Réalité numéro 121 du mercredi 12 janvier 2005
Sommaire | Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 121 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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Éditorial
TADJOURAH :
LE CIRQUE MINISTÉRIEL EN TOURNÉE
Le fait n’est pas nouveau, mais revêt cette fois-ci une dimension dont le caractère pathétique n’a d’égal que le sabotage ainsi perpétré contre l’administration publique. Ainsi donc, d’innombrables fonctionnaires, pratiquement tous d’une même communauté et s’ennuyant dans la Capitale, ont été réquisitionnés pour faire office de badauds applaudissant dans les rues de Tadjourah mardi dernier, à l’occasion d’un Conseil des ministres « décentralisé » qui s’est tenu dans ce chef-lieu de la région la plus peuplée des districts de l’Intérieur, soit dit en passant.
Il ne s’agit pas ici de compatir aux génuflexions qu’un régime d’abus de droit impose aux agents de l’Etat qu’un chantage au salaire ou à la promotion transforme abusivement en militants partisans en quête de rétribution. Ces victimes consentantes d’un STO (Service du Travail Obligatoire) version parti unique attirent l’attention uniquement parce qu’elles ne sont que les pitoyables figurants d’une comédie politique qui porte gravement atteinte à la dignité de nos concitoyens. Sans oublier qu’accessoirement, elles servent d’agents de propagande au service d’un régime fondant son usurpation sur la jalousie que ses politiques de développement à deux vitesses provoque entre les Djiboutiens. Car le drame, et l’inexcusable, est là : comment ose-t-on parler de développement, surtout décentralisé, à une population injustement ignorée et dont les conditions de vie se sont dramatiquement dégradées depuis plus d’une décennie ?
Pour ne pas défoncer des portes ouvertes, n’évoquons qu’incidemment le folklore d’un prétendu Conseil régional censé incarner une décentralisation en action : on chercherait vainement sa contribution au développement d’une région qui ne manque pourtant pas de potentialités. Sans plus évoquer son opacité dans la gestion des 50 millions de fonds qui lui sont alloués par la Présidence : Tadjourah n’est malheureusement pas la seule victime d’une concussion généralisée et d’une absence de rendement de l’administration, nationale ou régionale.
Par contre, considérant les énormes préjudices que le conflit civil a causés dans ce district au niveau des infrastructures publiques comme des biens privés, détruits et pillés par les troupes gouvernementales, la démagogie officielle selon laquelle le régime fonderait l’essor économique de ce district sur sa façade maritime doit être dénoncée avec la plus extrême vigueur. Car, comme l’ont rappelé il y a quelque temps de cela les notables d’Ali-Sabieh, toutes les régions du territoire national nécessitent un égal traitement d’urgence quant à la mise en valeur de leurs richesses.
Ainsi, force est de rappeler à ce gouvernement paresseux et à ses adorateurs, que la mer ne constitue pas un atout en soi, encore faut-il donner aux populations qui vivent sur ses côtes les moyens de la mettre en valeur. Car, à Tadjourah, l’on attend en vain une quelconque contribution d’un quai dont la réfection avait été fortement médiatisée par la presse gouvernementale il y a quelques années de cela et dont les retombées en termes d’emplois et de revenus tardent encore à se concrétiser. Tout simplement oserait-on dire, parce qu’un port n’existe que par ses débouchés : les pistes de l’intérieur sont abandonnées et la frontière régionale avec l’Ethiopie demeure désespérément fermée. L’instauration de la paix semble être un événement qui ne concerne pas la région, comme en témoigne par ailleurs le renforcement d’une caserne à Adaylou, en violation du principe du retour des troupes régulières à leur position d’avant le conflit.
Comme quoi, le district de Tadjourah est encore en situation d’occupation militaire : le régime n’a donc pas tiré les douloureuses leçons d’un récent passé pour reconnaître que des fusils, quand bien même ils seraient commandés par un criminel de guerre, dont beaucoup attendent le procès conformément à la lutte contre l’impunité, ne pourront jamais rien face à une population déterminée à revendiquer son droit à la vie.
Et cela, les habitants de Tadjourah l’ont clairement manifesté hier : malgré tous les renforts de figurants officiels venus en masse de la Capitale, ceux qui veulent vivre dignement au pays, sans avoir à quémander des mendiants attitrés ont, sans équivoque, dénoncé la politique du faire-semblant. L’Histoire leur en saura gré, ne serait-ce qu’en souvenir de toutes les victimes civiles injustement mortes pour que s’améliorent les conditions de vie matérielles et morales des générations futures.
Le Combat est toujours là, qui nous attend : la Paix tant attendue n’est toujours pas réalité !
Brèves nationales
Le « Miroir » aux alouettes :
Centriste, mon oeil !
