habitations en dur et en planches dont vous disposez, je suis sensible à vos problèmes et je serai à vos côtés pour les résoudre. » Plus d’un an après cette auguste promesse, Arhiba se meurt : eaux stagnantes, égouts et dépotoirs à ciel ouvert, risque d’épidémie, insalubrité y sont plus que jamais présents. A tel point que le journal gouvernemental « La Nation » y a consacré une photo en dernière page, plus éloquente que tous les discours alarmistes. Le régime attend-il que ce misérable quartier soit englouti par les eaux stagnantes pour évacuer ses malheureux habitants sur l’Arche, pardon, le yacht présidentiel ?
Accident meurtrier à Obock :
Le fou du volant a encore frappé
Mercredi 3 mars, la communauté obockoise toute entière a été endeuillée par la mort tragique du petit Hassan Mohamed Kassim, un enfant de quatre ans, écrasé sous les pneus d’un véhicule militaire. La mort est venue l’arracher aux siens au seuil de la maison familiale, en plein jour et d’entre les mains de sa malheureuse mère, dont on imagine l’état de choc. Quelques secondes avant l’accident, l’infortunée mère tenait en effet son cher enfant sur ses genoux et avait failli subir le même sort que lui en tentant de le retenir lorsqu’il s’est levé pour ramasser un jouet à proximité : trébucher lui a sauvé la vie.
Le « chauffard » quant à lui, un soldat en poste à Obock, a préféré fuir plutôt que de voir s’il était encore possible de sauver sa victime en l’évacuant sur le dispensaire. Quoi qu’il en soit, il a laissé la maman seule face au corps inerte et défiguré de son enfant, s’y accrochant dramatiquement, jusqu’à ce que des voisins l’en éloignent. Les obsèques ont regroupé une foule impressionnante d’Obockois qui, en plus de leur devoir religieux, étaient mûs par un sentiment de colère contre le conducteur et de compassion pour les jeunes parents de l’innocente victime, que les enfants n’hésitent pas à déjà surnommer Mohamed-al-Dourra.
Personne n’arrive à vraiment s’expliquer les circonstances exactes de l’accident, tant les témoins ont été traumatisés par le macabre tableau du corps de la victime après le passage des pneus du camion militaire. Toutefois, il semblerait que le bolide appartenant à l’Armée, roulait à vive allure et très loin des « pistes parallèles » habituellement empruntées par les véhicules. Car, à Obock, dans la ville comme dans tout le district, il n’y a pas un seul kilomètre de voie goudronnée. Arrivés sur les lieux, les agents de police et les responsables administratifs ont unanimement constaté que c’était le « Véléra » (véhicule léger rapide dans le jargon militaire) qui était pratiquement venue « chercher » l’enfant en frôlant les murs. A ce propos, un témoin a amèrement rappelé aux autorités du district qu’il avait déjà par le passé attiré leur attention sur le danger que constituent les véhicules roulant à vive allure, transperçant les quartiers sans aucun égard pour les piétons, enfants compris.
Sans succès, hélas. D’autres se souviennent que ce même chauffard avait par le passé provoqué la mort d’une fillette dans la région de Waddi, toujours au volant d’un camion militaire : apparemment, certaines morts ne conduisent pas en prison. Puis, lorsque le conducteur fut ramené sur les lieux de l’accident pour procéder à une reconstitution, il a été constaté que le véhicule était absolument dépourvu de système de freinage.
Pour tenter d’expliquer les raisons d’une telle conduite dangereuse, on avance que quelques jours après le paiement des arriérés de solde, le chauffard aurait accompli une mission surhumaine : ravitailler ses frères d’armes de l’arrière-pays en vivres et en khat !
Bref, en attendant les résultats de l’enquête que tous les Obockois souhaitent rapide et honnête, il semble légitime de s’inquiéter de l’état de vétusté avancée de ces véhicules militaires : de toute évidence, l’Armée Nationale est moins bien équipée que la Garde Présidentielle dont les Land-Rover encombrent la circulation dans Djibouti-ville. Mais, d’une façon générale, c’est tout ce qui a trait à la circulation qui est laissé à l’abandon : routes cabossées, véhicules-cercueils roulant, conducteurs très peu certifiés, et ceci touche le privé, l’administratif comme le militaire. Surtout, la réglementation de la circulation des véhicules militaires en zones urbaine devrait être sérieusement envisagée.
