Réalité numéro 78 du mercredi 7 janvier 2004 |
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Sommaire
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Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 78 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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Éditorial
UN NOUVEL AN PRÉSIDENTIEL ENTRE VŒUX ET FEUX
Le Nouvel An inspirerait-il certains dirigeants plus que l’Aïd-el-Fitr ? La question semble se poser, en tout cas à notre modeste niveau car, autant l’allocution présidentielle de l’Aïd-el-Fitr nous avait semblé politiquement insignifiante (même si l’on admettra que cette insignifiance relève parfois de la tactique politicienne), autant les perspectives dessinées par ses vœux pour l’année 2004 frappent par leur nouveauté révolutionnaire. Le mot n’est pas trop fort, tant le Chef de l’Etat a tenu à cette occasion des propos qu’aucun opposant ou démocrate ne peut sous-estimer. N’étant pas dans notre habitude d’enfoncer des portes ouvertes, nous ne rectifierons pas ici le tableau imaginaire qu’il a trop facilement dressé d’une situation économique dont chacun de nos concitoyens ressent personnellement la dégradation constante, causée par la mauvaise gouvernance et le gaspillage des deniers publics. Toutes détériorations dont il est le principal responsable, tout comme il s’approprie l’exclusivité de toute supputation d’amélioration. Surtout lorsqu’il jure être de son devoir de ne pas « passer sous silence le souci de transparence qui doit être notre principe directeur dans la gestion des affaires publiques » : le prenant au mot, il nous semblerait légitime d’exiger un début d’application concrète de ce principe. A ce titre, ses concitoyens seraient ravis que soient rendus publics les comptes du Port de Djibouti : il est pour le moins étrange qu’une incompréhensible opacité entoure un outil aussi important du développement national. De même qu’ils seraient ravis que soient mis à leur disposition les fameux rapports de la Chambre de Compte et de Discipline Budgétaire.
Tout cela, c’est du vent, mais il reste ce qui nous semble essentiel : le Chef de l’Etat s’est explicitement engagé à initier les réformes, puisqu’il parle d’ « innovations en termes de rééquilibrage des pouvoirs, de rationalisation institutionnelle, de garantie des libertés, de vivification de notre patrimoine culturel, et la concrétisation du processus de décentralisation ». C’est étrange car, toutes ces innovations, l’Accord de Paix du 12 mai 2001 les avaient solennellement évoquées au chapitre des réformes démocratiques devant, en association avec d’autres mesures, remédier aux causes du conflit et en prévenir le renouvellement. Que le Chef de l’Etat les fasse aujourd’hui siennes constitue une nouveauté positive que nous devions relever. C’est probablement la démonstration qu’il s’est finalement résolu à admettre à accorder la Paix l’importance qu’elle mérite. Même tardif, ce revirement ne peut que réjouir tous ceux qui avaient été déçus par la véhémence avec laquelle le premier responsable du régime djiboutien violait méthodiquement un Accord de paix qui, à y bien regarder et pour peu qu’il l’applique intégralement, sera certainement sa plus grande contribution à l’édification d’une Nation djiboutienne réconciliée avec elle-même.
Encore faut-il que, de part et d’autre du pouvoir et sans préjuger de rien, les mêmes mots recouvrent les mêmes univers sémantiques car, sans fausse modestie, le Président de la République ne nous apprend pas grand-chose en reconnaissant que « La décentralisation constitue une pièce essentielle dans la consolidation de la démocratie locale, un domaine fécond pour le développement économique et social et un outil d’unification et de cohésion ». Il aurait dû l’expliquer aux locataires de l’Assemblée Nationale qui ont outrageusement dénaturé la portée historique du projet de décentralisation pourtant conjointement rédigé par ses représentants et ceux du FRUD-armé.
« La Constitution est en papier, les baïonnettes sont en acier » dit un proverbe haïtien, et les concitoyens du Père Aristide savent de quoi ils parlent, eux qui ont connu tant de dictatures sanglantes. Tant qu’un dirigeant politique pourra compter sur la complicité de miliciens (pompeusement appelés soldats, policiers ou gendarmes) pour détourner le verdict des urnes, comme ce fut le cas le 10 janvier 2003, les mots occasionnellement prononcés n’auront leur pleine pertinence qu’une fois rattachés à leur contexte concret. A cette aune, et jusqu’au verdict de la réalité, les promesses présidentielles faites à l’occasion des vœux du Nouvel An restent ce qu’elles sont : des paroles cruellement déconnectées des faits qui, quant à eux, sont malheureusement inscrits dans la violence ordinaire… et quelques coups de feux.
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Brèves nationales
Malaise général
Sur fond de rumeurs…
A l’approche du premier anniversaire de l’inqualifiable hold-up électoral du 10 janvier 2003, le régime distille à dessein les rumeurs les plus folles en direction de la population djiboutienne mécontente de la gestion désastreuse des affaires publiques. Ainsi, la ville bruisse de rumeurs fantaisistes au sujet d’un imminent changement de cap dans la conduite des affaires ; les plus euphoriques prédisant même une véritable révolution. Ces ballons d’essai lancés par le pouvoir sont destinés à occuper les citoyens Djiboutiens et à faire oublier l’immobilisme gouvernemental et le manque d’imagination dans les hautes sphères dirigeantes.
