Réalité numéro 56 du mercredi 18 juin 2003 |
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Éditorial |
RANDA : L’IMPASSE D’UNE POLITIQUE
En référence au « Voyage au bout de la nuit » de Céline, nous avions intitulé un de nos éditoriaux « Voyage au bout du superflu » pour montrer la fuite en avant d’un Président de la République qui juge plus utile, parce que certainement moins risqué, de s’investir corps et âme dans la mendicité internationale plutôt que de courageusement s’atteler à reconstruire une Nation et une économie djiboutiennes sérieusement lézardées une décennie durant par un douloureux conflit civil. Il aurait peut-être été plus judicieux de titrer « Voyage au bout de l’ennui » tant il nous semble que les gesticulations du Chef de l’Etat relèvent beaucoup plus d’un profond malaise de l’impétrant dans ses fonctions présidentielles, comme si l’amélioration des conditions de vie quotidiennes de nos concitoyens dépendait avant tout d’un miracle d’une diplomatie rachitique, pour ne pas dire arthritique.
C’est en tout cas dans cette optique que nous interprétons sa prochaine visite dans le village de Randa pour y inaugurer un petit groupe électrogène qui, après avoir été subtilisé par les troupes gouvernementales en 1993, attend depuis quatre ans d’être réinstallé. Loin de nous l’intention de minimiser l’importance des tournées responsables et productives dans les terroirs : l’activité essentielle d’un Président de la République devait être, selon nous, d’inlassablement prendre le pouls des régions les plus reculées de notre minuscule territoire : il est à peu près inutile de rappeler que l’Intérieur représente 90% de la superficie de la République de Djibouti, donc autant de potentialités de développement, c’est-à-dire d’opportunités de réduire un chômage endémique.
Donc, le Chef de l’Etat se rend à Randa, et accessoirement à Tadjourah pour y inaugurer le siège régional d’un parti unique qui a heureusement fait la démonstration de toute son inutilité, de toute son inefficacité. D’autant plus gravement que le déplacement de toute sa cour d’obligés, avec son incontournable cohorte de sacs de khat, coûtera pratiquement autant que le mobile du déplacement.
Or, c’est oublier que, dans le cadre de l’Accord de Paix du 12 mai 2001, cette région, comme toutes les autres détruites par le conflit civil, principalement par le pillage et les exactions des troupes gouvernementales, devait juridiquement bénéficier, pour préjudices subis, d’un vaste programme de Réhabilitation et sa population d’une généreuse politique d’indemnisation, que beaucoup de partenaires du développement s’étaient engagés à financer. Dans une telle optique, l’installation d’un minuscule groupe électrogène à Randa revient à mettre en scène l’accessoire tout en occultant l’essentiel : comment payer la facture énergétique quand pratiquement aucun habitant du village n’a un quelconque emploi rémunéré ? Surtout lorsque l’on sait que la population est obligatoirement mise à contribution, comme à Adaylou en ce qui concerne l’approvisionnement en eau potable, pour faire fonctionner ses services publics primordiaux.
Donc, le Chef de l’Etat se rend à Randa : Obock, dont les habitations ont été majoritairement détruites, encore une fois par les troupes gouvernementales qui en ont revendu les planches, sans même parler des biens pillés, aurait également grand besoin d’un tel égard présidentiel. Mais, entre être ou paraître, comme le disait Shakespeare, le régime djiboutien semble avoir durablement choisi la primauté des apparences sur la durée des actions concrètes. Yoboki, qui a profondément souffert de cette politique de la terre brûlée demande aussi un égal traitement.
Dans cette logique de l’esbroufe et de la comédie politicienne, se dévoile sans nul doute le véritable motif de cette visite présidentielle : inaugurer une complètement inutile annexe à Tadjourah du parti illégalement au pouvoir. Histoire de s’imposer à des concitoyens auxquels la fraude électorale interdit de librement choisir leurs représentants politiques. Histoire également de faire oublier que seule une réelle Décentralisation pourra mettre en place les conditions durables d’une démocratie de proximité et d’un développement durable.
Brèves nationales
Le Premier ministre dans le Manitoba :
la diaspora djiboutienne courtisée ?
Une dépêche de l’Agence Djiboutienne d’Information (ADI), reprise dans « La Nation » du lundi 16 juin 2003, nous apprend que le Premier ministre absent depuis quelques jours serait en fait en tournée au Canada. La promotion de « la gestion de vraie problématique » aurait donc conduit notre dirigeant politique au-delà des mers, sur le continent américain, à la rencontre de ses compatriotes éloignés de leur pays, surtout à cause de la mauvaise gouvernance.
