Réalité numéro 54 du mercredi 4 juin 2003 |
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Sommaire |
- Éditorial
- Brèves nationales
- Le présidentialisme djiboutien (1)
- La fraude du régime djiboutien devant l’opinion internationale
- Une fumée peut en cacher une autre
Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED
Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD
Dépôt légal n° : 54
Tirage : 500 exemplaires
Tél. : 25.09.19
BP : 1488. Djibouti
Site : www.ard-djibouti.org
Email : realite_djibouti@yahoo.fr
Éditorial
LA CORRÈZE AVANT LE ZAMBÈZE
OU
LA PAIX INTÉRIEURE AVANT LES MIETTES EXTERIEURES
Une dimension essentielle des relations internationales consiste à fournir un capital de crédibilité à des régimes issus d’élections douteuses, comme celui de Djibouti : rechercher à l’extérieur une reconnaissance que l’on ne peut obtenir à l’intérieur. C’est pour cela que ces gouvernements mal élus demandent à leurs médias d’assurer le plus bruyant tapage et la plus intense couverture à leur virée internationale, pour en mettre plein la vue aux gouvernés dépossédés de leurs droits les plus élémentaires, dont celui de librement choisir leurs représentants. La récente tournée du Chef de l’Etat en Inde n’échappe pas à cette logique mystificatrice : pendant et après, il n’est question que de cela.
On apprend ainsi par la presse gouvernementale qu’à son retour de New-Delhi, le Président de la République aurait, consciencieusement, tenu une réunion interministérielle avec les départements concernés afin de veiller lui-même à l’application rapide de toutes les dispositions contenues dans l’accord de coopération signé avec l’Inde. A la bonne heure ! Il aurait en effet été décevant qu’il ait fait le voyage pour rien : on se souvient, par exemple, qu’en 1989, une délégation de notre ministère des Affaires Etrangères avait effectué une tournée similaire non seulement en Inde, mais également, dans la foulée, à Singapour, au sultanat de Brunei, en RFA et aux Pays-Bas, excusez du peu.
Résultat : bien qu’ayant visité les infrastructures portuaires de Singapour, cet Etat n’a jamais pu initier la moindre coopération technique avec le Port de Djibouti. Quant aux retombées de la visite de courtoisie à Bandar Seri Begawan, inutile de rappeler que le Sultan de Brunei (l’homme le plus riche du monde, qui aurait même financé les Contras) n’a jamais mis la main à son immense portefeuille.
Mais l’essentiel n’est pas ici dans l’unique improductivité de telles tournées qui coûtent cher au contribuable djiboutien. Le fait que le Chef de l’Etat pousse le scrupule à lui-même superviser l’application des accords passés avec l’Inde ne peut manquer de susciter un mauvais souvenir pour le Peuple djiboutien : chacun aurait préféré qu’il accordât au moins la même importance à l’Accord de Paix conclu le 12 mai 2001 entre son gouvernement et le FRUD-armé.
Pour autant que l’on sache, au Palais du Peuple en tout cas, il s’était solennellement engagé devant Dieu et ses concitoyens à consolider, grâce à la stricte application de cet Accord, une concorde nationale durement mise à mal durant une décennie de conflit civil. Est-ce donc à croire qu’il donne plus d’importance aux miettes de la coopération internationale qu’à la coexistence pacifique entre les diverses composantes de la communauté nationale ? Auquel cas cela reviendrait à bâtir une maison sur du sable mouvant ! Car il est bien évident qu’aucune aide extérieure, quelle qu’en soit la nature, ne peut être véritablement porteuse de progrès si n’est pas assurée la condition fondamentale de tout Développement durable : la Paix intérieure.
Laquelle, et il est navrant d’avoir à le rappeler à un régime aussi inconséquent, ne peut se concrétiser qu’en éradiquant les causes du conflit et en soignant ses conséquences. Il est donc pour le moins préoccupant de voir le Chef de l’Etat s’investir autant dans l’accessoire tout en évitant le principal : cela ressemble à une vaine fuite en avant.
« La Corrèze avant le Zambèze » s’était un jour exclamé un homme politique français soucieux de voir le gouvernement accorder la priorité au développement économique des régions de France. Il est illusoire de prétendre faire le bonheur des Djiboutiens grâce à la mendicité transcontinentale, tout en remettant en cause la Paix si difficilement acquise, en violant constamment les engagements officiels pris en ce sens et en étouffant des régions qui attendent presque tout d’une réelle Décentralisation.