Pour notre part, nous restons convaincus que la crise du régime est structurelle et qu’aucun replâtrage ne le sauvera de la faillite programmée. Ce système basé sur le mensonge et l’injustice est condamné à disparaître, pour que survive la Nation djiboutienne victime de la précarité imposée par la gabegie officielle. Seul un profond changement d’hommes, de mentalités et de méthodes pourra sortir notre pays du gouffre. Pour l’heure, ce pouvoir usé ne cherche qu’à durer moyennant un petit ravalement de sa façade corrompue et sectaire. Chose que le Peuple Djiboutien ne souhaite absolument pas, car très éloigné de ses véritables espérances de changement.
Ali-Sabieh :
Où l’on reparle du grand chef…
Initialement prévue pour la mi-décembre et curieusement reportée pour « cas de force majeure », la visite présidentielle dans la ville assajog serait finalement projetée pour la deuxième quinzaine de janvier. Il y a quelques jours, une importante réunion devant la préparer aurait été tenue entre les autorités du district et la société civile du coin, surtout représentée par les associations-maison. A cette occasion, il a été annoncé que le jour de la visite présidentielle, toutes les activités de cette ville active cesseront pour accueillir l’illustre visiteur, certainement en campagne prématurée. Ainsi, les écoles, dispensaires, marchés et commerces seront fermés ce jour-là pour permettre aux Assajogs de boire (faute d’eau minérale) les bonnes paroles du sauveur national.
Mais, là où le bât blesse, c’est que les Assajogs ne sont absolument pas disposés à s’en laisser conter, eux qui ont de multiples griefs à l’encontre de ce régime du mensonge permanent. C’est pour tenter d’aplanir les nombreuses difficultés quotidiennes soulevées par les habitants de ce district frondeur qu’une délégation ministérielle s’est dernièrement rendue sur place en catimini, afin d’amadouer les notables récalcitrants, et ils ne sont pas rares. Peine perdue : l’offensive de charme aurait lamentablement échoué.
Quant aux malheureux chefs de poste administratif, ils seraient sommés en tant qu’administrateurs des zones rurales, de procéder à la collecte des cabris devant être sacrifiés pour le gargantuesque festin présidentiel. Malheureusement, cette contribution patriotique est attendue des pauvres ruraux déjà victimes de la sécheresse et survivant grâce aux distributions de vivres de l’aide alimentaire internationale. Refuseraient-ils de donner gratuitement ces cabris qu’ils risquent fort d’être rayés des listes des prochaines distributions alimentaires, forcément sélectives, comme c’est toujours le cas dans le Nord du pays où, par exemple, de nombreux habitants de la région de Dorra, n’ont pas eu droit à cette aide alimentaire internationale au prétexte qu’ils auraient massivement voté pour la liste de l’opposition aux législatives de janvier 2003.
Comme quoi le régime n’attend que danses, chants et cabris des populations rurales. C’est peut-être cela, la véritable priorité accordée au développement agropastoral.
Opérations policières abusives :
Halte aux rafles aveugles !
Alors que la majorité des clandestins expulsés en septembre est de retour à Djibouti, on nous signale que depuis quelques jours, des rafles sauvages frappent des nationaux. Ainsi, dimanche dernier, un malade hospitalisé à Peltier s’est fait embarquer au centre-ville où il s’était rendu sur permission spéciale. Malgré son état de santé et la présentation de ses pièces d’identité nationale, le malheureux aurait été transféré au centre policier de détention de Nagad.
Plusieurs Djiboutiens se plaignent également de rafles sauvages de nationaux opérées par des policiers ripoux qui n’hésitent pas à demander de l’argent en échange de la libération des personnes interpellées abusivement. A l’heure où les véritables clandestins continuent tranquillement d’écumer la ville, il est scandaleux que les forces de l’ordre importunent de paisibles citoyens : nous demandons aux autorités concernées de sévir contre ces pratiques policières abusives.
Service national adapté :
Appât électoraliste douteux ?
Dernièrement, des officiers supérieurs de l’Armée nationale auraient procédé au recrutement de quelques dizaines de jeunes désœuvrés dans le cadre du fameux service national adapté, nouvelle trouvaille électoraliste destinée à résorber le chômage des jeunes. Ces opérations se poursuivent encore dans la Capitale et les districts de l’Intérieur, avec un succès mitigé selon les endroits. A notre avis, cette nouvelle esbroufe gouvernementale a déjà rencontré ses limites car concoctée dans la précipitation. Les jeunes des villes sont pour la plupart des exclus du système éducatif et font relativement peu confiance à la nouvelle stratégie gouvernementale prétendant à la réinsertion professionnelle à travers des formations dispensées par l’Armée nationale.
En effet, ces jeunes constatent que le chômage n’épargne même pas ceux d’entre eux ayant quitté l’école avec un relatif bon niveau de formation. Après son cuisant échec dans la lutte contre l’immigration clandestine motivée entre autres par l’appropriation nationale du marché de l’emploi, il est fort à craindre que le même service national adapté finisse par connaître un sort identique à celui des autres mesures gouvernementales ayant échoué parce que mal pensées et appliquées dans une logique sectaire.
Rétrospectives 2003 :
Un bilan en noir et blanc
En guise de bilan rétrospectif de l’année 2003, la RTD s’est essayé à travers son magazine « Gros Plan » à une rétrospective en images de l’année écoulée. Comme il fallait s’y attendre, ce montage a été réalisé sous un angle partial et partisan. Il s’agissait surtout de faire oublier que cette année 2003 avait débuté sur une note d’espoir avec l’adhésion populaire massive au projet d’alternance proposé par l’opposition. La première semaine de l’année passée restera dans les annales comme étant l’expression du ras-le-bol général de nos concitoyens face à ce régime du mensonge.
