Réalité numéro 58 du mercredi 2 juillet 2003 |
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Sommaire
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Directeur de Publication : ALI MAHAMADE HOUMEDCodirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD
Dépôt légal n° : 58 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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Éditorial
QUI EST DÉPHASÉ :
UN PEUPLE MALTRAITE OU UN RÉGIME IRRESPONSABLE ?
Passons sur le paradoxe : une Capitale illuminée pendant trois-quarts d’heure par les feux d’artifice alors que certains de ses quartiers sont plongés dans l’obscurité à cause des délestages dus à la mauvaise gouvernance. Évoquons la mauvaise conscience des fraudeurs officiels : l’énorme taux d’abstention de 51% à l’occasion de la dernière consultation électorale serait du à une dépolitisation des citoyens djiboutiens. Arrêtons-nous sur l’événement de la semaine : dans sa grande majorité, le Peuple ne s’est pas tellement senti concerné par les festivités du 27 juin. A qui la faute ?
Sans avoir à nécessairement verser dans la culpabilisation facile, dans laquelle beaucoup d’oppositions versent de par le monde, il est difficilement imaginable qu’un Peuple aussi martyrisé que le nôtre puisse, en toute inconscience, boycotter un événement pour lequel il a tant lutté et dont il attendait certainement tout, sauf de voir se détériorer ses conditions d’existence quotidienne. En clair, si les citoyens djiboutiens avaient quelque chose à fêter en ce 27 juin, ils se seraient manifestés de façon un peu plus évidente.
Il y a donc, manifestement un décalage entre l’ostentation que le régime cherche, en toute logique instrumentale, à donner à la célébration de l’Indépendance nationale et les réticences d’une population djiboutienne qui semble avoir plus de raisons de bouder que de s’amuser. Ce déphasage entre la propagande officielle et les attentes populaires pose ainsi la question de savoir d’où vient un aussi flagrant malaise.
Un premier élément de réponse, sous réserve d’une enquête d’opinion complémentaire, nous est fourni, autant que dan la pratique gouvernementale quotidienne, par certains aspects du discours présidentiel prononcé à cette occasion. C’est tout simplement sidérant. On y apprend par exemple que « la régularité des salaires figure parmi les résultats tangibles » obtenus par ce gouvernement de la mauvaise gouvernance : pourtant, le Chef de l’État devrait être le plus à même de savoir que les retards de salaire perdurent et que, si éclaircie il y a eu, c’est tant grâce à la générosité française qu’au prix d’un déficit des finances publiques. Il n’y a eu aucun miracle redevable à une saine gestion de nos ressources intérieures. Il serait donc pour le moins salutaire, et décent, que ses principaux collaborateurs informent enfin le Président de la République sur la dramatique détérioration du pouvoir d’achat des djiboutiens, très largement imputable non pas à une inflation importée à laquelle s’expose un pays qui ne produit absolument rien, mais essentiellement au gaspillage des rares ressources intérieures.
On y apprend également que le gouvernement aurait réussi à assurer « l’amélioration des conditions de vie des populations des districts de l’intérieur » : fondamentalement ubuesque, lorsque l’on sait qu’aucun emploi n’a pour le moment été créé dans ces régions. Plus gravement, une telle aberration constitue un défi au bon sens populaire comme une insulte aux attentes de ces populations, spécialement dans les zones dévastées par le conflit et auxquelles le régime refuse jusqu’à présent tout droit à la réhabilitation et à l’indemnisation. Accessoirement, le sabordage, initié au plus haut niveau de l’État, du processus de Décentralisation, est loin de plaider en faveur d’une quelconque intention sérieuse du régime en ce qui concerne un réel développement des districts de l’Intérieur.
Sans même évoquer une pratique gouvernementale largement dominée par le gaspillage et la corruption, le seul discours présidentiel prononcé à l’occasion de ce 27 juin montre de façon indubitable que si fossé il y a entre gouvernants et gouvernés, l’irresponsable responsabilité en incombe surtout à des dirigeants non seulement incapables de subvenir au minimum vital, mais bien coupables de nier l’injuste réalité à laquelle le Peuple djiboutien doit quotidiennement faire face.
Dans ces conditions, il est compréhensible que les citoyens djiboutiens aient préféré se prélasser en ce 27 juin plutôt que d’avoir l’impression de cautionner un régime responsable de la détérioration de leurs conditions d’existence. Il est peu probable que ce gouvernement des apparences tienne véritablement compte d’un tel désaveu : les fraudes électorales lui suffisent pour rester au pouvoir.
Brèves nationales
Les rodomontades du ministre-philosophe :
Cicéron ou fanfaron ?
En déplacement à Tadjourah dans le cadre des festivités du 27 juin, le Garde des Sceaux, peu loquace ces derniers temps, en a profité pour dispenser ex cathedra un cours de haute politique à l’intention des habitants de la Ville-Blanche, innocentes victimes de la politique gouvernementale. Il est étonnant que le représentant gouvernemental de la fraude ait pu oser donner des leçons de démocratie à des citoyens dont le libre choix du 10 janvier 2003 a été confisqué. L’inspiration lui ayant fait défaut, l’orateur a trébuché à plusieurs reprises en tentant d’esquiver la rude réalité. Déphasé et dépassé, il a justifié l’impasse actuelle par l’attitude négative de l’opposition naviguant à contre-courant selon lui. Ignore-t-il que cette opposition ainsi brocardée est celle-là même qui a récemment fait la preuve de son influence prépondérante à Tadjourah et ailleurs ? Alors que certains ministres de la mal-gouvernance restent ignorés jusque dans leurs propre villages.
Mais, comme dans ce régime d’esbroufe, parler pour ne rien dire relève de la culture politique, il est tout à fait regrettable de voir un philosophe figurer dans un gouvernement interdisant l’usage des immenses ressources de la maïeutique qui sont les siennes. Accepter de rester à l’étroit dans un système bridant à ce point l’imagination, c’est faire de la politique non pas de tout son sens, mais de tout son ventre.
Lutte contre la pauvreté :
l’esbroufe en guise de bouffe
Un curieux édito honteux en dernière page de « La Nation » du 26 juin nous a fait pouffer de rire. Sous le titre « Pour une décentralisation responsable », le lecteur a droit à une explication incohérente où se mêlent l’événementiel et la prospective. On a beau chercher ce qui a trait à la décentralisation, on reste sur sa faim. Juste quelques lignes complètement décalées du corps du texte nous rappellent qu’il s’agit en fait de la décentralisation économique, matérialisée par les méga-projets de développement au bénéfice du district d’Ali-Sabieh, région frondeuse où le chômage reste important. Cette politique démagogique destinée à susciter des jalousies sociales ne peut pourtant pas faire oublier qu’il y a plus de dix ans de nombreux emplois ont été supprimés suite à la faillite retentissante d’entreprises publiques telles que la Laiterie, Air-Djibouti ou l’Usine d’Aliments de Bétail.
Seule une politique volontariste de lutte contre le chômage pourra réduire de façon notable la pauvreté à l’échelle de toute la Nation. Pour le moment, l’esbroufe reste servie comme bouffe à nos concitoyens affamés par la mauvaise gouvernance.
A l’appui de notre thèse, citons copieusement l’édito de « La Nation » pour une fois, chef-d’œuvre du genre : « Personne ne peut nier : la situation économique s’est positivement débloquée. L’amorce de ce décollage est le fruit de la mise en place progressive du programme sur lequel s’est engagé le Président de la République. Programme qui s’articule autour de la lutte effrénée contre la pauvreté, la réduction du chômage et la lutte pour l’amélioration des conditions de vie du président. ».CQFD .