Brèves nationales
On n’arrête pas « Le Progrès » :
de l’œil au beurre noir à l’œil de verre
Dans sa dernière livraison, « l’hebdomadaire » du parti unique, visiblement aveuglé par la brûlante réalité quotidienne, affirmait à propos de l’Accord de Paix du 12 mai 2001 : « Le gouvernement est l’initiateur et le garant de cet accord. L’application de ses clauses est visible à l’œil nu si on ne se voile pas la face ». Après la gifle magistrale assénée par le Peuple djiboutien à la mouvance présidentielle le 10 janvier 2003, le griot dénommé « Le Progrès » en avait gardé un œil au beurre noir. Son éclipse de quelques semaines lui a apparemment été fatale, puisqu’il nous revient cette fois avec un œil de verre. Inutile donc de commenter les délires de ceux qui n’ont pas honte de perdre la face.
Nier une réalité qui crève les yeux finit, on le sait bien, par rendre totalement aveugle. Toutefois, ne désespérant pas de la nature humaine, « Réalité » renvoie ce confrère fatigué à la lecture de son numéro 51 du 14 mai 2003, consacré à toutes les clauses violées ou non appliquées de l’Accord de Paix du 12 mai 2001. Mais le délire empêche peut-être de… lire. Navrant.
Obock : un district en voie d’extinction ?
La ville d’Obock est restée totalement privée d’électricité durant six jours la semaine dernière, sans que les médias officiels, peut-être trop occupés à couvrir la visite présidentielle en Inde, ne jugent utile de s’en faire l’écho. Le mépris dans lequel les autorités tiennent ce district et ses habitants n’a jamais été aussi flagrant. Déjà maintenus dans un enclavement injuste, la ville d’Obock et son arrière-pays restent les parents pauvres du développement et constituent le laboratoire de la politique de la misère, conduite par le régime obscurantiste. La population obockoise, déjà durement éprouvée par le conflit civil, ressent amèrement aujourd’hui la violation de l’Accord de Paix du 12 mai 2001, dont elle attendait, entre autres, la reconstruction des habitations détruites et pillées par les troupes gouvernementales ainsi qu’une véritable réhabilitation des infrastructures publiques. En somme, la restauration de sa dignité et de son cadre de vie.
Randa : en attendant
le retour de l’enfant prodige ?
Avec le début de l’été et les vacances scolaires, le village de Randa se repeuple. Chaque année en cette saison, ce sont des centaines de vacanciers fuyant la canicule citadine qui s’y s’installent. Cette station d’altitude, autrefois recherchée, reste malheureusement privée d’électricité et d’eau courante depuis dix ans, essentiellement à cause de la mauvaise gouvernance. Dès la tombée de la nuit, la torche et la lampe à pétrole y sont de rigueur. Le groupe électrogène installé il y a plus d’un an n’est toujours pas en service.
Le réseau électrique est en partie refait, mais l’eau courante ne suit pas encore. Fin mars 2003, le régime claironnait que la centrale électrique de Randa serait bientôt inaugurée courant avril. Cette inauguration en grande pompe devait être effectuée, disait-on, par le Premier ministre en personne. La visite de ce haut responsable, annoncée depuis plusieurs semaines, est sans cesse reportée. Les Randaniens espéraient qu’avec le retour de l’enfant prodige l’obscurité et la corvée d’eau disparaîtraient à jamais. Malheureusement, il semble que « la gestion de vraie problématique » ne lui en laisse pas le temps.
DAF enfin libéré
Le Président du Mouvement pour le renouveau Démocratique et le Développement (MRD) et directeur de publication du « Renouveau djiboutien » a été libéré hier mardi en fin de matinée, après un éprouvant séjour de plusieurs semaines à Gabode. L’Union pour l’Alternance Démocratique et le journal « Réalité » se réjouissent du retour de notre ami DAF parmi les siens auxquels il a tant manqué. Toutes nos félicitations à ce grand camarade et saluons au passage le courage et la détermination dont il a fait preuve en ces heures difficiles.
La cimenterie d’Ali-Sabieh : réalité ?
Parmi les grands succès de la récente visite présidentielle en Inde, la presse gouvernementale spécialisée dans la production des jalousies sociales, aime à citer l’obtention d’une ligne de crédit qui sera consacrée au financement d’une cimenterie à Ali-Sabieh. Si nous ne pouvons que sincèrement nous réjouir d’une telle réalisation, une question se pose toutefois : était-il vraiment impossible que ce projet voie le jour sans la mendicité internationale ? En effet, rien qu’en réduisant les dépenses somptuaires du régime, il nous semble qu’avec un peu de volonté politique et une meilleure affectation des ressources financières, ce projet aurait pu voir le jour depuis longtemps. Rappelons, par exemple, toute l’improductivité de la tribune présidentielle construite à l’occasion de la célébration du 25ème anniversaire de l’Indépendance qui aurait coûté, au bas mot, plusieurs centaines de millions de nos francs.