La formidable campagne de mobilisation menée par l’UAD a culminé avec le meeting monstre organisé le 8 janvier 2003 devant le Stade Hassan Gouled. Malheureusement, les fraudes abjectes du 10 janvier ont noirci le tableau, plongeant le pays dans la morosité et la régression tous azimuts. Tout compte fait, plus que le one man show présidentiel en fouta, les Djiboutiens retiendront de cette année 2003 le formidable élan populaire qui a durablement ébranlé ce pouvoir désormais déliquescent.
Port de Doraleh :
Suspension des travaux ?
Malgré les déclarations officielles annonçant la fin des travaux pour la fin 2004, le méga-projet électoraliste de Doraleh risque fort de ne voir le jour qu’après 2005. En effet, plus de six mois après son lancement officiel, ce chantier peine à avancer. Cette semaine, l’on apprend même que les travaux seraient suspendus et la vingtaine d’ouvriers condamnés au chômage technique. Les deux entreprises présentes sur ce chantier ne seraient plus disposées à régler les salaires des ouvriers sur leurs fonds propres. Par ailleurs, il semblerait que les autorités djiboutiennes souhaiteraient confier le marché à un entrepreneur proche du pouvoir, alors que les autorités de Dubaï Port préfèreraient lancer un appel d’offres international. Quoi qu’il en soit, le retard dans la réalisation du projet se confirme de jour en jour, différant ainsi l’inauguration en grandes pompes à beaucoup plus tard que prévu…
Education Nationale :
Droits bafoués et inacceptable passe-droit
L’Education Nationale constitue-t-elle vraiment une priorité de l’action gouvernementale ? Au-delà des discours officiels tendant à la présenter comme un souci majeur du régime, les multiples injustices et manquements constatés suffisent à discréditer ses prétentions en ce domaine, pourtant fondamental pour le devenir des jeunes générations. En effet, la démotivation générale du corps enseignant et du personnel d’encadrement trouve surtout sa raison d’être dans la baisse généralisée de leur niveau de vie, consécutive aux pseudo-politiques de réformes engagées depuis quelques années prétendument dans le but de rationaliser et d’adapter l’Education Nationale aux nouveaux défis de ce troisième millénaire.
Gangrenée par la corruption, le népotisme et la mauvaise gouvernance, l’Education Nationale reste l’ombre d’elle-même. Pour preuve : par une note de service n°250 du 8 avril 2003, le Ministre de l’Education Nationale a tenté de mettre fin aux intolérables injustices et passe-droit en matière d’attribution de logements administratifs dans son département.
Cette note généreusement distribuée à l’Assemblée Nationale, ainsi qu’aux différents services et intéressés de son ministère, sommait les occupants illégaux des logements administratifs de ce ministère de libérer leur logement au plus tard le 15 août 2003, et ceci afin de permettre aux réels bénéficiaires que sont les chefs d’établissement d’entrer en possession des demeures qui leur sont normalement destinées.
Cinq mois après cette mise en demeure ministérielle, seuls deux cadres ont effectivement libéré leur logement, tandis que 18 autres continuent d’ignorer la directive ministérielle, sans être inquiétés outre mesure. Parmi ces squatters, figurent des hauts responsables de l’Education Nationale. Quel mépris des textes et quelle coupable négligence des autorités compétentes !
Mais ceci s’explique par autre chose : sans que personne ne le dénonce, à part nous, ce ministère a criminellement contribué, dans son domaine, à la violation des accords de paix de 1994 et 2001, spécialement leurs dispositions relatives au rattrapage scolaire dont devaient bénéficier les élèves accusant un retard du fait du conflit.
Violation qui perdure encore, jetant hors du système éducatif des centaines d’enfants injustement déscolarisés à cause de leur seule origine ethnique et qui viennent gonfler la cohorte des mal-enseignés condamnés au chômage et victimes idéales du démagogique « service national adapté ».
A suivre…
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Interview de M. Jean-Paul ABDI NOËL
Président de la Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH)
Une récente actualité continentale, tenant aux conclusions du Congrès de l’Union Internationale des Droits de l’Homme au cours duquel notre pays a été distingué, ainsi qu’une prochaine échéance électorale, nous amènent à poser quelques questions au Président de la LDDH, M. Jean-Paul ABDI NOEL. De sa participation aux travaux de ce Congrès aux perspectives d’avenir de son organisation, en passant par son appréciation de la CENI, le Président de cette association de défense des Droits de l’Homme nous livre ses réflexions. Sans excès ni concession.
M. le Président, vous rentrez du IIIème Congrès de l’Union Internationale des Droits de l’Homme (UIDH), qui vient de se tenir du 15 au 19 décembre à Ouagadougou au Burkina-Faso. Pouvez-vous nous parler de l’objectif de cette réunion ?
Tout d’abord, permettez moi de vous remercier pour vos soutiens constants et appréciables en accordant très souvent une attention particulière aux défenseurs des Droits de l’Homme et de nous aider à mieux médiatiser le combat réel que nous devons tous mener pour la protection, la promotion des Droits de l’Homme et pour un Etat de Droits effectif dans notre pays. Nous considérons et encourageons toute l’équipe du journal « Réalité » de continuer à être les , avant-gardistes du combat pour la Démocratie et pour la Bonne Gouvernance. Que l’année 2004 soit pour notre peuple une année d’un combat réel afin de mettre fin à la politique de l’impunité, aux abus de pouvoir insupportables, aux détournements des Deniers publics et des Biens sociaux, à la mise en place très rapidement de différentes structures fiables et transparentes sur tous les processus électoraux, avec la participation active et directe de tous les Partis politiques, qui sont prioritaires car les premiers concernés.
