Réalité numéro 74 du mercredi 10 décembre 2003 |
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Sommaire
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Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 74 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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Éditorial
LE DROIT DU PAUVRE :
BOUFFE ET TAIS-TOI !
Au moins, les Américains sont pragmatiques : Bush ne s’est pas rendu à Bagdad pour porter la bonne parole aux Irakiens : il sait qu’il aurait prêché dans le désert. Ni pour leur apporter la Démocratie ; encore moins pour combattre les effets dévastateurs (malnutrition et détresse sanitaire) d’un embargo que les Nations Unies leur ont imposé une décennie durant. En fait, les meilleurs spécialistes des relations internationales s’accordent à admettre que, depuis le secrétaire d’État Henry Kissinger, la contribution des États-unis d’Amérique à une diplomatie en action a été, pour ainsi dire, pratiquement nulle.
Pas plus que celle des Français d’ailleurs, depuis la retentissante Berezina (dans son propre camp) de la tentative de rationalisation de la coopération initiée par Jean-Pierre Cot au lendemain de la victoire historique de la gauche en 1981, avant qu’elle ne devienne la « gauche caviar » sévèrement sanctionnée à la dernière présidentielle qui a vu, contre toute attente, la réélection de Jacques Chirac face à un inacceptable Jean-Marie Le Pen.
Le problème aujourd’hui par rapport aux Américains suscités, c’est que le Grand Jacques n’a jamais eu l’élégance verbale de Brel. Pour preuve, sa dernière sortie internationale en Tunisie où il a pratiquement crû opportun d’inviter ses auditeurs indigènes à s’estimer heureux que le régime en place subvienne à leurs besoins primordiaux.
En clair selon lui, la Démocratie est vraiment une notion à géométrie variable et que, sous certaines tristes tropiques, il serait déplacé de plaider, comme l’y invite naïvement la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, selon laquelle tous les hommes naissent libres et égaux en droits et en devoirs, pour le respect de ces droits fondamentaux à partir du moment où, dans son infinie bienveillance, le despote au pouvoir consent à subvenir aux besoins vitaux tels que manger, s’éduquer et se soigner.
A ce tarif, il est à se demander pourquoi, peu ou prou, la légitimité de l’invasion de l’Irak est si peu remise en cause puisque, avant l’embargo imposé par les Nations Unies, le parti Ba’as subvenait largement aux besoins du Peuple Irakien en matière d’emploi, d’Éducation et de Santé. Le drame aujourd’hui, c’est qu’entre « la Corrèze avant le Zambèze » et les Français de souche légitimement gênés par « les bruits et les odeurs » que peuvent produire les populations immigrées, le Grand Jacques, sans irrespect, a souvent dérapé.
Ce qui nous gêne justement, en tant que ressortissants d’un pays caractérisé, non seulement par des violations flagrantes en matière des droits de l’Homme, mais aussi par un détournement de l’aide internationale (au premier rang desquelles il convient de placer celle constante qu’accorde la France depuis 1977 pour assurer la stabilité de sa base militaire) qui ruine toute espérance durable d’amélioration dans les domaines dont le Chef de l’État français nous invite à nous contenter.
Pour faire bref et selon lui, la Démocratie serait un luxe auquel certains Peuples ne devraient pas trop rêver pour le moment, sous peine de dangereusement déstabiliser les relations interétatiques et d’inutilement polluer la bonne humeur traditionnelle des rencontres entre Nord avec peu de pauvres et Sud avec plein de riches. Comme le remarque justement le démocrate tunisien Marzouki (un docteur qui n’est pas honoris causa) : « les dictatures ne se sont jamais aussi bien portées que depuis le 11 septembre » et que « le terrorisme est la conséquence directe de la dictature et de la corruption ».
Les démocrates naïvement optimistes savent donc à quoi s’en tenir, eux qui croyaient que l’affaire Borel aurait quelque répercussion sur les relations franco-djiboutiennes. « La France a la mémoire longue » prétendait lyriquement Roland Dumas après l’attentat du Café de Paris. La vérité, c’est que la France n’a pas de mémoire, elle n’a que des intérêts, les plus souvent conjoncturels. Quant à ceux qui espéraient que la lutte contre le terrorisme impliquerait une plus grande attention des puissances civilisées, c’est qu’ils souffrent vraiment d’une indigestion idéologique : peut-être devraient-ils un peu moins manger.
Brèves nationales
Port de Doraleh :
Terminal à conteneurs seulement ?