Pour réellement ressentir le sentiment d’injustice de la communauté obockoise touchée dans sa chair la plus tendre, il suffit de mettre en parallèle le désarroi des parents inconsolables et l’insouciante provocation de ce Mad Max local et des militaires, galonnés ou peu, qui n’ont même pas daigné assister aux funérailles et témoigner d’un minimum de compassion. Inutile de s’étonner ensuite que certains militaires donnent de leur corps la fâcheuse impression d’une armée d’occupation. Nous adressons nos condoléances à la famille du défunt. INNA LILLAH WA INNA ILAYHI RAAJI’UUN. AMIN.
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Lettre ouverte au ministre de la Justice
UNION POUR L’ALTERNANCE DEMOCRATIQUE
(ARD, UDJ, MRD, PDD)
A SON EXCELLENCE
MONSIEUR LE MINISTRE DE LA JUSTICE,
CHARGE DES DROITS DE L’HOMME
Djibouti, le 16 mars 2004
Excellence,
Par contact téléphonique, vous avez séparément convié les dirigeants de l’UAD à prendre langue avec vous, afin d’examiner, dans votre bureau, les modalités de notre participation au forum, placé sous votre auguste égide, ayant trait à la situation des droits de l’homme en République de Djibouti. Nous avons été très honorés d’une telle sollicitude, venant à point nommé contredire la rumeur persistante selon laquelle pouvoir et opposition se bouderaient royalement, s’il est permis d’évoquer l’Ancien Régime devant un révolutionnaire tel que vous. Car, si absence de dialogue il y a, vous conviendrez aisément que nous sommes les moins bien placés pour imposer le silence à qui que ce soit. Ce serait d’ailleurs contre notre philosophie politique, et c’est pour cela que nous avions accepté un entretien préliminaire avec vous ; comme c’est pour cette raison que nous vous écrivons aujourd’hui. En espérant que la formule de la lettre ouverte vous agréera : un démocrate n’a rien à cacher au Peuple, n’est-ce pas ?
Toutefois, nous sommes bien au regret de vous faire savoir qu’il nous est impossible, en l’état actuel de beaucoup de choses, de participer à ce forum, tout en lui souhaitant sincèrement les meilleurs travaux et surtout pleine concrétisation pour ses recommandations certainement pertinentes. Il nous est en effet impossible de vous satisfaire pour un certain nombre de raisons.
En premier lieu, parce que vous avez dressé, dès le début de votre sacerdoce ministériel, un tableau quasi-exhaustif et abondamment éloquent de la situation des droits de l’homme dans notre pays ; tableau qui vaut notre contribution à ce forum, tant ce que vous écrivez dans votre livre correspond à l’exacte réalité. En nous pardonnant de vous citer si abondamment (au moins, nous ne serons pas accusés de censure), voila ce que vous écriviez dans l’exercice de vos hautes et inchangées fonctions, et que nous approuvons sans nuance (au moins, nous ne serons pas soupçonnés de sectarisme) : « Les États dictatoriaux, surtout leurs versions tropicales, aiment à se réclamer de la démocratie tant qu’il s’agit d’arborer cette valeur comme une preuve qu’ils seraient fréquentables. Ils revendiquent à cor et à cri les vertus républicaines et les Droits de l’Homme. Ils proclament comme un objet d’orgueil la liberté de la presse, l’indépendance de la justice, etc. cela prend forme par la promulgation d’une Constitution dont le préambule comporte l’adhésion à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. (…) Tout en se soumettant à ces rites initiatiques, ils prennent soin de les vider de leur sens, car l’objectif n’est que de paraître comme des États normaux : les bailleurs de fonds ne leur en demandent pas plus ». La meilleure preuve de ce faire semblant érigé en méthode de gouvernement c’est, croyons-nous intimement, la violation systématique et persistante par votre gouvernement, des dispositions aussi essentielles que pertinentes contenues dans l’Accord de paix du 12 mai 2001. A quel forum sur les droits de l’homme nous conviez-vous quand l’instauration d’un environnement politique réellement pacifié et propice au débat démocratique est refusée à tous les citoyens djiboutiens et quand la dignité d’êtres humains est déniée aux civils ayant tout perdu dans ce conflit, à travers Réhabilitation et Indemnisation ?