Comme vous le savez, le IIIème Congrès suivi d’un Forum de l’Union Interafricaine des Droits de l’Homme (UIDH) s’est déroulé à Ouagadougou (Burkina Faso) du 15 au 19 décembre 2003. Un certain nombre de Résolutions et de Recommandations ont été adoptées par les participants.
Les membres du nouveau Bureau de l’UIDH ont été élus, et j’ai eu l’honneur d’être élu comme Vice-Président chargé de la Corne de l’ Afrique. Cet honneur, que nous partageons, doit nous encourager dans notre combat et nous devons tous ensembles avec toutes les Organisations des Droits de l’Homme de la Corne de l’ Afrique et toutes les forces vives des pays voisins nous engager à unifier et à harmoniser toutes nos actions en faveur de l’intégration régionale des différents Instruments des Droits fondamentaux et de faire progresser les Libertés des Citoyens et des Peuples, ainsi que la libre circulation des Biens et des Personnes dans de la Corne de l’ Afrique.
L’objectif principal est celui du Congrès, mais le Forum qui a suivi ce Congrès était très fructueux, tant dans les approches que dans la proposition qui a été retenue.
En effet, le Congrès portait sur la stratégie à adopter pour une protection des droits des personnes vivant avec le VIH/SIDA, tandis que le Forum posait des questions aussi importantes que :
Comment sortir d’une économie d’endettement pour financer un développement durable et équitable ?
La Mondialisation: quelle alternative ?
L’environnement : ses contours aujourd’hui en Afrique, quelle stratégie pour un développement durable ?
Bien que le régime djiboutien lui accorde très peu d’importance, la LDDH a été consacrée lors de cette conférence puisque vous avez été élu Vice–Président de l’UIDH en charge de l’Afrique de l’Est. Ceci nous honore et nous aimerions savoir si notre région a toujours été représentée à ce niveau et pourquoi des bilans n’ont-ils pas été dressés sur cette partie du continent africain et en particulier pour Djibouti ?
Votre question est tout à fait judicieuse. En effet, Maître Aref Mohamed Aref, en tant que membre de l’ Association des Droits de l’Homme et des Libertés, avait été élu à ce poste qui pour la première fois avait mis en relief la sous-région de la Corne de l’ Afrique. Cette nouvelle particularité a permis aux défenseurs des Droits de l’Homme de l’UIDH de mieux s’investir à défendre Maître Aref et d’exiger sa libération inconditionnelle de la sinistre prison de Gabode et sa réintégration d’office au barreau du Tribunal de Djibouti. Je profite de cette occasion pour témoigner ma reconnaissance au Président de I’UIDH M. Halidou Ouédraogo, au Professeur Kepet, au Docteur Sow et à tous les membres de l’UIDH, pour leur combat légitime qu’ils avaient mené en faveur de mon compatriote Maître Aref, victime de l’acharnement d’un pouvoir foncièrement dictatorial.
En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, je peux vous affirmer qu’aucun rapport sur la situation des Droits de l’Homme à Djibouti, encore moins sur la Corne de l’Afrique ne figure dans le rapport des activités des différentes régions, ni dans le rapport moral de l’UIDH lors du IIIème Congrès. Ce qui suppose peut-être que Maître Aref n’a pas eu le temps matériel pour transmettre officiellement son rapport.
Ce Congrès de Ouagadougou s’est tenu en même temps que la visite à Djibouti d’une délégation des Nations Unies chargée des Droits de l’Homme. Quel bilan la LDDH tire-t-elle de la mission de ces deux experts ?
Avant de vous parler du bilan de cette visite, je tiens à préciser que les membres du comité ad-hoc s’étaient réunis pour planifier l’organisation de cette visite. (c’est ainsi qu’un plan de contact a été établi. La priorité a été donnée au contact officiel. Seules quelques associations ont été retenues. Ces associations devraient rencontrer les deux experts du Haut Commissariat des Nations Unis pour les Droits de l’Homme au siège de l’Union Nationale des Femmes Djiboutiennes – UNFD.
L’ancien parlementaire actuellement Président de la LDDH que je suis a, au nom de son organisation, refusé de rencontrer les représentants des Droits de l’Homme à cet endroit. Car, tout en faisant remarquer que lors des dernières élections législatives, l’UNFD avait, d’une manière officielle et médiatique, soutenu les candidats de la liste UMP, il était donc de mon devoir de considérer l’UNFD comme partie prenante alors qu’elle n’est pas représentative de la femme djiboutienne dans sa totalité.
Par conséquent, j’ai proposé deux solutions à savoir: soit le comité ad-hoc reçoit les deux experts dans les locaux de la LDDH, soit les membres du comité rencontrent la délégation à leur hôtel. Un membre du comité ad-hoc des Droits de l’Homme de Djibouti dont je ne veux pas citer ici le nom a essayé de justifier cette décision pour une rencontre au siège de l’UNFD pour des raisons financières, cette association des femmes mettant gratuitement ses locaux à la disposition des experts. Dans cette affaire, une question se pose: Pourquoi la salle de réunion du PNUD, officiellement représentant du Haut Commissariat des Nations Unis, n’a-t-elle pas été retenue?