Il aurait été étonnant qu’une presse alimentaire ne se soucie pas de « l’amélioration des conditions de vie du président » de la République. Quoique que ce dernier nous semble moins à plaindre que la majorité des Djiboutiens. Et pour cause…
Les militants du MRD libérés, mais…
Nous avons appris avec satisfaction la libération de Pauline Mohamed Abdou et de ses trois compagnons, arrêtés pour « tentative de graffiti » dans la nuit du 22 au 23 juin et injustement incarcérés depuis à la prison centrale de Gabode. Candidate de l’UAD dans la circonscription de Djibouti aux dernières législatives, Pauline avait été arrêtée dans le cadre de l’acharnement contre le leader du MRD, M. Daher Ahmed Farah. Elle et ses trois co-accusés ont été finalement libérés le 29 juin à l’issue d’un procès expéditif au cours duquel ils ont tout de même été condamnés à trois mois de prison avec sursis. En sursis, mais libres.
Pour quelques barils de gasoil :
Randa renoue avec l’obscurité et la corvée d’eau
Contrairement aux affirmations fantaisistes du vice-président du conseil régional de Tadjourah, par ailleurs responsable régional de l’EDD, la mauvaise gouvernance ne semble pas en mesure d’efficacement « contribuer aux frais de gasoil », encore moins de « tirer un trait sur l’obscurité et la soif à Randa » de manière permanente. Quelques jours après la coûteuse autant qu’improductive visite présidentielle, les Randaniens ont ressorti leurs torches électriques et autres lampes-tempête pour s’éclairer. La rapide réapparition de la corvée d’eau leur a également fait retrouver l’usage des brouettes et des jerricans pour chercher l’eau à la source du coin. Les habitants de ce paisible village et ses centaines de vacanciers n’en finissent pas de maudire la mauvaise gouvernance et ses représentants locaux et nationaux, qui prophétisaient prématurément une renaissance économique à cette station d’altitude, sinistrée depuis 1993. Est-ce donc cela, la « gestion de vraie problématique » ?
Une inacceptable expropriation : à propos du projet de réforme de la propriété foncière en milieu rural
A propos du projet de réforme de la propriété foncière en milieu rural
Au lieu de s’atteler à « la gestion de vraie problématique » chère au Premier ministre, le Chef de l’Etat semble pour le moment plus préoccupé de s’investir dans l’un des projets les plus dangereux, puisque potentiellement générateur de conflits territoriaux ainsi que d’anarchie pastorale par la destruction des structures millénaires existantes . Ainsi, plutôt que de mettre en place une réelle Décentralisation et d’œuvrer au développement socio-économique des régions, il vient de concocter, avec l’appui technique d’un expert africain dépêché par la FAO, un projet de loi sans aucune nécessité immédiate, visant à une remise en cause totale des structures sociales traditionnelles. Le titre pompeux « le pastoralisme et le développement agropastoral » masque mal la véritable intention de ce projet de réforme de la propriété terrienne en milieu rural : mettre toutes les régions de l’Intérieur entre les mains de l’État, de sa politique et de son clientélisme. Avant nos commentaires sur ce projet fantaisiste autant que dangereux, en voici le texte dans son intégralité.
AVANT-PROJET DE LOI
SUR LE PASTORALISME ET LE DEVELOPPEMENT AGROPASTORAL
L’assemblée nationale a adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit
Vu la Constitution du 15 Septembre 1992
Vu le Décret n° . . . . portant nomination du Premier Ministre
Vu le Décret n° . . . portant nomination des membres du gouvernement
Chapitre 1 – Objet et champ d’application
Article 1 : La présente loi définit les principes fondamentaux et les régies générales régissant la gestion des ressources naturelles à des fins pastorales et agropastorales en République de Djibouti.
Elle détermine en particulier :
– le statut des ressources pastorales ;
– les conditions d’accès aux espaces pastoraux et de la pratique de la transhumance ;
– les mesures de sécurisation foncière des activités pastorales et agropastorales.
Elle consacre les droits des pasteurs et définit leurs obligations dans l’exercice des activités pastorales et agropastorales.
Article 2 : La présente loi a pour objectif de promouvoir la mise en valeur et l’utilisation durable des ressources pastorales et agropastorales en vue d’améliorer les conditions de vie de la population en milieu rural.
Elle vise également à promouvoir les pratiques de protection de l’environnement contre les risques de dégradation afin de préserver les intérêts des générations présentes et futures; elle met en place un cadre institutionnel pour la gestion effective des ressources pastorales.
Article 3 : La présente loi s’applique uniquement au milieu rural et principalement à l’élevage pastoral des espèces caméline, bovine, ovine et caprine.
Chapitre 2 – Définitions
Article 4 : Au sens de la présente loi, on entend par :
1°) pastoralisme, le mode d’élevage qui consiste à assurer l’alimentation et l’abreuvement des animaux grâce à l’exploitation itinérante des ressources pastorales;
2°) agro pastoralisme, la production rurale traditionnelle qui associe aux activités pastorales de base des activités agricoles d’appoint;
3°) pasteur, celui qui exerce à titre d’occupation principale l’activité d’élevage pastoral;
4°) ressources pastorales, l’ensemble des ressources végétales, hydriques et minérales nécessaires à l’alimentation des animaux dans le cadre de l’élevage pastoral;
6°) coutumes pastorales, l’ensemble des règles locales, en général non officielles, de gestion des ressources pastorales, reconnues comme telles par une population, fondées sur les traditions ancestrales et dont l’observation est considérée comme s’imposant à tous;
7°) usages pastoraux locaux, les pratiques locales habituelles d’exploitation et de gestion des ressources pastorales observées par les pasteurs dans une localité ou région déterminée ;
8°) pâturage lignager, territoire de pâture occupé et exploité depuis plusieurs générations par un lignage déterminé et considéré coutumièrement comme lui appartenant:
9°) pâturage communautaire, territoire de pâture dont les ressources sont librement accessibles aux membres de la communauté concernée, et considéré coutumièrement comme n’appartenant à personne en particulier;
10°) acteurs ruraux, les pasteurs, l’État, les collectivités territoriales décentralisées et les opérateurs privés exerçant des activités de développement en milieu rural.
Chapitre 3 – Principes fondamentaux
Article 5 : Tout acteur rural, sans distinction d’origine sociale, de sexe et de religion, bénéficie d’un droit d’accès équitable aux ressources pastorales en vue du développement d’activités productives.
L’État prend toutes dispositions de nature à promouvoir l’accès effectif des acteurs ruraux femmes aux ressources pastorales.
Article 6 : L’accès aux ressources pastorales se fait dans les conditions prévues par la présente loi et les autres textes législatifs et réglementaires y afférents, ainsi que dans le respect des coutumes et usages pastoraux locaux des régions concernées.
L’accès de chaque catégorie d’acteurs ruraux aux ressources pastorales se fait dans le respect des droits d’utilisation reconnus aux autres catégories d’acteurs.
Article 7 : L’État et les collectivités territoriales décentralisées garantissent aux pasteurs le droit d’accès aux ressources pastorales ainsi que la mobilité de leurs troupeaux. Ce droit d’accès s’exerce dans le respect des coutumes et usages pastoraux locaux.
Article 8 : Conformément aux traditions culturelles et usages de solidarité pastorale, les pasteurs des régions favorisées prêtent assistance aux pasteurs des régions moins favorisées en matière d’exploitation des ressources pastorales. A cet effet, ils peuvent passer des conventions d’assistance interlignages.
Article 9 : Dans le cadre de leur gestion durable, les ressources naturelles doivent être mises en valeur et utilisées en vue de l’amélioration des conditions de vie de la population rurale.
L’État et les collectivités territoriales décentralisées prennent toutes mesures administratives, techniques et juridiques de nature à favoriser la mise en valeur optimale des terres rurales en tenant compte de leur vocation et potentialité pastorale, agricole, touristique ou autres.
L’État et les collectivités territoriales décentralisées favorisent la diversification des activités de mise en valeur des ressources naturelles. Ils prennent des mesures incitatives pour la promotion et le développement des activités telles que la pêche, l’apiculture ou l’artisanat.
Article 10 : L’État et les collectivités territoriales favorisent l’implication et la responsabilisation des populations locales dans la gestion des ressources locales Ils peuvent à cet effet, mettre en place toute structure de consultation ou de concertation au niveau national ou local, ou faciliter l’organisation des autres catégories d’acteurs ruraux.
