Réalité numéro 98 du mercredi 26 mai 2004 |
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Sommaire
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Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 98 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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Éditorial
DIFFAMATION PRESIDENTIELLE :
LA NOUVELLE AFFAIRE DAF ?
Pour les citoyens et les observateurs extérieurs candides se demandant comment un procureur de la République pouvait oser diffamer et mentir aussi impunément que celui du Tribunal de Djibouti, la réponse est dorénavant trouvée : c’est parce que le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, Chef de l’Etat et du gouvernement, Chef suprême des Armées et accessoirement président du parti au pouvoir pour fait de fraude, lui donne publiquement le mauvais exemple. On savait depuis longtemps que, profitant de la crédulité aussi polie qu’ignorante de certains journalistes, le Chef de l’Etat djiboutien prenait un malin plaisir à délivrer des demi-vérités qui sont, en regardant dans l’autre sens, qu’autant de demi-mensonges.
Ainsi, alors que l’affaire Borrel n’avait pas encore pris la dimension hexagonale qu’elle a maintenant, le Chef de l’Etat s’est rendu en France quelque temps après la signature de l’Accord de Paix du 12 mai 2001. Invité par une chaîne de télévision, il devait expliquer les retombées politiques dudit Accord de Paix, en termes d’ouverture politique « en direction de l’opposition ». La précision a son importance car le pauvre présentateur n’ayant jamais entendu parler de FRUD-armé (commodité de langage née le 7 février 2000), le Chef de l’Etat a froidement répondu : « Nous avons trouvé un terrain d’entente avec nos frères du FRUD. La preuve, c’est qu’ils font toujours partie du gouvernement ».
Demi-vérité car, effectivement, le FRUD parti politique a toujours compté ministre (s) depuis son entrée au gouvernement en juin 1995. Mais aussi demi-mensonge puisque, par définition, ce FRUD n’a jamais été dans l’opposition politique. Au demeurant, c’était la Paix de 2001 et non celle de 1994 qui était d’actualité ce jour-là et dont il s’était lui-même prévalu quelque temps auparavant à Bruxelles.
Cette fois-ci, c’est tout aussi et même plus grossièrement grave. Au journaliste de Jeune Afrique/ L’Intelligent lui demandant pourquoi l’opposant DAF était à ce point persécuté par la police présidentielle, le Président djiboutien a osé répondre : « Cela n’a rien de politique. Sur ce plan, ce monsieur peut écrire les âneries qu’il veut et rechercher tant qu’il peut l’auréole du martyr, il ne me trouvera pas… En revanche, lorsqu’on diffame, il y a, ici comme ailleurs, des lois et des sanctions. Celui dont vous parlez a ainsi écrit que le général chef d’état-major des armées entretenait un harem composé de militaires de sexe féminin, dont la plupart étaient des mères de famille ! Même si j’ai quelques doutes sur son sens des responsabilités, il lui a bien fallu faire face aux conséquences pénales de ses insultes ».
En espérant que son procureur de la République fasse également face aux conséquences de sa diffamation contre la personne de M. Dini, il est de notre devoir de signaler que le Chef de l’Etat a tout simplement diffamé contre la personne de Daher Ahmed Farah. En effet, ce dernier n’a jamais rien écrit de tel, et inutile de lancer quelque défi que ce soit ici : il avait juste posé une question sur l’usage peu réglementaire d’une troupe militaro-artistique elle-même en dehors de toute légalité républicaine. A-t-il insinué autre chose ? Ce n’est pas nécessaire d’en débattre. Car le fait est qu’entre l’explicite de l’écrit et l’implicite d’une insinuation, il y a toute la latitude de l’interprétation subjective. En diffamant ainsi, le Chef de l’Etat verse dans le procès d’intention, celui-là même au terme duquel sa Justice a abusivement condamné Daher Ahmed Farah. Justice partisane elle-même unanimement condamnée de ce fait. Dans cette affaire, comme ailleurs, les femmes ne sont que prétextes à un sordide règlement de compte personnel. Dans ce despotisme crépusculaire, le seul délit des opposants diffamés, c’est de dénoncer la confiscation de l’Etat, des institutions et des richesses nationales à des fins uniquement partisanes.