En second lieu, la situation que vous avez si brillamment décrite n’a, de notre modeste point de vue, fait qu’empirer. Une seule preuve, au chapitre de la prétendue indépendance de la justice ? Bien avant la parodie de procès pour diffamation contre le directeur de publication du « Renouveau » et sa condamnation par le tribunal des flagrants délits à une peine d’emprisonnement de trois mois fermes, on se souvient tous que durant l’été 2001, Daher Ahmed Farah en personne a sollicité votre haute autorité (il le croyait sincèrement) pour qu’un terme soit mis aux tracasseries politico policières (son passeport a été confisqué à l’aéroport) visant à l’empêcher de se rendre aux États-unis d’Amérique participer à un séminaire sur la transition démocratique en Afrique : ça ne s’invente pas ! Vous l’aviez poliment écouté (c’est lui qui le dit) avant de lui faire (certainement sincèrement) part de votre totale impuissance à défendre les droits de l’homme en ce domaine : il a compris ! Comme nous le comprenons.
Sans l’admettre. Comme nous ne pouvons admettre, par respect de la volonté populaire, en cautionnant par notre participation à ce forum l’inadmissible détournement du verdict des urnes dont s’est rendu coupable ; avec la complicité d’une institution judiciaire tout sauf indépendante, le régime auquel vous collaborez.
Car, et c’est le dernier argument ici développé, pour avoir été officiellement saisi, vous savez mieux que quiconque qu’un grave contentieux nous oppose à votre administration concernant le remboursement de la caution avancée par l’UAD au Trésor Public afin d’engager ses listes dans les différentes circonscriptions électorales aux législatives de janvier 2003. Cette caution est encore aujourd’hui illégalement confisquée par le gouvernement auquel vous appartenez, bien qu’il soit de notoriété publique que cette caution avait été restituée au Parti du Renouveau Djiboutien du regretté Elabé à la suite des législatives de décembre 1992. A notre requête, vous n’avez donné suite aucune, pas même un petit courrier pour expliquer votre incompétence en la matière : peut-être est-ce votre façon de respecter l’indépendance de la Justice, alors que la garantie constitutionnelle de l’inamovibilité des magistrats a été complètement violée par le Statut de la magistrature que vous avez-vous-même présenté en Conseil des ministres : adopté comme lettre à la poste ! Que le Tribunal du Contentieux Administratif soit encore inscrit aux abonnés absents ne fait que rajouter à l’absence de tout recours légal contre tous les abus du pouvoir politique.
S’agissant de la lutte contre le terrorisme, dont vous avez la lourde tâche, il est également notoire qu’aucune enquête sur aucun des attentats ayant jalonné le nouveau millénaire (sans même parler de ceux du siècle dernier, ils sont trop anciens ) n’a jusqu’à présent abouti à une quelconque inculpation ou même accusation…
Dans ces conditions, vous comprendrez aisément, Excellence, que notre conscience d’opposants responsables nous interdise de cautionner un forum sans aucune utilité réelle, si ce n’est de mystifier, comme vous le dites si bien, les bailleurs de fonds occidentaux. Sans manquer de vous rendre la parole, en rappelant encore une fois ce que vous écriviez il n’y a pas si longtemps, et si lucidement, à propos de la dictature en République de Djibouti : « Le régime ne peut souffrir aucun contre-pouvoir qui risque de le dénoncer après avoir percé ses secrets. Tout contradicteur politique, et la population qui hasarderait un geste de soutien à l’un de ces « subversifs », sont victimes d’agissements répressifs, arbitraires et répétés, qui ont induit une apathie générale envers la politique. Tout le monde se réfugie dans le silence ou évite, quand il parle, d’évoquer les questions existentielles qui les préoccupent ; parfois même certains développent une réaction paranoïaque, suspectant l’opposition de manœuvres tendant à les exposer à des représailles du pouvoir. Les pratiques du régime rendent ces idées plausibles, lorsqu’on sait qu’il est capable de supprimer l’aide alimentaire à celui qui n’a pas voulu « bien voter », lorsqu’on sait que tant d’autre formes de chantage s’appliquent au réfractaire jugé « déviant ». une panoplie de sanctions s’exercent : mutations, blocage de promotion, voire dégradation, suspension de salaire ou même licenciement pur et simple. »
Dans l’espoir que vous comprendrez aisément nos réticences, nous vous prions d’agréer, Excellence, l’expression de notre parfaite considération.