Le présidentialisme djiboutien (1)
Démocratie, Dictature ou Caricature ?
1ère partie : Pourquoi des réformes démocratiques ?
Dans le cadre des négociations entre le gouvernement et le FRUD-armé, les réformes démocratiques avaient constitué un volet pénible pour le régime. Des conditions d’organisation des législatives du 10 janvier dernier aux multiples violations de l’Accord de Paix du 12 mai 2001, en passant par la topographie de la mauvaise gouvernance, nous n’avons cessé de saisir le Chef de l’Etat et de le rendre responsable des dérives, injustices et autres illégalités mettant en danger la survie de notre Nation. Il convient donc de s’interroger sur sa nature pour mieux saisir les causes de son dysfonctionnement afin de proposer les remèdes appropriés. Dans cette première partie, suivie de trois autres, nous rendons aujourd’hui public l’argumentaire développé lors des négociation, tel que consigné dans le document intitulé « Propositions » et remis à la partie gouvernementale en juillet 2000.
L’impérieuse nécessité d’améliorer le fonctionnement de nos institutions, en les rendant plus équilibrées, est la motivation essentielle de la conclusion de l’Accord-cadre du 7 février 2000.
En effet, l’équilibre est en toute chose la seule garantie de la permanence, donc de la stabilité. La situation actuelle en République de Djibouti se caractérise par un déséquilibre flagrant dans tous les domaines, rendant illusoires tout espoir de stabilité et toute tentative de développement, toutes conditions nécessaires à la paix civile. Les difficultés que notre pays a connues (conflit civil, crise financière, économique et sociale, etc.) sont quelques-unes des manifestations et des conséquences de ce déséquilibre.
Il convient par conséquent, dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord-cadre de Réforme et de Concorde civile du 7 février, de procéder à l’instauration des grands équilibres par une réforme des institutions, ce qui est la justification-même dudit Accord.
Ce qui implique tout d’abord la nécessité de remédier au déséquilibre principal contenu dans la loi fondamentale, c’est-à-dire la Constitution du 15 septembre 1992.
Ce texte, dont l’analyse compétente et neutre de nombreux spécialistes a mis en évidence non seulement les insuffisances, mais aussi le fait que chaque proclamation des principes est verrouillée par des textes législatifs ordinaires et ultérieurs, installe un pouvoir personnel et discrétionnaire, sans contrôle ni contre-pouvoir et sans recours : c’est l’antithèse-même d’une Constitution démocratique et équilibrée. Ce qui prouve la nécessité de réviser ou d’amender la Constitution afin de permettre au quotidien un contrôle réglementaire de l’Exécutif, de juger et de sanctionner, positivement ou négativement, l’action gouvernementale ; bref d’instaurer un véritable Etat de Droit. C’est l’objet essentiel de notre proposition de révision.
Ce qui implique également que la séparation des pouvoirs, énoncée dans la Constitution, devienne effective par la promulgation de la loi portant Statut de la Magistrature qui, presque un quart de siècle après notre Indépendance, demeure encore à l’état de projet. Peut-on continuer à parler de République ou même d’Etat, en présence d’une Justice sans statut, donc sans autonomie ? Nous proposons donc que l’adoption du Statut de la Magistrature fasse partie intégrante de la présente réforme qui, sans elle, serait inopérante.
Ce qui implique enfin que la représentation nationale, c’est-à-dire le pouvoir législatif, puisse contrôler, approuver et, le cas échéant, sanctionner la politique générale de l’Exécutif, tout en donnant en même temps à celui-ci la possibilité de mettre fin à une législature qui se rendrait responsable d’une instabilité gouvernementale injustifiée. La paralysie actuelle dans laquelle les deux pouvoirs législatif et exécutif sont tenus l’un vis-à-vis de l’autre n’est en faveur ni de l’intérêt national ni du débat démocratique. Notre proposition de réforme constitutionnelle répond également à cet impératif.
L’équilibre au sein de l’Exécutif d’une part, entre celui-ci et les deux autres pouvoirs législatif et judiciaire d’autre part, pour vital qu’il soit, n’aura pas l’effet bénéfique escompté si le déséquilibre ethnique persiste au sein de l’armée, la gendarmerie, la police, la sécurité, etc. La situation plus qu’anormale en ce domaine et l’absence de statistiques officielles en la matière, nous ont amenés à en dresser un état des lieux et à formuler des propositions en conformité avec la Loi de Programmation Militaire et dans l’intérêt de l’Unité nationale.
