Réalité numéro 117 du mercredi 15 décembre 2004 |
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Sommaire
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Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 117 Tirage : 500 exemplaires Tél. : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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Éditorial
MAIS OÙ SONT DONC PASSÉS
LES INTELLECTUELS ?
Quelle que soit l’évolution historico-politique de notre pays, personne ne peut nier que des Djiboutiens tels que Ahmed Dini, Mohamed Ahmed Issa dit Cheikho, Mahmoud Harbi, Omar Osman Rabeh, et bien d’autres ont combattu fièrement pour libérer leur pays du joug colonial. Si, pour certains cette lutte avait été l’idéal d’un pays, d’une Nation qui s’accepte avec ses différences, il en a été autrement pour d’autres, cherchant juste à remplacer le colon.
Pour ne citer que Cheiko, son plaidoyer de mars 1991 avait démontré les limites de la tolérance, le régime n’étant pas près à mesurer l’ampleur des changements qui s’opéraient partout ailleurs de par le monde. C’est au sein de son parti qu’il expliquait l’universalité des droits, celui surtout de penser, de choisir ses idéaux dont la Démocratie se devait désormais d’être le fondement : « Un parti unique qui a quatorze ans d’existence est comme un enfant majeur dans notre religion, capable de procréer, donc notre pays, une République, a le même âge que cet homme. Nous devons nous mettre à changer ce pays et son mode fonctionnement, donc à considérer l’environnement dans lequel nous vivons. Il ne peut y avoir de parti unique parce que seul Dieu est unique» avait-il dit à l’époque. Des intellectuels plus discrets versés dans les lettres ont également participé à la formation de notre liberté d’expression, comme Abdourahman Waberi et bien d’autres…
Mais aujourd’hui, la plupart de nos intellectuels djiboutiens ne sont pas disposés à remplir leur rôle. Beaucoup ont trahi l’espoir que les populations plaçaient en eux. Où est donc passée l’expression libre des centaines de bacheliers, des dizaines de maîtrisards, et des quelques 3e cycle arrivant chaque année sur le marché du travail ? Faudra-t-il dorénavant distinguer entre « nos intellectuels » et « nos diplômés » ?
Y a-t-il lieu de revoir la notion d’intellectuel ? A ce propos, le Larousse nous apprend que l’intellectuel, c’est celui dont la profession comporte essentiellement une activité de l’esprit ou qui a un goût affirmé pour les activités de l’esprit. Pour Le Robert, il s’agit d’un homme chez qui prédominent les activités de l’esprit. Donc c’est bien cela. L’intellectuel est censé produire de la pensée plutôt que produire la matière économique, voire la matière politique, elle-même.
Vociférant hier au passage de la caravane gouvernementale, la plupart des intellectuels se retrouve aujourd’hui dans le convoi de la caravane et dans le rôle d’élites prédatrices. Pas tous heureusement, mais beaucoup attendent à l’affût le rite des remaniements ministériels pour s’insérer dans les rangs du cercle du pouvoir. Pour y parvenir, certains vont créer une galaxie d’associations dont les objectifs inavoués consistent à rappeler au pouvoir qu’ils sont là.
Or, ce qui est demandé aux intellectuels, c’est une attitude de recul et une aptitude à se mettre à distance des différents protagonistes afin de servir éventuellement de relais aux opinions démocratiques des uns et des autres, tout en les alimentant.
Comme le disait Raymond Aron, on ne peut pas être en même temps homme d’action politique et homme d’étude sans porter atteinte à la dignité de l’un ou de l’autre, sans manquer à la vocation de l’un ou de l’autre.
Malheureusement à Djibouti, la mission de l’homme politique a été pervertie par le régime en un simple gagne-pain opportuniste, très peu compatible avec l’objectif de la construction de la Nation. La déconfiture des intellectuels est encore plus accentuée plus aujourd’hui qu’hier à Djibouti, le sommet de la non participation à la vie démocratique de leur nation, une vie démocratique qu’ils appellent pourtant de leur vœux dans le privé, relèvant trop facilement pour eux des injonctions d’un système répressif, maître-chanteur es salaire et travail. A leur décharge, rappelons néanmoins que cette affaire est aussi de la responsabilité de notre époque, où les pays nantis qui offraient l’asile à l’âme tourmentée ont largement déclaré forfait. Il suffit de voir dans quelle misère matérielle et morale pataugent les réfugiés politiques en Europe et en Amérique, quel que soit leur pays d’origine.
Mais il n’y a pas de décharge à sa responsabilité morale envers le pays qui vous a vu naître. Parce que sa contribution est décisive dans la définition de l’identité nationale et dans la revendication du droit à la vie et de la liberté, la démission de l’intellectuel est beaucoup plus grave que les compromissions mercantiles des semeurs de trouble patentés que sont les piliers de ce régime.
S’il ne devait rester qu’un seul privilège à tout intellectuel digne de ce nom, ce serait bien celui de ne pas bêler avec le troupeau docile des serviles uniquement préoccupés de leur réussite personnelle.
Brèves nationales
Tragique accident de la route :
Un ami nous a quittés
Des collisions souvent mortelles surviennent de nuit sur la route nationale entre Djibouti et le PK52, généralement causées par des poids lourds empruntant cette voie. Ainsi, dans la soirée de vendredi dernier, un poids lourd immobilisé sur la chaussée a été violemment percuté par un véhicule rentrant de Tadjourah. Bilan tragique : un mort sur le coup et quatre blessés, dont le chauffeur grièvement atteint. L’homme qui a perdu la vie dans cet accident meurtrier était notre ami et s’appelait Abdoulkader Ahmed Farradé.