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Djibouti vu de Washington (3)
Le rapport du Bureau Américain pour la Démocratie et les Droits de l’Homme (Troisième partie)
Voici la dernière partie du rapport 2003 sur la situation des droits de l’Homme en République de Djibouti, établi par les services du Département d’Etat américain. En raison d’une actualité abondante, et pour mieux coller à celle à venir, nous réservons pour notre prochain numéro nos commentaires de ce document officiel.
Section 4. Attitude du gouvernement sur une enquête internationale ou non gouvernementale
relative aux accusations de violations des droits humains
Quelques groupes locaux de défense des droits de l’homme travaillaient sans beaucoup de restriction de la part du gouvernement, enquêtant et publiant parfois leurs résultats sur les cas de droits humains. Généralement, les officiels gouvernementaux voyaient déconsidéraient leurs vues. La LDDH, groupe local de défense des droits humains, a travaillé l’année dernière sans aucune ingérence du gouvernement. L’Union Nationale des Femmes Djiboutiennes (UNFD) et l’Association Djiboutienne pour la Promotion Familiale (ADEPF) promeuvent les droits de la femme et de l’enfant.
Le CICR maintenait un petit bureau tenu par un personnel recruté sur place. Le représentant régional du CICR, basé à Nairobi, effectue des visites trimestrielles.
Il existe un Médiateur du gouvernement, qui est en même temps député au Parlement, et dont les attributions spécifiques incluent la médiation entre le gouvernement et les organisations non gouvernementales. Il n’existe aucun rapport d’une quelconque médiation engagée avec succès par ses services. Le comité National pour les Droits de l’Homme chargé de la Promotion des Droits de l’Homme, a été inactif durant l’année 2003.
Section 5. Discrimination basée sur la race, le sexe, les handicaps, la langue ou le statut social
La Constitution interdit toute discrimination sur la base de la langue, de la race ou du sexe ; toutefois, la discrimination à l’encontre des femmes et des minorités ethniques persiste. Le renforcement du dispositif législatif par le gouvernement pour protéger les femmes et les enfants n’a pas été effectif.
Femmes
La violence domestique contre les femmes existe, mais peu de cas ont été rapportés. La violence contre les femmes est normalement réglée au sein de la structure familiale ou clanique, plutôt que devant les cours. La police est rarement intervenue dans les incidents relevant de la violence domestique et les médias n’en ont rapporté que les plus spectaculaires, comme les meurtres. La loi prévoit des peines allant jusqu’à 20 de prison pour les violeurs. Le nombre des violeurs poursuivis durant 2003 n’est pas connu. On estime qu’au moins 98% des femmes ont subi les mutilations génitales féminines (MGF). Traditionnellement, les MGF sont pratiquées sur des fillettes âgées entre 7 et 10ans. La loi stipule que toue « violence causant une mutilation génitale » est passible de 5 ans d’emprisonnement et d’une amende supérieure à 5.600 $ (1 million FD) ; toutefois, n’a encore poursuivi personne pour ce motif. Les efforts de l’UNFD et des autres associations pour sensibiliser les femmes, ont produit quelques résultats dans la Capitale. Beaucoup pensent que l’incidence et la sévérité des mutilations génitales féminines a baissé, quoi qu’aucune donnée systématique sur ce problème ne soit disponible. Les Nations Unies et d’autres experts estimes que des formes minimales de mutilations génitales féminines sont encore pratiquées à une large échelle et que l’infibulation est encore de règle dans les zones rurales.