L’immigration djiboutienne au Canada et en Europe n’a jamais été aussi forte que ces quatre dernières années. Fuyant le chômage et la pauvreté, quand il ne s’agit pas des intimidations policières, des familles entières ont choisi de s’exiler. A côté de ces milliers de réfugiés politiques ou économiques, on retrouve bien sûr des familles de dignitaires du régime, ayant opté pour plus de confort et plus de sécurité outre-Atlantique.
C’est certainement à ceux-là que le Premier ministre s’est adressé et auxquels il aurait tenu le genre de beau discours qui ne convainc plus personne dans notre pays, parce qu’il n’est qu’un écran de fumée derrière lequel se cache la méchante réalité quotidienne.
La fuite en avant privilégiée dans les hautes sphères du pouvoir conduit malheureusement à rechercher ailleurs une légitimité perdue chez soi. Aussi, ils ne seront pas légion nos compatriotes exilés à choisir de rentrer au pays pour avoir crû au tableau idyllique brossé par un responsable politique aussi peu convaincant et ne craignant pas de « détailler avec minutie les progrès réalisés par notre pays dans les différents domaines ces dernières années ».
Cette politique de progrès, qui ne profite pas aux populations, a été, on le sait bien, sévèrement sanctionnée par les électeurs djiboutiens le 10 janvier 2003.
Obock :
la Pêcherie toujours sans électricité.
Après un mois de mai particulièrement difficile, la ville d’Obock connaît moins de délestages ces jours-ci, la centrale électrique fonctionne à peu près normalement, nonobstant les récurrents problèmes d’un carburant que la centrale emprunte souvent à l’Armée Nationale.
Si les habitants disposent à nouveau d’eau fraîche en cette période de grande chaleur, si le dispensaire offre des conditions plus aux moins décentes à ses hospitalisés qui étaient obligés de dormir à la belle étoile, il n’en est pas de même pour les pêcheurs qui se plaignent de ne pas avoir de la glace pour conserver leurs poissons. En effet, la pêcherie, distante de moins d’un kilomètre du centre-ville, reste privée d’électricité en raison de la rupture d’un câble aérien reliant les poteaux proches de la fabrique de glace. Conséquence : la pêcherie n’est plus opérationnelle, faute d’être alimentée en courant électrique. Les pêcheurs d’Obock opérant dans une des zones les plus poissonneuses de notre pays, sont condamnés à écouler leurs prises sur le marché local très réduit. Certains pêcheurs rechignent même à sortir en mer tant que durera cette situation.
A l’origine de cette panne, on retrouve inévitablement la mauvaise gouvernance incapable de remplacer un câble électrique, de quelques dizaines de mètres, qui paralyse le développement halieutique, secteur faisant vivre de nombreuses familles. Rappelons que la centrale électrique d’Obock reste sous la supervision du chef du secteur Nord de l’EDD, basé à Tadjourah.
Lequel responsable, certainement occupé par « la gestion de vraie problématique » dans son district, puisqu’il y est accessoirement vice-président du conseil régional, ne semble pas au courant, sans jeu de mots, de la détresse des pêcheurs d’Obock.
Nous demandons donc aux pouvoirs publics d’accélérer les travaux de réparation du câble électrique de la pêcherie d’Obock pour que les consommateurs djiboutiens puissent à nouveau trouver le poisson d’Obock sur leurs étals. Affaire à suivre…
Tadjourah :
les restaurateurs réclament leur dû.
La mauvaise gouvernance ayant fait disparaître les cantines scolaires autrefois gérées par l’Éducation Nationale, l’État avait chargé les restaurants privés de servir les repas aux élèves n’ayant pas de famille d’accueil à Tadjourah. Malgré les impayés importants qui s’accumulent, les restaurateurs de Tadjourah ont réussi tant bien que mal à assurer des repas à ces élèves originaires de l’arrière-pays. De son côté, l’État mauvais payeur s’était engagé à éponger régulièrement ses arriérés.
Depuis quelques semaines, ces restaurateurs de la Ville-Blanche voient leurs activités baisser en raison des vacances scolaires et surtout à cause des créances de l’État qui se chiffrent à plusieurs millions. S’il est établi que la mauvaise gouvernance reste incapable de créer des emplois, encore faut-il qu’elle ne sabote pas le petit secteur privé local, en acceptant enfin d’apurer ses dettes contractées envers la branche de la restauration déjà largement en difficulté du fait de la baisse généralisée du niveau de vie, consécutive à l’absence de tout projet de développement véritablement créateur d’emplois, donc de revenus.