Le méga-projet de Doraleh n’en finit pas d’alimenter les spéculations sur sa finalité réelle et la durée probable des travaux. Plusieurs sources concordantes, provenant des milieux d’affaires, affirment cependant que le financement nécessaire à la réalisation du complexe pétrolier serait revu à la hausse et semble loin d’être acquis. Pour l’heure, les travaux en cours semblent se limiter à la construction d’un terminal à conteneurs seulement. Concernant la partie terminal pétrolier, elle serait retardée, entre autres, par les hésitations des sociétés pétrolières basées au Port de Djibouti, qui rechigneraient à transférer leurs installations vers Doraleh dans les délais proposés par les promoteurs.
Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement que toute la vérité n’aurait pas été dite sur la faisabilité et le financement de ce projet électoraliste. Le régime fanfaron étant peu prolixe sur la question, doit-on y voir un signe sur l’apparition des difficultés de dernière minute, ou est-ce plus simplement une esbroufe supplémentaire qui sera tôt ou tard découverte ?
Presse gouvernementale :
Le tri-hebdomadaire deviendrait-il trivial ?
Depuis sa transformation en tri-hebdomadaire, le journal gouvernemental « La Nation » poursuit péniblement sa mission de propagande politique au service d’un régime fatigué. Peinant à remplir ses pages et sommé de produire pour le compte d’un pouvoir lui-même improductif, il en serait désormais réduit à ressembler aux magazines people.
Ainsi, dans son numéro de lundi dernier, le lecteur a-t-il droit dans six pages sur dix à un reportage digne d’un roman-photo et exclusivement consacré à la visite de la Première Dame à Tadjourah. Si le bilan réel de cette visite n’est pas précisé par notre confrère, c’est certainement parce qu’elle n’a rien apporté de concret, bien au contraire.
Ainsi, ses auditrices de Tadjourah ont été aussi surprises que celles de Marie-Antoinette en son temps. En effet, à une concitoyenne lui demandant d’intervenir pour que le prix du kilowatt/heure soit revu à la baisse et au moins ramené au niveau de celui ayant cours dans la Capitale, la Première Dame n’a rien trouvé de mieux à répondre que de lui asséner un condescendant : « Réduisez votre consommation électrique » !
De plus, au chapitre de la lutte contre le chômage, elle aurait exhorté les Tadjouriennes à créer leur propre entreprise. A ce rythme, gageons que lors de son prochain déplacement à Obock, elle invitera ses concitoyennes victimes de l’enclavement de leur district, à voyager en Boeing présidentiel. Comme elle le fait pour assister à un mariage se déroulant à Addis-Abeba ou pour son shopping à Ryad ou Dubaï.
Toutefois, les observateurs de Tadjourah et d’ailleurs s’accordent à reconnaître que la Présidente de la coûteuse UNFD a fait légèrement mieux que le Président de la République lors de son dernier passage dans cette ville, en termes de relations publiques uniquement. Nettement mieux en tout cas que le Premier ministre.
Une question se pose désormais : la Première Dame, déjà Présidente de l’UNFD, serait-elle, elle aussi, dans la course présidentielle ? Auquel cas, elle semblerait en pôle position … dans le camp présidentiel. Vivement donc des primaires au sein de l’ex parti unique !
Don de machines à coudre :
L’UNFD côté cour, côté jardin
Vestige féminin de l’ancien parti unique, l’Union Nationale des femmes Djiboutiennes (UNFD) serait avant tout un club d’épouses de dignitaires du régime et quelques obligées soigneusement sélectionnées. Bien que généreusement subventionnée par l’Etat, cette machine électorale du RPP reste aussi un important réceptacle des aides extérieures, sous couvert de « promotion de la Femme ». C’est à ce titre que l’UNFD est cette semaine récipiendaire d’un don égyptien composé de cinq machines à coudre. Ce cadeau, fort utile au demeurant, sera à n’en pas douter bien apprécié et utilisé par les réelles destinataires que sont toutes les femmes défavorisées de notre pays.
La mauvaise gouvernance n’étant pas à un paradoxe près, nos concitoyennes restent pour leur part effarées devant le déploiement d’un faste indécent de la part d’une organisation gouvernementale dont les activités sociales sont toujours essentiellement tributaires de la mendicité. Le régime devrait avoir honte d’avoir à admettre qu’il a reçu en don un matériel qui aurait largement pû être financé sur fonds propres : ces cinq machines à coudre aurait certainement coûté moins que certaines largesses électoralistes.
A l’image du pouvoir présidentiel qu’elle prétend servir et seconder, et qui subvient généreusement à ses besoins festifs, l’UNFD dessert surtout l’image de la femme Djiboutienne, considérée avant tout comme une voix qui doit chanter les louanges du régime.
