Au croisement de la mer Rouge et du Golfe d’Aden, la République de Djibouti jouit d’une situation stratégique, véritable porte d’entrée vers le canal de Suez et l’une des lignes de trafic maritime les plus empruntées au monde. Un emplacement idéal qui aiguise, depuis plusieurs décennies, les appétits des grandes puissances mondiales. Le petit Etat de la Corne de l’Afrique, dirigé d’une main de fer par Ismaël Omar Guelleh, a bien compris les avantages qu’il pouvait tirer de sa situation géographique, lui qui offre à ses partenaires un modèle de stabilité politique, au sein d’une région dominée par l’instabilité générée par ses grands voisins que sont la Somalie, l’Ethiopie et l’Érythrée. Autant d’arguments que les autorités de Djibouti font valoir, au prix fort, à qui a les moyens de s’offrir une implantation militaire ou économique privilégiée.
Les pays occidentaux sont ainsi, de longue date, implantés militairement à Djibouti. C’est le cas, bien-sûr, de la France, qui possède une base de 2 700 hommes, héritée de son passé colonial. Les Américains disposent, quant à eux, d’un contingent fort de quelque 4 000 militaires, installés au Camp Lemonnier. C’est depuis cette base, consacrée après le 11 septembre 2001 à la lutte contre le terrorisme, que décollent une grande partie des drones américains envoyés survoler les terrains d’opération du Moyen-Orient. Une présence occidentale qui a un coût : les Etats-Unis reversent ainsi la modique somme de 63 millions de dollars par an à Djibouti pour le « loyer » de Camp Lemonnier. Même le pacifique Japon y a établi une base en 2011, la première à l’étranger depuis la fin de la seconde Guerre mondiale. Dernière arrivée sur ce plateau de Monopoly africain, la Chine a également jeté son dévolu sur la petite république, que son président cède peu à peu au plus offrant.
Le trouble entrisme de la Chine
Tout à son obsession de découpe de son pays au profit de l’étranger, Ismaël Omar Guelleh vient de jeter un pont d’or à Pékin. La nouvelle superpuissance chinoise pourra ainsi compter, à Djibouti, sur une zone franche de 48 kilomètres carrés, véritable « comptoir » avancé facilitant les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique. Les banques chinoises sont également à l’honneur dans le pays, où une nouvelle chambre de compensation permettra aux échanges financiers entre les deux Etats de ne pas subir de pertes de devises. Mais l’entrisme chinois se manifeste surtout sur le plan militaire : Pékin et Djibouti ont, en effet, officialisé la création, d’ici 2017, de la première base militaire chinoise sur le continent africain. Officiellement, l’objectif est de lutter contre la piraterie, qui sévit depuis les côtes somaliennes. Officieusement, il s’agit bien davantage pour la Chine de pouvoir compter sur un contingent à même de protéger ses intérêts grandissants en Afrique, et d’assurer la sécurité du million de ressortissants chinois qui prospèrent sur le continent – notamment dans la construction d’infrastructures routières ou immobilières.
A terme, ce sont plus de 10 000 militaires chinois qui devraient s’implanter de manière permanente à Djibouti. Un contingent qui fera immanquablement de l’ombre aux bases américaine et française, et pour lequel la Chine devrait s’acquitter d’une ardoise de 100 millions de dollars par an – sans parler des frais de construction de la base. Si certains parlementaires américains se sont émus de cette potentielle menace sur les intérêts des Etats-Unis, il est peu probable que leurs voix parviennent jusqu’aux oreilles de Guelleh, manifestement plus sensible au son de l’argent sonnant et trébuchant qu’à celui des plaintes pour violation des droits de l’homme. L’entreprise publique China Merchants Holdings a ainsi déboursé 185 millions de dollars de participation dans l’immense port de Djibouti, alors qu’une autre entreprise d’Etat, la China State Construction Engeneering Corporation, vient de mettre sur la table 420 millions de dollars pour augmenter les capacités du même port. Les Chinois ont également remporté le chantier stratégique de la ligne de train devant relier Djibouti à l’Éthiopie, évalué à 4 milliards de dollars.
Mais il se pourrait bien que le miracle chinois se retourne contre ceux à qui il profite pour l’instant. Si la croissance chinoise continue de ralentir, c’est toute l’Afrique qui pourrait payer le prix d’une dépendance excessive à l’Empire du Milieu – et Djibouti serait alors aux premières loges. Malgré les révoltes sporadiques, férocement réprimées par les forces d’Ismaël Omar Guelleh, le régime se maintient. La manne chinoise représente un véritable levier pour le pouvoir, qui a vu de nombreuses entreprises occidentales se désengager récemment du pays en raison de l’autocratisme qui y règne.
Après la Chine, au tour de l’Inde ?
Pour l’heure, les critiques internationales semblent glisser sur le sable djiboutien. Et ce d’autant plus qu’un nouveau soupirant pourrait frapper à la porte du pays, et non des moindres : le premier ministre indien, Narendra Modi, vient en effet d’effectuer cet été une tournée africaine, afin de renforcer les liens entre son pays et un continent dont les importations en provenance d’Inde ont augmenté de 100% entre 2008 et 2013. Alors que l’Inde et la Chine se disputent le leadership asiatique, la première considère avec appréhension et envie l’implantation des Chinois en Afrique. La nouvelle base militaire chinoise de Djibouti ne peut qu’accentuer les tensions et rivalités entre les deux superpuissances asiatiques. Nul doute qu’Ismaël Omar Guelleh saura tirer profit de cette situation, qu’il a lui même favorisée. Quant à son peuple, pas certain en revanche qu’il en tire un quelconque avantage.
Source : EurasiaTimes