Randa :
visite d’un Président électrogène
Le groupe électrogène installé il y a plus d’un an à Randa sera enfin mis en service ce week-end au cours d’une cérémonie qui promet d’être politique et « bakchisante ». Cette visite présidentielle dans une région à laquelle la Réhabilitation est toujours refusée, et qui a sévèrement sanctionné la mouvance présidentielle aux dernières législatives, est révélatrice du désarroi dans lequel est plongé ce régime sans crédibilité.
Il aura donc fallu quatre ans à l’actuel Chef de l’État pour apporter le courant électrique à un village qui en disposait au plus fort du conflit en 1992. Quatre ans pour restituer à ce village un petit groupe électrogène pillé par les troupes gouvernementales en 1993, on ne peut vraiment pas dire que l’efficacité soit le principal trait caractéristique de ce régime.
Trois ans après le retour de la paix définitive, le régime ne craint pas de se couvrir de ridicule en inaugurant en grande pompe une petite unité électrique, certes utile mais qui aurait pu être mise en service beaucoup plus tôt sans provoquer un coûteux déplacement présidentiel.
Mais comme dans la foulée le nouveau siège du RPP à Tadjourah sera lui aussi inauguré, on peut penser que la mauvaise gouvernance a ses raisons que l’intérêt général ne connaît pas nécessairement…
Rappelons enfin que le Président de la République, illustre voisin puisque disposant au Day d’un ranch agropastoral, avait déjà rendu visite il y a moins d’un an, en août 2002, à cette localité de Randa, sans n’y avoir rien amélioré concrètement, malgré les multiples doléances de la population : il avait peut-être oublié de dire bibliquement «Que la Lumière soit !» Espérons qu’elle sera.
Procès de DAF :
audience reportée au 23 juin.
Initialement fixée au 16 juin, le procès du Président du MRD et directeur de publication du « Renouveau Djiboutien » a été reporté au 23 juin pour des raisons inconnues.
La détention injuste et éprouvante de notre ami DAF en est donc prolongée d’une semaine supplémentaire. En réaction à cette situation, l’Union pour l’Alternance Démocratique a publié hier mardi 17 juin le communiqué suivant :
« Arrêté le 20 avril, libéré le 3 juin puis remis en prison le 5 juin dernier malgré une demande de mise en liberté provisoire, M. Daher Ahmed Farah, Président du MRD et Directeur de publication du « Renouveau Djiboutien » devait comparaître hier 16 juin pour délit de presse.
Sans qu’aucune contrainte ne le justifie techniquement, ce procès vient d’être reporté d’une semaine au moins.Ce report injustifié prolonge d’autant la détention arbitraire du Président Daher Ahmed Farah dans des conditions insupportables.
L’UAD dénonce ce prolongement illégal d’une incarcération sans fondement et dont la seule justification réside dans une logique d’intimidation des opposants ;
L’UAD souhaite vivement que l’appareil judiciaire s’en tienne à la stricte indépendance qui doit être la sienne et instruise les dossiers qui luisont soumis, surtout lorsqu’ils sont de toute évidence politiques, dans le respect des droits inaliénables des prévenus, même lorsqu’il s’agit d’opposants.
L’UAD exige qu’un terme soit mis dans les meilleurs délais à cet acharnement afin que le Président Daher Ahmed Farah recouvre une liberté dont il est si illégalement privé.
L’UAD tient enfin à souligner que de telles entraves, loin de l’intimider, ne constituent qu’un discrédit supplémentaire pour le régime et l’appareil judiciaire. »
Aux origines des violations
La sincérité dans l’application d’un accord de paix aurait dû être perceptible dès sa conclusion : qui discute sérieusement agit scrupuleusement. C’est peu que le régime a inventé toutes les difficultés imaginables pour rendre difficile la recherche de la paix. En prologue à la troisième partie de l’article consacré à la nature du présidentialisme djiboutien, nous vous proposons aujourd’hui un bref aperçu de la prose gouvernementale lors des négociations avec le FRUD-armé, dans le cadre de la Commission des Réformes Démocratiques. Il s’agissait pour la partie gouvernementale du tout simplement justifier le statu quo.