Le défunt était bien connu à Djibouti où il comptait de nombreux amis. Homme de culture, cet intellectuel affable avait exercé de hautes responsabilités en Ethiopie dans les années 80. En février 2003, Abdoulkader Ahmed Farradé avait participé au symposium Afar organisé à Djibouti, aux côtés de son ami Djamaleddine A. Redo, cocréateur, avec notre actuel vice-président Ahmed Abdallah dit Dimis, de l’alphabet afar en 1976.
Profondément attristées par la brutale disparition de ce quinquagénaire de valeur, l’ARD et la rédaction de Réalité adressent leurs sincères condoléances à toute la famille et aux proches du regretté Abdoulkader Ahmed Farradé. Qu’Allah l’accueille en Son Paradis Eternel. Amin.
INNA LIHHAH WA INNA ILAYHI RAAJI’UUN.
Listes électorales :
Inscriptions interrompues au 5ème arrondissement
Alors que le ministère de l’Intérieur invite régulièrement les citoyens à s’inscrire sur les listes électorales et à l’approche de la clôture des inscriptions officiellement fixée au 31 décembre, quelque chose ne tourne pas rond au 5ème arrondissement de la Capitale. Selon des informations concordantes recueillies par Réalité, les citoyens résidant dans ce secteur n’arrivent plus à s’inscrire sur les listes électorales depuis plus de deux semaines, officiellement, dit-on, par manque de formulaires administratifs.
Si la prédation instituée par la mauvaise gouvernance prive des services entiers de l’administration de tels documents, tout laisse à penser que la manœuvre est cette fois-ci politique. Entre farces et fraudes, les élections demeurent pour ce régime de simples formalités… administratives, avec ou sans documents. En empêchant de la sorte les citoyens de s’inscrire, le régime leur indiquerait-il sa voie d’une sagesse impuissante consistant à ne pas se fatiguer à essayer de s’inscrire ?
Revendication salariales :
Les cheminots réclament leur dû
Depuis quelques mois, rien ne va plus pour les agents du Chemin de fer, privés du paiement régulier des salaires. On se souvient que dès la rentrée, les cheminots avaient bruyamment tenté à plusieurs reprises de bloquer la circulation sur le boulevard de la République, à hauteur du passage à niveau. Ainsi, dimanche dernier, ils ont de nouveau manifesté leur mécontentement en tentant d’interdire la circulation dans ce secteur. Fidèle à ses manies répressives, le régime a immédiatement disposé les forces de l’ordre sur ce parcours. En fin de matinée, un compromis aurait été trouvé entre la direction du CDE et les travailleurs en colère. Les affrontements ont donc été évités de justesse.
Jusqu’à quand le régime fera-t-il la sourde oreille ?
Le PDD coule à Tadjourah :
Son comité rejoint l’ARD
Après avoir pris connaissance de l’exclusion par l’UAD du Parti Djiboutien pour le Développement (PDD), le comité de l’annexe de Tadjourah de ce parti nous a adressé une lettre de démission collective, signée par le président, le vice-président et le secrétaire général de la section PDD de Tadjourah. Le texte, respectivement signé par MM. Houmed Mohamed Halloïta, Youssouf Omar Houmed, Ali Mohamed Ali et Abbas Mohamed Osman, déclarant agir au nom de tous les militants PDD de Tadjourah, annonce leur ralliement à l’ARD, tout en réaffirmant leur soutien indéfectible à l’UAD. Cette démission serait motivée, selon eux, par le « manque de transparence des responsables du PDD».
A chacun son lecteur :
Le « Progrès » végète
Ses rares lecteurs l’auront remarqué : lorsqu’il s’agit de remplir sa mission qui consiste à dénigrer l’opposition, en insultant ses représentants s’il le faut, notre confrère « Le Progrès » passe presque toujours par de prétendus courriers des lecteurs. Ainsi, dans une récente édition, ce pamphlet de bas étage prétend décrédibiliser toute l’opposition en s’en prenant à notre journal.
Il ne s’agit pas pour nous de répondre, ni ici ni ailleurs, à cette littérature de propagande, mais juste de faire remarquer que les lecteurs de la presse du chef de l’Etat ne semblent prendre la plume que pour insulter, à défaut d’argumenter. Tout comme nos lecteurs auront noté qu’aucun courrier que nous publions ne porte atteinte à la dignité de qui que ce soit : les sujets susceptibles d’inviter au débat sont suffisamment variés pour que nous remplissions nos pages de telles inepties. Le seul courrier ad hominen, que nous avons par ailleurs publié sans aucune hésitation, est celui qui nous vaut d’être actuellement traîné en justice : il dénonçait certains abus de confiance dont l’actuel ministre de la Défense s’était rendu coupable au sein de sa communauté.
Pour le reste, ayant plus sérieux à faire qu’à polémiquer avec ces plumitifs réquisitionnés, nous osons confraternellement proposer à la rédaction du « Progrès » un sujet de réflexion sur une actualité brûlante, récemment traitée même par son ennemi intime, le journal tout aussi gouvernemental « La Nation ». Question posée au pion du RPP : « Est-ce que le riz indien, détourné par la Présidence comme nous l’avions dénoncé, figurait au menu des rations alimentaires récemment distribuées aux populations de Dorra victimes de la sécheresse » ?
Sorties présidentielles :
L’ermite d’Haramous à Ali-Sabieh et Arta
Ainsi que nous l’annoncions la semaine dernière, l’ermite d’Haramous, autrement dit le candidat solitaire, s’apprête à entamer des visites éclairs dans le pays profond. Selon nos informations, il devrait visiter dans le courant de ce mois les deux districts du Nord. C’est bien connu : quand « Réalité » annonce, le régime renonce ou improvise.
Ainsi, déprogrammant sa visite prévue à Obock, le candidat solitaire s’est rendu à Ali-Sabieh le week-end dernier, officiellement pour y faire ses ablutions à l’eau d’Il Jano et prier. Dans l’après-midi, la colonne présidentielle composée d’une noria de 4×4, s’est ébranlée en direction du village d’Arta, où le docteur honoris causa aurait tenu un conclave limité à ses plus proches conseillers. Tout ceci dans l’indifférence générale.
