Djibouti, le 11 janvier 2016
« Plus grave que ceux qui se trompent, il y a ceux qui trompent : les ‘’faussaires’’. Ils recourent à des arguments aux quels ils ne croient pas eux-mêmes pour mieux convaincre téléspectateurs, auditeurs ou lecteurs. Ils peuvent croire à une cause mais emploient des méthodes malhonnêtes pour la défendre. (…)
Pire encore : les ‘’mercenaires’’. Ceux-là ne croient en rien, si ce n’est à eux-mêmes. Ils vont adhérer (ou plutôt faire semblant d’adhérer) à des causes, non parce qu’ils sont convaincus de leur bien-fondé, mais parce qu’ils estiment qu’elles sont porteuses, qu’elles vont dans le sens du vent dominant.
(…). La frontière entre ‘’faussaires’’ et ‘’mercenaires’’ n’est pas étanche. Dans tous les cas, tous sont conscients qu’ils sont aux antipodes de l’honnêteté intellectuelle, et ils ne s’en soucient pas pour deux raisons.
La première est que pour eux, la fin justifie les moyens. (…)
La seconde est qu’à partir du moment où ils défendent les thèses dominantes, leurs méthodes répréhensibles ne seront jamais sanctionnées. Pourquoi s’embarrasser de scrupules. » Pascal Boniface (les intellectuels faussaires).
Des journées d’interrogations, des nuits d’insomnies, ballotté entre colère et épuisement. L’image de la petite Soumeya vous poursuit partout. Une enfant de 7 ans. Difficile d’imaginer la douleur et la souffrance des parents. Rien ne pourra combler leur peine.
Que faire ? Que dire ? Comment vivre après avoir été témoin de l’horreur ? Les massacres que les djiboutiens avaient l’habitude de voir sur leurs petits écrans se passent tout près de leurs quartiers voire de leurs habitations. C’était le 21 décembre 2015 dans un quartier ou plutôt une favela de la banlieue de Balballa du nom de Buldhuqo. Le bilan réel des morts, des blessés et des disparus n’est toujours connu. La petite Soumeya est l’une des victimes de cette tuerie. Le lieu du drame est constamment occupé par les hommes en uniformes. C’est devenu une affaire politique. La politique, ce poison qui empoisonne l’Afrique.
Heureusement, la guerre civile que beaucoup de personnes prédisaient ou d’autres espéraient n’a pas eue lieu. Les djiboutiens ne se sont pas entre-tués. La guerre entre clans n’a pas eu lieu. Une chose est sûre. Si le destin de notre peuple reste, encore, entre les mains de ces politiciens qui ne font pas de politique mais plutôt des calculs bassement primaires, alors nous courrons vers un suicide collectif.
Et comme toujours, les professionnels du maquillage et de l’ordre établi à savoir les porte-paroles du pouvoir et les okals triés sur le volet, se sont aussitôt succédés sur les ondes des radios et télévisions nationales et internationales, évoquant des incidents au lieu d’un drame humain. En faisant preuve d’un déni de la réalité ces ‘’faussaires’’ et ces ‘’mercenaires’’ sont aussi criminels que les donneurs d’ordre.
Quelques jours après ce drame je recevais un mail d’un ex-collègue et ami très cher. Il m’écrit «En arrivant au travail, je pensais que tout le monde serait en deuil, objectifs par rapport aux faits, aux circonstances dans lesquelles cette réalité s’est produite et à leurs impacts intenses sur les familles endeuillées.
Quelle désillusion! Quel déclin!
Je n’ai rencontré qu’indifférence, banalisation de la mort, l’ancrage tribal. On parle des différents clans, de généalogie. J’ai entendu tous les noms des clans existant à Djibouti (pour la première fois, on m’apprenait les tribus existantes! Mes parents ne l’ont jamais fait!).
Peu de personnes ont évoqué les morts, les blessés, les disparus. On ne les connait pas ou on ne cherche pas à les connaitre!
On est en train de s’enliser sensiblement dans le chaos. Voilà qu’une autre peur me gagne! Je sens une mutation de l’humanité, les valeurs humanistes s’érodent. On sent une concurrence malsaine dans l’abomination en relativisant, voire en niant la souffrance de l’autre. »
C’est ainsi qu’à chaque fois qu’un drame secoue notre pays un tribalisme structurel et latent refait surface et la fraternité humaine et citoyenne est gommée d’un revers. A l’avenir, il nous faudra des êtres humains avec une conscience mais aussi des femmes et des hommes de dignité qui se lèvent pour dire ça suffit. Basta !
D’ailleurs, dans les circonstances actuelles le silence s’apparente à un crime lorsqu’on refuse à condamner l’horreur. On se doit de dénoncer le crime d’où qu’il vienne (notre parti, notre famille, …). En effet, dans ces moments, on doit prendre parti contre sa famille, son parti, ses amis, … et faire preuve de courage et de lucidité pour condamner toute forme de terreur. Nous en sortirons grandis car demain « nous serons jugés au regard de notre cohérence et de nos résistances »!
Et dire que, ceux qui, hier, brillaient, pour la plupart, par leur silence assourdissant face au drame du 18 décembre 1991 à Arhiba où des citoyens étaient tombés sous les balles des forces de l’ordre, sont ceux qui hurlent le plus aujourd’hui. Une émotion à géométrie variable qu’on doit condamner et dénoncer avec la plus grande fermeté.