LE RÉGIME POLITIQUE
Le régime politique de Djibouti demeure depuis l’accession de notre pays à l’indépendance nationale. La pérennité de ce régime politique est un gage de réussite constitutionnelle et une garantie de stabilité politique et institutionnelle.
Contrairement aux insinuations du Frud-armé dans leur document de propositions, le gouvernement est à l’écoute de son peuple et reste sensible à toute évolution de mentalité dans le pays et dans le monde.
C’est dans cette optique, qu’à l’aube du III ème millénaire, le gouvernement réfléchit et étudie sur la durée, l’efficacité du type de régime politique en place, sur sa permanence d’assurer une stabilité intérieure et un développement harmonieux à la prospérité du peuple djiboutien.
Ainsi, le gouvernement propose de mettre en oeuvre un débat national et une profonde réflexion pour le maintien ou l’adoption d’un nouveau type de régime politique à Djibouti, qui tiendrait compte de l’émancipation du peuple.
A l’issue de ce débat national qui réunira toutes les couches sociales, professionnelles, politiques, une consultation populaire sera organisée. Le référendum déterminera le choix du peuple. Le gouvernement s’engage à respecter et à appliquer le choix des djiboutiens sur le type de régime politique.
Ainsi, le résultat du référendum déterminera la nature du régime politique qui serait instauré dans notre pays.
LE MULTIPARTISME
En 1992, le peuple djiboutien, lors du référendum, a opté pour une limitation des partis politiques à 4. Le gouvernement qui a toujours respecté le choix de son peuple, a appliqué le quadripartisme. A cette époque, l’idée des dirigeants du pays n’était pas de réduire la liberté des djiboutiens en proposant le quadripartisme (partis politiques limités à 4) .
Mais en revanche, leur crainte était de voir régner à Djibouti une anarchie politique et institutionnelle, à cause de l’explosion des nombres des partis politiques. Le risque, voire la certitude de voir des partis à connotation ethniques ou claniques dominer la politique nationale, pour aboutir à une cristallisation et à la haine tribale.
A 1’heure actuelle, une ouverture non limitative des nombres des partis politiques constitue un grave danger pour la stabilité politique du pays. De plus, par le nombre total de la population et par le nombre total d’électeurs (environ 100.000), un nombre illimité de partis politiques conduirait à une médiocrité de la vie politique nationale: la prépondérance de l’intérêt ethnique ou clanique sur l’intérêt général.
Cette analyse qui est le fruit du constat national, s’ajoute à l’expérience vécue par certains pays de l’Afrique, où on assiste à une paroxysme des nombres de partis politiques. La décision issue de cette analyse, a incité le gouvernement à prendre conscience de la nécessité de respecter l’évolution de la mentalité et de l’émancipation des djiboutiens par la mise en place d’un pluralisme démocratique mais, avec une limitation des partis politiques à quatre, par souci de préserver la paix, la sécurité et la stabilité politique.
Aujourd’hui, le peuple djiboutien, mieux encadré par le système du quadripartisme politique, a atteint une certaine maturité politique, une maîtrise et une connaissance éclairée de la notion et du jeu démocratique. Pour l’instant, le gouvernement se tient à la situation actuelle, par respect au référendum de 92 qui limitait les nombres des partis politiques à quatre pour une durée de dix ans. Au terme de cette période, le gouvernement propose d’organiser un débat national sur la sur la limitation ou l’ouverture illimitée des nombres des partis politiques.
A l’issue du débat national, un référendum sera organisé pour que le dernier choix revienne aux Djiboutiens.
Le présidentialisme djiboutien (3)
Démocratie, Dictature ou Caricature ? 3ème partie : des allures de dictature
Dans la première partie, nous avions révélé un document inédit dans lequel le FRUD-armé, lors des négociations avec la partie gouvernementale, soulignait la nécessité des réformes démocratiques dans notre pays afin que les différents acteurs de la Démocratie (régime partis politiques même d’opposition, syndicats, citoyens et, d’une manière générale, toute la société civile nationale, puissent véritablement remplir leurs fonctions démocratiques. Dans la seconde partie, nous avions vu, de façon trop facile puisque cela équivalait à enfoncer une porte ouverte, que la République de Djibouti ne fonctionnait absolument pas selon les critères communément admis de la démocratie. Dans ce troisième volet, il convient donc de savoir si nous vivons sous une dictature subtropicale.
