TRIBUTE TO JEAN-PAUL ABDI NOEL
A l’heure où le gouvernement menace et intimide les populations du nord au sujet d’une insécurité supposée qu’il crée ou entretient tout en vantant les mérites d’Obock comme terre d’asile pour les réfugiés du Yémen en réclamant un soutien international…, c’est peu de dire que tu manques à un peuple debout et en lutte pour la conquête de ses droits politiques, économiques et sociaux. Droits que tu as défendu jusqu’au dernier hoquet…
Repose en Paix noble âme, ton peuple saura s’en souvenir et saura te rendre l’hommage que tu mérites à l’occasion de l’inéluctable et inch’Allah prochaine Alternance!16
Tes inquiétudes( ci-dessous) à la veille des Présidentielles 2005 sont plus que jamais d’actualité et résonnent comme une ultime contribution à l’alternance que tu as tant souhaitée.
Extrait du n°127 de « Réalité » du mercredi 23 février 2005
Présidentielle 2005 : la LDDH s’inquiète pour la paix civile
Se posant de légitimes questions quant au devenir de notre pays avant, pendant et après l’échéance électorale à venir, la Ligue Djiboutienne des Droits Humains a publié la note d’information ci-dessous reproduite, à l’intention de la Fédération Internationale des Droits Humains (FIDH). Il nous a semblé utile que nos concitoyens en prennent également connaissance.
DU 20 FEVRIER 2005
SUR LE REPORT DES ELECTIONS PRESIDENTIELLES
1) Histoire coloniale
L’actuelle République de Djibouti est devenue une colonie française avec le traité de 1862.
Après qu’un contentieux avec les autorités indigènes ait conduit la France à quitter la rade d’Obock, c’est autour de la nouvelle ville de Djibouti, créée pour les besoins du chemin de fer à destination de l’Éthiopie, que des populations en quête de travail se sont rassemblées, devenant ainsi des citoyens français.
Aux fins de pérenniser sa présence, face aux résistances de toutes origines, la puissance coloniale a mis en place une politique de balance entre les différentes composantes, au gré des rapports de force.
Politique de division qui se retrouve dans les différentes dénominations du territoire : Territoire d’Obock et Dépendances, Côte Française des Somalis et Territoire Français des Afars et des Issas. Changements de dénomination qui allaient déterminer tout le processus de décolonisation.
2) Processus de décolonisation
Bien malgré elle, la présence coloniale allait provoquer une remarquable élévation de la conscience de classe, à travers la naissance des premiers syndicats de travailleurs dès 1948, plaidant pour une égalité de traitement avec les travailleurs métropolitains.
Après des révoltes sporadiques et circonscrites dans l’arrière-pays contre la puissance coloniale, les premiers mouvements massifs de décolonisation apparaissent à partir de 1958 dans la Capitale.
Au référendum sur l’autodétermination de cette année-là, Mahmoud Harbi avait appelé à voter Non contre la présence française. Après cet échec, Mahmoud Harbi décide de s’exiler.
Le référendum de 1967 donnera officiellement le même résultat en faveur du maintien de la présence française, grossissant un peu plus les rangs du FLCS (Front de Libération de la Côte des Somalis) créé dès 1963.
3) Indépendance
Après ces deux échecs, la lutte pour l’indépendance allait connaître un renouveau décisif avec la création de la LPAI (Ligue Populaire Africaine pour l’Indépendance). Toutefois, derrière sa façade unitaire, la suite des événements allaient rapidement démontré que tous ne combattaient pas exactement pour la même cause : celle de l’unité nationale.
4) Instauration du parti unique
Les divergences au sein de la LPAI ont éclaté au grand jour dès les premiers mois de l’Indépendance. A la suite d’un attentat contre le Palmier en Zinc, le nouveau régime procède à une vaste répression dans la communauté afar. Ce qui conduit le Premier ministre Ahmed Dini à présenter sa démission. Tandis qu’une partie de la jeunesse de cette communauté choisit l’exil et la lutte armée. Tous les attentats déstabilisateurs restent évidemment encore dans l’impunité la plus absolue car profitable pour un groupe.
Au congrès du 4 mars 1979, la LPAI se transforme en RPP (Rassemblement Populaire pour le Progrès). En vertu d’un multipartisme hérité des textes juridiques de la période coloniale, certains hommes politiques tentent de mettre sur pied un parti politique dénommé PPD (Parti Populaire Djiboutien) en septembre 1981. Ils seront emprisonnés dans différentes casernes de l’Armée dans le Nord et le Sud du pays. En corollaire, tous les partis politiques autres que le RPP sont interdits par une loi de mobilisation générale en octobre 1981.