« Réalité » ne manquera pas de relater les faits et gestes d’un candidat fatigué à sa propre succession, histoire de lui rappeler que cette fois-ci, la partie est loin d’être gagnée, malgré la révision complète de la machine à frauder.
La LDDH dénonce la répression à Arhiba :
Pluie de balles et arrestations abusives
Dans un communiqué de presse daté du 11 décembre 2004, la Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) proteste vigoureusement contre la répression sauvage des manifestants d’Arhiba. Son président Jean-Paul Abdi-Noël a vivement réagi en ces termes :
« Le mardi 7 décembre 2004, suite à une « épreuve de pluie », la population du « ghetto » d’Arhiba a manifesté pour démontrer sa désapprobation contre l’inaction des services de l’État sur sa situation sanitaire dans ce quartier populaire.
C’est, parce qu’inondée, que cette population avait bloqué la circulation pour une urgence, car confiné dans un état sanitaire déplorable.
Cette action interpellait, entre autres, le Ministre de l’Habitat, de l’Assainissement et de l’Environnement du Territoire qui se devait de prendre ses responsabilités en viabilisant tous les quartiers.
Encore une fois, la fusillade a crépité sur la population civile, en blessant les jeunes d’Arhiba, alors que le Conseil des Ministres pavoisait tranquillement à quelques pas de là.
En cette période pré-électorale et comme avant le cycle des importantes élections présidentielles, faut-il encore s’attendre à des emprisonnements, à des morts mystérieux, à des tirs à balles réelles sur des civiles manifestants ?
Alors, faut-il maintenir une équipe au pouvoir qui n’accepte même pas une simple manifestation sanitaire, une simple démonstration afin d’éradiquer tous les fléaux endémiques, entre autre, l’évolution exponentielle du paludisme. . . ?
Tout est possible, surtout quand un coup d’État électoral en faveur du maintien d’une politique foncièrement dictatoriale est non seulement programmé, mais soutenu et encouragé par des éléments non nationaux, par des éléments proches des groupes mafieux ?
La Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH):
– reste très, très inquiète de la restauration de la politique de répression à l’égard des populations civiles, qui revendiquent et manifestent pacifiquement leurs droits de citoyens, leurs droits prévus par la Constitution, leurs droits fondamentaux prévus par les deux Pactes Internationaux récemment ratifiés, ( plus de deux ans, au moins) par la République de Djibouti ;
– lance un Appel pressant à la Communauté Nationale et Internationale afin que les jeunes arbitrairement incarcérés à Gabode soient immédiatement relaxés, et que tous les autres jeunes encore en garde à vue regagnent rapidement leur foyer.
Brigade municipale :
De quelle municipalité ?
Le statut de Djibouti-ville, prévu par l’Accord de paix du 12 mai 2001 signé entre le FRUD-armé et le gouvernement, serait-il miraculeusement entré en vigueur ? C’est à se le demander, à en croire la presse officielle. « La brigade municipale en action » : c’est sous ce titre ronflant que le journal gouvernemental « La Nation » a consacré lundi 6 décembre, un article à l’unité récemment mise en place en vue de lutter contre les comportements inciviques ( constructions illégales, dégradations de la voie publique, dépôts d’ordures sur la voie publique ) le tout relevant désormais de contraventions dont les produits iront certainement dans les poches des prédateurs patentés. Contravention : le mot est lancé ; la mauvaise gouvernance prédatrice privilégie les amendes avant de s’amender elle-même.
Comment peut-on parler de municipalité dans un pays où il n’existe jusqu’à présent aucune élection municipale ? Qui a élu un maire depuis l’Indépendance ? Pourquoi sans cesse fuir la vérité en mettant la charrue avant les bœufs ? Le jour où le maire et le conseil municipal seront élus, les autorités du district pourront valablement mettre en place une police municipale. Pour l’heure, les agents de la nouvelle brigade mobile équipée d’un seul véhicule, s’apparentent plus à des distributeurs de contraventions abusives.
Que le premier philosophe de l’opacité, en l’occurrence le chef de l’État, fasse montre de civisme avant d’importuner des citoyens trop vite taxés d’activité incivique !
Malaise dans la société djiboutienne
COURRIER DES LECTEURS |
Comme le démontre ce courrier, le « narcissisme des petites différences » qu’évoque Freud est instrumentalisé à Djibouti par des affranchis-héritiers fondant leur domination sur la destruction du sentiment national.
Un malaise perceptible mine notre société, marquée à la fois par l’effondrement et l’effritement des valeurs morales, ainsi que par la violence néocoloniale, qui se manifeste non pas directement, mais le plus souvent dans le « discours officiel » lénifiant revêtant la forme d’une véritable « diarrhée verbale». Violence enfin des institutions qui enferment les individus dans des carcans rigides, qui refusent la prise en charge des opinions diverses, du pluralisme de notre société. Djibouti est devenue une taupinière où se cultive la médiocrité et la suffisance ; taupinière dans le sens où rien de grand ne pousse, ne vient remuer les eaux stagnantes du conformisme.
On rétorquera à ce propos que la situation a changé depuis le multipartisme intégral. Quoi que l’on dise, on ne pourra pas nous enlever ce sentiment d’impuissance et de frustration. Que l’on nous explique si cela est vrai, pourquoi les mêmes maux se retrouvent toujours (mais sous des formes édulcorées), qui ont miné par le passé la vie politique de notre Nation : dictature du parti unique, RPP et sa version moderne UMP, Assemblée nationale monocolore.
Le poids du passé : le mythe de l’unité et du consensus.