Pôle Universitaire :
Retour à la normale ?
Après une semaine plutôt agitée les cours auraient repris hier mardi au Pôle Universitaire. Les 17 étudiants exclus par « mesure disciplinaire » auraient finalement réintégré l’établissement, même si des sanctions sévères continuent de frapper certains d’entre eux. La grève de solidarité aurait donc pris fin, laissant espérer un retour à la normale. Il reste désormais à consolider cette détente par l’instauration d’un nouveau climat de dialogue entre les autorités et les représentants des étudiants, pour que l’année universitaire puisse se déroule normalement jusqu’aux examens. Il en va de l’avenir de notre future élite nationale, qui plus est formée sur place.
Pluies sur la Capitale :
Plic, ploc, flaques…
Bienvenue partout, la pluie nourricière tant attendue par nos nomades reste particulièrement redoutée dans certains quartiers de notre Capitale. Raisons de cette défiance à l’égard de ce don du ciel : l’aggravation de l’insalubrité chronique et la prolifération des moustiques et mouches causées par ces précipitations. Ainsi, la pluie enregistrée dimanche dernier a déjà produit quelques désagréments aux riverains de certaines artères mal entretenues et facilement inondables en raison de multiples nids de poule.
Les passants éclaboussés et les automobilistes malchanceux en arrivent fréquemment aux mains, les uns accusant les autres de négligence ou d’irrespect. La vraie négligence blâmable, reste celle de la mauvaise gouvernance, coupable de la dégradation avancée de notre Capitale.
Comble du gâchis : alors que certaines rues menant aux chancelleries étrangères sont dans un piteux état, ces diplomates constatent que des bretelles donnant accès à quelques résidences privées du Héron sont étonnamment bien entretenues et même nouvellement goudronnées, certainement aux frais du contribuable djiboutien. Et cela, qu’il pleuve où qu’il fasse beau !
Enfin, la météo étant capricieuse, prions pour que la pluie fasse prioritairement reverdir nos campagnes victimes de la sécheresse, en épargnant notre malheureuse Capitale qui croule déjà sous les ordures
Troubles à la paix civile :
Les arrestations continuent en brousse
A la recherche, parait-il, d’introuvables caches d’armes, le régime parano continue ses exactions sur les populations civiles du Nord. Une nuée de mouchards écumerait depuis quelques mois la brousse du Nord, à l’affût du moindre renseignement.
Ainsi, l’on a appris hier dans la ville d’Obock que deux nouveaux bergers arrêtés dans leurs campements seraient entre les mains des forces de l’ordre. Un autre berger serait également détenu depuis le 28 novembre à Tadjourah. Ces manœuvres d’intimidation auraient-elles pour objectif d’attenter à la paix civile dans le nord en terrorisant ses populations dans ce contexte préélectoral ? tout semble le laisser croire, au vu des tactiques employées.
Pendant ce temps, le Chef de l’État se prépare à parader prochainement à Obock, pour y annoncer des mesures en faveur des zones rurales. A cette occasion, il renouvellera certainement un geste qui lui est aussi cher que sans lendemain : la pose de la première pierre pour la énième fois ! Il ne peut y avoir de développement sans la consolidation de la paix. Que ce régime irresponsable et provocateur se le tienne pour dit.
Syndicalisme : les clones démasqués
les clones démasqués à Addis-Abeba
Prétendant encore faire croire que la situation syndicale à Djibouti est normalisée, le Ministre de l’Emploi s’est rendu à une réunion internationale à Addis-Abeba avec, dans ses valises, quelques spécimen exotiques des derniers clones en date. Mal leur en prit : les délégués syndicaux des quatre coins du monde ont proprement confondu les vrais faux délégués gouvernementaux et restauré dans leurs droits les véritables représentants légitimes des Travailleurs Djiboutiens : les délégués de l’intersyndicale UDT-UGTD.
L’Organisation Internationale du Travail – OIT vient de tenir du 2 au 5 décembre courant sa dixième conférence internationale du travail qui se tient annuellement dans le courant du mois de juin à Genève, les réunions régionales de l’OIT comme celle qui vient de se tenir à Addis-Abeba après celle d’Abidjan la neuvième du genre il y a quatre ans (8 au 11 décembre 1999) sont tripartites et regroupent par conséquent les représentants des trois partenaires sociaux des pays concernés de la région (ici l’Afrique) à savoir : Les gouvernements, les employeurs et les travailleurs.