II) HISTORIQUE DES CONFLITS ARMÉS
1) Premier conflit dès 1977
Une partie de la jeunesse du MPL (Mouvement Populaire de Libération) et de l’UNI (Union Nationale pour l’Indépendance) choisit de combattre le nouveau régime par les armes. Ainsi est née le FDLD (Front Démocratique de Libération de Djibouti), basé en Ethiopie. Mais devenu un petit pion sur le grand échiquier régional, et malgré quelques actions militaires plus symboliques qu’efficaces, ce mouvement se désagrège dès 1983 et l’essentiel de ses membres regagne le pays. Pour la plupart, ils y seront sauvagement torturés, puisque aucune loi d’amnistie les concernant n’avait été votée, ni même envisagée.
2) Du FRUD aux FRUD
Malgré cela, la situation intérieure n’évolue pas dans le sens d’une pacification. Le parti unique, caractérisé par une politique de ségrégation tribale et un étouffement des libertés, provoque à nouveau une résistance armée. Un coup d’Etat est avorté en janvier 1991. Suite à la fusion de trois mouvements, le FRUD (Front pour la Restauration de l’Unité et de la Démocratie) naît en août 1991 et déclenche des opérations militaires de grande envergure dès novembre de la même année. Son programme est relayé par une opposition pacifique connue sous le nom de FUOD (Front Uni de l’Opposition Djiboutienne), donnant une dimension nationale à ce qui est présenté condonnant une dimension nationale à ce qui est présenté comme un combat contre la dictature du parti unique. Des exactions perpétrées contre les civils par les troupes régulières un peu partout dans le pays accompagnent chaque succès militaire du FRUD. Après avoir rapidement conquis les ¾ du pays, le FRUD voit son offensive bloquée par une médiation française qui n’aboutira pas. Chassé des zones qu’il contrôlait à la suite d’une offensive générale des troupes gouvernementales, le FRUD connaît de profondes dissensions internes. Une partie importante de ce mouvement signera avec le gouvernement un accord de paix en décembre 1994. Lequel accord prévoyait, entre autres, un rééquilibrage ethnique et une décentralisation territoriale. Des responsables de cette faction entrent d’abord au gouvernement, puis à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une alliance avec le RPP. Aucune réforme démocratique n’est initiée dans le cadre de cet accord qui n’a même pas été dûment soumis à l’Assemblé nationale pour ratification, contrairement au suivant. L’autre faction continue sa lutte armée jusqu’à ce qu’un accord-cadre soit signé entre elle et le gouvernement le 7 février 2000 à Paris. Une troisième faction verra alors le jour, contestant le bien-fondé de cette initiative de paix et lui préférant l’exil, en attendant la reprise de la lutte armée.
3) L’Accord de paix du 12 mai 2001
Ce premier pas initié à Paris conduit à des négociations à Djibouti entre le gouvernement et la faction désormais dénommée FRUD-armé. Au bout d’un an, elles aboutissent à la signature d’un accord de paix définitive le 12 mai 2001. Outre la réhabilitation des zones affectées par le conflit et l’indemnisation des biens civils détruits ou pillés par les troupes gouvernementales, les deux volets les plus importants de cet accord prévoient
a) une réelle décentralisation territoriale,
b) d’importantes réformes démocratiques, à travers l’accès à la citoyenneté pour tous les citoyens privés de pièces d’identité et la transparence électorale qui a toujours fait défaut à grâce au multipartisme intégral, la mise en place d’une Commission Electorale Nationale Indépendante et le réforme d’un Conseil constitutionnel uniquement et directement intégré au pouvoir en place dans le contexte actuel.
III) LES ÉLECTIONS DEPUIS LE RÉFÉRENDUM
SUR LA CONSTITUTION DE SEPTEMBRE 1992
1) Tenue du référendum dans un contexte de partition du pays
Sommé par la communauté internationale de procéder à une ouverture démocratique, le régime met en place une Constitution qui sera adoptée par référendum en septembre 1992. Mais, à cette époque, l’essentiel du pays était sous contrôle du FRUD qui avait d’ailleurs appelé au boycott à travers le FUOD
2) Législatives du 18 décembre 1992
Profitant de la relative ouverture politique, deux nouveaux partis ont vu le jour : le PRD (Parti pour le Renouveau Démocratique) et le PND ( Parti National Djiboutien). Seul le PRD a participé avec le RPP aux législatives du 18 décembre 1992. Ce parti d’opposition en a par la suite contesté les résultats, dénonçant des fraudes massives.