S’il est un mythe qui a joué un rôle essentiel dans l’histoire de la culture politique djiboutienne, c’est bien celui de l’unité. Dans la culture politique nationale, du moins chez la classe dirigeante, la notion d’ « unité » est élevée au rang de mythe, sans que l’on puisse donner une définition exacte de ce concept. Unité : oui lorsqu’elle participe seulement d’une exigence de paix civile, de tolérance, bref de réunion autour de valeurs saines. Non si elle évite la diversité et le pluralisme des opinions.
En fait, tout s’est joué pendant l’Indépendance. Sous prétexte de lutter contre le tribalisme (l’unité du Peuple revient comme un leitmotiv à partir de 1975), on a étouffé dans l’œuf toute velléité d’indépendance d’esprit et de sens civique. Les conflits ordinaires ont été disqualifiés de facto en étant constamment rapportés comme une menace de guerre civile ou comme l’amorce d’un complot. L’élite politique en arriva à défendre une conception presque rigide de la notion d’unité, tendant à exacerber la distance entre les gouvernés, cantonnés dans la misère morale. C’est pourquoi certains signes observables chez les dirigeants politiques au pouvoir font qu’ils sont devenus les héritiers du colonisateur.
La transformation du parti RPP en parti-Etat, on l’a vu, n’a pas pu avoir d’autre effet qu’un dédoublement inutilement coûteux des structures et des instances de l’État, ainsi qu’une gestion saine de celui-ci au rythme du parti unique. Du reste, ce parti en était-il encore un, du moment que les Djiboutiens en étaient tous obligatoirement membres ?
Enfin, la primauté du parti sur l’Etat nous paraît difficilement acceptable : par principe, l’Etat reste premier et les partis politiques appelés à se succéder au pouvoir demeurent à son service. Le parti devenu une institution suprême a envahi tout l’appareil politico-administratif ; le népotisme et le militantisme d’une part, la médiocrité d’autre part, l’emportent généralement sur la vertu et la compétence. De ce fait, la notion du Bien et du Mal se confond avec la générosité du parti-Etat et la sanction des fonctionnaires coupables devient un non-sens. Le RPP (comme sa version moderne de l’UMP) est devenu la seule norme de référence.
Une telle organisation conduit inévitablement à un monisme politique et à une concentration du pouvoir à outrance par sa personnification. Le Président de notre pays est à la fois le chef du gouvernement et celui d’une Assemblée monocolore dont l’opposition est exclue, qui laisse peu de place à la responsabilité des fonctionnaires et des « élus » normalement au service de l’intérêt général. Dès lors, les rapports avec la population sont verrouillés : la liberté d’expression est pratiquement supprimée au détriment d’une saine critique du fonctionnement des institutions de l’État. La gestion des deniers publics obéit aux impératifs partisans et fait office de « caisse» du parti-Etat, mise à la disposition des autorités du pays qui se comportent comme une véritable nomenklatura: chacun y puise à sa guise et selon son rang.
Le fonctionnement de nos institutions tel que décrit ci-dessus est bien connu et encouragé par les bailleurs de fonds et partenaires étrangers. Comment peut-on trouver normal et juste de demander au Peuple, qui en a été spolié, de rembourser les prêts consentis par ces partenaires et qui ont été détournés par les prédateurs du régime ? Il est dès lors injuste et inhumain que ce même Peuple soit obligé de subir le poids des crédits dont il n’a pas bénéficié et qui fructifient pourtant pour d’autres responsables. L’Indépendance tant attendue par notre Peuple est devenue une vue de l’esprit, la métaphore d’une autre réalité : celle de la domination de l’affranchi-héritier, coupable d’opprimer ses concitoyens décolonisés. L’ordre social instauré depuis l’Indépendance ne change pas en son rapport avec la réalité djiboutienne. Ce qui a constitué dans sa première phase (et nul ne peut nier que nous en sommes restés à ce stade) à récupérer le pouvoir colonial sans en changer ni la forme ni le contenu. L’Indépendance, dans la mesure où elle n’a pas instauré un ordre radicalement nouveau, n’a pas créé d’autres rapports interpersonnels, reconduisant ceux de l’époque précédente.
Ce que l’illustre défunt Ahmed Dini avait craint est devenu une réalité. Voici ce qu’il avait écrit dans « Le Populaire », journal de la LPAI : « notre Indépendance ne sera ni le cadre ni le prétexte ou l’occasion de seulement remplacer des Blancs européens par des Noirs autochtones qui perpétueraient les mentalités, attitudes et comportements de leurs prédécesseurs et maîtres d’hier ». Ce sage conseil du plus illustre fils de notre pays n’a pas été écouté. Voici ce qu’il en advint dans la réalité : « tous les défauts et abus des fonctionnaires coloniaux ont été non seulement conservés par nos propres compatriotes qui ont hérité des fauteuils des Blancs, mais les ont aussi poussés à leur paroxysme. Réalité n°4 du 15 mai 2002).
Très vite, les inadaptations se font jour. Mais qu’a-t-on fait en vérité ? Seul le replâtrage est possible, créer est interdit à l’affranchi-héritier, car ce serait chercher la légitimité ailleurs que dans le système du pouvoir du Maître : c’est ouvrir la voie au retour du refoulé, avec lui d’autres compétences, d’autres élites. Dès lors, la seule posture possible est celle de la philosophie du « comme si », chère à Otto Weininger. Les retouches ont un petit goût de transgression qui tout à la fois effraie et rassure : on risque d’adultérer la pureté des modèles et donc de ne plus se faire reconnaître de ses maîtres, de ne plus apparaître aux yeux de la masse comme légataires universels de ceux-là. Mais les écarts que l’on se permet, si minimes soient-ils, donnent un sentiment d’initiative et de puissance.