Article 11 : La présente loi reconnaît et valorise les coutumes, usages et savoir-faire pastoraux locaux, à l’exception des coutumes de nature pénale et sous réserve de leur conformité avec les principes constitutionnels de la République de Djibouti.
En cas de conflit entre la loi d’une part et les coutumes et usages pastoraux d’autre part, préférence doit être donnée à la loi.
Chapitre 4 – Protection de l’environnement
Article 12 : L’exercice des activités pastorales, agricoles, touristiques ou autres par l’ensemble des acteurs ruraux est soumis à l’obligation générale de préservation de l’environnement.
A ce titre, tous les acteurs ruraux sont responsables, au sein de leurs communautés et à titre individuel, de la bonne utilisation et de la préservation des ressources pastorales.
Article 13 : L’exploitation des ressources naturelles à des fins pastorales doit être faite de manière durable, avec le souci de préserver les droits des générations présentes et futures, conformément à la législation relative à la protection de l’environnement.
Article 14 : Les acteurs ruraux doivent participer à la conservation et à l’utilisation durable de la diversité biologique, notamment en respectant la réglementation relative aux aires protégées et à la préservation des ressources végétales, spécialement celles fortement appétées.
La coupe des arbres sur les espaces pastoraux est interdite. L’émondage des arbres est autorisé sous réserve du respect des normes édictées par les services techniques compétents.
Article 15 : Conformément aux conventions internationales pertinentes, l’État doit veiller à la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique; à cet effet il oeuvre à la connaissance, la préservation, l’amélioration et la vulgarisation des pratiques pastorales traditionnelles des communautés de base, qui favorisent la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique.
Article 16 : Les acteurs ruraux doivent collaborer pour lutter efficacement contre la désertification.
Ils coopèrent avec les institutions nationales et internationales compétentes en matière de protection des écosystèmes naturels, de préservation de leur fonctionnement équilibré et de valorisation de leur potentiel productif.
Article 17 : Les actions et projets de développement doivent être conçus et réalisés en tenant compte de la nécessité de préserver les ressources pastorales en tant qu’éléments essentiels du cadre et de la qualité de vie des populations rurales.
A cet effet, une étude d’impact sur l’environnement est exigée chaque fois que la réalisation d’un projet, d’un programme ou d’un plan de développement est susceptible de causer des dommages à l’environnement ou d’entraîner la suppression totale ou partielle de ressources pastorales.
TITRE II. REGIME DES RESSOURCES PASTORALES
Chapitre 1 – Énumération et classification des ressources pastorales
Article 18 : Les ressources pastorales sont constituées par :
les pâturages naturels herbacés ;
les pâturages aériens;
les cultures fourragères;
les ressources en eau, superficielles ou souterraines utilisées à des fins pastorales.
Constituent également des ressources pastorales.
les espaces où se pratiquent habituellement les cures salées; les zones de mangroves;
les zones de palmiers doum.
Article 19 : Les espaces pastoraux comprennent les espaces pastoraux coutumiers et les espaces pastoraux immatriculés.
Article 20 : Les espaces pastoraux coutumiers sont constitués par les pâturages lignagers et par les pâturages communautaires.
Les pâturages lignagers sont des espaces pastoraux détenus en vertu de faits ancestraux de possession, exercés à titre particulier, exclusif ou prioritaire, par des lignages déterminés, et dont les droits sont unanimement reconnus comme légitimes par les communautés de base dont relèvent ces lignages;
Les pâturages communautaires sont des espaces pastoraux occupés et exploités de manière commune par les membres d’une communauté de base, sans qu’un lignage déterminé membre de cette communauté de base puisse se prévaloir de droits particuliers, exclusifs ou prioritaires.
Article 21 : Les espaces pastoraux immatriculés sont ceux occupés en vertu d’un titre foncier régulièrement délivré conformément à la législation foncière en vigueur. Ces espaces peuvent être :
soit intégrés au domaine privé de l’État ou des collectivités territoriales décentralisées; soit concédés au profit de personnes privées;
soit détenus en vertu d’un titre foncier de propriété privée régulièrement délivré.
Au sens de la présente loi, sont assimilés aux espaces pastoraux immatriculés, les espaces ruraux pastoraux relevant du domaine public de l’État, tels que les zones de mangroves ou certaines zones de cures salées.
Section 2. Les ressources en eau
Article 22 : Les points d’eau pastoraux comprennent les points d’eau naturels et les points d’eau aménagés.
Constituent des points d’eau naturels: les cours d’eau; les lacs et étangs; les mares et gueltas.
Constituent des points d’eau aménagés:les puits;les forages ;tous autres ouvrages hydrauliques destinés à la maîtrise de l’eau telles que les retenues collinaires.
Au sens de la présente loi, les puits sont les ouvrages hydrauliques permettant de prélever les ressources souterraines en eau à une faible profondeur; les forages sont les ouvrages hydrauliques permettant de capter les ressources en eau à une grande profondeur.
Chapitre 2- Régime commun d’accès aux espaces pastoraux
Article 23 : Les espaces pastoraux constituent un patrimoine de la nation djiboutienne. L’État et les collectivités territoriales décentralisées, en tant que représentants de l’intérêt général sont responsables, en collaboration avec les communautés de base concernées, de la préservation des ressources pastorales et de la lutte contre la désertification
Article 24 : Les populations rurales bénéficient un droit d’usage et de jouissance sur les espaces pastoraux coutumiers qu’elles occupent et exploitent traditionnellement. Toute décision de l’État ou d’une collectivité territoriale décentralisée d’attribuer ou d’autoriser l’occupation ou l’exploitation d’espaces pastoraux coutumiers nécessite l’accord préalable des populations concernées.
Article 25 : Les droits d’usage et de jouissance reconnus par la présente loi aux populations rurales sont assortis de l’obligation générale de respecter l’environnement et de se conformer aux principes de l’utilisation durable des ressources naturelles.
L’Etat ou les collectivités territoriales décentralisées peuvent intervenir pour prendre les mesures appropriées de préservation des ressources naturelles lorsqu’il est établi que des pratiques locales sont de nature à compromettre de manière irréversible l’utilisation durable des ressources pastorales.
Article 26 : L’État et les collectivités territoriales décentralisées veillent à la préservation de la vocation pastorale des espaces ruraux. Ils s’assurent que les projets de développement et opérations de mise en valeur en milieu rural tiennent dûment compte des besoins en espace et en ressources naturelles des populations locales pour assurer leur subsistance et les activités productives habituelles.
Tout changement de destination d’une portion d’espace pastoral nécessite l’avis favorable préalable des services techniques de l’élevage, des collectivités territoriales décentralisées et des autorités coutumières concernées.
Article 27 : Les décisions de l’État ou des collectivités territoriales prises en violation des dispositions du présent chapitre peuvent être annulées par les juridictions compétentes dans le cadre des procédures ordinaires de recours contre les actes administratifs.
Il en est de même en ce qui concerne les décisions prises en violation des dispositions des articles 35 et 47 ci-dessous de la présente loi. .
Chapitre 3 – Régime des pâturages lignagers
Article 28 : Les lignages exercent des droits exclusifs d’usage et de jouissance sur leurs pâturages lignagers. Ces droits sont constitutifs de droits réels et protégés comme tels. Nulle personne et nul groupe de personnes ne peuvent être privées de leurs droits sur les pâturages lignagers pour cause d’utilité publique sans une juste et préalable indemnité
Article 28 : Les droits reconnus au lignage sur le pâturage lignager confèrent un droit collectif d’exploitation aux membres du lignage. Ce droit collectif donne à chaque membre du lignage un droit égal d’accès aux ressources du pâturage lignager. Chaque membre du lignage peut à ce titre, dans le respect des usages locaux reconnus en la matière, faire pâturer ses animaux et les abreuver. Il peut également, sous l’autorité du représentant du lignage entreprendre toutes activités productives, agricoles, touristiques ou autres.