Prétendons au moins, ne serait-ce que par respect pour notre lecteur, à un minimum de droiture journalistique, sans viser l’intellectuelle : avoir le droit de poser la question de savoir si nous sommes en dictature, n’est-ce pas la meilleure preuve que nous sommes en démocratie ? Pouvoir s’interroger de façon aussi publique sur la nature du régime djiboutien, n’est-ce pas la plus indiscutable preuve que la liberté d’opinion est scrupuleusement respectée sous nos cieux ?
C’est bien là toute la difficulté, pour l’observateur extérieur, d’analyser le système politique djiboutien : si les textes instituant un fonctionnement démocratique des institutions sont disponibles noir sur blanc, pour ainsi dire, les multiples entraves à leur application dans la pratique quotidienne sont parfois beaucoup plus difficiles à être démontrées. S’il est donc bien évident pour tout citoyen djiboutien, comme pour tout observateur extérieur un tant soit peu vigilant, que nous ne sommes pas en démocratie, la question demeure intacte : sommes-nous donc en dictature ?
Parler de dictature, c’est évoquer la concentration des pouvoirs aux mains d’un seul individu, d’un groupe d’individus, d’une organisation particulière (parti ou armée).
A cette aune, il est facile de démontrer que ce modèle monopolistique s’applique à Djibouti, sous certaines conditions.
En fait, lorsque l’on est en présence d’un terme tel que dictature, ayant subi une telle inflation sémantique, ayant été mis à toutes les sauces pour discréditer toutes sortes de régime par des opposants de tous les bords, et pas nécessairement démocrates eux-mêmes, il est normal de prendre un minimum de précautions quant à son usage.
Quand on parle de dictature, elle est le plus souvent de deux sortes : soit celle d’un parti unique se fondant sur une légitimité idéologique, soit celle d’une tribu s’autorisant d’une supériorité biologique.
Depuis septembre 1992, il est difficile de prétexter un quelconque monopole juridique du parti unique institué en 1981 suite à la loi portant mobilisation générale. Tout comme il est indéniable que le système du parti unique a profondément imprégné de son empreinte négative la société djiboutienne. En effet, la situation intérieure issue de la décolonisation, dans laquelle certains nouveaux dirigeants politiques ont de façon irresponsable voulu ériger la nouvelle donne comme une sorte de revanche ethnique s’est soldée par une dramatique remise en cause de l’impérieuse nécessité d’un destin commun. A ce chapitre, s’il convient de souligner l’importante contribution nationale des représentants responsables de certaines composantes de la communauté nationale, qui réussissaient à estomper les penchants monopolistiques, il n’est pas inutile de rappeler toute l’influence négative des services répressifs de la police politique.
En effet, si l’accès au marché du travail était relativement équilibré (même si des situations monocolores se retrouvaient ça et là) c’est au regard de la répression sauvage et gratuite que les citoyens djiboutiens n’étaient pas égaux.
Source : La Nation du jeudi 12 juin 2003
En fait, le parti unique sous une nouvelle forme n’est qu’une coquille vide à laquelle les nécessités des mascarades électorales insufflent un semblant de vie le temps d’une campagne. Malgré tous les artifices, que les médias gouvernementaux mettent volontiers en scène, il n’existe pratiquement aucune vie partisane routinière, inscrite dans les mœurs politiques du parti héritier.
On est donc bien loin de la situation d’avant 1992, lorsque les représentants du parti unique sillonnaient la Capitale et le pays, allant même jusqu’à proposer que l’accès au marché du travail soit conditionné par la possession d’une carte du Parti.
Les choses ont bien changé de nos jours. L’invention d’un sigle UMP, tout aussi creux que le précédent, montre à lui seul la faillite d’une organisation partisane dont ni l’idéologie ni les pratiques n’ont réussi à susciter une quelconque adhésion populaire.
Force est donc de reconnaître que nous ne sommes plus en situation de dictature d’un parti, fondant sa domination sur un programme politique cohérent. Reste alors à savoir s’il s’agit d’une dictature tribale déguisée sous les apparences d’un parti dans lequel toutes les composantes de la communauté nationale sont harmonieusement représentées.
Dictature tribale ?
Le sujet est délicat, pour de nombreuses raisons dont la moindre n’est pas le fait que, justement, tout se passe comme si le régime (la dernière campagne électorale l’a amplement démontré) espère bien que l’étiquette de tribaliste lui soit accolée. Toutefois, même s’il est bien évident qu’il existe dans les hautes sphères du pouvoir quelques aryens aux cheveux crépus, promus pour services rendus dans le cadre d’associations prônant l’intolérance, la notion de dictature tribale, à y bien regarder, ne tient pas dans le contexte djiboutien.