De même, en ce qui concerne l’administration civile, la situation se caractérise par l’accaparement et la prééminence d’un côté, la marginalisation voire l’exclusion de l’autre. Ce qui crée un rapport dominant/dominé, au lieu de l’égalité entre citoyens de toute société harmonieuse ; ce qui est enfin source de frustration, revendication, résistance et rébellion. Il y a donc lieu de rétablir l’équilibre en ce domaine par la participation équitable de toutes les composantes de la communauté nationale. Ce qui permettra à tout un chacun de se sentir citoyen et non pas intrus, rejeté ou dominé. C’est l’objectif central de notre proposition de rééquilibrage.
Lequel rééquilibrage doit à son tour être viabilisé par l’exercice démocratique du multipartisme non limitatif, correspondant à l’article 6 de la Constitution, de l’activité syndicale indépendante et conforme aux recommandations pertinentes du B.I.T, ainsi que de la liberté effective de la presse, correspondant au Préambule, à l’esprit et à la lettre de notre Constitution.
Toutes ces modifications et améliorations institutionnelles seraient enfin vaines si tous les citoyens n’étaient pas assurés du libre et égal accès à la nationalité ; ce dont l’ethnie afar a été activement exclue depuis l’Indépendance. Cette exclusion a touché environ cent mille (100.000) d’entre eux par le recensement de 1983, infirmé par le représentant de l’ONU, dont le résultat a été reconduit par le recensement intercensitaire de 1991, qui n’a fait que multiplier par deux la falsification de celui déjà infirmé : le pourcentage « décrété » restant le même. Exclusion aggravée, d’une part, par le gel de la délivrance de toute pièce d’état civil et, d’autre part, par la destruction volontaire des fichiers de recensement démographique et des registres d’état civil les concernant.
Ce qui justifie notre proposition principale de déblocage en la matière pour donner sens et pertinence à toutes les réformes : on ne peut pas et on ne doit pas laisser à une seule composante de la communauté nationale le soin de décider de la citoyenneté pour (ou contre) les autres composantes. A suivre…
La fraude du régime djiboutien devant l’opinion internationale
Le propre de tout régime impopulaire pris en flagrant délit de fraude, c’est de nier l’évidence en faisant le dos rond jusqu’à ce que les choses se tassent et que, par lassitude, l’opposition victorieuse et le Peuple abandonnent la lutte pour un véritable Etat de droit. Le RPP ne doit pas trop compter sur un tel découragement, comme en témoigne la mobilisation permanente de nos concitoyens et la détermination de l’UAD à ne pas se laisser déposséder de son éclatante victoire.
C’est dans ce cadre qu’au nom de l’UAD, le Président Dini a entrepris une série de démarches afin d’informer l’opinion internationale sur les conditions scandaleuses et inacceptables dans lesquelles se sont déroulées les élections législatives du 10 janvier 2003. nous vous présentons ci-dessous une lettre adressée dans ce sens.
La démarche entreprise par le Président de l’ARD et tête de liste de l’UAD auprès de nos partenaires est en effet inédite. Que cette démarche ait déplu à ceux qui souhaitent à tout prix conserver cet état de non-droit nous conforte dans la conviction qu’elle était judicieuse. Pour inédite qu’elle fut, elle n’en était pas moins cohérente. Elle s’inscrit dans la logique pacifique de démystification d’un régime condamné par l’Histoire et visait surtout à sensibiliser tous nos partenaires politiques et économiques sur les graves dangers d’instabilité que fait courir à notre pays et à la région ce régime irresponsable.
Ahmed Dini Ahmed
Président de l’ARD
Alliance Républicaine pour le Développement Tête de liste de l’UAD
Union pour l’Alternance Démocratique
Paris, le 28 avril 2003
Adresse à Djibouti BP 300 Djibouti
Tél. (00253) 351497 Tél. (00253) 25 01 88 Tél. (00253) 250919
Adresse en France 7 rue Décrès 75014 Paris Tél. I Fax 01 43 95 0744
A Monsieur le sénateur Jacques Legendre
Secrétaire général parlementaire
de l’Assemblée Parlementaire Francophone 235 boulevard Saint Germain 75007 Paris
A Madame Monique Pauti
Secrétaire Générale de l’ACCPUF
Association des Cours Constitutionnelles partageant l’usage du français
2 rue de Montpensier 75001 Paris.
Madame, Monsieur,
La République de Djibouti vient de procéder le 10 janvier 2003 à des élections législatives pour élire les soixante cinq députés de son Assemblée nationale. Les élections se sont déroulées sans la moindre violence, grâce uniquement à la maturité et à la tolérance du peuple djiboutien et malgré les fraudes généralisées qui ont atteint un degré caricatural. Voulant se faire passer pour une République comme les autres, le régime djiboutien a adopté les formes institutionnelles visibles de la démocratie telles qu’une séparation des pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire, l’instauration d’un médiateur de la République, ou la création d’une Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI).