Article 29 : L’accès aux espaces pastoraux lignagers aux fins de pâturage des animaux se fait dans le respect de l’aménagement traditionnel de l’espace rural notamment, du zonage traditionnel des pâturages en fonction des espèces.
Article 30 : Nul pasteur membre de la communauté, mais non membre du lignage titulaire d’un pâturage ne peut accéder aux ressources du pâturage lignager concerné sans l’autorisation préalable du représentant du lignage. Toute exploitation frauduleuse ou occupation non autorisée est interdite.
Les pasteurs appartenant à d’autres communautés ne pourront accéder à des pâturages lignagers qu’en vertu d’une convention locale pastorale, conformément aux usages locaux en vigueur. L’accès accordé à une communauté comporte de plein droit un droit de réciprocité.
Les pâturages lignagers peuvent faire l’objet de locations et prêts à des pasteurs membres d’autres lignages ou communautés dans les conditions prévues par les usages locaux. L’État et les collectivités territoriales décentralisées encouragent par toutes mesures appropriées la formalisation des prêts et locations de pâturage et garantissent le respect de ces conventions.
Article 31 : Le représentant du lignage est légalement investi des droits reconnus au lignage sur les pâturages lignagers. Il agit au nom du lignage et pour son compte. Il peut autoriser d’autres personnes à occuper et exploiter temporairement les terres du lignage. Il est habilité à ester en justice pour défendre les droits pastoraux du lignage.
De manière générale, le représentant du lignage peut accomplir tous actes d’administration au nom et pour le compte du lignage. Il peut notamment demander la délivrance, au nom du lignage, d’un titre collectif attestant des droits du lignage sur ses pâturages.
Aucun membre du lignage, quel que soit son statut, ne peut accomplir seul des actes de disposition des pâturages lignagers. Tout acte de cession d’une portion de pâturage lignager nécessite l’accord préalable des membres du lignage. Cet accord est constaté par un procès-verbal obligatoirement annexé à l’acte de cession.
La cession irrégulière d’une portion de pâturage est nulle et de nul effet.
Chapitre 4 – Régime des pâturages communautaires
Article 32 : Les communautés locales de base exercent des droits communs d’usage et de jouissance sur les pâturages communautaires reconnus comme constituant les espaces traditionnels de ces communautés.
Les droits reconnus à la communauté sur le pâturage communautaire confèrent un droit d’exploitation collectif, prioritaire et non exclusif aux membres de la communauté. Chaque membre de la communauté concernée dispose d’un droit égal d’accès aux ressources de l’espace communautaire. Il peut y faire pâturer ses animaux, les abreuver et accomplir tout acte de mise en valeur.
Les personnes qui ne sont pas membres de la communauté de base peuvent également accéder aux ressources de l’espace communautaire. Cet accès est conditionné par le respect du droit de priorité reconnu par la présente loi aux membres de la communauté locale, ainsi qu’au respect des usages locaux en vigueur
Article 33 : Les droits reconnus à chaque membre de la communauté sont exercés dans le respect des droits des autres utilisateurs et conditionnés par le respect de l’environnement. Il est interdit de gaspiller les ressources des pâturages communautaires ou de les utiliser de manière abusive.
Article 34 : Les autorités coutumières locales apportent leur concours à la préservation et à l’utilisation durable des ressources pastorales communautaires Elles informent les services techniques compétents des menaces de dégradation de l’environnement dont elles ont connaissance. Elles peuvent prendre toute mesure jugée appropriée de préservation des ressources naturelles, en concertation avec les services techniques locaux.
Toute personne qui de manière répétée se rend coupable d’exploitation abusive ou de dégradation graves des ressources naturelles peut être temporairement empêchée d’y accéder par les autorités coutumières locales. Ce temps d’interdiction ne peut dépasser une année. Information de l’interdiction d’accès est donnée immédiatement à l’autorité administrative locale territorialement compétente.
Chapitre 5 – Régime des espaces pastoraux immatriculés
Section 1 – Espaces pastoraux relevant du domaine privé de l’État
Article 35 : L’État et les collectivités territoriales décentralisées peuvent immatriculer des portions d’espaces pastoraux dans leurs domaines privés respectifs. L’immatriculation est subordonnée à l’accord préalable des représentants des populations locales concernées, dans les conditions prévues par les textes complémentaires de la présente loi. L’accord des populations locales est constaté par l’établissement d’un procès-verbal.
Article 36 : Dans le cadre des opérations d’aménagement des espaces ruraux entrepris par l’État, celui-ci négocie un réaménagement foncier avec les populations locales concernées.
Le plan de réaménagement foncier rural consiste en une convention entre d’une part l’État ou une collectivité territoriale décentralisée prenant l’initiative d’un aménagement public, et d’autre part les communautés rurales concernées par ledit aménagement, en vertu de laquelle les populations cèdent une partie de leurs droits fonciers à l’État ou à la collectivité territoriale décentralisée, et reçoivent en contrepartie, la rétrocession d’une partie des terres aménagées; elles bénéficient également de la jouissance d’infrastructures économiques et sociales prévues dans la convention. La négociation du plan de réaménagement foncier tient compte de la plus-value qu’apporte l’aménagement projeté aux terres des populations locales.
Article 37 : L’État et les collectivités territoriales décentralisées peuvent affecter des portions de leur domaine privé immatriculé à des particuliers en vue de la réalisation d’activités de développement rural, notamment dans le domaine de la production agricole, agropastorale ou touristique. L’attribution de terres aménagées du domaine privé de l’État aux personnes physiques ou morales privées a lieu à titre onéreux, sauf les exceptions prévues par la loi.
Exceptionnellement, l’État ou les collectivités territoriales décentralisées peuvent attribuer à titre gratuit une partie des terres aménagées à des femmes rurales, individuelles ou organisées en associations ou en coopératives de production.
Section 2 – Espaces pastoraux appropriés individuellement
Article 38 : Sous réserve du respect des dispositions de la présente loi et de la législation foncière en vigueur, les particuliers peuvent être titulaires des droits privatifs sur les espaces pastoraux, soit au moyen d’une transaction foncière coutumière, soit par attribution de l’État sur son domaine privé.
Article 39 : Toute transaction foncière coutumière ayant pour objet le transfert définitif d’une portion d’espace pastoral au profit d’une personne étrangère au lignage ou à la communauté détentrice des droits fonciers pastoraux, requiert l’accord préalable des membres de ce lignage ou de cette communauté. L’accord est constaté par l’établissement d’un procès-verbal dans les conditions et selon les modalités fixées par les textes complémentaires de la présente loi.
Toute transaction foncière coutumière ne respectant pas les prescriptions du présent article est nul et de nul effet.
Article 40 : Conformément à la législation foncière en vigueur, l’État et les collectivités territoriales décentralisées peuvent attribuer des portions d’espace pastoral relevant de leur domaine privé à des personnes physiques ou morales désirant réaliser des opérations de mise en valeur en milieu rural. L’attribution est faite par voie de concession provisoire, et toujours à titre onéreux.
Article 41 : L’octroi de concession sur les espaces pastoraux relevant du domaine privé de l’État est assorti de l’obligation de respecter les clauses du cahier des charges de la concession.
Sous peine de déchéance, il est interdit de changer l’affectation d’un espace pastoral pendant toute la durée de la concession provisoire, sauf autorisation préalable délivrée par le service des domaines après avis des services techniques locaux concernés.
La concession provisoire peut être transformée en concession définitive après réalisation de la mise en valeur prévue par le cahier des charges.
Chapitre 6 – Accès aux ressources en eau et aménagement des points d’eau
Section 1 – Points d’eau naturels
Article 42 : Les points d’eau naturels sont accessibles librement et gratuitement à tous les pasteurs pour les besoins de l’abreuvement de leurs animaux.