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Brèves nationales
Ethiopie/Djibouti :
Le baromètre Djib-net
Aussitôt après le départ de la délégation éthiopienne conduite par le Premier ministre Meles Zenawi, Djib-net avait brutalement déprogrammé la retransmission d’ETV, la télévision publique d’Addis-Abéba. En espérant nous tromper, nous avions laissé entendre dans notre précédente édition que les relations entre notre pays et son puissant voisin étaient empreintes de suspicion.
La visite à Djibouti la semaine dernière de Meles n’a pas démenti nos analyses. Venus surtout inaugurer les nouveaux locaux de leur ambassade, le Premier ministre éthiopien et sa délégation ont quelque peu déçu les attentes, nombreuses et parfois lointaines paraît-il, de la partie djiboutienne.
Ainsi, comme le reconnaît implicitement le journal gouvernemental « La Nation », les travaux de la fameuse commission mixte n’ont débouché sur aucun résultat tangible. Au-delà des déclarations d’intention, rien de concret n’est venu conforter l’excellence de nos relations avec ce partenaire historique. Pire : les officiels éthiopiens sont rentrés chez eux sans même rendre visite au chantier du méga-projet de Doraleh, un moment annoncé comme le clou du spectacle.
Le Chef de l’Etat, en campagne pour sa réélection, n’est pas sûr de compter cette fois sur le soutien éthiopien, dont il avait bénéficié en avril 1999. A l’époque, le régime d’Addis-Abéba n’avait pas lésiné sur les moyens pour assurer l’élection du natif de Diré-Dawa : livraison de khat, appui financier et symbolique avaient marqué la contribution officielle éthiopienne à l’élection du Lidj des hauteurs de Harrar.
Cinq ans après, les Ethiopiens donnent l’impression de s’être lassés du démagogue qui, en signe de gratitude, s’était adressé en amharique aux parlementaires d’Addis-Abéba. Il est vrai qu’entre temps, le dossier somalien est passé par là, dans lequel Djibouti avait des prétentions disproportionnées par rapport à son poids réel. Et surtout très peu pertinentes, qu’il a bien fallu revoir à la baisse. Illusion de réélection oblige et Paris vaut bien une messe…
La bouderie solidaire de Djib-net semble avoir cessé, puisque son boycott de la télévision éthiopienne à peine évoqué au téléphone, la retransmission des programmes d’ETV a repris dès lundi soir. Hasard ou écoutes téléphoniques ?
Importation de khat :
La SOGIK veut-elle baisser les prix ?
Tout au long de nos éditions, nous n’avons jamais cessé de prouver que ce régime cherche à abrutir les masses en promouvant la consommation effrénée du khat, devenu l’opium du Peuple. Ainsi, nous apprenons sans trop de surprise dans les colonnes du journal gouvernemental « La Nation » que le principal syndicat des importateurs de cette denrée d’aucune nécessité plaide pour la baisse des prix et ce à la veille de la campagne présidentielle durant laquelle le khat est autant distribué que consommé.
Abrutir le citoyen : telle est la devise de ce régime irresponsable qui, au lieu de sensibiliser ses concitoyens sur les méfaits de ce fléau national, préfère assurer la publicité gratuite à ses pourvoyeurs et accentuer un peu plus notre dépendance vis-à-vis de l’étranger.
A qui profiterait une baisse du prix d’achat du kilo de khat ? Au gogo consommateur djiboutien que le RPP pourrait approvisionner à gogo ? Pour notre part, nous disons : non merci !
Le khat a suffisamment déstructuré notre société fragile et appauvrie. Que ceux qui veulent vendre leur âme en échange de cette plante d’illusions aillent brouter la production nationale gratis au jardin d’acclimatation du docteur honoris causa : 4000 plants d’Awaday (les consommateurs apprécieront) les y attendent. Mais gare au blues postkhatique, qui transforme certains en robots ou griots présidentiels.
Taxis confisqués :
Les pouvoirs publics font marche arrière
Après avoir pris une décision interdisant simplement l’importation des véhicules dont le volant est à droite, les autorités djiboutiennes étaient passées à la vitesse supérieure en retirant de la circulation quelque 170 taxis, au motif qu’ils constituaient un danger pour la sécurité routière. Confisqués et garés dans la zone franche pendant deux semaines, ces véhicules ont finalement été restitués à leurs propriétaires, heureux de reprendre leurs courses et de faire ainsi vivre leurs familles. Nous nous réjouissons pour notre part de ce recul de l’arbitraire.
