Source: Trois footballeurs djiboutiens veulent demander l’asile en France (lemonde.fr)
Ces membres de l’équipe nationale, qui ont fait défection lors d’une escale à l’aéroport d’Orly, avancent plusieurs raisons pour justifier leur crainte de rentrer au pays.
Ils s’appellent Bilal Ahmed Hassan, Nasradine Abdi Aptidon et Omar Elmi Aboubaker. Ces trois footballeurs djiboutiens sont en France depuis le 3 septembre après avoir fait défection lors d’une escale effectuée à l’aéroport d’Orly par l’avion qui devait conduire l’équipe nationale au Maroc.
La veille au soir, dans la ville algérienne de Blida, les Requins de la mer Rouge s’étaient inclinés 8-0 face aux Fennecs, champions d’Afrique en titre, lors de la première journée du second tour des qualifications pour la Coupe du monde 2022. Et la sélection devait rejoindre Rabat, au Maroc, pour y affronter le Niger le 6 septembre, son stade de Djibouti n’ayant pas été homologué par la Confédération africaine de football (CAF) pour accueillir des rencontres internationales.
Mais à Orly, les trois joueurs ne sont pas remontés dans l’avion. « Ils n’avaient rien prémédité avant le match en Algérie. C’est lors du voyage, quand ils ont appris qu’ils feraient escale en France, qu’ils ont décidé d’y rester. Ils avaient peur d’être la cible de représailles des autorités locales en raison de l’ampleur de la défaite », rapporte Jean-Loup Schaal, le président de l’Association pour le respect des droits de l’homme à Djibouti (ARDHD).
Le reste de l’équipe est rentré après la rencontre face au Niger, laquelle s’est également conclue par une défaite des Djiboutiens (2-4). Officiellement, aucun joueur n’a été inquiété une fois de retour au pays. Mais les trois internationaux avancent plusieurs explications pour justifier leurs craintes et leur décision de rester.
« Dérive autoritaire »
Omar Elmi Aboubaker, milieu de terrain de 29 ans, joue pour le club de la Garde républicaine. A ce titre, il affirme au Monde Afrique avoir « déjà dû subir des menaces et des pressions après une défaite de la sélection ». Il évoque « des insultes, des coups et des enfermements de plusieurs jours, avec seulement de l’eau et très peu de nourriture, des marches forcées nocturnes, parce que tu n’as pas fait honneur au drapeau ou en cas de défaite du club de la Garde républicaine ».
Mais la débâcle face à l’Algérie ne serait pas l’unique raison, selon Jean-Loup Schaal, qui mentionne « la dérive autoritaire du régime djiboutien, qui accepte mal toute forme de critique ». Or Omar Elmi Aboubaker y a déjà été exposé, à sa façon, en tant que membre de la Garde nationale. Il rapporte avoir été contraint de procéder à des arrestations en pleine nuit, y compris de ses propres cousins, et plus généralement de personnes « ayant juste donné un avis sur le régime sur Facebook, disant qu’elles aimeraient un nouveau président de la République ».
Nasradin Abdi Aptidon, 27 ans, gardien de but à l’AS Port (un club de la capitale), a décidé de ne pas rentrer à Djibouti pour d’autres motifs. « Il a été décidé par un colonel de police que je rejoindrais le club de la Police nationale et que je deviendrais policier, ce dont je n’avais pas envie. On m’a obligé à vivre plusieurs jours dans une caserne de la police avant de rejoindre la sélection nationale pour les matchs de septembre, sans que je puisse voir ma famille », raconte-t-il.
Enfin, Bilal Ahmed Hassan, 28 ans, est également gardien et porte les couleurs du club de la Gendarmerie nationale, à laquelle il appartient.
Un visa de six mois ?
Ce n’est pas la première fois que des sportifs africains s’évaporent à la faveur de compétitions internationales. En 2009, l’équipe de football d’Erythrée avait demandé l’asile au Kenya après avoir perdu 4-0 contre la Tanzanie en quart de finale de la Coupe d’Afrique de l’Est et d’Afrique centrale (Cecafa). Lors des Jeux du Commonwealth organisés à Manchester en 2011, la délégation sierra-léonaise était repartie avec seulement dix de ses trente représentants. Et aux Jeux olympiques de Londres, en 2012, ce sont sept athlètes camerounais et trois membres de la délégation ivoirienne qui s’étaient volatilisés.
Les trois footballeurs djiboutiens, après s’être rendus à la police française, ont été placés en zone de transit pour une durée de quatre jours. Le tribunal de Créteil a ensuite accepté qu’ils quittent l’aéroport, munis d’un visa temporaire de huit jours, afin de répondre aux questions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Ils ont finalement été autorisés à rejoindre des membres de leur famille en Ile-de-France ou en province.
Les trois joueurs sauront vendredi 17 septembre s’ils bénéficient ou non d’un visa temporaire de six mois. « Nous sommes optimistes. Si ce visa leur est accordé, ils pourront monter leur dossier [de demande d’asile], toucheront un petit pécule et auront accès aux soins via l’assurance maladie, explique un proche. Mais à Djibouti, il y a une forte pression sur leurs familles. C’est pour ça que d’autres joueurs, tentés par la même démarche, y ont renoncé. »
Un joueur du championnat djiboutien, sous couvert d’anonymat, précise que « l’affaire a fait beaucoup de bruit à Djibouti » et « leur souhaite d’obtenir l’asile en France, car ce serait très sans doute compliqué pour eux s’ils revenaient ».