Le droit d’accès libre aux points d’eau naturels est conditionné par le respect de l’environnement et l’utilisation des ressources en bon père de famille. En particulier, cette utilisation doit se faire de manière économique et en respectant les droits des autres utilisateurs. Tout gaspillage et toute occupation abusive d’un point d’eau naturel sont interdits.
Les utilisateurs d’un point d’eau naturel sont tenus de participer à sa protection, à travers le respect des mesures prévues par les structures de gestion de points d’eau.
Article 43 : Des zones de sauvegarde peuvent être instituées à proximité des sources et des nappes souterraines afin d’assurer la protection qualitative et quantitative des ressources en eau.
Les fonds inclus dans les zones de sauvegarde sont frappés de plein droit d’une servitude utile à la protection de la ressource. Les textes complémentaires de la présente loi fixent les restrictions et interdictions applicables aux zones de sauvegarde.
Article 44 : L’accès aux points d’eau naturels se fait obligatoirement par les couloirs d’accès aménagés à cet effet. Les collectivités territoriales décentralisées et les autorités coutumières locales concernées sont responsables conjointement de la détermination et de la délimitation des couloirs de passage.
Article 45 : Des servitudes de passage pour l’accès des animaux sont imposées aux propriétaires des fonds riverains des points d’eau naturels. Les servitudes s’exercent uniquement sur les couloirs d’accès aménagés à cet effet. Elles peuvent donner lieu à indemnisation, en nature ou en numéraire, au profit du propriétaire du fonds servant dans les conditions fixées par les textes complémentaires de la présente loi.
Article 46 . Tous travaux, aménagements ou interventions sur le lit des cours d’eau susceptibles d’affecter gravement les possibilités d’abreuvement des animaux font l’objet d’une autorisation préalable délivrée par l’administration compétente, conformément au code de l’eau.
Section 2 – Points d’eau aménagés
Article 47 : La décision de création d’un point d’eau public aménagé, qu’il s’agisse d’un puits, d’un forage ou d’une retenue collinaire nécessite une concertation préalable obligatoire avec les populations locales concernées. Leur avis est requis en ce qui concerne l’opportunité de création du point d’eau, le choix de son lieu d’implantation ainsi que pour les distances d’implantation à respecter par rapport à d’autres points d’eau.
Article 48 : Le ministre chargé de l’hydraulique élabore les normes relatives au maillage des puits et forages publics. Ces normes sont fixées par voie réglementaire, après consultation des populations locales concernées.
Article 49 : La création d’un forage public est subordonnée à la réalisation d’une étude d’impact environnemental et social. L’étude doit comporter l’indication des mesures à prendre pour atténuer les conséquences nuisibles identifiées de l’implantation du forage.
Article 50 : Les puits et forages publics sont aménagés de manière à séparer les points d’alimentation humaine et les points d’abreuvement des animaux.
Ces aménagements doivent s’accompagner de la création de périmètres de protection.
Article 51 : L’accès à un puits ou forage public peut être soumis au paiement d’une redevance dont le taux est fixé en tenant compte de la faiblesse des revenus des populations rurales.
La redevance peut être fixée annuellement pour les pasteurs résidents et en fonction de l’utilisation des ressources pastorales pour les pasteurs transhumants.
Article 52 : Les populations locales usagères d’un puits ou forage public sont responsables de sa gestion et son entretien. Les autres utilisateurs doivent contribuer à l’entretien des infrastructures par des travaux en nature ou par des contributions financières.
Article 53 : La création de tout point d’eau public aménagé, notamment d’un forage, doit être accompagnée de la mise en place d’un système local de gestion du point d’eau. Les utilisateurs d’un point d’eau s’organisent pour créer une commission locale de l’eau.
Les services techniques compétents et les collectivités territoriales décentralisées favorisent et facilitent la mise en place des commissions locales de l’eau.
Article 54 : La gestion de chaque point d’eau public aménagé est assurée par une structure locale de gestion du point d’eau. Cette structure peut proposer à l’autorité compétente les mesures appropriées et consensuelles de gestion des ressources en eau, notamment les principes d’accès aux points d’eau et les taux des redevances.
Article 55 : Les structures locales de gestion de l’eau prennent toutes mesures appropriées pour une utilisation rationnelle et équitable des ressources d’un point d’eau public aménagé. Elles peuvent notamment, en concertation avec les autorités coutumières locales, instituer des tours d’eau en fonction des espèces d’animaux, petits ruminants ou gros bétail.
Article 56 : Les structures locales de gestion de l’eau assurent la collecte et la gestion des redevances liées à l’utilisation des ressources en eau. Les fonds récoltés doivent être reversés dans une caisse tenue à cet effet. La structure rend compte périodiquement de la gestion de ces fonds aux institutions locales compétentes.
Section 3 – Points d’eau pastoraux privés
Article 57 : La réalisation de puits par des particuliers pour la réalisation d’activités domestiques est libre. Sont considérées comme domestiques les activités de production pastorales, agropastorales ou agricoles menées aux fins de subsistance.
Article 58 : Tout prélèvement de ressources du domaine public hydraulique par voie de forage privé est soumis à autorisation préalable de l’autorité compétente, conformément au code de l’eau.
L’accès aux ressources d’un puits privé ou d’un forage privé est réservé au propriétaire. Aucun prélèvement par autrui ne peut être fait sans l’autorisation préalable du propriétaire
Article 59 : Les propriétaires de puits et forages privés sont tenus de se conformer à la réglementation applicable aux prélèvements des eaux du domaine public hydraulique, notamment en ce qui concerne le matériel de pompage et le débit d’exhaure.
TITRE III – TRANSHUMANCES
Article 60 : Les pasteurs ont le droit de conduire les animaux en transhumance sur l’ensemble du territoire djiboutien.
Les autorités administratives locales et les collectivités territoriales décentralisées apportent leur concours et leur assistance à la bonne organisation des déplacements des animaux, à la sécurité des troupeaux et au règlement des litiges éventuels.
Après consultation des représentants des pasteurs, le ministère chargé de l’élevage procède à la détermination et l’aménagement des grands axes de passage des animaux en transhumance et pour la commercialisation.
Article 61 : Le déplacement des animaux en transhumance se fait dans le respect de l’environnement et des usages locaux relatifs à l’utilisation des pâturages. En particulier, les pasteurs transhumants sont tenus de respecter le zonage traditionnel des pâturages en fonction des espèces d’animaux.
Article 62 : Les troupeaux en transhumance doivent faire l’objet d’une surveillance. La garde des animaux transhumants est assurée conformément aux usages locaux en vigueur.
Dans tous les cas, les propriétaires de troupeaux transhumants répondent des dommages causés à autrui du fait de leurs animaux.
Article 63 : Les propriétaires d’animaux en transhumance sont tenus de se conformer aux régies en vigueur relatives à la police zoosanitaire. Les pasteurs transhumants doivent déclarer tout cas suspect de maladie contagieuse.
Les services chargés de l’élevage sont habilités à mettre en quarantaine les troupeaux inconnus suspectés de véhiculer des maladies contagieuses.
Article 64 : Le droit de transhumer reconnu à l’article 60 ci-dessus comprend la faculté de franchir les frontières nationales à des fins de pastoralisme, sous réserve de l’obligation pour les pasteurs de se conformer à la législation du pays d’accueil, notamment en matière de la police zoosanitaire et de protection de l’environnement.
Sous réserve de réciprocité, les pasteurs en provenance des pays voisins ont le droit de pénétrer sur le territoire Djiboutien à des fins de transhumance. Les pasteurs transhumants en provenance d’autres pays sont tenus de respecter la législation djiboutienne, notamment en matière de police zoosanitaire, de protection de l’environnement et de gestion des points d’eau.
Article 65 : Les autorités compétentes djiboutiennes négocient avec les États voisins des accords bilatéraux ou multilatéraux visant la coopération dans les situations de crise écologique, la gestion des ressources transfrontalières et la promotion de la commercialisation du bétail.
TITRE IV – SECURISATION DES DROITS
Article 66 : Les espaces pastoraux occupés en vertu des coutumes ne constituent pas des biens vacants et sans maître.
