Avec l’espoir d’arriver un jour en Arabie saoudite et d’y gagner leur vie, des milliers d’Oromo quittaient l’Ethiopie, avant la pandémie de Covid-19, pour se lancer, à pied, dans une traversée infernale. Le photographe Oliver Jobard les a suivis dans leur calvaire.
Jean-Philippe Rémy
Johannesburg – correspondant régional – C’est une route de souffrance, de mort, d’espoirs trompés : elle rase le Bab Al-Mandab, la « porte des larmes » (ou des lamentations), dont le nom, figurativement, désigne l’entrée de la mer Rouge, entre l’Afrique et la péninsule Arabique. Une étape le long d’une route de plusieurs milliers de kilomètres, empruntée par des damnés venant d’Ethiopie qui bravent la mort pour se rendre en Arabie saoudite.
Les hommes et les femmes, souvent très jeunes, très pauvres, qui traversent, à pied, les étendues minérales de Djibouti ou la zone côtière du sud du Yémen, appartiennent presque tous au groupe des Oromo, le plus important d’Ethiopie, dont ils constituent environ le tiers de la population (quelque 30 millions de personnes). De leurs campagnes, ils tentent de rejoindre les pays du Golfe dans l’espoir d’y trouver du travail. Pour cela, il faut passer à travers le Yémen, plongé dans la guerre civile depuis 2015
Le désert brûlant en tongs
Fin 2019, Charles Emptaz et Olivier Jobard ont sillonné la partie la plus dure de cette route. Arrivés d’Ethiopie, des centaines d’hommes et de femmes traversent à pied la frontière de Djibouti pour gagner la côte. Ils avancent, certains en tongs, en bermuda, dans ce désert de roches brûlantes. Ceux qui survivent atteignent le golfe d’Aden. Ils s’y embarquent à bord de boutres jusqu’à Ras Al-Arah, sur la côte sud du Yémen.
Les candidats au monde meilleur passent sur l’autre rive, changent de continent. Certains vont être enlevés, torturés, rançonnés. De cette traversée de l’enfer, les deux journalistes ont rapporté un documentaire rare, d’une tristesse qui prend à la gorge (Yémen : à marche forcée, 2019, disponible en replay sur Arte.tv).
Lorsque ce travail a été réalisé, plus de 20 000 personnes passaient chaque mois, sans aide extérieure, organisations humanitaires ou témoins. Désormais, la « route de la mort » est coupée. Ce que l’épidémie de choléra, qui a endeuillé le Yémen ces dernières années (plus de 1 million de cas, 2 000 morts) n’était pas arrivée à faire, le Covid-19 y est parvenu : les passeurs yéménites ont cessé leur activité. Restent, en souffrance, des milliers de ces voyageurs bloqués à Aden, les plus abandonnés des abandonnés.