Tout d’abord, l’existence de l’UAD démontre à elle seule que ce clivage tribal, qui a fait les beaux jours de certains et favorisé la promotion de quelques autres, n’existe plus au moins depuis 1996. Le harcèlement contre des opposants connus prouve donc que la dynamique unitaire de l’UAD gêne le régime au plus haut point.
En second lieu, ce n’est pas l’homogénéité tribale qui conditionne uniquement l’accès aux postes et aux ressources. La nouvelle bourgeoisie d’État, qui doit principalement sa réussite à sa proximité par rapport aux centres de décision politique, regroupe en son sein des « représentants » de toutes les composantes de la communauté nationale. Le favoritisme n’est donc pas tribal, encore moins idéologique mais, plus que dans la richesse, c’est dans la pauvreté que les citoyens djiboutiens s’unissent
Car, en dernier lieu, prétendre favoriser les siens dans un contexte multiethnique, ce n’est absolument pas rendre service aux siens. Même s’il est bien évident que tel semble effectivement être le message véhiculé par le discours et la pratique du régime, l’exacerbation des particularismes tribaux ne peut à terme que remettre en cause le désir d’un destin commun, donc la raison d’être de ce favoritisme : quel groupe ethnique djiboutien serait aujourd’hui assez irresponsable pour prétendre vivre seul, c’est-à-dire soit expulser les autres composantes, soit s’en séparer pour fonder un Etat distinct.
C’est une aberration que seul est capable de secréter un régime avant tout soucieux de rester au pouvoir à tout prix, quitte à diviser le Peuple en tenant un discours qui varie en fonction de l’audience.
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Récapitulons. Le système politique djiboutien se caractérise par un dysfonctionnement généralisé dont la cause principale réside dans les déséquilibres au sein de chaque pouvoir (Exécutif, Législatif et Judiciaire) et entre chacun de ces pouvoirs ; raison pour laquelle, durant les négociations, le FRUD-armé avait proposé de salutaires réaménagements.
L’analyse du fonctionnement quotidien de ce système politique démontre amplement que les règles essentielles définissant une véritable démocratie n’y sont absolument pas respectés : si les textes garantissant les libertés fondamentales existent bel et bien, ils sont le plus souvent bafoués par un Exécutif sans aucun contrepouvoir.
Pour autant, il est difficile de prétendre que nous vivons sous un régime dictatorial : pas de parti unique solide et disposant d’une idéologie clairement affirmée, pas de conscience tribale agissant dans le sens d’un développement séparé des diverses composantes de la communauté nationale.
Le mystère demeure donc entier : comment caractériser ce qui n’est ni une démocratie tout en s’en donnant les apparences, ni une dictature tout en en ayant la pratique ?
C’est ce que nous tenterons de voir la semaine prochaine avec la quatrième et dernière partie de cet article.
Courrier des lecteurs
PLUME CONTRE FRAUDE : UN COMBAT INÉGAL
Fidèle lecteur de votre journal, je me permets aujourd’hui de vous écrire pour vous faire part de mes angoisses. Mes propos pourraient sembler, à vous et aux autres lecteurs, comme une sorte d’exercice d’autodestruction : j’estime en effet que, dans les conditions actuelles, je n’ai pas à exister en tant que lecteur car vous n’avez pas à exister en tant que journal.
Loin de moi d’idée de porter un quelconque jugement négatif sur votre journal et il serait malséant d’en faire ici l’éloge : ce n’est ni le lieu ni l’intention. On ne dira jamais assez combien la rare presse de toute opposition constructive (ce que est bien votre cas) contribue heureusement à l’édification d’une réelle conscience citoyenne, pour peu qu’elle évite le style du dénigrement trop facile et pointe du doigt les maux dont souffre notre société, sans oublier, évidemment, de proposer les remèdes qui s’imposent.
Donc, mon propos n’est pas de vous féliciter, mais plutôt de vous poser une question que je me pose : à quoi servez-vous pratiquement ? D’une façon générale, à quoi sert-il de jouer un jeu démocratique dans le cadre d’un régime politique qui ne respecte pratiquement aucune règle du jeu démocratique ?
J’estime en effet que vous, c’est-à-dire toute l’opposition démocratique, vous êtes en train de prêcher des convertis : la dernière campagne électorale l’a bien montré, l’écrasante majorité de la population djiboutienne est fatigué de l’actuelle classe dirigeante, affairiste et espère vivement une salvatrice alternance politique.