Les droits fonciers pastoraux individuels et collectifs reconnus par la présente loi sont protégés par le juge compétent contre les troubles de jouissance susceptibles d’être causés par les particuliers, l’État et les collectivités territoriales décentralisées.
Les titulaires de ces droits ne peuvent en être privés que pour des raisons d’utilité publique et contre une juste et préalable indemnisation, conformément aux dispositions en vigueur relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Article 67 : Les lignages et communautés titulaires de droits fonciers pastoraux peuvent, par l’intermédiaire de leur représentant, demander aux autorités compétentes la délivrance d’un titre attestant de leurs droits.
La nature de ce titre et les modalités de sa délivrance sont fixées par les textes complémentaires de la présente loi.
Chapitre 2 – Mécanismes et outils de sécurisation des droits
Article 68 : La gestion des droits fonciers pastoraux relève des institutions locales compétentes et de l’administration nationale chargée de la conservation foncière.
Les textes complémentaires de la présente loi déterminent les institutions locales compétentes en matière d’administration des droits fonciers pastoraux. Ils fixent également les modalités de cette administration ainsi que les modalités de supervision et de contrôle par les autorités nationales compétentes.
Article 69 : Les terres rétrocédées par l’État aux populations rurales dans les conditions prévues à l’article 36 ci-dessus font obligatoirement l’objet de mesures d’identification des bénéficiaires, de délimitation et de matérialisation par tous moyens appropriés. Des textes complémentaires de la présente loi fixent les modalités de constatation des droits, de délimitation et de matérialisation des terres ainsi rétrocédées.
Article 70 : Les droits fonciers acquis par l’État ou les collectivités territoriales décentralisées et immatriculés dans leur domaine privé doivent être recensés et représentés sur des cartes foncières rurales, qui constituent des documents ruraux pré-cadastraux.
Les cartes foncières rurales sont établies par l’administration de la conservation foncière, en concertation avec les services locaux de l’agriculture et de l’élevage et avec les collectivités territoriales décentralisées concernées. L’échelle de réalisation des cartes est fixée par les textes complémentaires de la présente loi.
Les cartes foncières rurales sont régulièrement mises à jour dans les conditions fixées par les textes complémentaires de la présente loi.
TITRE V – INSTITUTIONS – GESTION DES CONFLITS
Chapitre 1 – Comité de concertation pour la gestion durable des ressources communes
Article 71 : Il est créé dans chaque région un comité de concertation pour la gestion durable des ressources communes
Article 72 : Le comité de concertation pour la gestion durable des ressources communes a pour mission de promouvoir la responsabilisation des populations dans la gestion des ressources pastorales communes et d’assurer la mise en oeuvre effective des principes, régies et usages de gestion durable de ces ressources.
Article 73 : Le comité de concertation pour la gestion durable des ressources communes est principalement chargé de :
formuler des avis à la demande des autorités nationales et locales chargées de la gestion des ressources pastorales ;
recommander en cas de besoin aux instances locales compétentes des mesures spécifiques de gestion des ressources pastorales, telles que les régies d’accès équitables aux ressources communes ou les mises en défens;
organiser la collecte des usages pastoraux locaux, promouvoir leur observation et fournir une expertise en la matière aux tribunaux en cas de besoin ;
favoriser la conclusion des conventions locales pastorales d’assistance inter-lignages et faciliter le règlement des différends qui résultent de leur mise en oeuvre ;
suivre la mise en oeuvre de la législation pastorale et formuler toute recommandation de révision aux autorités compétentes ;
participer à la négociation et au suivi de la mise en oeuvre de plans de réaménagement foncier ;
concourir par tous moyens appropriés à la prévention, des conflits liés à l’utilisation des ressources pastorales communes.
Les attributions du comité de concertation pour la gestion durable des ressources naturelles sont précisées par les textes complémentaires de la présente loi.
Article 74 : Le comité de concertation pour la gestion durable des ressources communes est composé notamment de représentants des autorités coutumières, des exploitants ruraux, des femmes exploitantes rurales, des associations locales de développement, ainsi que de personnes ressources locales.
La composition du comité de concertation et les modalités de son fonctionnement sont précisées par les textes complémentaires de la présente loi.
Chapitre 2 – Commissions locales de l’eau
Article 75 : Conformément au code de l’eau, les usagers de l’eau en milieu rural constituent au niveau de chaque commune rurale une commission locale de l’eau dotée de la personnalité morale
Article 76 : Les commissions locales de l’eau contribuent à la mise en valeur et à la gestion rationnelle, participative et durable des ressources en eau. Elles sont responsables de l’entretien des infrastructures hydrauliques publiques. Elles sont en outre chargées de la réalisation des missions prévues aux articles 54 à 56 de la présente loi
Article 77 : La commission locale de l’eau est composée de représentants des différentes catégories d’usagers de l’eau, des femmes exploitantes rurales et des autorités coutumières.
La composition exacte de la commission et les modalités de son fonctionnement sont fixées par les textes complémentaires de la présente loi
Chapitre 3 – Fonds djiboutien de développement pastoral
Article 78 : Il est créé un Fonds djiboutien de développement pastoral, dont les ressources sont principalement destinées à contribuer à la prévention, l’atténuation et la gestion des effets des catastrophes naturelles.
Article 79 : Le Fonds a notamment pour mission de :
contribuer à définir les actions et mesures à prendre dans les situations d’urgence;
financer des microprojets de développement pastoral, agropastoral et d’amélioration de la gestion des parcours;
soutenir des actions spécifiques d’appui aux femmes exploitantes rurales.
Article 80 : Les ressources du Fonds sont constituées notamment par.
les dotations de l’État;
une partie du produit des taxes et redevances d’exploitation des ressources naturelles;
les subventions d’organisme de coopération;
les dons et legs acceptés par l’État.
Article 81 : Les missions du Fonds et les modalités de son organisation et son fonctionnement sont précisées par les textes complémentaires de la présente loi.
Chapitre 4 – Gestion des conflits
Article 82 : Les conflits liés à l’utilisation des ressources pastorales sont gérés localement et à l’amiable par les autorités traditionnelles, conformément aux usages locaux. Aucune sanction pénale ne peut être infligée par ces autorités.
Article 83 : En cas de besoin, l’autorité administrative locale crée au niveau de la commune rurale une commission locale de conciliation chargée de concilier les parties aux conflits locaux liés à l’utilisation des ressources pastorales.
Article 84 : En cas d’accord amiable pour un règlement du différend, la commission établit un procès-verbal de conciliation. En cas d’échec de la tentative de conciliation, la commission établit un procès-verbal de non-conciliation.
Les litiges non conciliés liés aux activités pastorales et agropastorales sont portés devant les juridictions de droit commun, conformément aux textes en vigueur.
Article 85 : La composition, l’organisation et le fonctionnement des commissions de conciliation sont précisés par les textes complémentaires de la présente loi.
TITRE VI – INFRACTIONS ET SANCTIONS
Article 86 : Sont compétents pour rechercher et constater les infractions aux dispositions de la présente loi et de ses textes complémentaires:
les officiers de police judiciaires ;
les agents assermentés des eaux et forêts ;
les agents habilités des services de l’élevage et de l’agriculture.
Les textes complémentaires de la présente loi précisent les catégories d’agents des services de l’élevage et de l’agriculture habilités à rechercher et constater les infractions à la présente loi
Article 87 : les agents habilités désignés à l’article précédent peuvent, dans le respect des dispositions du code de procédure pénale, pénétrer à l’intérieur des propriétés bâties ou non bâties, en vue de procéder à des enquêtes, constats et perquisitions.
Article 88 : Quiconque fait pâturer des animaux en violation des coutumes et usages de zonage des pâturages en fonction des pratiques traditionnelles de mise en défens est puni d’une amende de 5000 francs à 20 000 francs.