« Réalité » félicite tous ces transporteurs qui ont tenu bon face au diktat des autorités qui, paraît-il dans la plus pure tradition du délit d’initié, cherchaient dans cette manœuvre à enrichir un garagiste très proche du régime.
Et dire que le forum sur l’état des Droits de l’Homme se demande ce qui peut bien freiner l’investissement privé et gonfler les chiffres du chômage…
Droits de l’Homme :
La démystification par l’exemple
Il l’a voulu, il l’a eu : le ministre de la Justice a quand même réussi à organiser « son » forum, en l’absence de toutes les forces crédibles de la société civile. Seule consolation pour lui : un discours insipide, prétentieux et démagogique du grand chef, plutôt référence en matière de répression qu’autre chose.
Pendant que le « numéro un djiboutien », seul à s’accaparer les richesses nationales ou à les distribuer à ses courtisans, donc de ce fait premier responsable de la pauvreté généralisée, discourait sur la violation des droits de l’Homme que constituent à se yeux la précarité et la pauvreté, des jeunes désœuvrés d’Arhiba, victimes de sa politique de prédation, ont tenu à manifester devant le siège de l’UNFD où, il faut bien sponsoriser ces dames, se déroulait le forum.
N’en déplaise aux plumitifs à la solde du RPP, les jeunes d’Arhiba (principalement ceux de l’UJA, à laquelle ils prétendaient dénier toute existence) ont exprimé leur mécontentement, démystifiant ainsi de manière exemplaire la démagogie officielle.
Les journaleux du « Progrès » dernièrement renforcés en fonctionnaires réquisitionnés et en matériels confisqués, auraient trouvé là matière à inspiration ; mais ils n’ont pas été convoqués pour rapporter la brûlante réalité. Ils doivent juste se contenter du tam-tam.
Syndicalisme :
L’UDT dénonce les manoeuvres du MESN
Ainsi que nous l’écrivions la semaine dernière, le régime poursuit son ingérence dans les affaires syndicales. Le communiqué ci-dessous reproduit de l’Union Djiboutienne du Travail (UDT), signé par son secrétaire-général, M. Adan Mohamed Abdou, condamne ces pratiques liberticides : «Le Jeudi 13 mai 2004, dans les locaux du Ministère de l’Emploi et de la Solidarité Nationale, deux experts du Bureau International du Travail (BIT), devaient rencontrer les centrales syndicales dans le cadre de leur mission à Djibouti. A 11 heures, se trouvaient dans la salle, des prétendus membres de l’UGTD, parrainés et sponsorisés ouvertement par le Ministère, et quatre délégués de l’UDT.
Avant même l’arrivée des experts, M. Ali Yacoub, Conseiller du Ministre et Secrétaire Général par intérim, entre bruyamment dans la salle et somme, d’un ton agressif et menaçant, les délégués de l’UDT de quitter les lieux.
«Seule l’UGTD a le droit de rencontrer les experts» martelait-il avant de crier «que l’UDT mette mon nom dans tous les journaux si ça lui chante » clamant ainsi haut et fort l’impunité dont il jouit.
Les syndicalistes refusent de répondre à la provocation et essayent calmement, mais en vain, de raisonner le jeune homme. Dans cet entre fait, arrivent les experts du BIT. Il s’agit de Madame Telou Keneado et de Monsieur Ngandu Mukendi.
C’est alors que M. Ali Yacoub ordonne à six (6) policiers armés de s’introduire dans la salle et d’expulser tous les délégués de l’UDT. L’ordre a immédiatement été exécuté et nos représentants
– Mohamed Ahmed Mohamed
– Mohamed Ahmed Abdillahi
– Farah Abdillahi Miguil et
– Souleiman Ahmed Mohamed
ont été jetés, manu militari, hors de la salle. Choqués, les experts du BIT auraient refusé de participer à cette réunion truquée qui a finalement été annulée.
Nous apprenons par ailleurs que 4 correspondances portant 4 signatures différentes ont été envoyées en notre nom (UDT) au BIT.
Notre organisation n’ayant jamais adressé un quelconque courrier à cette délégation, nous restons convaincus que ces documents émanent du ministère lui-même, qui a pour stratégie habituelle de brouiller les organisations internationales de manière à discréditer l’UDT et ainsi mettre en avant ses syndicats-maison.