Seulement voilà, si j’ai dit « actuelle classe dirigeante », c’est que, tout le monde le sait parfaitement, l’opposition regroupée au sien de l’UAD serait aujourd’hui au pouvoir si la consultation électorale du 10 janvier 2003 avait été réellement démocratique, en clair si toutes les parties en compétition avaient respecté les règles du jeu. Ceci pour dire, et ce n’est pas un constat sorti d’une imagination fulgurante, ce régime manipulera toujours les innombrables ressources et technologies administratives pour rester aux commandes de l’Etat. Il y a donc fort à craindre que l’opposition sera encore victime des mêmes fraudes et manipulations à chaque prochaine échéance électorale.
Ainsi, le régime a absolument besoin d’une opposition « sage » jouant le jeu tout en sachant qu’elle perdra à chaque fois. D’où le sens de ma question du début : par votre action, aussi courageuse soit-elle, n’êtes-vous pas en train de rendre service à ce régime en le légitimant par le simple fait d’accepter de jouer un jeu dont les règles sont faussées d’avance ?
Un grand écrivain français, connu pour ses œuvres à caractère social, écrivait à peu près : « Pauvre de moi, qui croyais lutter contre la misère avec ma seule plume ». J’ose penser dans le même esprit, que vous ne croyez sincèrement pas combattre ce régime par vos seuls écrits. Car dénoncer ne suffit pas, encore faut-il également avoir l’opportunité de changer les choses.
Or, comme on vient de le voir avec la fraude électorale instituée en mode de perpétuation, il n’y a pratiquement aucune chance que l’opposition accède un jour au pouvoir par les voies légales.
Loin de moi l’intention de vous demander d’abandonner la lutte politique, il s’agit juste, mais vous en êtes certainement aussi conscients que moi, de matérialiser les limites d’une action politique légaliste lorsque l’on en face de soi un régime qui ne respecte aucun pilier de la Démocratie, qui est prêt à toutes les manœuvres tribalistes et à toutes les bassesses personnelles pour rester au pouvoir.
Pour conclure, je tiens à vous assurer que si lire chaque semaine votre journal est un devoir et une fierté pour moi, j’aimerais encore plus que vous, toute l’opposition, dirigiez ce pays pour que la République de Djibouti soit enfin et définitivement débarrassée des vautours qui ne voient en elle qu’une carcasse à dépecer.
A.M.H
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COMMENTAIRES
Ce n’est pas tous les jours qu’un lecteur se permet, de façon aussi pertinente, d’attirer notre attention, et celle des autres lecteurs, sur l’efficacité de la mission journalistique d’une presse d’opposition dans un contexte de « fraude instituée » comme il le dit si bien. Soyez-en convaincu cher lecteur, nous sommes conscients des limites que vous évoquez : il est légitime que vous vous posiez de telles questions.
Lorsque l’on est engagé dans une action politique, spécialement dans la configuration historique qu’est celle de notre pays, qui vient juste de sortir d’une décennie de conflit civil, le choix est simple : persister à chercher la paix ou risquer l’aventure de la guerre. Le régime auquel nous nous opposons a choisi la seconde voie, en refusant d’appliquer l’Accord de Paix du 12 mai 2001 et en se maintenant au pouvoir par la fraude électorale. Nous sommes également conscients, pour souvent l’évoquer dans nos colonnes, que l’actuel environnement institutionnel ne favorise absolument pas une vie politique pacifique, encore moins une alternance démocratique. Mais, si l’opposition devenait aussi irresponsable que le régime, que resterait-il de notre pays ?
LA RÉDACTION
État contre BCI-MR
La démagogie en action
Il est bien connu qu’un régime politique très peu respectueux de la démocratie cherche inlassablement à subordonner toutes les sphères d’activité aux seuls impératifs de sa survie. La récente campagne de discrédit contre la Banque pour le Commerce et l’Industrie (BCI-MR), au détour d’une brève venue de Tadjourah ( on se demande bien pourquoi, même s’il est vrai que cette ville est depuis peu connectée à Internet, sans que le chômage généralisé n’y soit résorbé) et parue dans l’édition de jeudi dernier de « La Nation » en est une illustration caricaturale.