3) Présidentielle de 1993
Outre trois autres outsiders, deux concurrents s’affrontent : le Président sortant Hassan Gouled, dont c’était là le troisième mandat anticonstitutionnel, et celui du PRD, M. Mohamed Djama Elabé. Là encore, le représentant de l’opposition a contesté le résultat.
4) Présidentielle de 1999
Toute l’opposition, y compris le FUOD qui avait jusqu’à présent boycotté chaque consultation électorale, se range derrière son candidat unique, M. Moussa Ahmed Idriss, face à celui du régime, neveu de Hassan Gouled et son chef de cabinet depuis 1977 : M. Ismael Omar. Aux fraudes aussitôt dénoncées, succède un assaut de la Police contre le domicile du candidat malheureux, au cours duquel son fils adoptif tombe sous les balles des policiers et lui-même arrêté et jeté en prison.
5) Législatives de janvier 2003
Avec l’instauration du multipartisme intégral à partir de septembre 2002, cinq nouvelles formations politiques voient le jour, dont deux rejoindront le camp du régime : il s’agit du PSD (Parti Social Démocrate) et du PND (Parti National Djiboutien). Les quatre autres, l’ARD (Alliance Républicaine pour le Développement), l’UDJ (Union pour la Démocratie et la Justice) le MRD (Mouvement pour le Renouveau Djiboutien) et le PDD (Parti pour la Démocratie et le Développement) concluront une alliance de l’opposition dans le cadre de l’UAD (Union pour l’Alternance Démocratique) lors des législatives de janvier 2003.
De multiples fraudes ont, encore une fois, été constatées et dénoncées : 52% du corps électoral ne s’étant même pas rendu aux urnes, soit faute de carte d’électeur, soit pour la majorité des cas n’ayant plus du tout confiance dans la sincérité, à la transparence du processus électoral. L’ensemble de ces fraudes a été consigné dans un dossier de recours en annulation déposé par l’UAD auprès du Conseil Constitutionnel. Une fin de non-recevoir lui a été opposée, malgré les preuves flagrantes, dont les moindres ne sont pas les brutalités contre les délégués de l’opposition, les détournements des urnes par l’Armée ou encore un représentant de la CENI pris en flagrant délit de bourrage d’urne à Tadjourah. Sans oublier le fait que les membres de ladite CENI n’ont jamais rédigé un rapport final : celui officiellement remis au chef de l’État par son président est donc manifestement un faux établi en dehors de toute légalité.
IV) FAUT-IL CAUTIONNER
LA PROCHAINE ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE ?
1) Les réformes démocratiques prévues par l’Accord sont-elles effectives ?
Pour le gouvernement, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, fier d’une paix des armes somme toute bien précaire. Il affirme avoir respecté tous ses engagements afin de consolider la paix
2) Le point de vue de l’opposition
Pour sa part, l’autre partie signataire de l’accord de paix du 12 mai 2001 dénonce inlassablement les multiples violations perpétrées par le gouvernement et l’ayant vidé de toute réalité. De fait, deux points méritent d’être soulignés.
D’une part, la décentralisation, même sous sa forme amendée par l’Assemblée nationale, n’a toujours pas été mise en place, malgré les promesses gouvernementales. Les actuels conseils régionaux désignés par la Présidence de la République sont loin de satisfaire les profondes aspirations des populations, surtout que la population de la Capitale en est pour le moment exclue.
D’autre part, les réformes démocratiques prévues n’ont pas connu non plus l’application attendue : la mise en place de la CENI a été menée unilatéralement par le régime, la distribution des pièces d’identité nationale reste marginale et discrétionnaire, le Conseil constitutionnel n’a pas été réformé et la transparence électorale est loin d’être garantie, d’autant plus, que depuis sa timide mais courageuse décision d’annuler en 1993 quelques Bureaux de vote, le Conseil Constitutionnel s’est depuis lors fait valoir d’inefficacité face aux fraudes et aussi, et surtout, les risques de répressions restent très menaçants.
3) Le point de vue de la population
Si l’on considère les seuls chiffres officiels, pourtant contestés par l’opposition, 45% du corps électoral auraient désavoué le régime lors des législatives de janvier 2003. Le boycott prôné par l’UAD (Union pour l’Alternance Démocratique) rencontre un écho favorable au sein de tous ceux qui avaient estimé que leur alliance avait été spoliée de sa victoire à l’époque et qui ne désirent pas renouveler cette douloureuse expérience de frustration prévisible.
V) QUE FAIRE FACE À UN RÉGIME
QUI AFFECTE (TOUS TRÉSORS CONFONDUS) 47% DU BUDGET NATIONAL
À SES FORCES DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ ?