A mon départ, j’ai chargé officiellement M. Souleiman Ahmed Mohamed par un courrier au Ministre de la Justice afin que celui-ci rencontre et remettre le rapport de la LDDH sur les Droits de l’Homme à Djibouti aux deux experts. Malheureusement, malgré les sollicitations de M. Souleiman, la délégation du Haut-Commissariat des Nations Unis n’a pas estimé nécessaire de nous rencontrer.
Concernant l’objectif et le bilan de cette mission, ils nous sont totalement inconnus. Toutefois, lors de mon séjour à Paris, j’ai saisi à la Fédération Internationale des Droits de l’Homme- FIDH en lui demandant de bien vouloir s’informer sur les résultats de cette mission que je considère comme une entrave aux travaux des Droits de l’Homme en République de Djibouti. Chose inouïe car la LDDH qui avait toujours eu de bonnes relations avec le Haut-Commissariat, notamment pendant la détention arbitraire des policiers de la FNP, a été négligée cette fois-ci.
Vos propositions de recommandation faites lors du congrès de Ouagadougou portent sur la transparence de la prochaine élection de 2005. Pouvez-vous être un peu plus précis ?
Nous avons dénoncé lors des dernières élections législatives la manière brutale dont celles-ci se sont tenues dans le pays et en particulier dans les districts de l’Intérieur. Nous n’avons pas manqué de dénoncer le Coup d’Etat électoral plus particulièrement fort dans le district de Tadjourah. Ces raisons m’ont conduit, lors de cette réunion de l’UIDH, a soumettre une recommandation qui puisse mobiliser les défenseurs des Droits de l’Homme de notre continent pour une participation active, en tant qu’observateurs, aux prochaines élections présidentielles de notre pays. Je n’ai pas manqué de souligner que le rôle des observateurs, régionaux et internationaux, ne devait pas se limiter au seul jour du scrutin, mais qu’il faut de leur part une participation effective et totale couvrant toute la période des processus électoraux.
Permettez-moi une fois encore d’encourager à travers votre journal tous les partis politiques du pays, auxquels je suggère qu’il ne faut pas attendre une décision gouvernementale inévitablement tardive pour lancer un appel à tous les observateurs et presses des pays amis et des organisations internationales pour un suivi au moins 10 mois avant le scrutin du processus électoral. J’entend par là le contrôle de la révision des listes électorales jusqu’au dépouillement et déclaration des résultats. La révision des listes électorales et la propagande de l’équipe gouvernementale sur les ondes de la RTD financée par les deniers publics et les biens sociaux sont par exemple deux points importants. Enfin, je dirais simplement que la transparence électorale passe par la transparence des demandes officielles des partis politiques auprès des pays amis et organisations internationales, concernant l’envoi d’observateurs et journalistes. Mon souhait est d’encourager tous les partis politiques pour que soient entamées, dès maintenant, les démarches. Car pour avoir des observateurs sérieux, il faudra permettre à ces pays et organisations de se préparer à temps pour ces missions.
Vous avez pris part aux travaux de la Commission Electorale Nationale Indépendante, mise en place par le régime pour superviser les élections du 10 janvier 2003. Quelles leçons en tirez-vous aujourd’hui ?
La Commission Electorale Nationale Indépendante – CENI- m’a appris beaucoup de choses.
J’ai appris que :
la CENI manquait de transparence
la CENI, par la loi même qui l’a créée:, impose le silence le plus total à tous ses membres :
la CENI, par les textes qui l’ont créée, est composée essentiellement de représentants du gouvernement alors que ceux des partis politiques se trouvent dans une situation de minorité. On peut en conséquence s’interroger sur la fiabilité d’un organisme électoral dont la grande majorité des membres est constituée de fonctionnaires connus pour leur fidélité au pouvoir en place.
Vous avez été le Rapporteur de la CENI. Pouvez-vous nous fournir une copie du rapport final, que vous avez rédigé, relatif aux conditions de déroulement des législatives du 10 janvier 2003 ?
Il n’y a jamais eu de rapport final officiel. Aucun texte n’a été adopté dans ce sens par l’Assemblée Nationale.
Le rapport final a tout simplement été soumis au Président de la République avec « un chèque en blanc » de la Commission Electorale Nationale Indépendante.
Quelles sont les perspectives organisationnelles de la LDDH pour la nouvelle année ? Quelles améliorations en attendez-vous relativement au renforcement des droits civiques et à la promotion des droits de l’Homme ?
Sur le plan organisationnel la LDDH navigue à vue avec beaucoup de prudence, en fait mon organisation s’apparente à un Iceberg avec une importante partie immergée. Même si apparemment il nous est permis de réaliser certaines de nos activités, il nous paraît prudent de protéger nos adhérents contre la politique sournoise et foncièrement dictatoriale du régime qui nous oblige à rester vigilants. Nous devons dans un proche avenir penser à augmenter le nombre de nos adhérents en raison de l’inexistence de toute subvention en notre faveur. Nous avons par ailleurs décider de participer dans le cadre de la formation à sensibiliser nos populations (sur l’ensemble du pays) sur les processus électoraux et dans l’ intérêt suprême de notre Nation, sur la nécessité de l’ application de l’Accord de paix du 12 mai 2001, surtout en ce qui concerne la Décentralisation.