Se prévalant de la mise en place apparente de normes démocratiques le régime djiboutien signe traités, conventions et accords internationaux et rejoint comme membre des organisations ou institutions internationales se référant à ces mêmes valeurs. Mais il ne s’agit là que d’une apparence abusive, la réalité étant toute autre :
L’Exécutif est le même depuis 26 ans, appartenant au même parti politique, gouvernant sans contrepouvoir ni contrôle, n’ayant de compte à rendre à personne.
Le Législatif est sans attributions constitutionnelles définies, ni impact d’aucune sorte sur la conduite des affaires publiques.
Le Judiciaire, ne jouissant d’aucune marge de liberté, se trouve dans la dépendance totale du pouvoir exécutif.
Le médiateur, cadre dirigeant du parti au pouvoir, ne peut connaître que d’affaires dont il doit être saisi par un membre de l’Assemblée nationale, elle-même composée depuis 26 ans des seuls membres de ce parti dirigeant et de ses alliés. Aussi il ne peut exercer de médiation qu’à la demande de ses partisans.
Enfin, la CENI composée exclusivement de fonctionnaires et partisans du régime en place n’a pas été instituée en vue d’assumer le rôle et la responsabilité traditionnellement dévolue à une CENI. C’est la raison pour laquelle l’opposition a refusé d’en faire partie. D’ailleurs certains membres de la dite CENI ont été surpris au cours du scrutin en flagrant délit de bourrage d’urnes et autres fraudes en faveur de la liste du parti au pouvoir. La situation est donc totalement bloquée et masquée par la tromperie.
Au temps des élections sous 1e régime du parti unique, seul ce parti pouvait présenter une liste élue d’office tandis que les candidats aux « élections » n’étaient pas astreints au versement d’une caution pour faire enregistrer leur liste (voir document n°1: Loi organique en annexe). Avec une opposition interdite, il n’était exercé ni contrôle de légalité ni respect de procédures, aucune contestation n’étant admise dans la pratique.
Après septembre 1992, l’instauration d’un système limité à quatre partis permit un certain pluralisme des candidats, aussi le régime a eu recours à la fraude électorale et à la violation de tous les textes concernés et en adoptant de nouveaux textes afin de préserver son monopole sur l’Assemblée et sur les autres centres de pouvoir. Un dépôt de caution inconnu du temps du parti unique est également institué, avec un montant fixé à la somme exorbitante de 500 000 FDJ (soit 2780 €), conditionnant l’enregistrement de toute liste de candidats.
Les élections législatives du 10 janvier 2003 n’ont pas dérogé à ces pratiques devenues règles, et les fraudes commises à cette occasion se sont caractérisées par les différents points suivants :
Premier point : une liste électorale utilisée comme un document confidentiel dont la communication ou même la consultation est refusée à l’opposition, alors que la loi en prescrit au contraire la publication par affichage et communication pour examen à tous les partis politiques. Le gouvernement prétend sans cesse qu’elle n’est pas imprimée (document n°2 : Décret n°93-0023/PR/Ml). De plus, cette liste électorale inaccessible à tout autre parti que celui au pouvoir, est, selon le communiqué même du 12 janvier 2003 de la Mission d’observation de la ligue des États arabes et de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), « inadéquate avec le corps électoral tel qu’il existe », et ainsi qu’il ressort du rapport de la Mission d’information de l’Union africaine (document n°3 et n°4). Cette liste électorale comporte en outre de très nombreuses inscriptions volontairement multiples des mêmes électeurs, favorisant les votes multiples et frauduleux (document n°5 : exemple de cartes d’électeurs multiples).
Deuxième point : la liste électorale et les cartes d’électeurs destinées aux districts de l’Intérieur du pays sont établies en violation des textes, sans mentionner: ni adresse, ni référence de l’identité de l’électeur, ni désignation et indication du numéro du bureau de vote, de telle sorte que l’électeur ne sait ni où demander sa carte ni où se rendre pour voter , et aucun contrôle n’est possible le jour du vote. N’importe qui peut alors voter avec n’importe quelle carte et n’importe où. Cette anomalie frauduleuse a concerné 82541 électeurs sur les 178799 que compte l’électorat djiboutien, touchant quatre districts sur cinq dans le pays (document n°6 : Extrait de la liste d’émargement).
Troisième point : Non remise à leurs titulaires des cartes d’électeurs établies à partir des listes inadéquates existantes (document n°7: lettres de l’UAD au Président du Conseil Constitutionnel). Les cartes retenues sont frauduleusement utilisées par des agents de l’administration nommés « Assesseurs » aux bureaux de vote, ou par des délégués du parti au pouvoir, ou même par des membres de la CENI.