La prostitution est illégale ; toutefois, il s’agit là d’un problème réel. En général, il y a deux catégories de prostituées, celles avec logement et celles pratiquant dans la rue. Le premier groupe est largement toléré et surtout fréquenté par une clientèle étrangère ( en particulier militaire). Toutefois, l’équipe de la police mondaine cible les prostituées des rues et il est rapporté que le viol est une condition préalable à leur relaxe. Les réfugiées et les filles des familles pauvres indigènes ont un plus grand risque de devenir des prostituées de rue.
Légalement, la femme possède tous ses droits civiques, mais la discrimination, base sur la coutume ou la société traditionnelle, au niveau de la scolarisation dicte qu’elle joue un rôle secondaire dans la vie publique et que les femmes ont moins de chances d’emploi que les hommes. D’une manière générale, les femmes sont confinées dans les secteurs du commerce et du secrétariat. La loi coutumière, qui est basée sur la Charia, constitue une discrimination à l’égard des femmes dans certains cas comme l’héritage, le divorce et le voyage. les enfants de sexe masculin héritent d’une plus grande part que ce qui est reconnu aux enfants de sexe féminin. Même le peu de femmes d’un certain niveau d’études reviennent devant les juridictions traditionnelles pour défendre leurs intérêts.
Enfants
Le gouvernement n’a consacré aucun fonds public pour la promotion des droits et du bien-être de l’enfant. L’Education primaire est obligatoire ; toutefois, le gouvernement n’a pas assuré le caractère obligatoire de cette disposition. Le gouvernement assure la gratuité de l’enseignement public ; toutefois, il y a des dépenses externes pouvant être prohibitives pour les familles les plus pauvres, telles que le transport, les fournitures scolaires et la craie. Les installations scolaires continuent d’être inadéquates. Les salaires des enseignants sont toujours des arriérés, et un pourcentage important d’enseignants qualifiés a abandonné la profession. Approximativement, 20% d’enfants mènent leur scolarité jusqu’au terme du cycle secondaire. Seulement 62% des filles sont inscrites en primaire, comparées aux 73% de garçons, et seulement 23% des filles atteignent le secondaire, comparées aux 33% de garçons.
Seules 32% des filles savent lire et écrire, comparées aux 60% de garçons, et plus de 53% de la population totale savait lire et écrire. Dans les zones rurales, l’accès limité aux écoles, la faiblesse des équipements scolaires et les attitudes culturelles conduisent à une réduction significative de la scolarisation et à de plus grandes disparités entre garçons et filles. L’abus d’enfant existe ; toutefois, en dehors des mutilations génitales féminines, cela n’est pas considéré comme fréquent. Les mutilations génitales féminines sont pratiquées sur plus de 98% des jeunes filles. Le gouvernement n’a pas évoqué l’abus d’enfant, qui est souvent puni avec sévérité. Par exemple, quand un enfant est violé ou abusé, le coupable doit normalement subvenir aux frais médicaux de sa victime. Le gouvernement n’a utilisé aucune disposition légale en vigueur pour réprimer plus sévèrement l’abus d’enfant.
Personnes handicapées
Le gouvernement n’a défini aucun cadre pour rendre les bâtiments publics accessibles aux handicapés physiques. Bien que certaines personnes handicapées aient accès aux infrastructures scolaires et sanitaires, aucune loi précise ne prend en considération leurs besoins et il n’existe non plus aucune loi contre la discrimination à l’encontre des personnes handicapées sur le marché de l’emploi.
Minorités nationales, raciales et ethniques
Le gouvernement continue à pratiquer la discrimination entre les citoyens sur une base ethnique dans l’emploi et la promotion. Les Somali Issa constituent le groupe ethnique majoritaire et contrôlent le parti au pouvoir, l’administration civile et les services de sécurité, ainsi que les forces armées. La discrimination selon des critères d’affiliation ethnique ou clanique limitent le rôle des membres de groupes et clans minoritaires dans le gouvernement et la politique.