Naturellement, l’UDT condamne avec force ces agissements d’un autre âge de la part du ministère de l’Emploi et de la Solidarité Nationale et dénonce une fois de plus l’ingérence permanente du pouvoir dans les affaires syndicales. »
Le dilemme présidentiel :
Modestie ou hypocrisie ?
Vendredi dernier, le Chef de l’Etat, détestant par ailleurs les dépenses ostentatoires, a retrouvé le confort (modeste) de son Boeing présidentiel (minuscule) venu d’Afrique du Sud, pour rejoindre la Capitale tunisienne aux fins d’assister à un sommet de la Ligue des Etats Arabes dont l’essentiel de l’ordre du jour concernait la situation en Irak et en Palestine occupée.
C’est vraiment par pure politesse qu’il a sacrifié à ces périodiques retrouvailles mondaines car le Chef de l’Etat djiboutien a clairement exprimé son point de vue sur la question dans la seconde partie de l’interview qu’il a accordée à Jeune Afrique/L’Intelligent.
Ainsi, à une question relative à la position de Djibouti par rapport au conflit palestinien, il a répondu avec une sincérité et une profondeur sidérantes : « Les Palestiniens sont seuls. Peut-être leur faudra-t-il encore un siècle pour être libres chez eux, mais ils y parviendront sans l’aide de quiconque. La solidarité, qu’elle soit arabe ou islamique, à leur égard a toujours été un vain mot, une pure hypocrisie ».
Merci pour les autres, mais est-ce à dire que seule la solidarité RPP est réelle ? On ne demande même pas à quoi a servi le compte bancaire qui accueillait les sommes saisies à la source par le régime pour officiellement soutenir la Cause palestinienne. Peut-être ont-elles servi à faciliter l’inspiration antisémite de telle troupe militaro-artistique ?
Quoi qu’il en soit, notre homme providentiel était de retour quarante-huit heures après, dans sa poussiéreuse Capitale, tandis que l’avion présidentiel retrouvait, quelques milliers de kilomètres plus au sud du continent, la fraîcheur du pays de Mandela.
Début juin, ce même avion retrouvera le tarmac de l’aéroport de Djibouti pour emmener cette fois notre génie national dans l’ancienne perle de l’Afrique Orientale, autrement dit Kampala, pour le sommet des Chefs d’Etat du COMESA. Fin juin, le même appareil reviendra d’Afrique du Sud pour convoyer le Président djiboutien au sommet de l’Union Africaine à Addis-Abéba.
Combien coûtent tous ces vols au Peuple Djiboutien ? Car il est bien entendu qu’il ne sacrifie à ses voyages intercontinentaux que par devoir.
Ce même devoir qui lui commande de se représenter pour un second mandat : il paraît qu’il a tellement de chantiers nationaux et internationaux à terminer.
Yoboki :
Distribution partielle des pièces d’identité
Faisant suite aux doléances maintes fois exprimées par les notables de l’arrière-pays yobokois, les services du ministère de l’Intérieur auraient finalement accepté de délivrer des pièces d’identité aux ruraux des régions de Galafi, Daoudaouya et Daguirrou. Le hic, c’est que dans le même temps, un numerus clausus inacceptable accompagne ces prétendues dérogations.
Ainsi, les autorités acceptent de délivrer des pièces d’identité nationale dans les contrées reculées, tout en posant leurs iniques conditions : une seule visite par localité et attribution des pièces d’identité à un maximum de 60 personnes par endroit.
La citoyenneté est un droit sacré, n’en déplaise à ce régime sectaire. Aussi, nous demandons au ministère de l’Intérieur de délivrer des pièces d’identité à tout citoyen y ayant légalement droit, conformément aux dispositions contenues dans l’Accord de Paix du 12 mai 2001.
L’ARD veille au grain et n’hésitera pas à dénoncer la ségrégation dans l’attribution des pièces, partout où cette injustice sera constatée.
Et la combattra comme il se doit.
