Source: Le piège de la diplomatie chinoise de la dette s’est refermé sur Djibouti La Diplomatie.fr
À Djibouti, le piège chinois semble s’être renfermé. Après le Sri Lanka, c’est au tour du petit État d’Afrique de l’Est de tomber dans l’escarcelle chinoise qui possède, en 2021, 70 % de la dette du pays. L’un des principaux risques de cette dépendance est, pour Djibouti, de voir ses actifs stratégiques être petit à petit récupérés par Pékin. Le premier d’entre eux, le port de Djibouti aiguise les appétits chinois, qui joue des coudes pour s’y installer en imposant ses vues au président Guelleh.
Une pluie de liquidités pour des arrière-pensées stratégiques
En 2019, la Chine s’est imposée comme le premier fournisseur de Djibouti, avec 36,6 % des importations. L’influence économique grandissante de la Chine est particulièrement visible avec la hausse des échanges commerciaux sino-djiboutiens, qui ont explosé entre 2000 et 2019, passant de 10,4 millions de dollars à 1,1 milliard. Ismaïl Omar Guelleh, l’autocrate djiboutien au pouvoir depuis 1999, ne cache plus sa déférence envers la Chine. Et n’a pas de mots assez durs pour Paris. « Les Chinois sont (…) les seuls à investir chez nous dans tous les domaines. Les Français et les Européens sont largement aux abonnés absents » a-t-il ainsi affirmé à Jeune Afrique le 4 avril 2017. Depuis, deux visites bilatérales, l’une d’Emmanuel Macron à Djibouti en mars 2019 et l’autre de Ismaïl Omar Guelleh à Paris en février 2021, semblent avoir quelque peu apaisé la situation.
Depuis plus d’une décennie, la Chine n’a pas hésité à arroser Djibouti de nouvelles liquidités. Entre 2013 et 2018, 14 milliards de dollars ont été injectés dans des projets d’infrastructures. Car pour la Chine, le micro-État est stratégique. Dans sa quête d’influence mondiale, notamment sur le continent africain, il constitue un carrefour géopolitique majeur entre « l’Afrique, le Moyen-Orient pétrolier, l’océan Indien et la Mer Rouge, menant via Suez à l’Union européenne, 1er partenaire commercial de la Chine », comme le rappelle Fabien Delheure, du Centre de Documentation de l’École Militaire (CDEM), pour le site spécialisé géostrategia.fr. À lui seul, le détroit de Bab el-Mandeb est le passage obligé de 40 % du trafic pétrolier mondial.
Le destin sri-lankais de Djibouti
Pour Djibouti, un destin « sri lankais » se dessine avec un processus de conquête économique étonnamment similaire. Entre 2007 et 2017, des milliards de dollars de liquidités chinoises ont en effet été déversés sur le Sri Lanka pour des travaux d’infrastructures, dont le port de commerce de Hambantota, fief du président en place. Un projet portuaire, dont les études de faisabilité avaient pourtant démontré le faible potentiel économique. En 2015, la campagne présidentielle de Gotabaya Rajapaksa, de plus en plus acculé au niveau international pour ses atteintes avérées aux droits humains contre les populations tamoules, a même été financée par l’entreprise China Harbor, avec le soutien tacite de Pékin. « Les programmes d’investissements chinois se révèlent de véritables pièges pour les pays les plus vulnérables, alimentant la corruption et les comportements autocratiques dans les démocraties en difficulté » affirme un journaliste du New York Times dans une enquête publiée en juin 2018. Même Emmanuel Macron avait tenté, lors de sa visite présidentielle à Djibouti, de tirer la sonnette d’alarme en affirmant que lorsqu’« un endettement se fait excessif, avec un manque de visibilité sur les conditions financières, ce qui paraît bon dans le court terme s’avère souvent mauvais sur le moyen et long terme ». En 2017, sous la pression de la dette chinoise le port sri-lankais de Hambantota est ainsi cédé à la Chine pour 99 ans, avec 6 000 hectares de terrain autour. De facto, la Chine a trouvé le moyen d’installer sa souveraineté sur une partie du territoire sri-lankais. Côté djiboutien, on préfère évoquer la perspective d’« un partenariat à long terme » avec les Chinois. « Les Français n’ont pas d’argent et, commercialement, ils ne comptent plus guère pour nous » s’amusait même, en marge de la visite présidentielle d’Emmanuel Macron, un proche du gouvernement djiboutien pour Le Monde.
Le port de Djibouti, principal actif du pays, est logiquement au cœur de la stratégie de conquête chinoise des ports africains. Et pour y arriver, Pékin n’a pas hésité à employer la manière forte. En 2018, DP World, l’un des plus grands opérateurs portuaires mondiaux et prestataire historique du gouvernement djiboutien a été purement et simplement éjecté de Djibouti sur décision du président Guelleh. Les parts de DP World ont été transférées à l’ancien actionnaire du port, le groupe China Merchants. Depuis, Djibouti essuie de nombreux revers face aux tribunaux internationaux, qui reconnaissent la manœuvre comme illégale. La Cour d’arbitrage international de Londres (LCIA) a ainsi condamné Djibouti à régler 530 millions d’euros de dommages et intérêts à DP World. Une demande encore restée lettre morte. Djibouti, qui s’était un temps rêvé comme le Singapour africain, ne brille finalement que peu pour son ouverture économique et occupe une triste 112e place à l’indice de facilité de faire des affaires de la Banque mondiale.
Malgré des signaux économiques au rouge, Djibouti ne semble pas avoir retrouvé le sens de la mesure. Le chemin de fer électrique Djibouti — Addis-Abeba a ainsi été financé à 70 % par China Exim Bank, soit un investissement de 3,4 milliards de dollars, dont le remboursement s’étale sur 25 ans. Autre exemple, le financement, par Export-Import Bank of China, du pipeline d’acheminement d’eau Éthiopie — Djibouti au coût estimé à 327 millions de dollars. « Pourquoi la Chine, connaissant particulièrement la vulnérabilité du pays, continue-t-elle de l’endetter ? » s’interroge Kossa Camara, pour Intelligence Afrique.
La France voit son influence s’amoindrir
La France, de son côté, voit son influence traditionnelle à Djibouti s’amoindrir mois après mois, même si Paris maintient encore dans le pays son plus imposant contingent à l’étranger avec près de 1 500 militaires présents sur place. La rente stratégique est d’ailleurs l’une des principales sources de richesse du pays, le loyer des bases militaires étrangères implantées sur place représentant 10 % du budget national djiboutien. Rien que le loyer payé par la France pour maintenir sa garnison sur place s’élève à 40 millions de dollars annuels, auxquels s’ajoute la défense de l’espace aérien national.
La France et les partenaires traditionnels de Djibouti, comme les États-Unis, ne sont plus seuls sur le territoire. En effet, Ismaïl Guelleh a accepté l’installation d’une base militaire chinoise en 2017, la première de Pékin à l’étranger. À l’origine prévue pour accueillir 1 400 soldats et contribuer à la lutte anti-piraterie dans les eaux du Golfe d’Aden, la base est en réalité dimensionnée pour héberger jusqu’à 10 000 soldats, avec un port militaire de grande ampleur.
Pourtant, la lune de miel entre Chinois et Djiboutiens commence à montrer ses premières fêlures. Tant pour les premiers, qui se rendent compte « que les projets qu’ils ont financés ne tiennent pas forcément la route », selon Thierry Peirault, directeur de recherche émérite au CNRS. Que pour les seconds, qui n’ont pas réellement profité des externalités induites par ces infrastructures.