Propos recueillis par Mahdi Ibrahim A. God
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La Bourse ou la Vie
Etat, régime, opposition et droit au travail
C’est fou ce que le brouillard linguistique peut parfois jeter un voile de décence sur certains propos, qui en disent long quant à la conception de la démocratie ayant cours ici ou là. Ainsi, en cette nouvelle année au cours de laquelle le Chef de l’Etat promet de spectaculaires avancées en matière démocratique, il nous a semblé utile de ramener à la mémoire de ses concitoyens les propos qu’il avait tenus en langue maternelle sur les ondes de la RTD, à l’occasions du premier anniversaire de son mandat: c’était en mai 2000. Propos relatifs à la distance infranchissable qui devait, selon lui, s’instaurer entre l’Etat (l’Administration) et les opposants politiques. Propos qu’il n’était pas inutile non plus de mettre en parallèle avec ceux que tenait Brejnev du temps de sa grandeur communiste.
La conception de la Démocratie et de la Liberté a en tout temps varié selon les pays. Beaucoup d’entre eux avaient pris le qualificatif de République dont les plus nombreux se situent en Afrique, indépendante depuis les années 1960. En réalité, le fait d’afficher cette épithète ne dérogeait pas aux pratiques des dirigeants lesquels agissent en monarques absolus sur des populations n’ayant pas connu le souffle de la liberté depuis plus d’un siècle par fait colonial.
Certes les révolutionnaires indépendantistes désignaient ceux-là de « despotes du colonialisme », ce que d’ailleurs justifiaient les agissements des « monarques noirs » qui ont marqué ce continent meurtri par la famine et les maladies endémiques. Les Bokassa, Idi Amin Dada, Mobutu, Menguistu, Siad Barreh, … représentent à eux seuls toute l’absurde intransigeance des dictatures génocidaires de notre continent, face aux inéluctables changements des sociétés africaines dans un monde en pleine mutation. Cependant, pour ceux qui durent encore, leur nature n’a pas changé d’un iota depuis les années 1990 où le vent de la Démocratie n’a fait qu’amplifier leur comportement d’anthropophage aux seules fins de conserver leur trône. Raison pour laquelle ils n’ont pas hésité à mettre à feu et à sang non seulement leur pays, mais aussi les régions et autres contrées voisines. Les deux extraits ci-dessous cités expriment par leur parallèle toute la hantise de la Démocratie et de la Liberté des Républiques Monarchistes.
Le premier extrait est tiré d’une interview accordée par le Chef de l’Etat à un journaliste de la RTD pour fêter comme il se doit le premier anniversaire de son arrivée à la Présidence: « Pour être un opposant, il ne faut pas avoir besoin de l’Etat. Il faut guerroyer longtemps être financièrement indépendant comme l’a fait et l’a été Wade, l’actuel Président du Sénégal ».
C’est proprement invraisemblable: le Chef de l’Etat de ce qui se présente comme une République ose froidement affirmer qu’un opposant ne devrait pas espérer un salaire de l’Etat tout comme un salarié de l’Etat ne devrait pas militer au sein d’une opposition. Heureusement, il n’a pas clairement interdit aux fonctionnaires et conventionnés de voter pour l’opposition lors des consultations électorales, mais c’est tout comme. Tranquillement ce faisant, le Chef de l’Etat djiboutien a remis en cause des droits fondamentaux pourtant garantis par notre Constitution: le droit au travail et le droit au salaire.
On savait que le droit au salaire était allègrement violé par ce régime dont la mauvaise gouvernance obligeait ses concitoyens à traîner comme un boulet les retards de salaire. On a appris ce jour-là que le droit au travail n’était qu’une utopie sur le papier qu’il valait mieux ne pas trop caresser: la liberté de pensée trouve sa limite dans l’obligation de reconduire les représentants du parti au pouvoir à chaque élection. Ce qui ne nous étonne guère: les responsables et dirigeants syndicalistes licenciés en 1995 pour fait de grève, et jamais réintégrés depuis, malgré les engagements officiels auprès du Bureau International du Travail, sont là pour rappeler aux travailleurs Djiboutiens qu’ils n’ont même pas le droit de librement choisir leurs délégués, encore moins d’être défendus face à un patron très peu respectueux du droit social. Mais, ce jour-là, le journaliste de la RTD n’a pas estimé utile de broncher : il avait peut-être oublié sa conscience professionnelle aux vestiaires.
Le deuxième extrait est celui de L. I. BREJNEV qui dans une interview accordée aux journalistes de « Stern » le 12 mai 1973 disait ceci: « Nous. avons un parti, un parti qui gouverne, à quoi bon une opposition ? Les gens parlent toujours de Liberté, qu’est-ce que ça veut dire ? » .
Même si les Républiques de ces deux Chefs d’Etat se situent dans deux contrées très éloignées l’une de l’autre, avec des populations, des économies et des richesses totalement différentes, ils partagent néanmoins la même conception et ont les mêmes convictions sur la Démocratie et la Liberté.
En effet leur propos démontre bien que pour eux le Parti, l’Etat l’Administration, les Finances, la Police et l’Armée forment un tout appartenant exclusivement aux dirigeants par définition inamovibles parce que détenant la Vérité suprême grâce à leur Pravda locale, qu’elle se nomme Izvestia ou RTD. C’est en quelque sorte « l’appropriation des moyens de domination », une philosophie qualifiable de « la Dictature des Présidiums » : l’on est donc bien loin du gouvernement du Peuple, pour le Peuple et par le Peuple. IL s’agit ainsi d’une idéologie disposant de moyens illimités pour asseoir une domination faite pour perdurer dans le temps et dans l’espace.