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Tribulations présidentielles
1ERE PARTIE : HISTOIRE D’ÉQUILIBRE…
Sous le titre « Les tribulations du Premier ministre », nous avions brièvement évoqué dans notre numéro 94 à quel point la culture générale du Premier ministre était à l’image de son expérience politique : minuscule. Le régime peut acheter des pages de publicité déguisée et mensongère dans une certaine presse internationale, force est de noter avec satisfaction qu’il lui est impossible d’acheter le contenu de ses messages publicitaires, car en matière de communication politique, le nègre n’a pas encore été inventé. Dans notre édition du 5 mai dernier, nous avions relaté l’inconsistance des propos du Chef de l’Etat (et du journaliste qui l’avait interviewé), donnant rendez-vous à nos lecteurs pour analyser la seconde partie de cette interview présidentielle. Laquelle a été déprogrammée par la rédaction de Jeune Afrique/L’Intelligent, certainement avec l’accord de l’illustre docteur honoris causette. Mais, comme il aurait été cruel d’empêcher l’humanité lettrée et francophone des lumières du « numéro un » djiboutien, l’hebdomadaire parisien a mis en ligne, sous le titre un peu boy scout « Je ne veux pas mourir au pouvoir », la seconde partie de cette interview. Pour l’avoir donc consultée sur le site Internet www.l’intelligent.com, nous pouvons assurer que le surf en vaut la chandelle : pour tous ceux qui se demandaient comment le Premier ministre avait osé ses insanités tribales, voici son gourou, et maître à penser ! Pour qui l’ignorait bien sûr, car il est bien connu que l’enfant ne fait que répéter ce qu’il entend de la bouche des grands.
« Le peuple djiboutien est composé de deux groupes ethniques, les Afars et les Issas ». Ces deux groupes se scindent en plusieurs tribus, clans et sous-clans » : Cette stupide phrase du Premier ministre, pourtant peu suspect de nostalgie coloniale ( ni anticoloniale d’ailleurs), a été unanimement condamné par les Djiboutiens, à tel point que certains mal-élus de la circonscription électorale de la Capitale l’auraient publiquement et fort justement interpellé à ce propos, se demandant subsidiairement comment l’omniprésente censure de la police politique présidentielle avait pu laisser passer cette monstruosité qui, sous d’autres cieux réellement démocratiques, auraient poussé son auteur à la démission. A lire la seconde partie de l’interview que son Chef de gouvernement a accordée au même hebdomadaire, on comprend beaucoup de choses : que l’élève n’a fait que réciter la leçon de son maître et que le maître dit des choses encore plus monstrueuses que son élève.
Ainsi, lorsque le journaliste lui balbutiait : « On entend toujours dire qu’à Djibouti les Issas dominent et les Afars sont discriminés… », le Chef de l’Etat bondit (c’est une image et, comme on le dit dans le langage de la publicité commerciale, visuel non contractuel) et réplique, main sur le cœur : « C’est une vieille séquelle du colonialisme. Après avoir tout d’abord privilégié les Issas au détriment des Afars, les Français ont, au début des années 1960, renversé ce déséquilibre en faveur, cette fois, de ces derniers. Une fois l’indépendance venue, les Issas, qui avaient mené la lutte anticoloniale, ont revendiqué leur place. Une guerre civile a suivi. Aujourd’hui, tout le monde a sa part. J’ai ainsi imposé qu’il n’y ait pas un seul recrutement dans la fonction publique qui ne se fasse sans concours. C’est un jeu d’équilibre auquel je me livre en permanence et qui nécessite une vigilance de tous les instants. ».
Cette réponse devrait être proposée au livre des records mondiaux car, en seulement sept lignes et environ trente secondes top chrono, le Chef de l’Etat a réussi à placer quatre contrevérités, restons polis, car on aurait tout aussi bien pu parler de diffamation contre le Peuple Djiboutien et son Histoire.
Première contrevérité : il est stupide de prétendre que la France a tour à tour privilégié les Issas et les Afars. Li Wadjhillah, voici un petit cours d’Histoire à son intention, car nous nous en voudrions de passivement assister à l’étalage de quelque inculture que ce soit, a fortiori lorsqu’elle est présidentielle. En s’installant dans la région, au terme d’un traité falsifié (dans sa version française du moins) avec le Sultan de Rahaïta, la France a donné à la future République de Djibouti le nom de Territoires d’Obock et Dépendances. Priée de quitter les lieux pour lecture mensongère dudit traité, la puissance coloniale s’est installée dans la rade de Djibouti et sa petite possession est alors devenue Côte Française des Somalis.