Quatrième point: désignation des membres des bureaux de vote, Président, Secrétaire ou Assesseurs, sur le strict critère d’appartenance au parti au pouvoir, avec refus total des Assesseurs proposés par l’opposition (document n°7).
Cinquième point : intervention intempestive des forces de l’ordre, militaires ou policiers, soit pour expulser ou arrêter le délégué de l’opposition afin de l’empêcher de veiller sur le déroulement des votes, soit pour emporter de vive force l’urne contenant les votes avant tout dépouillement (document no8: Attestation d’un secrétaire de bureau de vote).
Sixième point : transfert des bureaux de vote de l’endroit originel indiqué dans le décret organisant le scrutin vers un lieu inaccessible ou même inconnu (document n°9 : Attestation d’un membre de la. CENI et Attestations de notables de village).
Septième point : non rédaction des procès verbaux de vote en présence des délégués de l’opposition et établissement ultérieur d’un document faux par les seuls partisans du parti au pouvoir (documents n°8 et n°9 déjà cités).
Huitième point : composition du Conseil constitutionnel des seuls membres du parti au pouvoir, qui entérinent automatiquement par leur jugement tout le processus électoral entaché de fraudes.
Neuvième point : publication des résultats d’un scrutin législatif sans rapport avec l’expression populaire par les médias publics réunis, Radio et Télévision de Djibouti (RTD), La Nation presse écrite, Agence Djiboutienne d’Information (ADI), sous la conduite des partisans du parti au pouvoir. Le verrouillage et la pérennisation d’un système vicié et bloqué de toutes parts sont assurés par la seule coercition du pouvoir régalien qui en est issu.
De tels attitudes et agissements avaient fatalement conduit le pays par le passé à un conflit civil et à un affrontement armé fratricide qui a duré de 1991 à 2000, aboutissant après de longues négociations à un Accord de réforme et de concorde civile signé le 12 mai 2001 pour traiter des causes et des conséquences de ce conflit et lui préconiser des solutions et des remèdes (document n°10: Accord de réforme et de concorde civile, du 12 mai 2001). Mais deux ans après sa signature, le régime refuse toujours obstinément de mettre cet accord en application, maintenant le blocage au même point de départ qui avait occasionné la lutte armée.
Devant une telle impasse, et afin d’éviter de recourir de nouveau à des actions violentes, nous, opposition, unis au sein de l’Union pour l’Alternance Démocratique (UAD) regroupant les quatre partis d’opposition Alliance Républicaine pour le Développement (ARD), Union pour la Démocratie et la Justice (UDJ), Mouvement pour le Renouveau Démocratique et pour le Développement (MRD), et Parti Djiboutien pour le Développement (PDD), avons résolument décidé de suivre la voie légale.
Les objectifs de cette décision et sa mise en oeuvre visent à démasquer les impostures du pouvoir, à susciter une prise de conscience dans le pays, et à s’opposer aux complaisances et encouragements accordés de l’extérieur en faveur du régime. Ce, dans le but de contraindre les autorités djiboutiennes à se soumettre aux normes démocratiques et à la bonne gouvernance.
Aussi nous entendons dénoncer l’imposture totale dans laquelle s’est déroulée la mise en place de la CENI : lire en document n°11 le premier décret du 30/09/2002 portant composition et fonctionnement de la CENI, en document n°12 la lettre du 9/11/2002 de l’ARD et l’UDJ au Président de la République lui demandant de faire modifier le contenu du décret sur la CENI sous peine de le déférer devant la justice, et en document n°13 un second décret du 23/11/2002, modifiant le premier décret pour en justifier a posteriori la violation, en réduisant de moitié le délai légal entre la désignation des membres de la CENI et la tenue du scrutin.
Puis arrive les 25 et 26 novembre 2002, aux domiciles des représentants de chaque parti d’opposition, une lettre du Ministre de l’Intérieur leur enjoignant d’assister à la cérémonie du 27 novembre de prestation de serment des membres de la CENI, soit une cérémonie fixée au lendemain de la remise à domicile des invitations (document n°14 : lettre du 26/11/2002 du Ministre de l’Intérieur à M. Ahmed Dini, Président de l’ARD).
L’opposition a vivement réagi à cette provocation par une lettre adressée le jour même du 26 novembre au Ministre de l’Intérieur, lui exprimant clairement les raisons pour lesquelles l’opposition ne pouvait se joindre à la CENI sous sa forme présente et dans un tel manège de procédés (document n°15 : lettre du 26/11/2002 des partis d’opposition au Ministre de l’Intérieur et de la décentralisation).