Chacun s’en souvient, un cadre expatrié de cette banque était décoré il y a quelques jours, remercié qu’il fut pour « services rendus à la Nation djiboutienne ». Soyons justes : le fait que cette médaille ait été décernée par le préposé aux affaires protocolaires ne doit pas occulter l’essentiel : à travers un de ses rouages, c’est toute la pertinence de cette institution financière qui a ainsi été remerciée. Dans le cimetière des banques qu’est Djibouti, seule une rigoureuse gestion, sans préjudice de quelques faveurs aux favorisés du régime, a pu permettre à la BCI-MR d’échapper à la banqueroute.
Or, voilà qu’un procès en bonne et due forme lui est aujourd’hui intenté, ne mâchons pas les mots, pour exploitation des clients à travers la facturation « abusive » de certaines prestations. La plume de « La Nation » ne prend aucun gant : « Facilement et sans forcer, la BCIMR vient d’infliger une nouvelle défaite à ses clients dans un drôle de match où la filiale du groupe BNP Paribas impose ses propres règles pour gagner des pécules sur le dos de ses propres clients… Motif de ce désamour : le prélèvement excessif réalisé par la banque sur les différentes opérations ».
Il ne s’agit pas pour nous de justifier ou de critiquer une politique de facturation des services bancaires dont la BCI-MR n’a pas l’exclusivité, encore moins sur la place djiboutienne : ce procès simpliste du capitalisme montre tout simplement les subterfuges démagogiques et foncièrement malhonnêtes auxquels ce régime a recours pour fuir ses véritables obligations. En effet, la plume gratuitement méchante du journal gouvernemental oublie deux ou trois petits détails.
Tout d’abord, il occulte le fait que le gouvernement djiboutien est représenté au sein du conseil d’administration de cette banque puisque l’État djiboutien détient 33% de son capital. Il est donc pour le moins irresponsable que le régime discrédite un instrument financier dont il est en partie propriétaire : un actionnaire faisant la publicité négative de sa société est tout sauf sérieux.
Saboter sa propre entreprise, au lieu d’y apporter, s’il y a lieu, les améliorations qui s’imposent, seul le régime djiboutien qui n’a aucun respect pour ses contribuables comme pour ses concitoyens, peut se permettre une telle aberration. D’autant plus que l’État djiboutien perçoit de l’argent sous forme de timbre fiscal sur certaines prestations offertes par cette banque. Facilité qu’il s’est permise, de façon tout à fait abusive et certainement en l’imposant au conseil d’administration de la BCI-MR, depuis la fameuse Conférence d’Arta et qu’il a par la suite perpétuée, certainement pour soulager des problèmes de trésorerie consécutifs à la mauvaise gouvernance.
Que se passerait-il si ses clients mécontents, dans un esprit de civisme, actionnaient les mécanismes de la concurrence et allaient chercher chez une autre banque de la place des tarifications plus intéressantes ? Autant que la BCI-MR, c’est l’Etat djiboutien qui serait victime de ce dénigrement.
On se souvient, par exemple, qu’ayant intenté une procédure de recouvrement pour le moins précipitée à l’encontre d’investisseurs djiboutiens, qui se trouvaient être comme par hasard des opposants au régime, la banque, soucieuse de ne pas perdre d’aussi importants clients, avait bien été obligée de revenir à des considérations beaucoup plus pragmatiques en faisant prévaloir ses incontournables impératifs de rendement.
Surtout, le régime serait bien obligé de se tourner vers d’autres sources de financement quand lui vient l’envie électoraliste d’un tant soit peu réduire les intolérables retards de salaire.
A ce chapitre, on ne peut manquer de souligner la légèreté de la plume gouvernementale lorsque viennent les menaces : « une pétition nationale circule sur l’ensemble du territoire pour dénoncer cette situation ». A notre connaissance, avant de rêver de guichet automatique, l’ensemble du territoire national n’a même pas accès au minimum vital. Quant à affirmer que les clients « exigent un peu de considération. Ils entendent se constituer en une association des consommateurs pour faire respecter leur intérêt », c’est une excellente nouvelle : à quand alors la défense des usagers d’une Voirie défaillante à cause de la mauvaise gouvernance, des fonctionnaires auxquels l’Etat n’est même pas capable d’assurer un salaire mensuel ?
Ces citoyens ayant un urgent besoin d’être défendus contre tous les abus d’un régime incapable, sont à coup sûr beaucoup plus nombreux que les clients « mécontents de la plus grande banque de la place.
La véritable usurpation est là : c’est celle d’un régime qui fuit ses responsabilités en offrant de façon aussi inconséquente à la vindicte populaire une banque dont l’importance dans l’économie nationale n’est pas à démontrer, même si ce n’est pas philanthropique.
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