Une violente répression policière s’est abattue sur l’opposition djiboutienne le 21 décembre 2015. Des exactions orchestrées par le pouvoir qui cherche à imposer la réelection du président Ismaïl Omar Guelleh en avril 2016. Une stratégie sanglante que nous décrypte Jean-Loup Schaal, président de l’Association pour le respect des droits de l’homme à Djibouti (ARDHD).
La répression politique est montée d’un cran à Djibouti. Le 21 décembre dernier, la police disperse violemment un rassemblement religieux de la communauté Issa en périphérie de Djibouti et débarque ensuite dans une réunion de la coalition d’opposition de l’Union pour le salut national (USN). En une seule journée, le bilan provisoire dressé par la Ligue djiboutienne des droits de humains (LDDH) est lourd : 28 morts, 52 blessés, 34 disparus et 18 personnes incarcérées. Le ministère de l’Intérieur reconnaît seulement 7 morts et affirme que les personnes rassemblées lors de la cérémonie « étaient armées ». Des déclarations démentis par l’USN – voir notre article.
Usure du pouvoir
Une crise politique couve à Djibouti depuis les législatives de 2013 et l’élection surprise de 10 députés de l’opposition USN au Parlement. Les scrutins de la petite République de la Corne de l’Afrique sont généralement « verrouillés » par le parti du président Ismaïl Omar Guelleh, au pouvoir depuis 1999. L’usure du pouvoir et la répression féroce sur les opposants se font désormais sentir dans les urnes. En ligne de mire : la présidentielle d’avril 2016. Alors qu’en 2011, Ismaïl Omar Guelleh jurait dans Jeune Afrique qu’il « passerait le pouvoir en 2016 », mais aujourd’hui sa candidature désormais acquise pour avril et inquiète l’opposition. L’USN avait pourtant signé en décembre 2014 un accord-cadre avec l’UMP (Union pour la Majorité présidentielle). La Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) devait être réformée et une commission parlementaire paritaire devait être chargée d’organiser l’élection présidentielle. Un an plus tard, le dialogue politique est resté lettre morte. L’opposition redoute que la présidentielle de 2016 soit jouée d’avance.
Comment expliquer une telle flambée de violence ?
Le« dérapage » policier du 21 décembre ne surprend pas Jean-Loup Schaal, président de l’Association pour le respect des droits de l’homme à Djibouti (ARDHD) et observateur de longue date de la vie politique djiboutienne : « Comme à son habitude, le président Guelleh cherche à créer des tensions tribales de façon à diviser pour mieux régner. Il l’a fait avec les Afars et là, il s’attaque à l’une des tribus Issas dont il fait d’ailleurs partie. L’objectif est donc de créer des violences entre les deux clans Mamasan et Yonis Moussa, de façon à s’imposer comme le seul recours pour rétablir l’ordre ». Un chaos orchestré qui ne serait pas du goût des différents pays qui possèdent des bases navales dans ce petit Etat stratégique de la Corne de l’Afrique (France, Etats-unis, Japon et maintenant Chine). Le président Guelleh peut donc compter sur le silence de la communauté internationale, qui n’a pas intérêt à voir l’instabilité s’installer à Djibouti.
Concurrence entre grandes puissances
Le président djiboutien a souvent joué des rivalités entre Français, Américains, Japonais et Chinois pour s’imposer comme l’homme fort incontournable de la Corne de l’Afrique. « Guelleh s’est d’abord appuyé sur les Français, puis, lorsque la France a commencé à râler, il s’est tourné vers les Etats-unis, qui a installé une base navale, puis il a fait venir les Japonais et maintenant il fait venir la Chine, ce qui ne plaît pas forcement aux Américains. Lorsqu’Ismael Omar Guelleh divise pour mieux régner, il le fait avec les tribus, mais il le fait également avec les grandes puissances. C’est là toute son intelligence », explique Jean-Loup Schaal, qui prévoit également la prochaine arrivée des Saoudiens à Djibouti, échaudés par leur passage en Érythrée.
La France aux premières loges
La France, l’allié historique de Djibouti, se retrouve dans une situation inconfortable dans la petite République. Le 24 décembre, selon la Lettre de l’Océan indien, les forces françaises présentes à Djibouti, ont empêché les forces de l’ordre d’interpeller les militants de l’opposition hospitalisés à hôpital militaire français Bouffard. Particulièrement recherchés, le député de l’USN, Saïd Houssein Robleh, mais aussi le président de l’USN, Ahmed Youssouf Houmed, ainsi que l’ancien ministre Hamoud Abdi Soultan. Selon Jean-Loup Schaal, un check-point de l’armée djiboutienne filtrerait l’accès à hôpital Bouffard. Une situation inquiétante, notamment pour Saïd Houssein Robleh « qui a une balle près de la veine jugulaire et qu’il faut évacuer d’urgence ». Pour Jean-Loup Schaal, il y a donc « un devoir d’ingérence humanitaire » concernant le député de l’USN, qui doit être exfiltré en France car, « s’il sort de l’hôpital et est remis aux Djiboutiens… il est tout simplement condamné à mort ! ». Le Quai d’Orsay ne s’est pas encore officiellement positionné sur la situation des opposants blessés à l’hôpital Bouffard, prônant dans son point presse du 22 décembre, un simple « retour rapide au calme ».
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Source : Afrikarabia.com