Ce qu’il est difficile de faire, ce qui est considéré comme impossible pour nos dirigeants, c’est la refonte des programmes politiques sur la base de la culture effective du grand nombre. Qu’en est-il en réalité ? Elle demeure un mirage et un alibi. Notre tradition, nos langues nationales, notre modernité les a disqualifiées. Le retour à la tradition sonne faux dans la bouche de nos dirigeants. Qui n’évoquent ces valeurs traditionnelles que pour mieux asseoir leur domination. Tradition : c’est devenu le thème favori du groupe dominant qui divertit des problèmes urgents du partage des responsabilités et des richesses, qui se donne bonne conscience en prétendant veiller au patrimoine culturel, se cherche une légitimation ex nihilo comme représentant et sauveur d’une culture menacée. Tandis que, dans la réalité, dans la pratique quotidienne, les disqualifie par la clochardisation de ceux qui en sont encore les véritables porteurs, c’est-à-dire la masse réduite à l’expectative et rongés par tous les maux : Sida, pauvreté, etc.
Mais trêve ! Que ne sert de répandre un tel déluge de paroles! Il faut agir, pas se lamenter.
Communiqué de l’UAD
UNION POUR L’ALTERNANCE DEMOCRATIQUE
(ARD, UDJ, MRD)
Djibouti, le 13 décembre 2004
COMMUNIQUE
Le monde a célébré le 10 décembre la journée des Droits de l’Homme. Sa commémoration invite tout un chacun à dresser un état des lieux et à œuvrer davantage à leur renforcement. Ce n’est pas un hasard si, à Djibouti, le régime en place a préféré passer cet événement sous silence, et pour cause : la promotion, même sous la forme d’une propagande officielle, des Droits de l’Homme ne peut aucunement contribuer à consolider les ténèbres de la méconnaissance sur lesquelles se fonde son arbitraire. Et ce n’est pas la tragique répression de paisibles manifestants, survenue à Arhiba mardi dernier, qui démentira le mépris dans lequel ce régime dictatorial tient les citoyens. Car, dans l’ensemble des domaines où la consolidation des droits humains fondamentaux devrait être visible et accompagner le processus de développement économique, la République de Djibouti est malheureusement à la traîne, au regard des améliorations généralement observables de par le monde.
Car, ici, le simple fait d’exiger l’évacuation des eaux pluviales dans les quartiers inondés donne lieu à une répression sauvage à coups de balles réelles et à d’arrestations abusives.
Tout aussi gravement, l’on assiste à l’instauration d’une chape de plomb plus lourde qu’à l’époque du parti unique de jure :
– le multipartisme intégral n’est que de façade, puisque les fraudes électorales, dont le parti unique n’avait pas besoin du fait de son monopole, sont maintenant érigées en norme pour valider l’usurpation par les urnes;
– le droit à l’obtention d’une carte d’électeur relève désormais d’une faveur uniquement accordée à tous ceux que les multiples formes de chantage rendent vulnérables ;
– le droit inaliénable à la citoyenneté est refusé à de larges franges de la population, par le refus de d’enregistrer les naissances et par celui de délivrer les cartes d’identité nationale : même une situation temporaire issue de la colonisation n’a pas été pour le moment régularisée ;
– le droit au travail demeure illusoire, malgré le prétendu concours d’accès à la Fonction Publique, le recrutement des agents de l’Etat devenant une occasion pour les dirigeants de fidéliser une clientèle tribale en lui réservant l’accès exclusif aux richesses nationales ;
– le nouveau Code du Travail porte encore plus atteinte aux libertés syndicales, par la suppression du salaire minimum garanti comme de toute organisation syndicale véritablement indépendante et représentative des travailleurs;
– la nouvelle politique de l’habitat constitue une épée de Damoclès sur la tête des foyers modestes vivant dans les quartiers anciens, insalubres et déshérités de la Capitale, le plus souvent dans l’impossibilité financière, pour cause d’une détérioration de leur pouvoir d’achat due aux multiples pressions fiscales, de racheter un toit que la période coloniale leur avait octroyée en concession provisoire ;
– fondement de tout Etat de droit, il n’existe aucune Justice indépendante, ni aucun tribunal de contentieux administratif censé protéger le citoyen contre les abus, toujours plus nombreux, du pouvoir en place.
Tant que perdurera ce déficit démocratique, toutes les formes de répression seront utilisées par le régime.
En conséquence, l’UAD
– Dénonce les atteintes multiformes portées par le régime contre la concrétisation et le renforcement des droits inaliénables des citoyens djiboutiens, et lance un appel pressant à l’opinion nationale pour qu’elle revendique son droit à la vie ;
– Condamne les auteurs des atrocités commises contre les paisibles manifestants d’Arhiba
– Exige la libération de tous les manifestants arrêtés dans le cadre de ces événements.
Enfin, l’UAD attire l’attention de la communauté internationale sur les conséquences à très court terme qu’une telle situation de non-droit risque d’engendrer pour une paix civile en l’absence de laquelle tout effort de développement reste vain.
Lu pour vous
Pour mieux restituer cette journée dans le contexte actuel des relations internationales, voici l’interview accordée par le président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme à Afrik.com.
DROITS DE L’HOMME ET LUTTE ANTI-TERRORISTE :
LA TORTURE SOUS-TRAITÉE
Sidiki Kaba, président de la FIDH, s’exprime à l’occasion de la journée internationale des droits de l’Homme
jeudi 9 décembre 2004, par Saïd Aït-Hatrit.
Comment les impératifs de lutte contre le terrorisme ont conduit, depuis trois ans, partout dans le monde, à une dégradation des Droits de l’Homme ? Comment les Etats-Unis et la Grande-Bretagne en arrivent aujourd’hui à faire sous-traiter les interrogatoires musclés de leurs prisonniers par des Etats peu regardants des droits humains? Sidiki Kaba, président de la FIDH, répond à ces questions à l’occasion de la journée internationale des Droits de l’Homme, célébrée ce vendredi 10 décembre.
