A l’abri des conflits qui déchirent la région, Djibouti était un modèle d’émergence dans une Afrique de l’Est tourmentée. Son potentiel n’avait de cesse de faire des envieux, si bien que son dirigeant se voyait déjà à la tête du Dubaï africain. Pourtant, la gestion calamiteuse du pays l’a fait passer à côté de l’essor que tous prévoyaient.
Surendettement, multiplication d’alliances contradictoires, pauvreté endémique, la république de la corne d’Afrique est en passe de devenir le plus gros gâchis du continent.
Réélu en avril dernier pour un quatrième mandat, alors qu’il avait promis de se retirer à l’issue du troisième, Ismaïl Omar Guelleh (IOG) poursuit sa politique de rente de situation. Les options étaient limitées dans un petit territoire (23 000 km2) très aride, où l’agriculture est quasi inexistante, les ressources minières limitées et l’industrie peu développée. Ce choix a permis à Djibouti d’afficher une dynamique économique portée par la croissance du PIB et des investissements étrangers. Cependant, malgré une croissance de près de 5 % sur les dernières années, le pays est gangréné par l’extrême pauvreté, qui touche encore 42 % de la population locale. Avec un taux de chômage très important (environ 60 %), de fortes inégalités et un faible niveau d’éducation, le pays n’a pas su transformer l’essai et assurer son essor. Si bien que Djibouti occupe le 170ème rang de l’indice de développement humain des Nations unies.
Afin de pallier cette fragilité de nature, Guelleh a choisi de multiplier les rapprochements stratégiques, dont le dernier avec le géant chinois. Dès février 2014, Djibouti organise un partenariat stratégique avec Pékin. Puis, tout au long de 2015, on a pu voir l’entrisme chinois s’apparenter de plus en plus à de l’emprise. Aujourd’hui, le président djiboutien semble prêt à toutes les concessions pour plaire à son homologue chinois. La signature avec Pékin d’un accord de libre-échange permettant à la Chine d’utiliser ces installations portuaires à Djibouti à des fins de base de transit a consacré l’assise géographique de son allié, alors que la mise en place d’un cadre légal permettant, « l’afflux rapide de banques chinoises à Djibouti », selon le communiqué officiel, consacre son assise économique. Et pour cause. Il prévoit la création d’une chambre de compensation qui permettra de « ne pas perdre de devises dans les échanges avec la Chine », explique la présidence djiboutienne.
Malgré ces initiatives, Djibouti peine à tirer son épingle du jeu. Les faibles taxes et le recours systématique à une main d’œuvre importée limitent largement les retombées des projets menés au côté de Pékin. De plus, afin de correctement mesurer les montants accordés à titre d’aide au développement par la Chine, il faut également considérer le poids de leur répartition. Au vu des conditions des prêts consentis, on s’explique plus aisément cette économie à deux vitesses, avec une croissance stable mais un taux de pauvreté et de corruption élevé, pour une croissance sans développement. Devant les réticences de sa population et les mises en garde de ses alliés historiques, Guelleh affirme que « la Chine a le droit de défendre ses intérêts comme tout le monde » tout en se félicitant que les Chinois soient leurs « plus grands investisseurs ». Il se vente même d’être la capitale de la « Chinafrique ». Mais quel retour Djibouti obtient-elle en contrepartie de cet accueil ?
Actuellement, les handicaps structurels de son économie ne sont pas soignés mais uniquement compensés à court terme par la « bienveillance » chinoise. Selon les prévisions du FMI, la dette publique extérieure du pays culminera à 79 % du PIB en 2017 et « la ligne fiscale actuelle semble intenable ». Les premières inquiétudes apparaissent alors même que le pays n’a pas débuté le remboursement du capital des principales dettes contractées auprès de l’Exim Bank China, à des taux que les autres pays africains n’acceptent plus – un remboursement prévu en dix ans, sans période de grâce, à un taux d’intérêt supérieur à 5 %. Le surendettement n’est plus une fiction – ni même une menace lointaine. Le port international de Djibouti, poumon de l’économie nationale, a déjà été cédée à hauteur de 23,5 % à la société China Merchants Holdings International.
A cela, il faut ajouter une donne diplomatique de plus en plus complexe. Pour les alliés historiques du pays, l’arrivée à une telle échelle des Chinois dans le jeu régional est un signal très négatif. Un incident diplomatique avec les Emirats arabes unis a déjà valu à Djibouti de perdre les projets de bases des pays sur son territoire au profit de l’Erythrée, le grand rival. L’Inde, qui caressait elle aussi un projet d’implantation dans le pays s’est finalement tournée vers l’Arabie Saoudite, après l’annonce de l’établissement de près de 10 000 militaires chinois dans une base à Djibouti. Pour leur part, les États-Unis manifestent ces dernières années une volonté croissante de désengagement. Un total désengagement signifierait la perte de la modique somme de 63 millions de dollars par an pour le « loyer » de Camp Lemonnier. En outre, l’allié le plus ancien de Djibouti, la France, a elle-aussi commencé à envisager une rupture.
A ce rythme, Djibouti risque de se retrouver nu et vulnérable plus rapidement que prévu – et le pari de Pékin est sans doute d’isoler son pied à terre afin de s’y rendre indispensable. Avec ça, le risque de vassalité s’accentue encore. Mais au-delà, le rapprochement avec Pékin venait d’un désir de multiplier ses associations. Une dynamique qui aujourd’hui s’inverse clairement. Aussi, si la croissance chinoise continue de ralentir, Djibouti pourrait payer le prix fort du fait de cette dépendance excessive. Au-delà des crises diplomatiques – avérées et à venir – qui le pays traverse, il a vu un nombre croissant d’entreprises occidentales se désengager récemment, en raison de l’autocratisme du régime d’IOG. Une dynamique dangereuse pour un pays qui cherchait justement à diversifier ses partenariats pour sortir du tête-à-tête qu’il a longtemps entretenu avec une poignée de pays.
Fin