Après une éclipse de plusieurs mois le « Miroir », curieux mensuel lancé en mai 2004 par un groupe proche du pouvoir, nous revient cette fois avec de nouvelles prétentions mais toujours le même discours. Ainsi, dans sa dernière livraison ce confrère se croit obligé de clarifier sa position sur l’échiquier politique national et proclame : « nous nous voulons centristes pour que notre position soit et reste absolument en phase avec la réalité. Pour ne pas la voir uniquement avec l’œil droit à l’instar des hommes du pouvoir, ni uniquement avec l’œil gauche à l’instar de ceux de l’opposition. Mais avec les deux yeux pour avoir une vue équilibrée du panorama politique de notre pays. Et dire notre vérité à nous au lieu de répéter celle de l’autre. Ne dit-on pas que toute vérité est relative. ! ». Rappelons à nos lecteurs que le Directeur de publication de ce Journal fabriqué à l’Imprimerie Nationale n’est autre que le Secrétaire Général d’un parti de la mouvance présidentielle et ayant récemment apporté comme il se doit son soutien à la candidature du candidat solitaire.
Pour le reste, inutile de s’attarder sur le contenu de cette brumeuse publication destinée à leurrer les citoyens. Tout juste dirons-nous un mot de son article en langue Somalie intitulé: « C’est quoi un Pays et qui est Citoyen « ? La question de la citoyenneté semble préoccuper notre nouveau confrère qui chercherait, ce faisant, à lancer un débat sur la question en proposant le numéro d’une boîte postale (2005, tiens !) et une adresse e.mail…
Ne voulant pas engager une polémique sur un sujet régulièrement traité dans ses colonnes, «Réalité » souhaite de l’inspiration à ce « Miroir » embué par de sombres considérations partisanes.
Quant à nous autres, opposants djiboutiens, nous demeurons avant tout des citoyens, des patriotes sincères, luttant contre toutes les dérives de ce régime divisionniste et prédateur.
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Voirie et Environnement :
Le «Sans fil », incinérateur et dépotoir ?
Le régime poursuit sa propagande sur la salubrité publique et l’assainissement, en faisant appel au sursaut citoyen et aux menaces de sanctions. De leur côté, les administrés se demandent à quoi servent la décharge publique de Doudah et l’incinérateur offert l’an dernier par les Américains ? En effet, pour les riverains de la route d’Arta, la situation est dramatique.
Chaque vendredi des milliers de sacs d’ordures sont incinérés sur le terre plein du « sans fil », face à l’école primaire d’Arhiba. Incapables de mettre à la disposition des habitants d’Arhiba des bacs à ordures et des camions-bennes, les pouvoirs publics préfèrent rassembler les ordures et les faire incinérer le long de la route d’Arta au mépris du bon sens et de la préservation de l’environnement. Ainsi, les passants et les automobilistes, empruntant cette voie très fréquentée, se disent outrés et incommodés par les fumées âcres se dégageant de l’incinération à ciel ouvert des ordures sur le terrain du « Sans fil ».
Quant aux malheureux habitants de la Cité d’Arhiba, la pollution visuelle et olfactive de ces fumées leur paraissent un moindre mal comparé au danger représenté par l’accumulation des détritus dans leur quartier oublié.
A l’heure ou le candidat solitaire entame sa campagne démagogique sur les progrès économiques et sociaux accomplis durant son sixtennat, nous l’interpellons solennellement sur le sort cruel imposé aux habitants des quartiers populaires condamnés à l’insalubrité dans une Capitale devenue dépotoir à cause de son régime de mauvaise gouvernance.
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Ali-Sabieh :
Le développement en trompe-l’oeil
La Capitale du District Assajog a subi comme Arta et Dikhil avant elle le passage de la caravane présidentielle en campagne. On raconte que, déçu de sa virée à Dikhil où ses promesses démagogiques n’ont pas trouvé d’oreilles complaisantes, le candidat solitaire aurait mis le paquet à Ali-Sabieh. Une formidable machine de propagande cherche à faire croire que les Assajogs sont les principaux bénéficiaires de la politique de développement initiée depuis six ans par le candidat actuel à sa propre succession. Ainsi à en croire le journal gouvernemental «La Nation » les Sages d’Ali-Sabieh auraient affirmé: « notre district n’a rien à envier à la Capitale ». Doit-on prendre cette déclaration à la lettre, si tant est qu’elle a eu lieu, comme un témoignage de satisfaction ou de déception ?
La condition des Djiboutois, sous ce régime de mauvaise gouvernance est connue de tous, celle des Assajogs aussi. Cela signifierait donc que le district Assajog reste, lui aussi, gangrené par le chômage, l’insalubrité, l’insécurité et la pauvreté : maux classiques du sous-développement causés par la démission des pouvoirs publics. Selon les médias gouvernementaux, les méga projets d’Ali-sabieh, en grande partie virtuels, auraient tellement modifié la carte socio-économique de la région qu’un vieux sage éberlué se serait écrié : « Eu égard à toutes les réalisations faites dans notre district, nous ne devrions même pas formuler une seule doléance».
Là, nous restons bouche bée.
Le génie de Haramous aurait-il transformé Ali-Sabieh en nouvel émirat tropical le temps d’une courte visite électoraliste ? Trêve d’esbroufe ! Le virtuel ne nourrit pas, les Assajogs le savent bien. Certains notables ont tenu à courageusement le rappeler, mais les médias gouvernementaux ont censuré leurs propos.