Le gouvernement a continué les rafles d’étrangers en situation irrégulière durant l’année. Le gouvernement a accusé les étrangers en situation irrégulière (essentiellement d’Éthiopie, de Somalie et du Yémen) d’être la cause du taux de chômage dans le pays, de la montée du crime et de la désintégration des travaux publics. Contrairement à l’année dernière, il n’a pas été mentionné que les forces de sécurité aient utilisé les étrangers en situation irrégulière comme main-d’œuvre forcée sous la menace d’expulsion dans les chantiers de travaux publics ou pour leurs propres besoins.
Section 6. Droits des travailleurs
a. Le droit d’association
La Constitution garantit le droit syndical ainsi que le droit de grève ; toutefois, le gouvernement restreint ces droits. Tout syndicat doit être préalablement agréé par le gouvernement pour pouvoir exister. De manière unilatérale, le gouvernement a préparé un nouveau Code du Travail qui limite l’utilité des syndicats. Ces dernières années, le gouvernement a supprimé les syndicats indépendants et représentatifs en licenciant leurs dirigeants, les empêchant de tenir des congrès et en créant des syndicats-fantômes sponsorisés par le gouvernement pour les remplacer. L’Union Djiboutienne des Travailleurs (UDT) a réussi à organiser un congrès indépendant en septembre 2002 ; toutefois, des responsables gouvernementaux ont exercé des pressions sur certains de ses membres pour qu’ils se désolidarisent d’avec son nouveau Secrétaire Général, M. Adan Mohamed Abdou, au prétexte de son engagement dans une coalisation de l’opposition politique. La loi interdit toute discrimination antisyndicale et les employeurs coupables d’une telle discrimination sont sommés de reprendre les travailleurs licenciés pour activités syndicales ; toutefois, le gouvernement lui-même ne respecte pas cette disposition légale.
La loi autorise les syndicats à entretenir des relations d’échange avec les organisations syndicales étrangères, et le gouvernement n’y oppose aucune restriction. L’UDT qui n’est pas contrôlée par le gouvernement est membre de la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL). La CISL a relevé le non-respect par le gouvernement des droits syndicaux. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) a noté les abus persistants du gouvernement dans l’interdiction des réunions syndicales et l’incapacité des responsables syndicaux à librement recevoir des courriers. Dans un rapport publié en 2002, le Comité des Experts de l’OIT a relevé qu’un petit progrès avait été accompli et que le gouvernement continuait à violer la réglementation nationale sur le travail et qu’il n’avait toujours pas adhéré aux dispositions contenues dans les conventions de l’OIT.
b. Le droit d’association et de négociation collective
Bien que le monde du travail ait le droit de s’organiser et de mener des négociations collectives, celles-ci n’ont jamais eu lieu. Les relations entre employeurs et travailleurs sont informelles et paternalistes. Le gouvernement a sélectionné les représentants syndicaux. Les employeurs établissent généralement une grille de rémunération sur la base des directives du ministère du Travail. En cas de désaccord sur les salaires ou les problèmes de santé et de sécurité, le ministère du Travail encourage la négociation directe entre représentants syndicaux et employeurs. Les travailleurs et les employés peuvent solliciter une écoute administrative préalablement à toute procédure du service d’inspection du ministère ; toutefois, des critiques avancent que ce service souffre d’un manque de contrôle effectif, dû au fait que ses ressources ne sont ni prioritaires ni adéquates.
La loi exige que les responsables syndicaux déposent au ministère de l’Intérieur un préavis de grève 48 heures avant. Kamil Hassan, un enseignant réintégré en 2002 après avoir été licencié pour fait de grève en 1997, n’enseignait toujours pas à la fin de l’année.