Au Maroc et en Tunisie, à Djibouti et en Mauritanie, comme en Grande-Bretagne, en France ou en Tchétchénie, les nouveaux impératifs internationaux de lutte contre le terrorisme ont conduit à un recul de la défense des droits humains. Parce que les puissances internationales ont décidé que sécurité et liberté sont antinomiques. Au grand dam de Sidiki Kaba, président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), qui fait le point avec Afrik.com sur la situation des droits humains dans le monde. C’est justement dans ce contexte que « la pression doit être maintenue avec encore plus de ténacité», souligne-t-il, ce vendredi, à l’occasion de la journée internationale des droits de l’Homme. L’avocat sénégalais explique comment les Etats-Unis et la Grande-Bretagne en sont arrivés à faire sous-traiter les interrogatoires musclés de leurs prisonniers, soupçonnés de terrorisme, par des pays qui offrent l’avantage de pratiquer encore la torture. Oubliant ainsi la vocation universelle des droits de l’Homme. La FIDH a été créée en 1922. Elle fédère aujourd’hui 142 ligues de défense des droits de l’Homme dans près de 110 pays.
Afrik.com : Par quels moyens la FIDH œuvre-t-elle à la défense des droits de l’homme ?
Sidiki Kaba : Notre principe est qu’il y a une situation universelle des droits de l’Homme, qui appelle une réponse universelle. Nous oeuvrons à sa défense par une panoplie d’actions, en justice, de protestation, d’enquêtes, de lobbying, de mobilisation et de diplomatie des droits de l’Homme. Selon les circonstances, nous utilisons les actions les plus appropriées pour le maximum d’efficacité.
Afrik.com : Comment réalisez-vous vos enquêtes, notamment dans les pays où vous êtes mal acceptés…
Sidiki Kaba : Nous ne rentrons jamais clandestinement dans un pays. Nous travaillons à ciel ouvert. Nous prévenons les autorités que nous avons connaissance d’une situation de violation des droits de l’Homme, de telle sorte que nous puissions avoir les points de vue des victimes, des autorités, des organisations indépendantes et de tout autre témoin capable de confirmer ou infirmer notre thèse.
Afrik.com : A-t-on souvent refusé l’entrée d’une équipe de la FIDH dans un pays ?
Sidiki Kaba : Cela arrive actuellement en Mauritanie. Les autorités considèrent les membres de l’association mauritanienne de défense des droits de l’Homme, avec laquelle nous travaillons, comme des terroristes. Nous avons pourtant condamné les actions terroristes et nous avons depuis longtemps mis en garde les autorités contre une dérive autoritaire qui risquerait de déboucher sur une crise. Mais ces mises en garde sont considérées comme des attaques contre le gouvernement. Nous ne sommes pas contre le pouvoir, nous sommes un contre-pouvoir.
Afrik.com : Vous dites que les défenseurs des droits de l’Homme sont considérés comme des terroristes. Sont-ils traités comme tels ?
Sidiki Kaba : C’est une façon de parler, mais il y a bien des pays où ils sont pourchassés. C’est le cas de la Tunisie, du Zimbabwe, de la RDC (République Démocratique du Congo, ndlr), de la Mauritanie. A l’issu du Forum des ONG, organisé du 20 novembre au 4 décembre avec la Commission africaine, les autorités mauritaniennes ont arrêté plusieurs de leurs ressortissants qui avaient participé à la rencontre et rentraient chez eux. Une femme l’a été en état de grossesse et a dû accoucher dans des conditions dramatiques, amenée de la prison à l’hôpital, puis de l’hôpital à la prison, après l’accouchement. Récemment, la Liprodor (Ligue pour la promotion et la défense des droits de l’Homme, Rwanda, ndlr), avec laquelle nous sommes affiliés au Rwanda, a été dissoute et ses dirigeants, pourchassés, ont dû fuir. Ils sont recherchés à l’heure actuelle. Car ils sont considérés comme des opposants au pouvoir en place. Mais nous ne dénonçons pas pour dénoncer. Nous le faisons toujours sur la base de preuves.
Afrik.com : Les pressions internationales semblent efficaces – en Libye par exemple – pour pousser des Etats à se démocratiser. Mais la question des droits de l’Homme paraît toujours secondaire. Cela a été le cas en Tunisie, lors du passage du Président français, qui a affirmé que le premier des droits était de pouvoir manger, et en Algérie, avec la question des « disparus»…
Sidiki Kaba : Lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’Homme de Vienne, en 1993, il a été répété qu’aucune raison ne peut-être invoquée pour violer les droits de l’Homme. Quand la parole est bâillonnée, il va de soit que cela aboutit à la crise.
On ne peut pas dire : « On vous donne à manger, alors taisez-vous », ni « on ne vous donne pas à manger, mais vous pouvez parler ». Les droits sont liés. En ce qui concerne les « disparus » en Algérie, nous sommes résolument avec eux et nous nous battons aux Nations Unies pour que des Conventions soient adoptées, que les proches puissent faire leur deuil. Quant aux pressions internationales, notamment économiques, nous faisons nous même pression sur les Etats pour que cette arme soit utilisée. Mais nous sommes prudents avec l’embargo, car il touche toujours les populations civiles. Au contraire des dirigeants, qui sont visés, mais qui arrivent souvent à les détourner pour vivre très bien. C’est pourquoi nous appelons à la prise de mesures individuelles contre les dirigeants, comme cela sera peut-être le cas en Côte d’Ivoire, à partir du 15 décembre, contre les autorités et les forces rebelles, si elles ne font aucun effort pour débloquer la crise.