Article 89 : Quiconque entreprend sur un pâturage lignager des activités pastorales, agropastorales, touristiques ou autres, sans titre ni autorisation préalable du représentant du lignage, est puni d’une amende de 5000 francs à 50 000 francs La condamnation peut être assortie d’une astreinte
Article 90 : Sans préjudice de l’annulation de l’acte, tout membre d’un lignage ayant procédé à des actes de disposition d’une portion de pâturage lignager, sans l’accord préalable des autres membres du lignage, est puni d’une amende de 50000 francs à 1000 000 de francs.
Article 91 : Quiconque exploite les ressources pastorales communes en violation des usages pastoraux locaux ou en violation du droit de priorité reconnu aux membres de la communauté concernée est puni d’une amende de 5000 francs à 20000 francs.
Article 92 : Sans préjudice de l’interdiction temporaire d’accès aux ressources pastorales prévue à l’article 34 de la présente loi, quiconque commet dans un pâturage communautaire des actes répétés de dégradation de l’environnement, de gaspillage ou d’utilisation abusive des ressources pastorales est puni d’une amende de 5000 à 50 000 de francs.
Article 93 : Est puni de la même peine quiconque pollue, gaspille ou exploite de manière abusive les ressources en eau.
Article 94 : Quiconque, sans autorisation préalable, change l’affectation d’un espace pastoral concédé pendant la durée de la concession provisoire est puni d’une amende de 50 000 francs à 1000 000 de francs.
Article 95 : Est puni d’une amende de 5000 à 50 000 francs quiconque :
occupe ou entrave une piste pastorale ou empiète sur son emprise;
accède aux points d’eau pastoraux en dehors des pistes prévues à cet effet;
viole les dispositions relatives aux zones de sauvegarde des points d’eau pastoraux;
entrave ou empêche l’accès des animaux aux points d’eau;
établit un campement pastoral ou agricole aux abords d’un point d’abreuvement des animaux ou les occupe abusivement.
Article 96 : Est puni d’un emprisonnement de quinze jours à six mois et d’une amende de 50 000 à 1000 000 de francs ou de l’une de ces deux peines quiconque, sans autorisation préalable, entreprend des travaux sur le lit des cours d’eau de nature à affecter gravement les possibilités d’abreuvement des animaux
Article 97 : Est puni d’une amende de 50 000 à 1000 000 francs quiconque, sans étude d’impact sur l’environnement, réalise des travaux susceptibles d’entraîner la disparition totale ou partielle de pâturages. ,
Article 98 : Sans préjudice de la condamnation à la remise en état des lieux, quiconque procède au déplacement ou à la destruction des bornes, balises et autres moyens de délimitation des espaces pastoraux et des pistes à bétail est puni d’une amende de 10 000 francs à 100 000 francs.
Article 99 : Sans préjudice de la condamnation au paiement de dommages et intérêts pour les préjudices causés aux tiers, quiconque laisse divaguer des animaux transhumants est puni d’une amende de 5 000 à 50 000 francs.
Article 100 : Les sanctions prévues par les lois connexes en vigueur, notamment le code de l’eau, la loi-cadre sur l’environnement, la loi réglementant la coupe de bois, la loi zoosanitaire restent.
Article 101 : Le juge peut décider de remplacer les sanctions pécuniaires prévues par la présente loi par des prestations équivalentes en nature.
Il peut également, en considération des circonstances locales et de la situation personnelle de l’auteur de l’infraction, remplacer les sanctions pécuniaires dont le maximum n’excède pas 50 000 francs par des sanctions alternatives de type éducatif
Les textes complémentaires de la présente loi définissent la nature et les modalités d’exécution des prestations en nature et des sanctions alternatives de type éducatif.
TITRE VIII – DISPOSITIONS DIVERSES ET FINALES
Article 102 : Les comités de concertation pour la gestion durable des ressources communes, en collaboration avec les autorités coutumières et les collectivités territoriales décentralisées, organisent la collecte et la promotion des usages locaux pastoraux contribuant à la gestion durable des ressources naturelles. Dans la mesure du possible, ils favorisent la généralisation des usages positifs et contribuent à leur harmonisation sur l’ensemble du territoire Djiboutien.
Article 103 : Toutes dispositions antérieures contraires à la présente loi sont abrogées
Article 104 : La présente loi sera promulguée par le Président de la République, publiée au journal officiel de la République de Djibouti et exécutée comme loi de l’État.
Elle entrera en vigueur un an après la date de sa publication. Dans le délai compris entre sa publication et son entrée en vigueur, le Ministère de l’Élevage organisera la diffusion et la vulgarisation de la loi aux niveaux national et local.
Iznogoud: un nouveau Calife pour Djibouti ?
IZNOGOUD :
Un nouveau Calife pour Djibouti ?
Tout le monde connaît Iznogoud, personnage de bande dessinée, le méchant qui n’avait qu’une obsession : devenir calife à la place du calife. Mais si Haroun El Poussah gouvernait son pays avec bonté et justice, son acharné comploteur ne nourrissait quant à lui que de sombres desseins pour son peuple : régner en terrorisant ses sujets et en s’enrichissant sur leur dos. Telle pourrait être la morale de la réforme de la propriété foncière en milieu rural que l’Exécutif djiboutien a imaginé. Ce projet de loi est pudiquement intitulé « loi sur le pastoralisme et le développement agropastoral ». Mais, loin de remédier à une quelconque injustice traditionnelle, cette réforme semble avoir un objectif principal : assurer au régime le contrôle sur des zones rurales dont la gestion relève des règles traditionnelles afin d’offrir plus de ressources coercitives à son clientélisme tout en autorisant une classe d’affairistes liée au régime à disposer comme elle l’entend des énormes potentialités jusque-là étouffées des régions de l’Intérieur. En fait de développement agropastoral, ce projet de loi vise tout simplement à déstructurer les fondements de la société traditionnelle en milieu rural. Ceci en annexant à l’Etat et à des collectivités territoriales qui tardent à se mettre en place, c’est-à-dire au régime en place avec tout ce que cela implique comme déni de droit et arbitraire, un pilier de la stabilité pastorale : les structures de la propriété foncière. S’il est bien évident que l’on ne change pas une société par décret, il s’agit d’analyser les motivations de l’Exécutif djiboutien en concoctant, au mépris de toute concertation préalable avec les premiers concernés, une réforme terrienne qui, aux dires des experts eux-mêmes, a déjà produit des effets plutôt néfastes dans les pays africains où elle a été introduite.
Il est tout d’abord remarquable que l’État djiboutien fasse appel à l’expertise de la F.A.O (Food and Agricultural Organisation = Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture) non pas aux fins de promouvoir l’agriculture par la mise en valeur des quelques terres fertiles dont le pays dispose, mais pour détruire un des piliers de l’organisation sociale traditionnelle. Comme si celle-ci concurrençait négativement le pouvoir central. Comme si les règles de la propriété du sol en milieu rural freinait un quelconque développement agropastoral. Les motivations de cette réforme sont donc autres que le souci du développement agropastoral.
Quel est le champ d’application de cette réforme ? Le territoire de la République de Djibouti, d’une faible étendue, se compose de petites zones urbaines et le reste de zones rurales. Aucune de ces entités ne comporte de terres vacantes ou sans maître : elles appartiennent soit au domaine public ou privé de l’État si elles sont immatriculées comme telles au Cadastre des terres domaniales, soit elles constituent des propriétés particulières individuelles ou collectives selon les coutumes et traditions dans ces zones rurales. Les zones urbaines sont des entités artificielles vivantes, issues du besoin grégaire et des nécessités économiques des sociétés humaines soumises à la croissance et aux transformations qu’elle implique : elles sont organisées et accompagnées par des adaptations règlementaires et législatives. D’où Cadastre, lotissements, parcellisation, servitude et voirie. Les citadins sont donc protégés dans leurs droits et servis dans leurs besoins par les autorités qui assurent le gouvernement de la Cité. Chacun jouissant en paix de ses droits, conformément aux documents en sa possession ( exemple : le titre foncier ), s’acquittant de ses devoirs municipaux et de la voirie.