Il existe une zone franche consacrée à l’exportation, établie en 1994 ; toutefois, son activité était basse durant l’année écoulée.
c. Interdiction du travail forcé ou obligatoire
La loi interdit le travail forcé ou obligatoire, y compris pour les enfants. Contrairement à l’année dernière, aucun rapport ne mentionne un cas de travail forcé durant 2003. pas plus qu’il n’existe de rapport indiquant que les forces de sécurité aient utilisé les étrangers en situation irrégulière comme main-d’œuvre forcées, sous peine de déportation, sur les chantiers de travaux publics ou pour leurs propres besoins.
d. Statut du travail des enfants et de l’âge minimum de travail
La loi interdit tout travail d’enfant âgé de moins de 14 ans, mais le gouvernement n’a toujours pas rendu cette interdiction effective et le travail d’enfant mineur existe, quoi que rare. Les enfants ne sont généralement pas employés dans des travaux dangereux. Les enfants travaillent dans des entreprises familiales, telles que les restaurants et les petites boutiques, à toute heure, de jour comme de nuit. La faiblesse du nombre d’inspecteurs réduit la portée des enquêtes sur le travail des enfants.
Le pays n’a pas ratifié la Convention 182 de l’Organisation Internationale du Travail sur les pires formes du travail des enfants.
e. Conditions de travail acceptables
Seule une petite minorité de la population exerce un emploi salarié. Le gouvernement a fixé les échelles minimales de salaire en fonction des catégories et le ministère du Travail a été renforcé. Le salaire mensuel pour un emploi non qualifié, établi en 1976, est approximativement de 125 $ (22.000 FD) ; toutefois, il n’est pas garanti dans la pratique. Le salaire minimum ne donne pas accès à un niveau de vie décent pour le travailleur et sa famille. A la fin de l’année dernière, le gouvernement a versé trois mois d’arriérés de salaire aux enseignants, aux forces de sécurité et aux agents du service public.
La loi fixe la durée du travail hebdomadaire à 40 heures, normalement réparties sur 6 jours. Le ministère du Travail est en charge du renforcement des normes de sécurité, des grilles salariales et des heures de travail. Parce que ce renforcement n’est pas effectif, les travailleurs font parfois face à des conditions de travail dangereuses. Les travailleurs protestent peu, surtout de peur que d’autres acceptant ces risques ne les remplacent. Il n’y a aucune loi ou réglementation autorisant les travailleurs à refuser d’accomplir des tâches dangereuses sans mettre leur emploi en péril.
Seuls les travailleurs étrangers régulièrement installés sont protégés par la loi. Les étrangers en situation irrégulière travaillent souvent aux plus faibles salaires. Ils étaient arrêtés puis déportés durant les opérations d’expulsion.
f. Trafic d’êtres humains
La loi n’interdit pas expressément le trafic d’êtres humains ; toutefois, aucun cas de trafic d’être humain n’a été rapporté dans le pays, vers le pays ou à partir du pays. Ce trafic est prévu par le Code Pénal et tomberait sous le coup d’ « exploitation de la faiblesse ou de l’ignorance de personnes ».
Rouler ou ne pas être roulé ?
ERSATZ IS THE QUESTION
Cyclisme et dopage politique dans les montagnes de Randa
Au lieu de réhabiliter cette zone détruite par le conflit et de remettre ses pistes en état, le régime a trouvé une astuce digne d’Ubu : assurer le développement en faisant offrir aux jeunes de Randa une dizaine de vélos de fabrication chinoise. Au moins, les chasse-neige offerts par l’URSS à un pays d’Afrique occidentale dans les années 60, avaient le mérite de la sincérité ignorante ! Ici, c’est tout simplement une ridicule comédie qui se joue, au détriment de la vraie politique et du réel développement économique.
Ibna-Raddi : mollets de coq et cuisses de grenouille s’abstenir de sa montée, freins en parfait état recommandés pour sa descente. Telle pourrait être le gentil conseil que l’on est bien obligé de donner aux heureux bénéficiaires d’un don pour le moins inattendu : dix vélos de fabrication chinoise pour les jeunes de Randa ! Et encore, si c’était des VTT, étant donné le caractère rural et montagneux de la région, même pas.
Bref, comme le ridicule ne tue pas (ni ne destitue d’ailleurs, par la grâce des fraudes électorales), la télévision puis le journal « La Nation » nous apprennent généreusement et en rafale qu’une association maison ( il s’agit de l’Association pour le Développement et l’Équilibre Familial, l’ADEPF) a généreusement fait don de dix vélos chinois, les couleurs des cadres ne sont pas indiquées, c’est dommage.
