Tandis qu’une élection présidentielle est prévue en 2016 à Djibouti, l’actuel chef de l’État, Ismaël Omar Guelleh, laisse toujours planer le doute sur sa candidature. Malgré l’importance qu’il a su donner à son pays sur la scène internationale depuis 1999, son bilan est écorné par de nombreuses atteintes aux droits de l’homme.
Par Paul Laroche.
« Encore deux ans et je m’en irai, mission accomplie ». En avril 2014, c’est l’une des phrases que l’on avait retenues de l’interview du président de la République djiboutien, Ismaël Omar Guelleh (IOG), donnée à l’hebdomadaire français Jeune Afrique. Arrivé au pouvoir en 1999, l’homme fort du pouvoir local n’a cessé d’œuvrer pour que Djibouti, petit État de la Corne de l’Afrique, soit reconnu comme l’un des plus influents sur la scène mondiale. Et vu la concurrence farouche que se livrent les nations afin d’y obtenir une base militaire – le pays se situe à quelques encablures du Yémen et fait la jonction entre le Golfe d’Aden et la Mer Rouge –, on peut dire qu’IOG a réussi son pari. Seulement, plus la prochaine présidentielle approche, et moins l’actuel président semble décidé à partir, qu’importe s’il se contredit.
Un bilan en demi-teinte
Dernier pays à avoir été conquis par ses avantages géostratégiques, la Chine négocie actuellement l’implantation d’une base militaire à Djibouti. « Les discussions sont en cours », a ainsi affirmé IOG, tandis que sur le plan commercial, les relations bilatérales vont bon train. « Les plus grands bateaux de commerce de cette décennie seront chinois. La Chine a donc besoin de protéger leurs intérêts et ils sont les bienvenus », a-t-il ajouté.
En échange, Djibouti a su obtenir de la République populaire de Chine (RPC) « une coopération militaire élargie pour lui permettre de renforcer les capacités opérationnelles de ses forces armées, afin de préserver la sécurité dans le pays et de l’aider à consolider la paix et la sécurité dans la sous-région », d’après Hassan Darar Houffaneh, le ministre djiboutien de la Défense. Preuve qu’IOG sait tirer profit des avantages stratégiques offerts par son pays. La RPC vient en tout cas de s’ajouter au concert des nations présentes dans la Corne de l’Afrique, en tête desquelles se placent la France et les États-Unis.
Mais le Djibouti d’IOG, ce n’est pas seulement le hub régional et la porte ouverte vers l’Orient qu’il est devenu. Fréquemment, le gouvernement est accusé d’avoir recours à des méthodes peu soucieuses des droits de l’homme, au premier rang desquels la liberté de la presse. En février dernier, l’ONG Reporters sans frontières (RSF) publiait son bilan annuel en la matière ; classé 170ème sur 180 pays recensés, Djibouti pâtit des arrestations arbitraires de journalistes pratiquées par les pouvoirs publics. Le cas de Moustapha Abdourahman Houssein, cité par RSF, est de ce point de vue révélateur : arrêté en 2013 parce qu’il couvrait une intervention policière, il avait été relâché avant de se faire de nouveau arrêter le lendemain. D’après l’ONG, qui parle de « harcèlement systématique », « le gouvernement ne se donne même plus la peine de dissimuler son intention de persécuter l’unique média indépendant du pays » – la Voix de Djibouti.
« IOG promet tout mais ne donne rien »
La liberté politique n’est, de son côté, pas mieux assurée. Depuis que l’État a obtenu son indépendance de la France en 1977, la vie politique a toujours reposé sur un système à parti unique. Et ce malgré l’adoption, en 1992, d’une constitution prévoyant un « multipartisme partiel ». En 2013, par exemple, à l’issue des premières élections législatives auxquelles participait l’opposition, une crise a éclaté sur fond de trucage électoral, « bourrage d’urnes » ou encore expulsions des bureaux de votes pour les opposants au président djiboutien.
Durant les manifestations pacifiques qui ont suivi, de nombreuses personnes ont été arrêtées, souvent de manière arbitraire. Aujourd’hui, afin d’exister, les partis d’opposition se sont regroupés au sein d’une même formation : l’Union de salut national (USN). Tous reprochent au président IOG sa volonté de s’accrocher au pouvoir, en dépit de ses déclarations de 2014 au média Jeune Afrique ; cela fait plusieurs mois que l’opposition réclame la formation d’une commission électorale nationale indépendante (CENI) à Djibouti, comme c’est le cas au Burundi et au Burkina Faso.
En tenant compte, également, de la récente élection nigériane, fin mars dernier, qui a porté au pouvoir Muhammadu Buhari et en a écarté Goodluck Jonathan, l’Afrique semble donc connaître un souffle politique nouveau. Le peuple djiboutien, ainsi que l’opposition politique, aimeraient qu’il en soit ainsi dans leur pays. Malgré l’accord-cadre conclu en décembre 2014 entre le parti présidentiel et l’USN, celle-ci estime qu’elle n’a pas les moyens de progresser, IOG promettant tout mais ne donnant rien, selon le mot d’Ahmed Youssouf Houmed, président de l’USN.
Mais qui dit président ne dit pas nécessairement chef incontestable. C’est, en effet, ce qui manque peut-être à l’opposition djiboutienne, aujourd’hui. D’après Jeune Afrique, « même si, dans l’opposition, les volontaires prêts à faire don de leur personne ne sont pas rares, nul n’émerge ni ne rassure vraiment – soit parce qu’ils ne sont pas encore arrivés à maturité, soit parce que leurs alliances potentielles avec les mouvements islamistes inquiètent ».
Seulement, si pour certains le départ d’IOG du pouvoir en 2016 entraînerait un saut dans l’inconnu, la plupart estime que la situation politique interne n’irait qu’en se dégradant si l’actuel président était maintenu dans ses fonctions ou, pire, si l’élection présidentielle n’avait tout simplement pas lieu. Après avoir fait de « son » pays l’un des acteurs les plus importants de la région, IOG le transformerait en poudrière de l’intérieur. Là réside tout le paradoxe de l’homme.
Sources
http://www.opinion-
http://www.rfi.fr/afrique/
Source de cet article : contrepoints.org