Quant aux régions rurales, elles sont gérées par leurs habitants en fonction de leur destination et de leur finalité. Dans notre pays, ces régions rurales sont gérées pour la partie parcourue et habitée par la communauté Issa, conformément aux us et coutumes qui lui sont propres : le Xeer Issa. Qui donne à l’évidence toute satisfaction à ses utilisateurs, puisqu’il n’y a pas conflit de parcours, de transhumance, d’accès aux pâturages ou aux points d’eau au sein de cette société pour l’utilisation de son espace au mieux de ses intérêts. Il n’est donc point besoin de légiférer pour ces régions par le gouvernement central, le contraire risquerait d’y introduire le jeu politique, ses aléas et son instabilité dans un domaine qui n’est actuellement que paix et harmonie.
Quant à la région parcourue par la communauté Afar, elle est également gérée depuis toujours par un riche corpus de coutumes (Qada), de jurisprudence (Madqa) et de tradition (Xinto). La propriété du sol y est strictement réglée, ainsi que la transhumance, l’accès aux pâturages et aux points d’eau, les réserves, la rotation, la nomadisation, l’entraide réciproque, l’inviolabilité, les processus de règlement des litiges le cas échéant, le recours, l’arbitrage, la stabilité, les redevances temporaires ou permanentes, la déshérence; bref, tous les aspects de l’utilisation de l’espace rural et de sa gestion pacifique sont absolument garantis par le système existant.
A ce chapitre, il n’est pas inutile de souligner ici une spécificité remarquable dans nos zones rurales, si le Sultan perçoit bien un loyer annuel, sur certaines terres, il n’a absolument pas le droit de procéder à une quelconque expropriation, pour quelque raison que ce soit. C’est tout simplement parce qu’il n’est pas lui-même propriétaire de ces terres : il est tout juste le garant des limites territoriales entre les différents lignages. Comme chacun de ses sujets, le Sultan est tenu de se conformer à ce qui existe : il n’a pas le droit d’innover ou de mettre en place une nouvelle jurisprudence, quel que soit le domaine. C’est le gestionnaire et le garant de l’orthodoxie traditionnelle. On est donc bien loin de l’image du despote tout-puissant et capricieux qui entache souvent ce rôle politique, et que l’on retrouve malheureusement parfois dans certains Etats prétendument démocratiques.
C’est aussi la raison pour laquelle, d’autre part, il faut bien admettre que si le système perdure par-delà les siècles, c’est qu’il y a une nécessité fonctionnelle à son maintien. Il y a attachement aux normes et valeurs traditionnelles pour autant que les structures mentales correspondent aux structures sociales, c’est-à-dire aux formes interpersonnelles de l’existence quotidienne : famille, tribu, lignage, solidarité et, dans le cas présent, mode de vie pastoral réglementé dont l’arbitrage relève d’une instance centrale unique : le Sultan.
Ceci repose sur la conviction que « Dieu n’a pas créé des Hommes sans terre, comme il n’a pas créé de terre sans habitants ».
Il est donc non seulement inutile mais extrêmement dangereux d’attenter à une telle stabilité dans la paix, la cohésion et la solidarité, sans aucune nécessité autre que le besoin, actuellement manifesté par le régime, de procéder à une expropriation à peine déguisée.
Or, ce que propose ce projet de réforme, c’est de remplacer le système existant, dans lequel toutes les décisions sont contrôlées par une assemblée collégiale et par tout un corpus juridique clairement codifié, par un pouvoir central dont la première caractéristique n’est certainement d’assurer l’égalité entre tous les citoyens et entre toutes les régions. Car, si tel avait été le cas, la République de Djibouti aurait fait l’économie d’un conflit fratricide, de même que les accords de paix de 1994 et de 2001 auraient trouvé une stricte et honnête application, dans le sens de l’intérêt général et de la réconciliation nationale.
Le fait est donc que ce régime d’injustice est le moins bien placé pour prétendre « promouvoir la mise en valeur et l’utilisation des ressources pastorales et agropastorales en vue d’améliorer les conditions de vie de la population en milieu rural. », comme le stipule l’article 2 de ce projet de loi. Une bonne intention ne peut exister séparément d’un contexte général lui accordant sérieux et crédibilité.
Nous avons abondamment évoqué ici et ailleurs toutes les entraves gouvernementales à une réelle Décentralisation et toute son incapacité, pour ne pas parler de désintérêt, à assurer les bases d’un Développement durable des régions de l’Intérieur. Mais, sans même évoquer la précipitation dans la rédaction de ce projet de loi ( précipitation qui se dévoile dans ses deux articles 28), le seul fait qu’aucune autorité traditionnelle n’ait été préalablement associée à ce projet montre clairement que le souci d’une hypothétique justice sociale en milieu rural n’est pas ce qui motive cette destruction préméditée et malintentionnée d’un des piliers fondamentaux de la société traditionnelle.
Car, force est de reconnaître que ce ne sera pas ce pouvoir de tous les abus de pouvoir qui remplacera efficacement et dans le sens de l’intérêt général, une autorité traditionnelle dont la modération fondée sur la collégialité décisionnelle et le strict respect des lois ancestrales a jusqu’à présent assuré la paix et la concorde civile.
De plus, conscients plus que les citadins que la chasse au gaspillage est une condition essentielle de survie dans un environnement écologique hostile, les ruraux n’ont pas attendu les conseils d’un pouvoir central excentré pour veiller à la sauvegarde de leur cadre de vie et pour s’entraider en cas de besoin. On ne peut qu’être dubitatif devant le caractère superflu de l’article 7 de ce projet de loi : « l’État et les collectivités décentralisées garantissent aux pasteurs le droit d’accès aux ressources pastorales ainsi que la mobilité de leurs troupeaux. Ce droit d’accès s’exerce dans le respect des coutumes et usages pastoraux. » : on se demande bien pourquoi changer alors ce qui sera tout de même respecté ?
La véritable intention d’expropriation se dévoile en fait dans les articles 36 à 41 de ce projet de loi. Ainsi, l’article 36 dispose que « Le plan de réaménagement foncier rural consiste en une convention entre d’une part l’État ou une collectivité territoriale décentralisée prenant l’initiative d’un aménagement public, et d’autre part les communautés rurales concernées par ledit aménagement, en vertu de laquelle les populations cèdent une partie de leurs droits fonciers à l’État ou à la collectivité territoriale décentralisée, et reçoivent en contrepartie, la rétrocession d’une partie des terres aménagées; elles bénéficient également de la jouissance d’infrastructures économiques et sociales prévues dans la convention. La négociation du plan de réaménagement foncier tient compte de la plus-value qu’apporte l’aménagement projeté aux terres des populations locales.»
Pour sa part, l’article 37 stipule que « L’État et les collectivités territoriales décentralisées peuvent affecter des portions de leur domaine privé immatriculé à des particuliers en vue de la réalisation d’activités de développement rural, notamment dans le domaine de la production agricole, agropastorale ou touristique. L’attribution de terres aménagées du domaine privé de l’État aux personnes physiques ou morales privées a lieu à titre onéreux ». Donc, la tribu cède à un prix dérisoire mais rachète au prix fort. Par contre, sans tenir compte des aspirations régionales, l’Etat peut mettre toutes les zones qu’il désire à la disposition d’investisseurs privés : le caractère mercantile du projet et ses potentialités néfastes n’échappent donc à personne.
Il ne s’agit donc pas, avec ce projet en préparation, de combler un vide juridique, ni de supprimer une lacune, encore moins de corriger un défaut. Il s’agit tout simplement de déposséder les possédants en transférant à l’État la propriété du sol appartenant jusque là à ses occupants.
L’ARD condamne catégoriquement ce projet de réforme et demande à toutes les populations concernées, aux Sultans et aux notables, de même qu’aux mal-élus et aux ministres, de refuser cette expropriation, quoi qu’il leur en coûte, puisque c’est une provocation absolument contraire à l’intérêt général et à la paix civile.
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