De ce fait, conformément aux dispositions du paragraphe 4 de l’article 1 du règlement pour les réunions régionales, le gouvernement de chaque pays a l’obligation de consulter ses partenaires sociaux dont les travailleurs notamment les organisations syndicales les plus représentatives pour dresser la liste tripartite de la délégation nationale.
Cependant, comme à son habitude, le Ministre de l’Emploi et de la Solidarité Nationale de Djibouti a substitué cette fois encore aux représentants légaux et légitimes des centrales syndicales djiboutiennes dont l’UDT est de loin la plus représentative, des alibis syndicaux n’ayant rien à voir avec les dites centrales syndicales que sont l’UDT et l’UGTD.
Ce qui a provoqué la saisine de la Commission de vérification des pouvoirs de cette dixième réunion africaine de l’OIT d’Addis-Abeba, en lui adressant une protestation contestant la légitimité et les pouvoirs de représentation de ces clones syndicaux que le Ministre a substitué aux véritables représentants des travailleurs qu’elle a délégués à cet effet.
De son côté, l’UDT a tenu à assister à cette réunion régionale en y envoyant par ses propres moyens une importante délégation conduite par son Secrétaire Général et forte de cinq personnes qui se sont particulièrement illustrées dans cette réunion régionale en se rétablissant dans leur droit de véritables représentants des travailleurs djiboutiens qu’ils étaient au grand dam de la délégation gouvernementale (alibis syndicaux y compris) qui n’en revenait plus d’être pris en flagrant délit d’usurpation des titres et des rôles syndicaux qu’ils pensaient impunément instrumentaliser à leurs fins.
La conclusion du rapport de la Commission de vérification des pouvoirs saisie à cet effet se passe de commentaire : « …La Commission rappelle que la Commission de vérification des pouvoirs à la Conférence Internationale du Travail a été saisie de cette question à ses quatre dernières sessions et que la Commission de vérification des pouvoirs à la neuvième réunion régionale africaine d’Abidjan du 8 au 11 décembre 1999, en avait également été saisie…
Dans la mesure où les questions soulevées dans la protestation font également l’objet d’un examen devant d’autres instances notamment la commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations et où les informations disponibles sont insuffisantes pour procéder à un examen de la situation au regard de l’article 1, paragraphe 4 du règlement pour les réunions régionales, la commission n’est pas, en l’espèce, en mesure d’exercer utilement son mandat. La commission demeure toutefois préoccupée part l’absence de tout progrès apparent et déplore profondément que des doutes subsistent encore une fois quant à la légitimité et l’indépendance des représentants des travailleurs accrédités par le gouvernement de Djibouti à la réunion régionale africaine.»
On le voit, le régime djiboutien est sans cesse couvert de ridicule et blâmé pour ses violations répétées des libertés syndicales. En cela, on peut dire que la réunion d’Addis-Abéba est une victoire du syndicalisme indépendant.
Les véritables représentants de la véritable UDT ont pu avoir gain de cause et représenter valablement les travailleurs Djiboutiens à cette Conférence régionale, en exerçant pleinement leurs prérogatives syndicales.
La pauvreté : une définition syndicale
Lors de cette même Xème Réunion Régionale Africaine sous l’égide du Bureau International du Travail – BIT qui a réuni durant trois jours syndicalistes, employeurs et Ministres du Travail et de l’Emploi du continent, ont été au centre des discussions les voies et les moyens de réduire la pauvreté par une politique fondée sur la création d’emplois. Ceci par une définition adéquate de la pauvreté.
Le thème retenu pour cette dixième rencontre tripartite du genre se voulait une communion entre tous les partenaires sociaux du continent autour d’une préoccupation majeure : l’amélioration des conditions de vie de leurs concitoyens.
Le rapport du Directeur Général du BIT, intitulé « S’affranchir de la pauvreté par le travail » mérite qu’on s’y attarde tant pour la richesse de son contenu que par d’exemples d’idées et de l’originalité de sa démarche.
M. Juan Somavia, Directeur Général du BIT fonde sa démarche sur trois idées force qui vont à coup sûr porter un coup dur aux idées reçues et autres concepts prêts à porter autour de la notion de pauvreté.
Pour commencer, la pauvreté n’est ni une tare imputable aux pauvres, ni une malédiction à laquelle certaines catégories de personnes étaient exposées. Elle résulte des défauts structurels et des systèmes économiques et sociaux inefficaces.
Autrement dit les pauvres ne sont ni coupables, ni responsables de leur pauvreté. Ils sont tout simplement victimes des défaillances des institutions dévoyées de leurs missions et instrumentalisées par les tenants du pouvoir.