En définitive, si pour l’un comme pour l’autre, le parti unique qui gouverne se drape dans la notion de République, populaire ou démocratique, il s’agit bien d’une usurpation de titre et d’espoir. Tout comme le verdict de l’Histoire a été sans appel pour le communisme, les despotismes déguisés en démocratie, comme c’est le cas à Djibouti, sont inéluctablement condamnés à mourir, car elles ne tiennent que tant qu’ils tiennent. Jusqu’à ce que l’Histoire décide de mettre un terme à leur démesure, ces despotes peuvent disposer de la bourse d’autrui et se maintenir en menaçant leurs concitoyens démunis, faute d’une réelle Justice.
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Dénis de justice
Quand la justice broie les citoyens
Au lendemain des élections législatives, les dysfonctionnement et blocage de l’institution judiciaire (membres du Conseil Constitutionnel désignés par une seule partie, ventilation et champ de compétences d’une CENI concoctée à huit clos, Tribunal du Contentieux Administratif inexistant depuis 1996,…) nous inspiraient les réflexions suivantes: «La fonction essentielle de l’institution judiciaire est la régulation des rapports entre les justiciables avec, comme objectif final, d’empêcher que soit atteint le niveau de la violence par réaction à l’injustice subie. Elle est l’ultime recours et l’unique alternative contre la loi de la jungle entre les hommes. Jamais l’institution judiciaire nationale n’a abandonné dans un pays pour quelque cause que ce soit la place qui est la sienne sans que celle-ci soit occupée par une instance internationale, soit investie par l’anarchie violente où se livre alors un jeu sans règles ni arbitre». Nous y sommes la violence latente en moins !.
La déliquescence de la Justice à Djibouti n’est pas imputable au vide juridique. Les textes hérités de la colonisation ou édictés par l’Assemblée Nationale depuis l’Indépendance existent, mais sont tout simplement inappliqués. Faute de magistrats? Certainement pas ! Même si leur nombre est insuffisant et s’il sont pour la plupart dépités, ils existent et sont en règle générale compétents. Ce n’est pas non plus faute de locaux (fussent-ils vétustes).
Sans disserter sur ses causes, nous nous contenterons de constater que la disparition de la Justice à Djibouti est attestée lorsqu’elle ne prend pas une décision indispensable; lorsqu’une décision prise n’est pas exécutée ou quand les décisions de certaines juridictions violent explicitement la loi.
L’acharnement judiciaire contre D.A.F et le Co-directeur de publication de « Réalité » ainsi que l’impunité dont jouissent certains pontes du régime civils ou militaires ou leurs protégés. L’acharnement d’une banque à poursuivre un client insolvable pour quelques centaines de milliers de F.D démontrent s’il en était besoin les dangers de l’intrusion de la politique dans la sphère juridiciaire.
Exceptionnellement, nous nous ferons ici l’écho d’un cas qui mérite publicité pour la permanence du déni de justice ; suite à un grave accident de la circulation survenu en 1979, le responsable de l’accident a été condamné à payer près de neuf millions de F.D.Il n’en a payé que le tiers .En dernière instance, en Septembre 1999, le tribunal correctionnel de la cour d’appel, lui commande de payer le reste dans un délai d’un mois sous peine de huit mois de prison ferme pour refus d’exécution judiciaire.
La victime, Mr Ibrahim Abdallah Ibrahim ancien militaire handicapé à vie depuis lors et père de plusieurs enfants, défendue à l’époque par un avocat aujourd’hui mal-élu, attend donc un quart de siècle que Justice lui soit rendue et ce, malgré plusieurs doléances adressées aux deux Présidents qu’a connu notre République. Le condamné se serait nous dit-on, publiquement targué d’avoir des entrées influentes au sein de la haute fonction publique. Dans ces conditions, à qui recourir pour faire valoir ses droits ?
Chacun constatera d’abord que se sont écoulées deux décennies entre le drame et la décision définitive du Tribunal Correctionnel de la Cour d’Appel. Ce n’est pas à cause de la lenteur de la Justice ou l’usage par l’avocat et le condamné de toutes les ressources juridiques. Car entre la dernière décision et ce jour, c’est près de cinq années qui se sont encore écoulées sans que le condamné se soit acquitté du montant dû à la victime, ni que soit exécutée la décision du Tribunal. Ces retards et déni de justice sont uniquement dûs au défi sans précédent dans les annales judiciaires, lancé par un particulier bien introduit dans les sphères du pouvoir, à la Justice d’un pays.
Rappelons enfin au chapitre des Droits de l’Homme et à titre purement anecdotique, la récente et fulgurante promotion du responsable de la sécurité rapprochée du chef de l’Etat qui s’est tristement rendu célèbre en dirigeant la sanglante répression contre les démobilisés handicapés en Avril 2002. La grande muette désapprouve en se contentant de jaser.
Ce bref rappel qui est tout sauf exhaustif n’a d’autres objectifs que de réveiller la bonne conscience des praticiens de la Justice et de tous ceux qu’ils soient civils ou militaires en charge du destin collectif.