Et c’est tout aussi sérieusement que le journal gouvernemental « La Nation » se croit obligé de nous obliger à croire que « ce don de matériel destiné à promouvoir les activités des jeunes du village a surtout permis de nouer des relations de partenariat permanentes entre l’ADEPF et l’association Futur de Randa pour l’intégration des jeunes dans le processus du développement économique et social régional et la lutte contre la pauvreté ». Sans rire.
Assurer le développement avec dix vélos, même chinois ? C’est comme qui dirait se moquer du monde : c’est peut-être surtout pour occuper les interminables journées d’oisiveté forcée pour cause de chômage de ces jeunes. Et encore : les cadres quadras et quinquas natifs de la région ( dont au moins un secrétaire général et un directeur) et venus orner de leur présence la grotesque cérémonie de ce don farfelu, n’ont-ils pas osé (peut-être par modestie) promettre à ces heureux nouveaux cyclistes que les pistes de la région allaient au moins être remises en état pour que vélos et les 4×4 des autres roulent côte à côte. Ni d’ailleurs leur suggérer de créer un sympathique club local de cyclisme , avec ce genre d’association, on n’est jamais trop prudent : des fois qu’ils passeraient au sprint du vélo rouge au Livre Rouge.
Est-ce (peut-être, restons prudents) parce qu’il serait né à Einguela dans les années 50 (sic) que le bienfaiteur président de l’ADEPF (ci-devant député, il faut bien en recycler quelques-uns ) ignore que les humbles concitoyens dont, dans son immense miséricorde, il a ce faisant amélioré le coefficient de pénétration dans l’air, à défaut de conditions d’existence, ont pour la plupart plus de difficultés que lui pour obtenir des pièces d’identité djiboutienne. Mais, en leur nom, nous osons le rassurer : au moins ces bicyclettes-là ne passeront pas clandestinement la frontière, comme tel don à quatre roues. Au fait, qu’est devenue la fameuse ambulance que ce bienfaiteur de l’humanité nécessiteuse avait offerte à un quartier de la Capitale durant la campagne électorale pour les législatives de janvier 2003 ?
Par pudeur, nous n’évoquerons que très incidemment (inutile de forcer les traits quand il s’agit d’une caricature) du rôle aussi symptomatique que peu glorieusement improductif du « numéro deux » du prétentieux Conseil Régional de Tadjourah, lui aussi présent lors de cette cérémonie malgré, nous assurerait la version officielle, un emploi du temps très chargé et bien évidemment consacré au développement économique et social de la région décentralisée.
Les obèses avaient déjà posé la question shakespearienne de leur spleen lipidique : too big or not too big ? Fat is the question ! Certes, il peut arriver au ridicule d’engraisser certains, mais les obèses en politique ne se posent jamais la question de leur embonpoint théâtral. C’est peut-être pour cela qu’ils trouvent normal d’offrir, en guise de développement, dix vélos chinois (valeur totale estimée à 300.000 FD, comme quoi la cérémonie, transport+khat+ripailles, a au moins coûté autant) à de jeunes chômeurs dans une région qui attend encore reconstruction, réhabilitation, activités génératrices de revenus; en un mot, respect.
Certains naïfs, philanthropes sur les bords, se demandaient pourquoi, à la place des vélos qui ne sont manifestement pas à leur place dans ce décor montagneux, les généreux cadres venus de la Capitale n’avaient pas offert au moins une moto-cross ? Manquerait plus que ça : déjà que le Conseil régional, à travers son vice-président qui est en même temps directeur de la branche Nord de l’EDD (lumineuse trouvaille) n’arrive pas à trouver l’énorme financement que nécessite le gasoil pour faire fonctionner le petit groupe électrogène censé alimenter le village et rapporté dans la hotte présidentielle.
Le vélo, c’est écologique et économique : quant à prétendre assurer avec cela le développement régional, c’est pédaler dans la choucroute !
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