Sans fustiger la mauvaise foi de nombreux régimes politiques, ce rapport qui reste très diplomatique sur la forme ne met pas moins en cause les orientations politiques inadéquates, l’absence d’imagination politique et le soutien international insuffisant.
Une fois le diagnostic établi et sachant l’étendue de la catastrophe, M. Somavia insiste sur le prix de la pauvreté car elle coûte chère. En termes de croissance économique, d’instabilités politiques, des ravages écologiques, des pandémies planétaires, la permanence de la pauvreté s’avère peut-être plus coûteuse que l’effort visant à la réduire.
Au-delà de la dimension terre à terre de la pauvreté, ses conséquences, ce rapport s’attarde sur un aspect souvent ignoré de la capacité d’adaptation, des pauvres à leur sort.
Vivre en effet dans une situation de dénuement matériel requiert une énorme réserve de courage, d’endurance et d’ingéniosité et de solidarité pour assurer sa survie et celle des siens. Vivre ainsi au jour le jour est un défi permanent que les pauvres dans leur masure relevée en développant une capacité de résistance et une créativité qui défie souvent les normes.
Les travailleurs pauvres constituent donc à maints égards des entrepreneurs potentiels formés à l’école du dénuement, aux marges de la société dominée par la facilité, l’entregent.
Il suffit d’adapter les institutions de l’Etat aux exigences de la lutte contre la pauvreté dont la réduction reviendrait sans doute moins chère que l’immobilisme politique et l’instrumentalisation de l’État.
A la lecture de ce document qui fera sûrement date, on saisit l’autre dimension de la pauvreté, combler le fossé entre les riches et les pauvres en libérant tous les potentiels d’énergies et d’esprits créatifs est à la portée de main de toutes les bonnes volontés.
C’est donc une chance que le régime djiboutien, habitué à une autre lecture de la pauvreté, celle qui lui rapporte sans aucune incidence positive sur les conditions de vie de ses concitoyens,ne saisira certainement pas.
Madame est servie
Quand le maître chante mal, sa voix devient indécente
Trop c’est trop : si l’édition du lundi du journal gouvernemental « La Nation » a accordé une place si importante à la visite que la Première Dame a effectuée jeudi dernier à Tadjourah (couverture démesurée par rapport à l’importance réelle de l’événement comme de ses retombées sur la vie politique nationale ou locale, c’est que l’enjeu de la propagande dépassait très largement le cadre d’une région dévastée par le conflit et à laquelle le régime, dans une logique de chantage, refuse encore toute réhabilitation. A quelque chose malheur étant bon, par son grotesque et sa démesure, cette mise en scène d’une variante RPP-UNFD de la conquête de l’Ouest aura au moins démontré une dimension essentielle du système politique djiboutien : l’absence de toute règle de droit allant de pair avec tous les droits que s’autorisent le Chef de l’État et sa cour.
En ce premier jeudi de décembre, Tadjourah a connu une matinée mouvementée : il s’agissait d’accueillir comme il se doit et es qualité, l’épouse du Président de la République, elle-même Présidente de plein droit des femmes djiboutiennes à travers l’UNFD. Sur la place centrale où elle délivrait (en français) un pesant discours aussitôt qualifié d’historique par les scribes patentés, peu étaient réellement à leur place.
En sa qualité d’hôte, le Sultan a eu parfaitement raison de présider lui-même aux festivités de la journée. Ce n’est pas de sa faute si les institutions politiques traditionnelles sont maintenues, beaucoup plus que du temps colonial, dans un rôle purement protocolaire et propagandiste. Certes, une véritable Décentralisation lui aurait bien restitué une fonction à la hauteur de son importance, mais le régime n’en veut pas. Alors, en attendant , il est de son devoir de rester digne en toutes circonstances et d’accueillir comme il se doit son illustre (auto ?)-invitée.
De même, ses concitoyens avaient, par respect pour lui, et dans le cas où la Présidente de l’UNFD se cantonnait au rôle qui est normalement le sien et respectait les diverses sensibilités politiques de Tadjourah, qui a largement voté pour l’opposition lors des dernières législatives, tout à fait le droit d’honorer cette première visite de la Première Dame depuis son marital mandat présidentiel.