Il est vrai que le candidat solitaire déjà passablement fatigué par cette nouvelle campagne électorale dans les districts de l’Intérieur, en a suffisamment vu et entendu.
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Développement routier :
Le régime fait fausse route
La troisième séance du Conseil des ministres décentralisé tenue à Ali-Sabieh, aurait été principalement consacré à l’examen du développement du transport routier urbain et national. Le département de l’équipement et des transports, gérant le fameux Fonds d’Entretien Routier (FER) organisme dont la gestion opaque est connue de tous, était ainsi mis en vedette dans la ville d’origine de l’actuel titulaire de ce portefeuille ministériel.
Si le richissime ministre en charge de ce département sommé d’exposer le bilan, forcément et globalement positif de ses activités n’a pas craint le ridicule en affichant ses maigres réalisations, la réalité sur le terrain est à mille lieues de ses prétentions démagogiques.
En effet, est-il besoin de rappeler que, mise à part la route Nelson Mandela récemment réhabilitée, les prétendus succès du département de l’équipement et des transports s’enlisent dans la gadoue. Ainsi en est-il des réhabilitations avortées de l’avenue Nasser, de l’avenue Guelleh Batal, de la rue Abdallah Guedid (anciennement rue des Issas) ou encore du boulevard 18 et de la rue des Mouches dont le pavage à grands frais n’a servi à rien, vu leur état actuel.
Par ailleurs, ce ministère ose toute honte bue prétendre avoir amélioré les pistes rurales, dont l’état d’abandon est de notoriété publique et faisant périodiquement l’objet d’une réhabilitation partielle de la part de forces armées étrangères.
Quant aux ouvriers cantonniers embauchés pour l’entretien des pistes rurales dans la région d’Obock par exemple, il convient de rappeler que ce recrutement électoraliste survenu en 2003 s’est révélé n’être qu’une esbroufe de mauvais goût. Comme en atteste une lettre datée du 8 janvier 2005, le directeur du Fonds d’Entretien Routier annonce brutalement aux responsables des ouvriers d’Obock que le budget 2004 ne prévoyait que des crédits de paiement des salaires pour seulement 15 cantonniers, au lieu des 30 effectivement recrutés.
Cette correspondance administrative, dont nous avons pu nous procurer copie; est ainsi libellée : « J’ai l’honneur de vous faire savoir que les lignes de crédits affectés au paiement de vos salaires sont épuisés il y a six mois de cela. En effet, le budget 2004 a été prévu pour 15 ouvriers à Obock, mais le nombre s’est avéré le double, soit 30 ouvriers. Par conséquent, les crédits étant épuisés à la moitié de l’année 2004, aussi bien pour les ouvriers d’Obock que pour ceux de Tadjourah. Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.» Signé : le directeur par intérim du FER. La dernière formule de politesse n’était vraiment pas de trop, en considération des drames humains ainsi provoqués par ces quelques millilitres d’encre sur autant de grammes de papier.
Rappelons que les ouvriers d’Obock avaient été embauchés en 2003 pour raison électoraliste et ont continué à être exploités malgré des mois d’arriérés de salaire. Aujourd’hui, ils sont tout simplement congédiés sans autre forme de procès. Alors que, pendant deux ans, ils travaillaient dans des conditions difficiles pour un salaire de misère (17.000 FD) souvent versé au bout de plusieurs mois.
Le ministère des transports ayant retiré les engins des Travaux Publics du Nord du pays, depuis au moins trois ans, il vient à présent de saboter le travail de réhabilitation effectué avec pelles et pioches par de misérables cantonniers.
Où est donc le développement rural prôné par le docteur honoris causa en campagne ?
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Tadjourah en état de siège :
Le candidat solitaire de plus en plus frileux
Venus par terre, air et mer, ils étaient plusieurs milliers d’écoliers privés de cours, de fonctionnaires débauchés de leur travail et de ruraux obligés de déserter leurs campements et villages, à se retrouver dans la Ville-Blanche pour accueillir le candidat solitaire et sa suite. Au prétexte d’y tenir un Conseil des ministres, le régime et ses forces de sécurité ont pris d’assaut Tadjourah mardi dernier. Le séjour du grand chef ne fut pas de tout repos. Dans la matinée, ses forces de sécurité ont brutalement maîtrisé quelques jeunes qui distribuaient paisiblement des exemplaires de l’accord de paix du 12 mai 2001.
Ainsi, le régime vient de démontrer pathétiquement son mépris de la paix civile et de sa consolidation. Le candidat du RPP doit comprendre une fois pour toutes qu’aucune de ses promesses démagogiques ne sera prise au sérieux tant qu’il persistera à ignorer les clauses de l’accord de paix signé avec le FRUD-armé. Les populations des zones affectées par le conflit le considèrent avant tout comme le saboteur de la réconciliation nationale.
Raison pour laquelle il déploie sa soldatesque sur son passage. Sa frilosité excessive explique à elle seule sa mauvaise conscience et ses sombres desseins.