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Haïti : du haut de cette misère
DEUX SIECLES D’INDÉPENDANCE VOUS CONTEMPLENT
L’événement est pratiquement passé inaperçu, tant ce pays qui inquiète tant l’ONU semble n’avoir plus aucune contribution positive à apporter au monde. Pourtant, Haïti ( Ayiti en arawak, signifiant Terres des hautes montagnes) vient de fêter le 1er janvier dernier le bicentenaire de son Indépendance, au terme d’une révolte des esclaves commencée en 1791. Deux siècles de liberté pour se dépêtrer aujourd’hui dans une misère sans fond : à travers la déchéance de ce pays, c’est tout le décalage entre l’idéal indépendantiste et son fruit détourné au profit de quelques-uns, qui se donne à lire. Et à méditer : sommes-nous indépendants juste pour qu’une minorité illégitime confisque notre destin pour le rendre immobile ?
Aucun citoyen d’un pays issu de la décolonisation ne devrait l’ignorer : Haïti, le premier pays souverain de l’Histoire de l’humanité noire vient de fêter le bicentenaire de son existence. C’est en effet le 1er janvier 1804 que ces populations essentiellement d’origine africaine se libérèrent de l’exploitation esclavagiste et s’organisèrent en Etat indépendant. L’actualité contemporaine de cette petite île des Caraïbes a éclipsé un tel honneur : Haïti est plutôt connu pour ses malheurs et ses tontons macoutes.
Mais la modestie ecclésiastique étant parfois soluble dans la démagogie politicienne, ce triste constat n’a pas empêché son Président, le Père Aristide, de verser dans la démesure. Ainsi a-t-il crû judicieux d’affirmer, à l’occasion de la célébration de ce bicentenaire que « La première République noire est et reste l’épicentre de la liberté pour les Noirs ».
Thabo Mbeki, le président sud-africain venu assister aux festivités, a toutefois remis les choses à leur juste grandeur en estimant que le révolte des esclaves en Haïti avait été source d’inspiration pour le monde. Car, en toute sincérité, et tout en reconnaissant que la révolte de Toussaint Louverture ait pu servir de modèle à la lutte contre l’apartheid, il serait bien difficile de trouver quoi mettre à l’actif du régime des Duvallier (père et fils). Tout comme il serait difficile d’expliquer en quoi les souffrances d’Haïtiens privés de liberté par les leurs auraient pu positivement influencer la détermination combative des peuples colonisés ou opprimés de par le monde.
Sans trop se demander dans quelle mesure la couleur de la peau peut se transformer en référent idéel, le raccourci est vraiment saisissant : deux siècles d’Indépendance pour être aujourd’hui l’un des pays les plus pauvres du monde. Comment un mouvement d’émancipation aussi lourd de sacrifices humains a-t-il pu s’embourber dans un tel chaos ?
Le problème dépasse donc largement le cadre étroit d’Haïti et la question vaut également pour la majorité des pays issus du processus de décolonisation. Car, si la situation politique et sociale de cette population interpelle, c’est parce qu’Haïti fonctionne comme un paradigme : celui des luttes détournées de leur finalité par les régimes en place. Lesquels, par incompétence autant que par cupidité, se sont immensément enrichis, plongeant leurs peuples dans la misère et la mendicité internationale. C’est justement ce qui gêne dans le cas haïtien: les dictatures contemporaines n’ont fait que remplacer l’exploitation commerciale d’origine étrangère en lui donnant une coloration endogène, indigène
Aux négriers ont succédé les rois nègres méthodiques, n’en déplaise à l’émotivité chère à feu Senghor. Car, dans le domaine de la violence politique, Haïti a vraiment été un précurseur : entre 1804 (date de son indépendance) et 1957 (date de l’arrivée au pouvoir de Papa Doc), 24 de ses Chefs d’Etat sur 36 ont été soit renversés (il y aura aussi quelques coups d’Etat après), soit assassinés, les deux n’étant impossibles. Quant à la mégalomanie dynastique, Bokassa, en s’autoproclamant Empereur, s’est peut-être inspiré du destin de Jean-Jacques Dessalines, devenant dès 1804 Jacques Ier , monarque d’anciens esclaves.
Avant même que Sékou Touré ne dise non à la France, Haïti expérimentait déjà le modèle dictatorial qui allait connaître une remarquable inflation dans l’Afrique post-coloniale : le 22 octobre 1957, François Duvalier arrive au pouvoir. Il règne par la terreur, interdit les partis politiques d’opposition et obtient du Parlement de gouverner par décrets.
Mais, à y bien regarder, n’est-ce pas la même facilité antidémocratique que la Constitution Djiboutienne accorde au Président de la République, Chef du Gouvernement, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature et accessoirement président d’un parti politique ? Le fait est donc bien là : à travers Haïti, ce sont tous les régimes de dérive qui devraient se reconnaître dans ce gâchis et avoir honte. Car, si Haïti est aujourd’hui classé 146ème sur les 173 Etats, la République de Djibouti n’est pas bien loin devant : 142ème ou 143ème. Ce n’est pas glorieux.
« Les sociétés sans histoires, sans tradition, sans mœurs nationales, sans les vertus publiques, finissent par devenir des peuplades dont l’existence est inutile dans l’œuvre de la civilisation » écrivait excessivement en 1947 l’historien Thomas, auteur d’ouvrages relatifs à l’histoire d’Haïti. Tout peuple a une Histoire, qu’elle soit écrite ou orale, n’en déplaise aux partisans du comte de Gobineau. Le problème, c’est juste que certains dirigeants sans envergure n’ont aucun dessein pour leur Peuple, préférant leur imposer stagnation ou récession, du moment qu’ils perdurent en s’enrichissant personnellement, par les fraudes et la corruption.
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