Itou, quelques précieuses décolorées tout droit venues de la Capitale et quelques glorieuses épouses ministérielles étaient-elles à leur place de dames de compagnie, même si certaines absences en ce domaine politico-matrimonial ont été remarquées et commentées comme il se doit. Enfin, l’impressionnant, et souvent envahissant, dispositif policier et militaire dépêché de la Capital et déployé dans toute la ville, était parfaitement à sa place, démontrant par son ampleur qu’il y a comme un malaise entre des citoyens spoliés et un régime spoliateur s’estimant menacé par ceux-là mêmes qu’il spolie. Le fait que la Première Dame se sente menacée au point d’imposer une présence militaire aussi indécente est en soi révélateur des véritables intentions politiciennes de sa visite.
Car tous les autres qui n’avaient pas à être là, s’étant le plus souvent déplacés de la Capitale des jours auparavant, ont témoigné par leur présence de tous les dysfonctionnements institutionnels de la fausse Démocratie à la djiboutienne. En effet, que penser de ces hauts responsables de l’administration, tel ce quinquagénaire plus proche de la retraite que de la promotion, vu béat à la télévision, pourtant pas affecté à l’UNFD, mais ayant le plus légalement du monde déserté ses bureaux djiboutois pour tenir sa place au milieu de cette cour en déplacement ?
Comme si, c’est vraiment méchant, la Première Dame avait son mot à dire en matière de promotion individuelle, alors que les textes régissant la Fonction Publique sont là ! Et quel respect accorder à ces mal-élus de la région, se croyant obligés de jouer aux Panurge subtropicaux, transformant leur parentèle en troupeaux présentés à une acheteuse, et pour cause : sans allégeance, point de projet de développement, explique-t-on cyniquement à ces populations durement touchées par le conflit.
Toutefois, la palme de la sincérité ridicule (ou du ridicule sincère, selon la perspective retenue car d’autres pourraient tout aussi bien trouver étrange que la Première Dame s’estime habilitée à recevoir ces doléances), c’est lorsque des représentantes féminines de la région poussent la dévotion jusqu’à faire état des doléances qu’elles ont transmises à la Première Dame, Présidente de l’UNFD, relativement aux (dramatiques) conditions d’existence qui prévalent dans leur région et aux (énormes) besoins que l’Etat devrait satisfaire en matière d’infrastructures publiques.
C’est encore à se demander à quoi peuvent bien servir les déplacements de son Président de mari que, par dépit, certains n’hésitent plus à appeler « spécialiste de la première pierre » (en référence à sa première pierre sans lendemain devant inaugurer la reconstruction d’Obock). C’est comme si le Chef de l’État ne servait à pas grand-chose dans ce domaine. C’est aussi à se demander à quoi peuvent bien servir les ministères concernés (Agriculture, Education, Santé, etc) ou leurs services techniques déconcentrés si les habitants des régions abandonnées doivent attendre l’improbable visite quinquennale de l’épouse du Président de la République pour qu’un petit écho circonstanciel soit accordé à leur immense détresse ?
C’est comme si l’ensemble du gouvernement était incorrigiblement défaillant et, n’eût été l’omniscience et l’omnipotence de la Première Dame, son inaction aurait irrémédiablement nui à la réélection de son Chef.
Car voilà l’essentiel, la Première Dame ne cachait pas ses prétentions : reconduire le mandat de son mari lors de la prochaine présidentielle de 2005. en attendant, les femmes de Tadjourah n’ont absolument pas été convaincues par leur prestation : pas plus que le Chef de l’État, elle n’a rien proposé de sérieux.
Soudan : enfin la Paix !
Le plus vaste État d’Afrique partageant ses frontières avec plusieurs pays vient de mettre fin à une longue et meurtrière guerre civile. L’ARD se félicite de cette paix annoncée et salue le rôle prépondérant et positif qu’ont joué les États-unis pour son avènement. Après deux décennies de guerres et de famines, le Soudan, nouveau géant pacifique pointe à l’horizon : Motif de fierté pour la région Est-Africaine et le monde Arabe.
Cette guerre civile qui semblait interminable opposait le pouvoir central situé au Nord et exclusivement arabo-musulman à un Sud chrétien et animiste représenté par le SPLA (Sudan’s People Liberation Army). L’IGAD ainsi que l’OUA et la Ligue Arabe ont échoué dans leurs multiples tentatives de réconcilier les frères ennemis. Il faut reconnaître à leur décharge que la dérive islamiste qu’a connu ce pays sous Tourabi avait compliqué la tâche des différents médiateurs. Même si les islamistes y restent influents, depuis l’arrivée au pouvoir de la junte militaire, le Soudan a heureusement cessé d’être le repaire des agitateurs islamistes du globe qui y trouvaient asile, protection et conseil.