Afrik.com : La lutte contre le terrorisme a restreint les libertés individuelles dans de nombreux pays africains…
Sidiki Kaba : Même en Europe, en Grande-Bretagne, en France… la lutte contre le terrorisme est un alibi pour restreindre les libertés. En Grande Bretagne, un ressortissant étranger arrêté dans une affaire de terrorisme peut être gardé indéfiniment en prison. La torture est devenue d’une insoutenable banalité. Même en Europe. Lorsque l’on entend la justice britannique dire que l’on peut utiliser des aveux extorqués sous la torture en justice! Les juridictions britanniques ont bien reconnu cela dans le cadre d’une affaire antiterroriste. On ne peut pas dire : « Il faut interdire la torture chez soi (ce que fait la Grande-Bretagne, ndlr) et pas chez les autres ». Le résultat est que les Etats-Unis, qui acceptent également ce type d’aveux, envoient des prisonniers se faire torturer dans des pays arabes, puis utilisent les aveux extorqués hors de leurs frontières. Cela a été le cas pour des prisonniers de Guantanamo (Cuba, ndlr). Dans le contexte de lutte contre le terrorisme, la défense des droits de l’Homme est dans une mauvaise posture. Nous sommes coincés dans un triple étau de guerres identitaire, ethnique et religieuse, dans l’étau du droit de la force, surtout avec cet impératif de lutte contre le terrorisme, et dans l’étau de la mondialisation, qui rime avec injustice et exclusion pour l’écrasante majorité de l’humanité.
Afrik.com : Comment la situation des droits de l’Homme a-t-elle évoluée en Afrique ?
Sidiki Kaba : Beaucoup de conflits sont l’occasion de violation des droits de l’Homme. Il y a près de cinq millions de réfugiés et cinq millions de déplacés en Afrique. Trois situations sont particulièrement alarmantes. Dans le Darfour (Ouest du Soudan, ndlr), au-delà des exactions commises par les Janjawid, nous assistons à un désastre humanitaire. En Côte d’Ivoire, les exactions sont commises contre les civils par les forces gouvernementales. Mais l’armée française a aussi été amenée à tuer des civils. Et nous disons que toutes les populations ont droit à la justice. En RDC, il y a eu de graves violations des droits de l’homme en huit ans de conflit : 3,5 millions de morts, 3 millions de déplacés et 3 millions de réfugiés. A l’opposé, nous pouvons nous réjouir de nombreux processus de paix en cours. En RDC, justement, où ce processus est fragile, ainsi qu’au Burundi. Au Mozambique, des élections se sont déroulées après 26 ans de conflit, comme au Ghana, au Cap-Vert, au Kenya, en Zambie ou encore en Namibie…
Afrik.com : La FIDH fonctionne beaucoup par des actions en justice, dont il est facile de mesurer l’efficacité. Mais comment mesurez-vous l’efficacité de vos autres activités ?
Sidiki Kaba : L’an passé, le général Aussaresses n’a pas hésité dans un livre à dire que la torture a été utilisée durant la guerre d’Algérie. Dès que nous l’avons appris, nous avons intenté deux actions en justice pour apologie de crime. Il a été condamné à 10 000 euros d’amende avec son éditeur et s’est pourvu en cassation. J’ai le plaisir de vous annoncer qu’hier, le 8 décembre, son pourvoi a été rejeté par la cour d’appel. Nous oeuvrons ainsi dans de nombreux autres cas : pour Leïla Zaman, en Turquie, en RDC, nous avons tout fait pour que la CPI (Cours pénale internationale, ndlr) soit saisie pour les exactions commises en Ituri. Le dossier sera examiné en 2005. Le tribunal de Meaux a mis fin à la procédure judiciaire dans l’affaire des « disparus du Beach », au Congo Brazzaville, mais nous nous sommes pourvus en cassation, et nous avons encore la Cour européenne de justice si cela ne marche pas. Pour les autres actions, nous ne sommes pas des puisatiers et il est difficile de nous rendre compte de notre efficacité. Mais par exemple, à Guantanamo, 660 prisonniers de 42 nationalités ont été arrêtés pendant deux ans sans bénéficier d’avocats ni de statut. C’est sous la pression internationale, et sous la pression de la FIDH, que la Cour suprême des États-Unis a finalement déclaré leur détention illégale. Ce fut une grande victoire pour nous. Nous formons également des défenseurs des droits de l’Homme, en Afrique, en Asie… pour leur expliquer qu’ils ne doivent pas avoir peur des gendarmes, de l’armée ou de la police car des actions peuvent être intentées contre eux. Nous travaillons pour une évolution des consciences.
Afrik.com : La FIDH a-t-elle toujours fonctionné de la même manière, depuis 1922 ?
Sidiki Kaba : Elle a adapté ses actions à l’évolution et à la complexité de la lutte pour les droits de l’Homme. La nouvelle situation de lutte contre le terrorisme nous pousse à faire preuve d’une grande ténacité judiciaire. Aujourd’hui, les indépendantistes et les opposants sont présentés comme des terroristes. Nous avons condamné les violations des droits de l’Homme en Tchétchénie, mais la Russie a le soutien des États-Unis. De nombreux pays sont en train de dire qu’il faut lever l’embargo sur les armes contre la Chine. Nous disons que le commerce ne doit pas prévaloir sur les droits de l’Homme.
Il est sans aucun doute nécessaire de lutter contre le terrorisme. Mais nous disons que sécurité et liberté ne s’opposent pas.
Les comptes de la chambre des comptes
GABEGIE ET DÉLINQUANCE D’ETAT
Prévue par la Constitution de 1992, créée de manière purement formelle par une loi du 2 juillet 1997 (nomination d’un seul magistrat) et ayant fait l’objet d’un volet de l’accord de paix du 7 février 2000, la Chambre des Comptes et de Discipline Budgétaire a finalement accouché de son premier rapport général public. Réalité s’en félicite. Nous nous contenterons cette semaine d’en commenter les conclusions et recommandations et entrerons dans le détail de cette caverne d’Ali Baba lors de nos prochaines éditions.