Les comptes de la Chambre des Comptes (4)
DES DÉPENSES MIROBOLANTES
Malgré l’antériorité de la période ayant fait l’objet des contrôles budgétaires de la Chambre des Comptes, nous avons porté une attention particulière à un Titre très significatif de la mauvaise gouvernance du pouvoir. Il s’agit des « Dépenses Communes » qui représentent entre 24% et 25% des crédits engagés depuis 1999.
Il aurait été souhaitable que les travaux de la Chambre des Comptes et de Discipline Budgétaire soient plus pointilleux dans la recherche des imputations multiples de crédits identiques. Nous traitons cette semaine un chapitre des Dépenses qui reflète de par son importance les utilisations faites des fonds des contribuables djiboutiens.
Ces dépenses communes qui, par le volume conséquent de l’enveloppe, devaient être suivies avec rigueur croissent d’année en année et semblent relever d’un pouvoir « discrétionnaire » du ministère des Finances. Lequel ministère dispose, selon la Chambre des Comptes des prérogatives pour l’attribution des dotations sectorielles, de la détermination de leurs priorités, du montant des enveloppes nécessaires et enfin de la gestion des règlements.
C’est pourquoi, la Chambre des Comptes s’étonne dans son rapport que les imputations aient été déjà programmées en vue de l’absorption totale des crédits de ce chapitre de Dépenses communes, qui est l’exemple type des violations des règles des Finances Publiques. Il relève particulièrement dit-on du non-respect des procédures voire une violation des principes budgétaires de base.
Pour appuyer ces constats, nous vous livrons ci-dessous un sous-compte de ces « Dépenses Communes » : les Dépenses Carburant qui, importantes en volume budgétaire (près de 200 millions FD) relèvent directement de ce pouvoir « discrétionnaire » du seul Ministère des Finances.
Avant d’entamer les commentaires que nécessite ce tableau, il est regrettable que la Chambre des Comptes n’ait pas fait le lien entre ces dépenses en carburant et des autres sous-comptes que sont « les frais de mission » et « les frais de transport » qui figurent en plus des dépenses en carburant dans les budgets 1999, 2000 et 2001, et curieusement disparaissent en 2002.
A les voir de très près, ces trois sous-comptes représentaient dans les comptes définitifs une consommation totale sur quatre ans de 1,9 milliards FD. Montant qui ne tient pas compte de Dépenses Subventionnées en Hydrocarbure de 400 millions FD exceptionnellement en 2000.
En observant de près ce tableau, il est clair que sur les 200 millions FD au prix actuel, que représentent ces dépenses en carburant, plus de la moitié revient aux différents services du ministère des Finances alors que d’autres ministères plus importants pour le développement ne bénéficient guère de ces coupons et autres approvisionnements en vrac.
En effet dix-sept départements dépendant de ce ministère bénéficient de ces largesses sur un total de 43 dans cette liste ci-dessous. Il est révoltant d’observer que des ministères comme la Santé, l’Education, l’Elevage et la Pêche, etc. soient totalement lésés par rapport au SDS.
Nous vous livrerons dans nos prochaines éditions d’autres aberrations sur les dépenses inconsidérées d’un régime dont les multiples impositions fiscales et sociales contribuent fortement à l’appauvrissement des populations.
Transport : le corridor en concession ?
Lorsque la presse gouvernementale nous cite, c’est le plus souvent en forme d’invectives, à propos de tel ou tel article ayant déplu en haut lieu. Par contre, il arrive à la presse étrangère de prendre position par rapport à nos écrits, restitués dans le contexte spécifique des relations bilatérales. Ainsi, dans son édition du 5 décembre 2004, le sérieux hebdomadaire éthiopien « Fortune » proche des milieux d’affaires a consacré un long article au contentieux djibouto-éthiopien relatif au connaissement direct et ce que nous avions publié sur le sujet.
Sous le titre « les inquiétudes de Djibouti au sujet de connaissement direct », notre confrère d’Addis-Abeba rappelle que le gouvernement djiboutien est actuellement en train de faire marche arrière sur ce dossier, après que le journal d’opposition « Réalité » « ait déclaré la proposition éthiopienne inacceptable. » L’hebdomadaire « Fortune » explique que l’opposition regroupée au sein de l’UAD, qui tient la dragée haute au pouvoir, ferait de ce dossier un cheval de bataille lors de la prochaine présidentielle. Et conclut que, dans le cas d’une alternance au sommet, l’opposition djiboutienne renégociera les termes de cet accord. Une délégation de haut niveau devait se rendre à Djibouti le 5 décembre dernier pour finaliser un accord de principe déjà donné. A la dernière minute, la visite a été annulée à la demande de la partie djiboutienne.
Selon notre confrère, qui le tient de source diplomatique, les autorités de notre pays ont fait savoir à leurs homologues éthiopiennes que la finalisation de cette négociation en ce moment serait inopportune, la reportant à l’après avril 2005. Après quoi la neuvième commission mixte interministérielle la finalisera, ainsi que celles relatives à d’autres dossiers.