Ce pays avait accueilli le premier congrès islamiste et abrité un temps Ben Laden et sa légion étrangère. Le temps où ses dirigeants prétendaient diriger et exporter la révolution islamiste est désormais révolu. Heureusement ! Car cette prétention menaçait la stabilité régionale et l’indispensable unité de ce pays. L’Égypte, l’Éthiopie et l’Érythrée en avaient pâti, qui accueillaient à leur tour ses opposants armés ou pacifiques, ce qui entraînait toute la région dans une spirale de conflits.
Le pragmatisme du Président soudanais Omar Hassan El-Bechir depuis qu’il a pris les rênes du pouvoir a donné ses fruits en pacifiant les luttes politiques dans son pays et en normalisant ses relations avec ses voisins. C’est donc à lui et à John Garang que revient principalement le mérite de mettre fin à cette guerre civile qui aura fait plus d’un million de victimes. Ces pourparlers engagés depuis deux ans ont abouti grâce à la constante pression exercée par les Américains sur les belligérants.
Félicitons-les, en espérant qu’ils exerceront une égale pression pour une solution négociée dans le conflit qui déchire le Proche-Orient. S’il est vrai que le Président soudanais a constamment manifesté une volonté d’ouverture et notamment en novembre 1999 en marge des travaux du sommet de l’IGAD tenu à Djibouti, rappelons à notre confrère « La Nation », qu’il vaut mieux comparer ce qui peut l’être. Car à l’époque où Guelleh « parrainait » la rencontre entre Sadek El-Mahdi (qui, rappelons-le, est un oposant en exil et accessoirement parent par alliance du Président Béchir) et Hassan El-Bechir, Djibouti vivait encore le conflit civil, ce qui terni l’image de conciliateur qu’il prétendait donner.
D’autre part, si le conflit armé a cessé à Djibouti en 2000, il perdure sous forme d’impasse politique faute d’application des accords. de plus, cette rencontre de Djibouti n’a en aucun cas influé sur la récente paix au Sud-Soudan. Enfin, à la différence de Guelleh, El-Bechir concrétise en actes sa volonté d’ouverture. Souhaitons aux frères soudanais réconciliés une vie en commun harmonieuse par le respect des engagements écrits qui fait défaut chez nous. Ce pays a en effet grandement besoin d’une paix juste et durable afin de se consacrer au développement de toutes ses régions.
Pour cela, il dispose de multiples atouts agricoles énergétiques et miniers. Traversé sur toute son étendue par le plus long fleuve d’Afrique, le Nil, il deviendra ainsi le grenier du Monde Arabe. Son avenir est donc prometteur tant son potentiel énergétique est impressionnant. Puissance pétrolière montante, le Soudan compte édifier également des barrages hydroélectriques importants et ainsi décupler la surface des ses terres cultivables estimées à plusieurs millions d’hectares.
Les multiples projets de développement longtemps entravées par la guerre dans le sud du pays pourront désormais démarrer.
Seule petite ombre au tableau, la poursuite d’une guérilla larvée dans la région du Darfour à l’ouest reste un sujet d’inquiétude pour le pouvoir de Khartoum. La pacification effective du Sud permettra certainement de résorber ces poches de conflit ne menaçant pas durablement la cohésion nationale. Après l’Angola, la République Démocratique du Congo et le Burundi, l’espoir d’une paix définitive dans le plus grand pays d’Afrique s’annonce déterminant pour l’avenir de notre continent. Puisse la paix au Soudan sonner le début d’une nouvelle ère pour toute notre région qui n’a que trop souffert des conflits fratricides.
Le droit du Djiboutien : broute et tais-toi !
Bouche pleine et silence citoyen
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Cette célèbre formule vaut également dans un domaine typiquement régional et profondément djiboutien : la distribution du khat aux fins de propagande partisane permanente. Ainsi, par un miracle toujours recommencé, un régime incapable de subvenir aux besoins essentiels de ses concitoyens trouve les moyens financiers de généreusement offrir des centaines de sacs de khat aux populations courtisées le temps d’une campagne électorale… même si elle commence très tôt. C’est bien connu : les régimes illégitimes espèrent toujours que des citoyens occupés à mâcher n’auront pas le temps de réfléchir. Pourtant, le développement durable attendu par notre peuple ne devrait pas passer par khat-chemins !
Marx avait tort, peut-être parce qu’il ne possédait aucune donnée anthropologique relative aux us et coutumes masticatoires dans la Corne de l’Afrique : le véritable opium du peuple, ce n’est pas la religion. Bien au contraire, et en dépit de ce que peuvent en penser les nouveaux théoriciens de la lutte antiterroriste, l’Islam est une théologie de la révolution à usage avant tout interne.