Il ne s’agissait pas pour elle de favoriser les Somali, encore moins les Issa : désireuse de pénétrer l’énorme marché de l’Ethiopie chrétienne, la France cherchait juste un peu de tranquillité et beaucoup de main-d’œuvre pour pouvoir construire le chemin de fer reliant Djibouti à Addis-Abéba, via Diré-Dawa. Région de Diré-Dawa où, par manque de chance, il y avait un certain Ougas des Issa, qui ne voyait pas d’un très bon œil cette arrivée. Rappelons que son autorité avait été une première fois bafouée, puisque les chefs Issa ayant signé le traité dont la France s’autorisait pour s’installer, n’avaient pas été mandatés par lui et ils n’étaient pas 44.
Comme il fallait encore une fois saper son pouvoir pour neutraliser ses résistances, la France a créé une sorte d’antéougas, comme il y a un antéchrist : c’était un Issa, nommé notable (on disait alors Okal, de l’arabe ‘Aaqil signifiant l’Intelligent, parfois comme Jeune Afrique) et le mieux rémunéré de toute l’administration coloniale indigène. Si, en 2004, dix ans après la mort du dernier Ougas, son remplaçant n’a toujours pas été désigné selon les règles traditionnelles de succession, c’est aussi quelque part une séquelle de ce triste épisode de la collaboration avec un colonialisme débutant. Donc, le Chef de l’Etat devrait être le dernier à prétendre que les Issa aient été, à un moment donné, favorisé par la puissance coloniale : cela ne correspond nullement à la réalité, car seuls des collaborateurs ont été favorisés, indépendamment de leur origine ethnique. Ce n’est pas parce qu’il a personnellement réussi du temps de l’administration coloniale que l’on serait a contrario fondé à prétendre que tous ses cousins aient été des privilégiés à cette époque
Car, plus gravement, au lendemain d’un référendum tumultueux, il s’agissait pour la France de définitivement couper certains de ses ressortissants d’un Etat voisin, et ceci selon deux directions : d’une part, en réhabilitant une partie collaboratrice des Afar qu’elle avait massivement réprimé et parfois massacré, d’autre part en divisant les Somali pour n’en reconnaître que certains Issa ; ainsi naquit le Territoire Français des Afars et des Issas. C’est peut-être sur cette seule appellation de TFAI que le Chef de l’Etat se fonde pour dire que ce fut au tour des Afar d’être privilégiés par la puissance coloniale car, mis à part le Président du Conseil de Gouvernement et ses alliés politiques, ni sa famille, ni sa tribu et encore moins les Afar dans leur ensemble n’ont bénéficié d’un quelconque traitement de faveur colonial. Si tel avait été le cas, il en resterait un minimum de traces pertinentes. Mais tel n’est pas le cas, et le Chef de l’Etat n’ignore pas que l’administration de son ancien patron avait suspendu toutes les bourses des seuls étudiants d’origine Afar au lendemain de la création du Mouvement Populaire de Libération : il faudrait plutôt parler de ségrégation, mais c’est un détail.
Ce qui n’est pas un détail par contre, c’est la ségrégation que le Chef de l’Etat instaure entre les nationalistes djiboutiens en fonction de leur origine ethnique, et c’est la seconde contrevérité. Prétendre que les Issa revendiquaient leur place pour avoir lutté en faveur de l’Indépendance, c’est malheureusement obliger nos concitoyens à poser deux questions : d’une manière générale, les autres communautés n’ont-elles pas participé à cette lutte de libération pour mériter d’avoir été mises à l’écart ? Plus particulièrement, les Afar auraient-ils milité contre cette Indépendance qui auraient signifié la perte de leurs prétendus privilèges ? Il est proprement dégradant de confisquer le passé pour mieux détourner le présent.
Troisième contrevérité : c’est lorsque le Chef de l’Etat établit une causalité directe entre la prétendue revendication égalitaire des Issa qui ont lutté pour l’Indépendance et le déclenchement du conflit civil, dont on sait pas très bien s’il faut le dater en 1978 ou en 1991. Qu’il ne parle plus de la « stratégie de partition du pays conçue et développée par la France » comme dans le communiqué présidentiel affolé par l’affaire Borrel, encore heureux, mais ce n’est pas suffisant. Imputer le conflit civil au refus des Afar d’abandonner les privilèges auxquels les colonisateurs les avaient habitués est une insulte au bon sens citoyen en même temps qu’un sabotage de l’indispensable travail de réconciliation nationale.