Aucune suite n’ayant été donnée à nos objections adressées au Président de la République et au Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, nous avons saisi le Conseil du contentieux administratif par le dépôt d’une requête en annulation des décrets relatifs à la CENI (document n°16 : Requête introductive d’instance auprès du Conseil du contentieux administratif). Mais hélas, le Conseil du contentieux administratif n’a pas davantage répondu à notre requête, imitant comme de tradition l’attitude du Chef de l’Etat, si bien qu’aucune voie de recours légal contre les actes du pouvoir n’est jamais ouverte en République de Djibouti.
Pendant la phase préparatoire des élections législatives, nous avons saisi le Conseil constitutionnel du refus qui nous a été opposé de consulter la liste électorale mais aussi du refus de distribuer les cartes d’électeurs à leurs titulaires (document n°7 déjà cité: lettres de l’UAD au Président du Conseil Constitutionnel). Cette saisine n’a abouti à aucun résultat.
Lors du dépôt de la liste des candidats, nous avons de nouveau saisi le Conseil Constitutionnel du refus par le Ministre de l’Intérieur de nous permettre de remplacer des candidats insolvables par d’autres candidats, un dépôt de 500.000 FDJ étant exigé comme caution. Le non dépôt de la caution constituant une cause d’inéligibilité, la loi autorise ce remplacement. Mais le Conseil Constitutionnel a rejeté cette requête (document n°17 : Requête du 25/12/02; et document n°18 : Décision du 28/12/02 de rejet de la requête).
Dès la fin des élections législatives, et avec production de preuves formelles de violations des lois sur les élections ainsi que de fraudes flagrantes, nous avons formulé devant ce même Conseil Constitutionnel un recours en annulation des élections législatives (document n°19 : Requête du 23/01/03). Et c’est sans procéder aux vérifications et constats que nous avions demandés ni à aucune instruction judiciaire, que le Conseil constitutionnel a rejeté notre recours (document n°20 : décision du 20/02/03 de rejet de notre requête). L’ensemble des éléments exposés ici laissent bien peu de possibilité à l’avènement de la démocratisation en République de Djibouti sous le régime actuel, lequel s’applique au contraire à en bloquer toutes les voies.
Cependant, le peuple djiboutien devant être le seul maître de son destin et de l’amélioration de sa situation, nous ne demandons pas une ingérence étrangère particulière dans les affaires de la République de Djibouti. Néanmoins, compte tenu de ce que Djibouti a adhéré à des organisations et institutions internationales en voulant passer pour ce qu’il n’est pas, et afin que le régime cesse de se croire soutenu et encouragé à persévérer dans la voie de l’illégalité, nous demandons :
A: que la section djiboutienne soit suspendue de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie dont elle est membre car cette présence lui apporte une légitimité indue, notre Assemblée nationale n’étant pas une assemblée élue dans les règles démocratiques. La majorité de notre peuple ne lui reconnaissant d’ailleurs aucune légitimité.
B : que l’ « Association des Cours Constitutionnelles partageant l’usage du Français » qui a institué l’«Observatoire de l’activité des Cours Constitutionnelles: Actualités électorales », prenne en considération la réalité du Conseil Constitutionnel de la République de Djibouti. Celui-ci contrevient gravement à l’article 3 des statuts de cette association en s’opposant à l’avènement de l’Etat de droit et en s’alignant systématiquement sur un régime qui viole ces droits d’une manière permanente et flagrante. Aussi, ce Conseil rend non seulement des jugements iniques mais commet par là-même un véritable déni de justice en toute connaissance, contre l’évidence des faits attestés, et constitue un des principaux obstacles à l’Etat de droit.
En rapport avec ce qui précède, il convient de souligner enfin que par sa situation géographique, sa nature géophysique et ses conditions climatiques, Djibouti cumule des avantages incomparables, propices à des exercices et entraînements militaires pour toutes les armes, terre, air et mer. Aussi Djibouti abrite des bases et de la présence militaire d’un certain nombre d’États démocratiques. En échange de quoi, il bénéficie, de la part de ces États démocratiques, de soutiens et d’assistances multiformes sous l’aspect de coopération à l’intérieur du pays et de caution de respectabilité démocratique à l’extérieur, contribuant à pérenniser une situation de non-dit.
Notre présente démarche vient à contre courant de ces cautions mais représente en réalité la seule alternative d’ouverture vers la démocratisation et le développement de notre pays, c’est à dire la seule chance vers la paix civile et vers une stabilité durable.
