Paris (AFP)-De passage à Paris, le chef de l’opposition djiboutienne n’a pas caché sa lassitude face à la crise politique qui s’enlise dans son pays: pour lui, il n’y aura « pas d’élection présidentielle en 2016″ si le pouvoir ne tient pas ses engagements.
Ahmed Youssouf Houmed, président de l’Union pour le salut national (USN), le 5 août 2015 à Paris
« Pas d’élection sans commission électorale paritaire indépendante », déclare Ahmed Youssouf Houmed, président de l’Union pour le salut national (USN), une coalition de sept partis djiboutiens d’opposition, dans un entretien à l’AFP.
Cela fait des mois que l’opposition réclame la formation d’une commission électorale nationale indépendante (CENI) à Djibouti. Cette revendication constitue l’un des points clés de l’accord-cadre conclu en décembre dernier entre l’opposition et le pouvoir, pour tenter de dénouer la crise politique née de la contestation autour du résultat des législatives de 2013.
Mais sept mois après ce compromis, qui a vu l’opposition accepter 10 sièges de députés contre les 52 qu’elle estime avoir remportés, « la situation est bloquée, on n’avance pas », déplore le président de l’USN.
En 2013, « on a gagné haut la main », avec « 80% des voix », affirme-t-il, contestant la décision du Conseil constitutionnel qui a validé une victoire écrasante de la majorité présidentielle. « On a sacrifié 52 députés, accepté l’inacceptable, pour sauver l’avenir » de Djibouti.
L’accord conclu avec le gouvernement prévoyait une longue liste d’engagements: libération des prisonniers politiques, accès aux médias internationaux dans un pays où la presse est sous le contrôle total du pouvoir, liberté de réunion, reconnaissance d’un statut pour les partis politiques, dont plusieurs ne sont pas autorisés…
« Dans l’application, on est loin de tout ça », relève Ahmed Youssouf, qui évoque de maigres concessions du pouvoir. « Quelques prisonniers ont été libérés. Ils ont arrêté le harcèlement et nous ont permis de nous voir à l’intérieur du pays ».
Mais le chargé des relations extérieures de l’USN, Djama Amareh Meidal, « a été empêché de quitter Djibouti le 25 juillet au soir et s’est vu confisquer son passeport sans aucune raison », déclare le président du mouvement.
– Guelleh ‘promet tout, ne donne rien’ –
Dans ces conditions, pas question pour l’opposition d’accepter la tenue du prochain scrutin prévu en avril 2016, une élection présidentielle où le président Guelleh – au pouvoir depuis 1999 – n’exclut pas de briguer un quatrième mandat. La Constitution, amendée en 2010, ne limite plus depuis le nombre de mandats présidentiels.
« Pour le moment, il n’y aura pas d’élection présidentielle en 2016, sans que les conditions préalables soient remplies », martèle Ahmed Youssouf.
Djibouti, petit Etat de la Corne de l’Afrique, s’est lancé dans de vastes projets d’infrastructures financés par la Chine avec l’ambition de devenir la plateforme commerciale de l’Afrique de l’Est. Près d’un habitant sur quatre (23%) vit dans l’extrême pauvreté, selon des chiffres de la Banque mondiale.
« Nous contenons la population (…) mais il y a un moment où on ne peut plus arrêter la rue », souligne-t-il en rappelant que 70% de la population a moins de 30 ans et que le taux de chômage avoisine les 60%. « Si l’accord n’aboutit pas, on sera dépassé ».
Le vent du printemps arabe avait soufflé sur Djibouti en février 2011. Des milliers de jeunes et d’étudiants protestaient alors contre une troisième candidature d’Ismaël Omar Guelleh à la présidentielle d’avril 2011. Ces manifestations avaient été sévèrement réprimées par les autorités.
L’appel à une relance du dialogue politique lancé fin juillet par le président djiboutien Ismaël Omar Guelleh ne convainc pas le responsable de l’opposition, qui réclame que les engagements pris par le pouvoir soient d’abord « concrétisés ».
« Il dit +reprenez le dialogue+ mais ça, c’est pour l’opinion » internationale, a estimé M. Youssouf, relevant que le courrier du président Guelleh a été expédié le 28 juillet, au lendemain d’une visite du ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian.
« Il promet tout, il ne donne rien », juge le responsable de l’opposition en référence au président Guelleh.
Et Ahmed Youssouf d’en appeler à la communauté internationale: « nous leur demandons de faire ce qui est en leur pouvoir pour sauver Djibouti du chaos, de la dictature qui perdure depuis 38 ans ».