C’est tout simplement à se demander s’il a lu une seule ligne de l’Accord de paix du 12 mai 2001, qu’il s’était pourtant solennellement engagé à appliquer, dans lequel les deux parties signataires avaient clairement identifié la cause essentielle du conflit fratricide : le grave déficit démocratique. Ce qui, il est vrai, colle mal avec sa biographie officielle selon laquelle la sauvegarde de l’Unité nationale relevait, entre 1977 et 1999, des seules prérogatives du chef de cabinet du président de la République : l’échec est dramatiquement éloquent !
Quatrième contrevérité présidentielle : c’est lorsqu’il prétend le plus sérieusement du monde que de nos jours, l’égalité entre tous les citoyens est rigoureusement assurée : il paraît qu’il y veille personnellement, c’est dire l’intensité de l’effort… ou de la mystification. Il est également malhonnête de parler de concours lorsque l’accès à l’Education n’est qu’une garantie formelle, sans aucune réalité concrète sur le terrain. Enfin, non seulement de graves déséquilibres existent à tous les niveaux entre les diverses composantes de la communauté nationale, mais même le journaliste étranger et invité dans le cadre d’un publi-reportage s’est-il senti obligé (un reste de rigueur déontologique peut-être) de faire état d’une ségrégation encore plus pointue : « Pourtant, si on en croit le dernier rapport du département d’Etat américain sur Djibouti, votre clan domine l’essentiel de l’armée, de la police et des services de renseignement… » a-t-il eu le courage de placer.
Ce qui lui a valu une réponse pour le moins suspecte venant d’un Chef d’Etat qui doit convaincre et non pas défier : « Qu’on le prouve ! Vous savez, il y a une chose que je veux éviter, c’est qu’on dise plus tard de moi : il a divisé le pays, il a laissé derrière lui un champ de mines. Je ne suis que de passage, pour quelle raison voudrais-je semer la discorde ? ».
Que c’est gentil : on en pleurerait presque d’émotion, en passant par pertes et profits les innombrables injustices qui sont la réalité quotidienne de la société djiboutienne. Après la France, veut-il accuser les Etats-Unis de vouloir déstabiliser son régime ? Ce ne serait pas sérieux, mais au pays de la démesure démagogique, plus rien ne peut nous surprendre. On entendra peut-être dire que les informations sur lesquelles le département d’Etat américain s’est fondé pour parler de multiples ségrégations à Djibouti émanent de rigolos, ceux-là mêmes qui auraient déjà intoxiqué la DGSE française à propos des conditions dans lesquelles le juge Borrel est mort ! Il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir : pour avoir lui-même hérité de cette ségrégation clanique, et pour n’avoir absolument rien entrepris afin de la démanteler, c’est une litote, le Chef de l’Etat trouve peut-être normal que l’Armée, la Gendarmerie et la Sécurité soient toutes dirigées par ses cousins.
Tout comme il trouve peut-être normal que la plus petite réunion de travail au sein d’un département ministériel aussi important que celui des Finances ressemble furieusement à un rassemblement clanique. Nos concitoyens savent bien que l’égalité est encore un slogan que le régime brasse au détour d’un forum sur les Droits de l’Homme. Pour tous les autres, il suffirait juste de consulter la liste de tous les agents de l’Etat (ils sont pléthoriques, fonctionnaires et conventionnés) travaillant dans les différents services de la Présidence : si le Chef de l’Etat œuvre réellement à assurer une juste représentation de toutes les composantes de la communauté nationale, cela se verrait d’abord dans son plus proche entourage.
Mais l’on aurait tort d’en déduire pour autant que ce régime est tribaliste : il veut juste le faire croire. Car, en vérité, son seul credo est de servir tous ceux qui veulent bien le servir, sans distinction d’origine, à une condition, fondamentale : que ses serviteurs acceptent de se servir sans se soucier de leur communauté, encore moins de l’intérêt général. Nous aurons prochainement l’occasion de revenir sur cet aspect. La semaine prochaine, nous tenterons de décrypter d’autres subtilités du langage présidentiel, comme ce que la modestie signifie pour lui.
D’ici là, nous formons un vœu : à la lecture de tels propos ne pouvant que semer la discorde interethnique, que les mal-élus de la circonscription électorale de Djibouti-ville, qui avaient demandé des explications au Premier ministre, soient aussi indignés avec son maître à penser (s’il est permis de parler de penser).