Ahmed Dini Ahmed
Président de l’ARD
Une fumée peut en cacher une autre
Antitabagisme, antiterrorisme et trafic de drogue
Tous les États de la planète se sont mobilisés pour commémorer le 31 mai dernier la « Journée Mondiale contre le tabac ». Bonne intention qui souligne l’urgence, surtout dans les pays du Tiers-monde, de responsabiliser les citoyens face à ce fléau. Si une telle initiative ne peut qu’être soutenue, ceci ne doit par nous faire oublier que, sous couvert de la lutte antiterroriste, une autre calamité prend silencieusement des proportions alarmantes : l’essor de la culture et du commerce de l’héroïne en Afghanistan.
Force est aujourd’hui de reconnaître que le régime des Talibans avait deux caractéristiques majeures : dans ses affaires intérieures, c’était l’obscurantisme le plus rétrograde ; dans ses relations internationales, c’était la fanfaronnade impuissante. Car, s’il n’avait pas commis l’erreur d’offrir refuge à Ben Laden, il est fort peu probable que ses agissements indigènes eussent suscité une quelconque sanction internationale : l’Afghanistan n’avait malheureusement pas le monopole des pratiques dictatoriales, quelle qu’en soit la justification, idéologique ou religieuse.
Mais les Talibans avaient au moins réussi un exploit : en 2000, ils avaient totalement interdit la culture du pavot, dont sont tirés l’opium et surtout l’héroïne. Bien avant eux, le régime islamiste d’Iran avait réussi à éradiquer cette culture en une seule année.
La mise en place d’une nouvelle élite afghane, suite à la lutte antiterroriste consécutive au 11 septembre et pour diverses raisons au rang desquelles il convient de souligner l’inexistence d’un pouvoir central fort, l’effondrement des infrastructures productives et la misère consécutive de la population, s’est accompagnée d’un regain de la culture du pavot. Pour le petit paysan patchoun sans ressource, et par définition peu enclin à faire confiance à un gouvernement d’une Alliance essentiellement tadjik, c’était le moyen le plus facile de subvenir aux besoins de sa famille : un champ de pavot rapporte, estime-t-on, quinze fois plus qu’une culture vivrière.
Toutefois, cultiver ne suffit pas, il fallait la complicité de certains barons de la drogue capables d’acheter le pavot, de le retraiter et de trouver un marché où l’écouler. Et c’est là le véritable drame : il est aujourd’hui établi que ces caïds de la drogue, ce sont les nouveaux responsables politique afghans, autrefois chassés par les Talibans et qui sont revenus à la faveur de la lutte contre le terrorisme international. Résultat de cette « Alliance avec le Diable » : l’Afghanistan sera en 2003, selon des prévisions des Nations unies, le premier producteur mondial d’opium avec plus de 4000 tonnes.
Ainsi, la nouvelle hiérarchie des priorités consécutive au 11 septembre, a eu pour effet de réhabiliter les narcotrafiquants afghans, souvent des chefs de guerre tribaux qui freinent l’instauration d’un pouvoir central fort, et de reléguer au second rang la lutte contre le développement du trafic des stupéfiants et surtout la recherche d’une solution alternative pour les malheureux paysans sans issue.
On ne peut manquer de penser à l’intransigeance morale du philosophe Karl Kraus lorsqu’il disait : « entre deux maux, je n’en choisis aucun ». Force est donc d’admettre que de telles bonnes intentions ne guident pas toujours l’action des grands de ce monde.
Certes, 4,5 milliards de dollars américains ont été accordés à l’Afghanistan lors de la conférence de Tokyo, mais cette aide internationale ira exclusivement, de l’avis même des experts, à la reconstruction des infrastructures détruites par l’offensive internationale contre les Talibans et ne financera aucun projet de développement visant à substituer d’autres cultures à celle du pavot.
Il est donc bien clair qu’en fonction de cette hiérarchie des priorités, combattre la drogue est politiquement moins rentable que de combattre les réseaux terroristes, même s’il est bien évident que la drogue rapporte beaucoup plus que l’action terroriste (rien qu’en Europe, la revente de l’opium représenterait près de 15 milliards d’euros par an) et que, jusqu’à preuve du contraire, la drogue tue nettement plus que le terrorisme aveugle.
N’est donc pas proche le jour où, grâce à un véritable programme de développement, une opportunité sérieuse sera offerte au petit paysan afghan afin qu’il vive dans la dignité et non en contribuant à détruire la vie de milliers de toxicomanes de par le monde mais surtout en Occident. En attendant, ce sont principalement ceux appelés à la rescousse dans la lutte antiterroriste qui profitent de la situation en participant à pérenniser les conditions des multiples formes de misère qui produisent cette dramatique pléthore des candidats au « martyr terroriste ».
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