Force est de regretter que le régime djiboutien n’accorde ni crédits ni importance à la consolidation de la démocratie et d’une culture de paix, comme ce devrait être le cas pour tout pays sortant d’un conflit civil. Plus grave, l’impunité la plus totale est accordée aux soldats qui s’étaient rendus coupables d’exactions contre les civils.
L’ouverture démocratique reste donc introuvable, même au niveau de la liberté syndicale autant bafouée que par le passé : la notion de société civile, dont la vitalité conditionne la valeur démocratique d’un système politique, n’a aucune réalité palpable à Djibouti
A côté de cela, la plus grande opacité demeure dans la gestion des deniers publics. D’ailleurs,
– où passe le budget du Port, celui de l’Aéroport, et autres dons extérieurs ?
– à combien s’élève la contribution des forces militaires amies et présentes en République de Djibouti ?
– combien y a-t-il exactement de Trésors publics, dès lors qu’existent différentes comptabilités opaques pour ne pas dire occultes ?
VI) RECOMMANDATIONS
Face à ces conditions, la Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) reste réservée et inquiète quant au bon déroulement de la prochaine présidentielle d’avril 2005, que l’opposition s’est engagée d’empêcher tant que le régime continuera à ignorer ses exigences en matière de transparence électorale. C’est pourquoi, craignant plus que jamais pour une paix civile menacée, la LDDH aurait souhaité le report pur et simple de la prochaine présidentielle.
Si le régime persiste à ignorer le profond malaise et si l’opposition (notamment l’ARD, (Alliance Républicaine pour le Développement), continuité historique du FRUD-armé partie signataire de l’Accord de Paix du 12 mai 2001), maintient son mot d’ordre de boycott actif, il est clair que l’on s’achemine vers une période d’incertitude qui risque de gravement remettre en cause la fragile paix civile.
Dès lors,
1) face à la permanence des fraudes électorales depuis le référendum de septembre 1992 ;
2) face à la persistance d’un régime quasiment despotique violant sans vergogne et constamment les droits fondamentaux, les droits économiques, politiques, sociaux et culturels ;
3) face à la régression juridico sociale imposée par un système fondé sur le mensonge et l’inexistence du principe de la Séparation des Pouvoirs ;
4) face au refus méprisant d’accorder une quelconque considération à tout dialogue avec l’opposition nationale et les forces vives du pays ;
5) face à l’inexistence d’une Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) véritablement indépendantes et d’une Chambre des Comptes et de Discipline Budgétaire véritablement opérationnelle ;
6) conformément à la mission, de tout défenseur des Droits de l’Homme, consistant à la prévention des conflits ;
7) Tenant compte des récentes déclarations radiotélévisées et aux aspects belliqueux du ministre de l’Intérieur « escortées » par la visite du chef de l’État dans un camp militaire avec « un bâton de maréchal » rappelant tristement Mobuto et les dérives impardonnables à l’encontre du peuple Zaïrois ;
8) constatant que toute velléité d’indépendance en matière syndicale est étouffée par ce régime qui ne conçoit de société civile qu’à son service ;
la Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) considère qu’il est de son devoir le plus urgent d’attirer l’attention de la communauté nationale et internationale sur la situation potentiellement et réellement explosive qui prévaut aujourd’hui en République de Djibouti ;
La Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) ne peut qu’exiger le report d’un an de cette élection présidentielle, afin :
1) d’instaurer des conditions favorables à des processus électoraux réellement transparents ;
2) de procéder à la refonte effective des listes électorales avec la participation de tous les partis politiques et la présence des Observateurs internationaux notamment ceux des Défenseurs des Droits de l’Homme ;
3) d’instaurer un gouvernement de transition chargé de la mise en place de tous les processus électoraux et du bon déroulement des élections indépendantes pour la Magistrature suprême (élection présidentielle) ;
4) d’organiser rapidement les élections des Assemblées Régionales promises par l’actuel chef d’Etat pour la fin de l’année 2004 ;
5) d’éviter toutes les interférences illégales des Forces armées et des instances juridico-administratives en faveur flagrante à l’équipe au pouvoir ;
6) de rendre rapidement opérationnel le Tribunal du Contentieux administratif afin que tout recours contre les abus de pouvoir soient pris en considération.
Sans l’instauration des conditions favorables à une concurrence électorale loyale, juste et équitable ;
Sans l’éradication des fléaux des fraudes électorales, alors les dangers des dérapages sanglants et les risques de conflit armé sont plus que jamais omniprésents.
NOEL ABDI Jean-Paul