Que l’on nous permette de longuement citer notre confrère qui se livre à un rappel du fil des événements : « Lors de la réunion de la commission mixte des deux pays, qui a eu lieu à Djibouti en 2004, un accord de principe fut conclu sur l’acheminement des marchandises de port à port ; une équipe d’experts éthiopiens a produit un document de 40 pages comportant des propositions visant notamment à rassurer Djibouti sur les intentions monopolistiques d’ESL, laquelle sous-traiterait les opérateurs locaux et éthiopiens soumissionnant aux appels d’offres lancés par elle. Une semaine après la soumission de la proposition éthiopienne à Djibouti, une journal d’opposition, «Réalité», a déclaré cette proposition ‘’inacceptable’’ ».
1) Si le régime s’est rétracté à présent sur ce dossier, c’est uniquement pour des raisons électoralistes. Pour notre part, les conditions de notre participation à la prochaine consultation électorale n’étant pas réunies, ce dossier n’a jamais constitué un cheval de bataille pour nous ;
2) Nous ne contestons pas le connaissement direct en tant que mode de travail permettant aux conteneurs unifiés d’être acheminés aux points de livraison dans un document unique, en utilisant au moins deux moyens de transport dans un délai le plus court possible et au moindre coût ;
Ce que nous avons jugé et continuons de juger inacceptable, ce sont les modalités de mise sa œuvre telles que proposées par la partie éthiopienne : il y était clairement stipulé dans une proposition portant sur les transporteurs que la société ESL (Ethiopian Shipping Lines) « sera désignée comme Le transporteur pour les importations éthiopiennes. » ESL est en effet en situation de monopole chez elle ; c’est une dynamique compagnie qui pratique le slot, c’est-à-dire la location d’un espace dans les lignes marchandes de P.I.L : plusieurs centaines de conteneurs. Elle a par ailleurs acquis pour dix millions de birrs à Kaliti, dans la banlieue de la Capitale éthiopienne, un entrepôt de 34.000 m2. on sait que l’essentiel des marchandises transitant par le port de Djibouti sont des importations éthiopiennes.
Ainsi donc, si les termes de l’Accord de principe étaient finalisés tels quels, d’amont en aval, ESL serait en situation de monopole et les agents maritimes et transporteurs djiboutiens n’auront plus qu’à mettre la clé sous le paillasson.
Après le Port et l’Aéroport, c’est le corridor routier qui serait en voie d’être concédé à un opérateur privé étranger. Le dynamique manager d’ESL, M. Ambachew Abraha, comprendra aisément que « Réalité » cherche uniquement à préserver les intérêts des transporteurs nationaux ou étrangers opérant à Djibouti, qui emploient des centaines de personnes et qui versent des impôts au fisc djiboutien. Notre organe de presse est favorable à une situation de concurrence qui bénéficiera également aux importateurs et hommes d’affaires éthiopiens.
Nous avons au demeurant critiqué les atermoiements en 2001 des dirigeants djiboutiens, prétendant réserver le transit maritime aux seuls opérateurs nationaux et excluant de ce fait MTS, ce qui était inamical. Tout comme nous considérons inamicale l’OPA d’ESL sur le corridor terrestre djibouto-éthiopien et nuisible aux bonnes relations commerciales entre partenaires et voisins. Ces atermoiements et voltes faces décrédibilisent nos dirigeants auprès de nos partenaires éthiopiens, tout comme les décrédibilise la gestion du scandale du Fonds d’Entretien Routier (ce sont les camions éthiopiens qui entretiennent ce fonds) auprès de tous nos partenaires impliqués dans le développement économique de notre pays.
Le gouvernement djiboutien clame et répète à l’envi son souci de la bonne gouvernance et démontre dans la pratique tout le contraire, comme l’atteste le rapport de la Chambre des Comptes et de Discipline Budgétaire.
Enfin, vigilants et responsables, « Réalité » et l’UAD d’une manière générale restent favorables au renforcement des relations commerciales (qui ne datent pas du port de Djibouti) entre notre pays et son principal partenaire commercial et voisin, sans que ne soient lésés les intérêts d’aucune partie.
Abou Mazen président !
L’HEURE DE VÉRITÉ POUR ISRAËL
Avec plus de 66% des suffrages exprimés et un taux de participation avoisinant les 70% des inscrits, Mahmoud Abbas, alias Abou Mazen, a donc succédé à son vieux compagnon de lutte, le regretté Yasser Arafat, à la tête de l’Autorité Palestinienne. La tâche qui l’attend est immense.
Le premier scrutin depuis l’élection de Yasser Arafat en 1996 était considéré par tous les observateurs internationaux comme celui de tous les dangers. La présence en Palestine comme observateurs de l’ancien président des Etats-Unis, Jimmy Carter et de l’ancien Premier ministre français Michel Rocard, témoigne de l’importance accordée par les Etats-Unis, l’Union Européenne et la communauté internationale en général, à ce scrutin dont dépend en partie l’avenir de la région. La question palestinienne empoisonne les relations internationales depuis 1948, mais elle est, depuis la fin de la guerre froide, la clé de la paix dans cette région et dans le monde.