La Chambre des Comptes et de Discipline Budgétaire (CCDB) a démarré ses activités en septembre 2001, date de prestation de serment du premier groupe de magistrats. Depuis, elle aurait instruit 31 affaires, dont 11 concernant l’administration générale et 20 concernant les établissements publics. Ces investigations ont porté sur le contrôle des comptes des comptables, ainsi qu’une appréciation sur la qualité de gestion. Pourtant, dans cet épais rapport de 400 pages, ne figure aucun arrêt, aucune décision définitive ni aucun rapport d’instruction. C’est dommage ! Cela déprécie la qualité juridictionnelle d’un travail fourni et fouillé, comme en témoignent les innombrables graphiques et tableaux. Aucune sanction non plus.
C’est que, nous expliquent les auteurs, et nous n’avons aucune peine à les croire, « la Chambre a été confrontée à des obstacles de tout ordre dans la conduite des audits : absence ou dépôt tardif des comptes, réticence ou refus de collaboration manifestes, versatilité (multiplicité) des comptes déposés auprès de la juridiction. » Pour les auteurs, « ces difficultés qui constituent de véritables entraves pour la mise en œuvre de ses compétences, sont à mettre sur le compte de l’absence de reddition des comptes, absence d’antécédents d’organes de contrôle à Djibouti et surtout de la mauvaise appréciation des responsables administratifs de la ferme détermination des pouvoirs publics dans la mise en place de cette institution. » Allons donc ! Nos magistrats seraient-ils assez naïfs pour le croire au point de le laisser croire dans un rapport officiel ? Que, de son annonce en 1992, à avril 2004 date de son premier rapport général public, cette institution ait mis douze ans pour voir un fonctionnement presque normal, démontre plutôt l’absence de détermination des pouvoirs publics, puisque ces entraves perdurent encore à ce jour.
D’autre part, son avènement a fait l’objet d’âpres négociations avec tous les partenaires impliqués dans le développement économique et social de notre pays, ainsi qu’avec le FRUD-armé. Et son fonctionnement régulier et normal fait chaque année l’objet de tractations avec les bailleurs de fonds, soucieux d’un minimum de transparence dans la gestion des deniers publics et qui en font une condition du déblocage de l’aide au développement.
La preuve en est pourtant apportée par les auteurs eux-mêmes : « du fait que la Chambre ne disposait pas de budget propre, la Présidence fut son premier donateur en lui attribuant, en 2000, le premier lot de matériel de bureau et 650.000 FD pour le financement de l’atelier de sensibilisation en septembre 2000 », c’est dire sa détermination !!! Ce n’est tout de même pas une petite association. Pour le reste, ce sont donc le PNUD, la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement et la Fondation Africaine pour le Renforcement des Capacités qui ont contribué à sa création et à son fonctionnement à hauteur de 510 millions FD. Examinons alors les observations de la CCDB relatives aux contrôles engagés en 2000-2001 ainsi que les rapports sur l’exécution des lois de Finances.
Durant cette période, sept entités (elles ne sont curieusement pas mentionnées) ont été contrôlées par les magistrats, avec des investigations portant sur les recettes et les dépenses. Même si leur rôle s’est limité à de simples constats, ne boudons pas notre plaisir.
Concernant les recettes, la CCDB relève des défauts d’habilitation des agents de services, exerçant la fonction de régisseur sans y être habilités par un arrêté ; défaut de perception et de reversement des droits par les régisseurs, constatant que « dans la majorité des régies, l’ensemble des recettes, prévu par les textes en vigueur, n’est pas recouvré». Plus grave, les auteurs du rapport notent que « l’ensemble des recettes collectées par la régie n’est par automatiquement reversé au Trésor. » Pourquoi ? Parce que dans certains cas, « la confusion s’est introduite par le fait que les chèques sont libellés au nom de l’organe ou de la personne qui a fourni la prestation et non au nom du Trésor : ce qui rend possible la déperdition des dites recettes. Tous ces dysfonctionnements sont rendus possibles par l’insuffisance du contrôle interne. »
Les principes des finances publiques sont donc allégrement violés puisque certains fonctionnaires, comptables de fait, « s’érigent en ordonnateurs en engageant les deniers collectés à des dépenses de leurs services qu’ils jugent utiles ; l’intégralité de ces opérations échappe complètement aux écritures comptables du Trésorier Payeur Général ». Et bien plus grave, la CCDB aurait même été confrontée à « l’existence de caisses parallèles à celle du Trésorier Payeur Général » !
Défaillance dans la tenue des comptabilités, absence de pièces comptables des ordonnateurs et administrateurs de crédits, imputation budgétaire irrégulière, dépassements de crédits, infractions au code des marchés publics… Comment, dans ces conditions, les pouvoirs publics peuvent-ils sérieusement nous affirmer que depuis 1999, la bonne gouvernance serait une préoccupation et la priorité de l’actuel chef de l’Etat ?
Pour illustrer tous ces dysfonctionnements traduisant une tenace délinquance financière et politique, citons un extrait éloquent de ce rapport : « la ligne budgétaire « réhabilitation du quartier 4 » est dotée de 50.000.000 FD en contrepartie du financement du FED à hauteur de 200.000.000 FD. La contrepartie est consommée à hauteur de 25.086.741 FD destiné aux travaux effectués par une société privée au niveau de l’axe du défilé militaire. Ce qui contrevient à l’objet initial du crédit.
La ligne budgétaire 51002203 « Réhabilitation des infrastructures scolaires en zone de conflit » dispose d’un crédit de 150.000.000 FD au titre d’investissements hors-projets. Le crédit est dépensé pour 136.183.166 FD au profit d’une entreprise au titre des « indemnités et intérêts moratoires » dans le cadre du contrat de construction du CES de Balbala en 1997. L’usage du crédit contrevient à la destination initiale. »
Un défilé militaire plus urgent que l’assainissement d’un quartier ou la réhabilitation des écoles dans les zones affectées par le conflit sacrifiée sur l’autel d’un sombre arriéré datant de 1997, ce ne sont que des amuse-gueule.
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