Le Djihad, ce n’est pas l’exportation de la violence politique : le véritable musulman est celui qui veille à ce que le régime politique auquel il obéit agit conformément à la morale dominante. Non, le véritable opium du peuple, c’est le khat. Pour s’en convaincre, il suffit de mesurer l’absence de toute politique publique visant à en réduire la consommation. C’est simple, il n’y en a pas, et ce n’est pas un hasard si, à Djibouti, les études scientifiques relatives aux effets néfastes de la consommation du khat (du point de vue de la santé publique comme de ses incidences socioéconomiques) ont pour la plupart été réalisées avant l’Indépendance. Non pas que la puissance coloniale (ou plutôt son administration locale) ne s’en soit pas servie pour asseoir son dispositif clientéliste.
Non pas que le Parti unique n’ait pas institué le khat en instrument de persuasion, en carotte verte pour ainsi dire, masquant le bâton, tel un gant de velours pour une main de fer. Au moins, rétorquera-t-on, l’ancien Président de la République n’était pas lui-même consommateur de khat.
Mais, force est d’admettre que depuis 1999, l’usage politique de la consommation du khat s’est systématisé et a pris les dimensions d’une entreprise d’Etat. Ceci expliquant parfois cela, reconnaissons comme circonstance atténuante que l’actuel Chef de l’Etat, lui-même adepte de cette pratique masticatoire (il paraît que cela favorise la concentration et l’effervescence intellectuelles ) tient à ce que ses compatriotes partagent la même extase khatique que lui.
Plus sérieusement, chacun constate à quel point la distribution gratuite de khat par le régime (les divers milieux présidentiels en quête de quelque promotion ministérielle ou roulant tout simplement pour leur grand patron) est aujourd’hui devenue une pratique systématique au bénéfice de certaines régions du pays, Nord et Sud-Ouest essentiellement, si l’on peut employer une telle incongruité quand on considère par ailleurs la misère matérielle qui leur est imposée par la mauvaise gouvernance et le favoritisme. Pourquoi cette sollicitude ? Quels avantages la consommation du khat procure-t-elle à un régime aussi impopulaire ?
Certes, un des effets du khat, c’est qu’il agit comme coupe-faim ; ce qui n’est pas négligeable vu que le panier de la ménagère a du mal à se remplir, étant donné la cherté du niveau de vie dans un pays dont la dépendance alimentaire est supérieure à 90%, alors que les potentialités agricoles existent réellement. Pire, si le ranch présidentiel du Day répond aux immenses espérances qui sont placées en lui (moyennant quelques centaines de millions FD), c’est bien l’indépendance khatique qui a toutes les « chances » d’être atteinte d’ici peu. Certains prétendront qu’il s’agira d’un pas important sur la voie du développement durable.
En second lieu, conformément à la stratégie offensive du football où il convient de fixer la défense, la posture du consommateur de khat induit une indisponibilité pour toute autre forme d’action, a fortiori politique. L’écrasante majorité de la population djiboutienne ayant succombé à cette drogue, souvent parce qu’aucune autre forme de sociabilité substitutive n’ayant été favorisée par la dictature en place, on conçoit aisément le bénéfice qu’en retire un régime dont les concitoyens, au lieu d’agir pour améliorer leur situation, sont quotidiennement maintenus des heures durant avachis sur des tapis moelleux dans des locaux qui rappellent singulièrement les maisons d’opium d’Orient. Sauf que le khat est nettement moins stigmatisé et ses effets nettement plus tolérés, socialement s’entend.
Dans ses conditions, la consommation de khat, en maintenant les citoyens dans une posture de dépendance multiple (à l’égard de la plante comme de son généreux donateur), ne peut que s’accroître, dans un régime fondant son autorité sur l’institutionnalisation d’une redistribution inégale des richesses nationales.
En attendant de pouvoir compter sur des politiques publiques cohérentes dont chacun pourra bénéficier en fonction de ses potentialités, dans le cadre d’une Démocratie réelle jusqu’aux derniers échelons de la vie locale, il est compréhensible que le citoyen-brouteur succombe parfois au pêché, en acceptant un bakchich vert obtenu sur des deniers publics de toute évidence détournés. Mais les résultats des dernières législatives l’ont clairement démontré : à l’heure de vérité, les citoyens consciencieux savent que ce n’est pas à leur mâchoire de réfléchir à la place de leur conscience. Dans son incompétence pavlovienne, il est inutile d’attendre du régime qu’il accepte enfin de responsabiliser ses concitoyens : ils ne vivent pas pour brouter et ils ne broutent pas pour vivre !
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