La phobie sécuritaire, que seul justifie en fait un expansionnisme colonial de l’Etat juif, avait conduit l’ancien Premier ministre Netanyahou à soutenir officiellement devant le Congrès américain en 2000, l’ « urgente nécessité» de neutraliser le dictateur irakien Saddam Houssein afin d’élargir le périmètre vital de sécurité autour d’Israël. Attentas terroristes qui, de façon inexplicable, avaient valu à un mouvement de résistance tel que le Hamas, de figurer sur la liste des ennemis de la Démocratie!
Efficacement relayée par le très influent lobby sioniste aux Etats-Unis, cette doctrine a, de toute évidence, trouvé un écho favorable auprès de l’administration républicaine. Après l’échec des Accords d’Oslo, imputable à Israël du fait de sa poursuite des colonies de peuplement, et le tournant du 11 septembre 2001, les défenseurs de cette doctrine ont réussi à entraîner leur allié américain dans une croisade en Mésopotamie, où il s’est totalement enlisé.
C’est dans ce contexte, dans une région en proie à un indescriptible chaos, que vient de se dérouler l’élection présidentielle remportée par Abou Mazen.
Dépourvu de tout charisme, mais jouissant d’une indéniable légitimité tant au sein du Fatah, dont il est un membre fondateur, qu’auprès de la communauté internationale pour son opposition à l’Intifada qu’il estime contre-productive, Abou Mazen est un pragmatique. Négociateur hors pair, il était l’artisan des Accords d’Oslo.
En désignant un Exécutif légitime, l’électorat palestinien a clairement et massivement exprimé son souhait de sortir de l’impasse. En élisant un candidat qui se posait comme alternative aux violences de l’Intifada et s’engageait à œuvrer à l’ouverture des négociations de paix avec Israël, pour la conclusion de laquelle sa longue expérience de pourparlers et son pragmatisme sont des atouts majeurs.
Abou Mazen a, le temps d’une campagne sereine, courtisé les extrémistes de son camp en les persuadant qu’il souhaitait diriger avec eux et non contre eux, avec pour objectif la création d’un Etat palestinien ayant Jérusalem pour « Capitale Eternelle ».
Les espoirs de paix au Proche-Orient sont donc relancés par son élection à la tête de l’Autorité Palestinienne et il lui faudra, dans l’immédiat, parvenir à un accord avec le Hamas et les autres organisations afin de réunifier le Fatah, pour aller en rangs serrés aux pourparlers de paix.
Son challenger Mustapha Barghouti, cousin de Marwane Barghouti qui, avec environ 20% des suffrages exprimés, se pose comme la deuxième force palestinienne, a déjà reconnu sa défaite et souhaité plein succès à son vainqueur. La démocratie palestinienne a donc fait la preuve de sa vitalité et est sans doute aujourd’hui la seule véritable dans le monde arabe.
Dès lors, la balle est dans le camp de l’occupant sioniste, pour qui sonne l’heure de vérité. Après avoir diabolisé le défunt président Arafat, Israël devra montrer ses dispositions à conclure un accord de paix durable avec l’Autorité nouvellement élue. L’Etat sioniste aura fort à faire avec les colons fanatisés et leur évocation exaltée du Grand Israël, déterminés qu’ils sont à saboter le retrait unilatéral des tous les Territoires Occupés.
Sitôt les résultats de cette consultation électorale connus, le président Bush a salué l’événement et promis de vouloir travailler avec le nouvel homme fort de la Palestine. Cette prise de position américaine est en soi encourageante et laisse augurer d’une implication positive des Etats-Unis dans le règlement de la crise israélo-palestinienne, qui envenime la paix au Proche-Orient et discrédite pour le moment une puissance américaine que les peuples épris de liberté souhaiteraient voir jouer un rôle à la mesure de sa puissance, au lieu de soutenir un colonialisme qui opprime au nom d’une justification religieuse.
De son côté, une fois n’est pas coutume, le régime israélien a également, par la voix de son Premier ministre Sharon, salué les résultats de l’élection présidentielle palestinienne qui s’est déroulée dimanche dernier. Il faut à présent espérer que le futur gouvernement d’union nationale formé hier en Israël assumera ses responsabilités en s’engageant dans des négociations sincères avec la nouvelle Autorité Palestinienne.
Enfin, pour leur part, les Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et d’ailleurs, sans oublier les réfugiés dont Mahmoud Abbas souhaite le retour, ont largement fêté la victoire du nouveau leader palestinien.
Conforté par ces signes encourageants, Mahmoud Abbas qui doit prêter serment ce mercredi, semble avoir les coudées franches pour engager sa patrie et son peuple dans une ère nouvelle.
Car, autant que les Israéliens, les Palestiniens veulent rompre avec un dramatique engrenage d’une violence qui, jusqu’à présent, ne profite qu’aux extrémistes des deux bords : colons en quête de territoire et islamistes transformant en combat religieux le légitime droit d’un peuple à l’autodétermination.
Accord de paix final au Sud Soudan
ESPOIR DE RÈGLEMENT AU DARFOUR ?
La plus longue guerre civile d’Afrique (21 ans de conflit armé, au moins 2 millions de morts et 4 millions de déplacés) a officiellement pris fin avec la signature d’un accord de paix définitive entre le gouvernement soudanais et la rébellion du SPLA à Nairobi dimanche dernier. La communauté internationale a unanimement salué cet accord historique et appelle également à la résolution de la crise du Darfour, nouvelle plaie ouverte du Soudan depuis février 2003.
