« Djibouti, à quand l’âge de raison ? », article paru sur le Blog Médiapart d’Eric m.
Malgré des progrès certains dans le dialogue entre l’opposition et le pouvoir à Djibouti, les deux factions n’arrivent toujours pas à trouver un point d’accord. A un an de la présidentielle, et dans un contexte très volatile, beaucoup se demandent quelles suites attendre du prochain scrutin.
Le 8 mai 1977, la population djiboutienne, consultée pour la troisième fois par la métropole française (après 1958 et 1966) choisit l’indépendance – avec pas moins de 98,8 % des suffrages exprimés. Avec 38 ans au compteur, Djibouti, cité-Etat de la corne de l’Afrique située à l’entrée sud de la mer Rouge, est donc une toute jeune République. Ismaïl Omar Guelleh (IOG), actuel Président djiboutien est au pouvoir depuis bientôt seize ans – en 2011, IOG fait modifier la Constitution pour pouvoir être élu une troisième fois. Ce dernier compte bien, aux dernières nouvelles, briguer un nouveau mandat lors de l’élection de 2016.
Tout semble déjà méticuleusement préparé, sur le même mode opératoire qu’en 2010 : fausse lassitude du dirigeant qui feint de ne pas vouloir se présenter pour instaurer un suspens factice et mobiliser ses soutiens, politique de grands travaux de dernière minute – endettant par la même occasion lourdement le pays – et fin de la criminalisation de l’opposition – un peu trop tard pour qu’elle puisse réellement se regrouper et faire campagne.
Le dialogue entre le pouvoir et l’opposition djiboutienne semble tout de même avoir repris. Mais à un an de la présidentielle, prévue en avril 2016, où en est-il ? La signature d’un accord-cadre, fin 2014, a mis fin à plus de deux années de crise ouverte, et constitue un grand pas en avant. Après les législatives du 22 février 2013, l’Union pour le salut national (USN), coalition de sept partis d’opposition, estimait avoir gagné, et avait alors déserté les organes législatifs en signe de protestation. Finalement, l’USN a accepté de retourner à l’Assemblée nationale, en renonçant aux sièges contentieux.
Cependant, une frange de l’USN ne reconnaît pas cet accord. Déjà, l’Etat n’a pas encore procédé à la légalisation de tous les partis qui composent la coalition – peut-être dans le but de la diviser à l’approche de la présidentielle. La liberté des médias est aussi un point majeur de discorde. Pour un pays qui se dit démocratique, il est choquant qu’il n’existe qu’une seule radio et une seule télévision, toutes deux détenues et gérées par l’Etat. L’opposition réclame la création d’une Céni, une commission électorale indépendante, qui prendrait en main les élections suivant le récent exemple nigérian. Il y a également un blocage sur ce point. On voit que le dialogue mis en place demeure difficile et sans grande avancée.
Ces mésententes sont avant tout facteurs de colère et de division au sein de la population, dans un pays où, selon les dernières données disponibles (2010), tous les indicateurs sociaux étaient dans le rouge. Djibouti, pays potentiellement riche, se situait à la 147eme position sur 169 pays. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) indiquait que « la pauvreté y restait endémique et la richesse du pays distribuée de manière très inégale. » Avant d’ajouter que « la population avait toujours un accès limité aux services sociaux de base », et que l’espérance de vie « se limitait à 56 ans. »
Cette fragilité économique n’est pas sans attirer l’attention de certains. En premier lieu on constate un rôle croissant de la Chine, qui prête à l’Etat de vastes sommes à des taux élevés pour ensuite prendre en charge les travaux entrepris – et s’approprier les infrastructures ou des droits d’exploitation léonins lorsque l’Etat ne peut payer. A ce propos, le chef de l’opposition Abdourahman Mohamed Guelleh déclarait auprès de RFI : « il ne faut pas qu’on règle des marchés ou des affaires économiques gré à gré. Il faut qu’il y ait de la qualité, il faut que les intérêts soient gagnants-gagnants. Nous ne sommes pas contre la Chine, mais nous sommes contre les méthodes d’installation des marchés ou d’investissements dans les pays africains en général et dans notre pays en particulier. »
Un autre risque majeur pèse sur Djibouti : l’entrée de fondamentalistes sur son territoire. Du fait de sa situation géographique, et du taux de chômage très élevé, une partie de la jeunesse pourrait être tentée de rejoindre des mouvements rattachés à l’Islam radical. La menace est d’autant plus actuelle, alors que le pays est confronté à une arrivée massive de réfugiés en provenance du Yémen. Ces derniers fuient les violences confessionnelles qui opposent rebelles chiites – ou Houtis – à l’Etat sunnite. Beaucoup craignent que parmi les réfugiés se glissent des extrémistes religieux. « [Pour éviter la radicalisation] il faut de la bonne gouvernance, il faut de la lutte contre la corruption, il faut une démocratie transparente et claire », précisait le leader de l’USN. La balle est donc dans le camp d’IOG.
Source : Blog Médiapart