Le 9 janvier 2005 restera certainement une date historique pour le Sud Soudan, en proie à une guerre civile meurtrière depuis plus de deux décennies. La rébellion déclenchée en 1983 par le Sudan’s People Liberation Army (SPLA) de John Garang a officiellement pris fin cette semaine au bout de deux années d’âpres négociations entre les frères ennemis Soudanais au Kenya. La cérémonie de signature a été organisée dans un grand stade de Nairobi, en présence de représentants de la communauté internationale, d’une vingtaine de chefs d’Etat et de gouvernement et de quelque 5.000 spectateurs.
Cet accord a été contresigné par le président du pays hôte, le Kenya, ainsi que par le chef d’Etat ougandais, président en exercice de l’IGAD. La communauté internationale, qui s’était particulièrement impliquée dans ce processus de paix, exprime sa satisfaction et espère que, dans la foulée, le gouvernement soudanais fera les efforts nécessaires pour que les pourparlers d’Abuja (Nigeria) entre les rebelles du Darfour et le régime de Khartoum débouchent rapidement sur un règlement pacifique de la crise dans cette région à l’est du Soudan, où sévit une sanglante guerre civile depuis février 2003.
La crise humanitaire du Darfour est l’une des plus graves qu’ait connues le continent africain depuis le drame biafrais. Cette guerre aurait déjà fait plus de 70.000 morts et deux millions de déplacés ou réfugiés.
Fort de la paix retrouvée au Sud, le régime militaro-islamiste de Khartoum devra désormais activement se consacrer au règlement du conflit du Darfour, région musulmane où l’armée gouvernementale et les milices arabes Djandjawid terrorisent les populations civiles accusées de soutenir les mouvements rebelles. Après la signature de l’accord de paix de Nairobi, le président soudanais Omar El Béchir a déclaré vouloir désormais signer un accord similaire de partage du pouvoir et des richesses avec les rebelles du Darfour.
Pour l’heure, l’euphorie du règlement de la crise au Sud Soudan incite le gouvernement soudanais à l’optimisme. Les mois qui viennent diront si vraiment le plus grand pays d’Afrique cherche effectivement à tourner la page des guerres internes pour se consacrer enfin au développement économique et social de ses populations. Il reste pour le moment à sérieusement appliquer l’accord signé le 9 janvier dernier avec le SPLA de John Garang. Selon les observateurs, le chef historique de la rébellion du Sud Soudan deviendrait le premier vice-président d’un gouvernement d’union nationale, qui doit être formé dans les mois qui viennent. L’accord signé à Nairobi prévoit en effet une période de transition de six ans et la rédaction d’une nouvelle Constitution excluant de l’application de la Charia les populations non musulmanes. A l’issue de cette période transitoire de six ans, les populations sudistes à majorité chrétiennes et animistes seront appelées par voie de référendum à choisir si elles veulent rester dans l’ensemble soudanais ou alors devenir indépendantes dans un Etat qui leur appartiendrait en propre.
Aussitôt l’accord signé, le leader sud soudanais a humblement reconnu que la paix dans son pays ne serait réelle qu’après le règlement juste de la crise du Darfour. Garang a même souhaité se faire inviter au processus de paix en cours à Abuja, consacré au Darfour en rappelant que le Soudan risquait de connaître la guerre tant que ne serait pas réglée la crise du Darfour, où deux nouveaux mouvements rebelles seraient récemment apparus.
De son côté, le Secrétaire général des Nations Unies, Koffi Annan a, dans son rapport au Conseil de sécurité rendu public vendredi dernier, laissé entendre que le conflit du Darfour serait actuellement sur le point de gagner la province voisine du Kordofan.
La paix globale qui se dessine dans le plus étendu pays d’Afrique est certes une avancée positive qui permettra au régime de Khartoum de briser son isolement international tout en soulageant ses populations des affres de la guerre civile. Mais un accord de paix n’est viable que s’il est sincèrement et intégralement appliqué, afin de pouvoir soigner tant les causes que les conséquences du conflit.
Ce n’est pas un hasard si le chef de l’Etat djiboutien faisait pâle figure à Nairobi parmi ses pairs africains. Ayant honteusement violé l’accord de paix le liant au FRUD-armé, il était le moins qualifié pour jouer un rôle honorable de médiateur régional. C’est la deuxième fois qu’il est obligé de se déplacer à Nairobi pour constater que les Kenyans ont réussi là où il a lamentablement échoué.
Si la scène régionale et internationale lui offrira certainement une nouvelle opportunité de redorer son blason terni, pas besoin d’être devin pour lui prédire qu’une telle violation de l’accord de paix du 12 mai 2001 lui réserve chez lui de pénibles lendemains. Il ne pourra pas impunément parader à l’extérieur ou à l’intérieur avec une telle forfaiture.
Une citoyenneté à marée basse
Les conséquences dramatiques du tsunami qui a frappé l’Asie du Sud-Est le 26 décembre dernier, ont donné lieu à un élan international de générosité jamais enregistré auparavant. Toutefois, cette mondialisation de l’émotion cache de profondes disparités nationales, à l’aune desquelles notre position de citoyens djiboutiens, peu glorieuse, devrait nous inciter à réfléchir sur le sens de notre passivité. Car, si nous sommes uniquement spectateurs des cataclysmes mondiaux, si nous nous sentons si peu citoyens du monde, n’est-ce pas surtout parce que nous ne nous sentons pas assez citoyens responsables chez nous ?
La presse gouvernementale nous apprend que la Présidence djiboutienne aurait ouvert un compte bancaire afin de collecter tous les dons pour venir en aide aux populations somaliennes frappées par les dernières vagues du tsunami. Sur les côtes de ce pays déjà en proie au chaos, l’on dénombrerait en effet près de 300 morts. Cette générosité de la Présidence djiboutienne, pour appréciable qu’elle soit, ne doit pas nous dispenser de nous interroger sur la compassion active que chacun d’entre nous devrait normalement témoigner à l’égard des victimes d’une telle catastrophe naturelle. Car, il ne s’agit pas ici de panser les blessures d’une guerre provoquée par la folie des hommes : il est question de rester solidaires face à un aléa de notre condition de terrestres devant lequel, pas définition, toutes les victimes sont innocentes.
Dans ces conditions, pourquoi est-ce encore dans les pays occidentaux que les citoyens se sont massivement mobilisés, pour venir au secours des habitants d’une région si éloignée de leurs préoccupations quotidiennes ? Une bonne conscience trop facile voudrait que ce soit le niveau de vie élevé des Occidentaux, et corrélativement leur mauvaise conscience à la vue de la misère du Tiers-Monde, qui expliquerait leur élan de solidarité face au drame que vivent les populations du Sud-est asiatique.
C’est plus compliqué que cela : quand des enfants font le tour des voisins pour collecter des fonds destinés aux écoliers démunis du Sri Lanka, quand des collégiens lavent des voitures pour reverser l’argent ainsi gagné à une organisation caritative ou quand même les détenus d’une prison se cotisent pour apporter leur contribution financière aux aides humanitaires, l’on est bien obligé de reconnaître que, plus que la richesse matérielle, il serait plus pertinent de parler d’une richesse morale, dont l’absence ou la faiblesse renvoie à un déficit de citoyenneté qui devrait nous interpeller.
En premier lieu, la mobilisation individuelle renvoie à la notion de responsabilité : c’est lorsque, même en prison, l’on se sent maître de son destin et acteur des événements, que l’on s’estime en devoir d’activement participer à la marche de l’Histoire. Cette application concrète de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (en vertu de laquelle « tous les hommes naissent libres et égaux en droits et en devoirs » et s’agissant dans le cas présent d’une solidarité de l’espèce humaine face à une catastrophe naturelle dont chacun aurait pu être victime), ne peut elle-même advenir que dans un système politique respectant la liberté et reconnaissant au citoyen ce droit et cette capacité d’agir. Autrement dit, c’est lorsque l’on s’estime citoyen chez soi (avec tous les droits et les devoirs afférents) que l’on peut s’investir dans la citoyenneté mondiale. Un despotisme politique issu d’une fraude électorale et se perpétuant par l’abus de pouvoir est donc synonyme d’une irresponsabilité citoyenne, cantonnant chacun individu dans le rôle peu glorieux de spectateur inerte face à de telles urgences internationales, parce qu’il en est ainsi au regard des événements nationaux. Inutile de trop rappeler qu’un adulte ne peut inculquer à son enfant la conscience d’un civisme qui lui est si méthodiquement dénié : la passivité présente face à ce genre de régime handicape même les futures générations !
En second lieu, cette dépossession d’une citoyenneté agissante, car responsable, montre bien à quel point il est pour le moment vain de parler de société civile à Djibouti : la pléthore d’associations non gouvernementales, dont l’existence est loin d’être synonyme d’efficacité, ne peut masquer le fait qu’il manque véritablement ce pilier essentiel de toute démocratie digne de ce nom.
Au niveau individuel de l’irresponsabilité, vient alors s’ajouter la dimension collective. Chez nous, le seul esprit associatif que se soit imposé, c’est celui des tontines auxquelles les femmes ont souvent recours, quoique cela constitue une forme d’entraide difficilement assimilable à de la gratuité.
Enfin, dans les conditions actuelles d’opacité dans la gestion des deniers publics, accompagnée d’une corruption généralisée, elle-même renforcée par l’impunité dont bénéficient ceux qui détournent l’argent public, comment en vouloir à l’honnête citoyen très peu enclin à verser au Croissant-Rouge djiboutien une somme, même symbolique, au nom d’une cause aussi noble soit-elle ?
A la misère matérielle à laquelle la mauvaise gouvernance condamne la grande majorité de nos concitoyens, s’ajoute donc une misère morale, née d’un déficit de citoyenneté, qui nous maintient en marge de la solidarité internationale : pour être respecté ailleurs, il faut d’abord recouvrer sa dignité chez soi. S’aider soi-même pour aider autrui.
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