Sauf si le fait qu’il soit surtout leur vrai maître ne leur pose problème, auquel cas ils auront démontré qu’ils sont tout sauf représentants du Peuple.
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Les dix commandements des charlatans politiques
C’est bien connu : parler de Démocratie et de Droits de l’Homme, ça rapporte beaucoup à tout le monde. Aux régimes despotiques qui vont de forum en tables rondes, en passant par les Assises et les symposiums de réflexion sur l’action gouvernementale, c’est le meilleur moyen pour attirer l’aide publique des pays riches ou l’argent multilatéral, sans oublier l’indispensable considération et l’inévitable onction de ceux qui préfèrent faire semblant. Aux bailleurs de fonds, bilatéraux ou multilatéraux, cela donne bonne conscience : c’est peut-être dans cette optique de politesse intéressée qu’il convient de comprendre la participation de représentants de l’Organisation Internationale de la Francophonie et de la Ligue des Etats Arabes au forum sur l’état des Droits de l’Homme qui s’est tenu les 17 et 18 mai sous l’égide du ministre de la Justice, comme par hasard chargé des Droits de l’Homme. Les dix recommandations retenues au terme de ses travaux montrent clairement qu’entre thèse et foutaise, le régime n’a pas hésité : alors que tel adorateur identifiait l’heureux candidat de 1999 au prophète Noé, il faudrait plutôt parler de nouveaux charlatans politiques, spécialistes de l’illusionnisme médiatique.
C’était à se demander si les participants venus des districts du Nord, pourtant triés sur le volet en fonction de leur affiliation partisane, savaient exactement l’objet du forum qui les réunissaient. Un véritable couloir des Lamentations : durant tout un après-midi, ils étaient là à se plaindre que les zones affectées par le conflit attendaient vainement leur réhabilitation, que l’Ecole et la Santé étaient très largement des mirages dans leurs régions, etc.
A en décourager les illustres organisateurs de ce forum dont ils attendaient pourtant beaucoup d’envolées lyriques ou, pourquoi pas, philosophiques ! Mais, il est inexact de prétendre, tel le compte rendu à l’eau de rose proposé par le journal gouvernemental « La Nation », que « les dirigeants des partis de l’opposition n’ont pas jugé utile de répondre aux invitations réitérées que leur a adressé (sic) le Ministre de la Justice initiateur de ce forum ».
Nos lecteurs le savent bien, puisque nous avons reproduit la lettre ouverte par laquelle les responsables de l’UAD lui expliquaient, en partant des arguments qu’il développait lui-même dans son livre, pourquoi ils étaient au regret de décliner son invitation : ils n’ont pas de temps à consacrer au renforcement de ce que le ministre de la Justice qualifie de « parures institutionnelles » ; ce forum étant à la consolidation des Droits de l’Homme ce que le «Reer Gool » (Rear Gold) est à l’or authentique: une illusion optique.
Que les vrais syndicats et les authentiques organisations djiboutiennes de défense des Droits de l’Homme n’y aient pas non plus participé, n’a pas empêché l’organisateur de retenir dix recommandations censées booster au quotidien le respect individuel et collectif, public et privé des Droits de l’Homme en République de Djibouti.
Voici ces dix commandements version illusionnisme despotique, avec les brefs commentaires qu’ils nous inspirent, sans aller bien sûr jusqu’au blasphème partisan.
1) Encourager l’Etat à stimuler les investissements afin d’offrir des opportunités de travail : privé comme public, national comme extérieur, l’investissement a besoin d’une sécurité dans les textes et dans la pratique. C’est parce cette condition fait défaut que de nombreuses sociétés privées ont quitté Djibouti, fatiguées de la corruption administrative et politique. Donc, il faut d’abord lutter contre cette délinquance à col blanc et garantir la meilleure transparence dans la gestion des deniers publics, le Chef de l’Etat devrait donner l’exemple avec la gestion du Port.
2) S’assurer que les recrutements et les promotions au sein de l’administration s’effectuent sur la base du mérite, de la compétence et de l’ancienneté : l’amalgame entre le recrutement et la promotion (qui a jamais été recruté sur ancienneté ?) en dit long sur le tour de prestidigitation de ce raccourci. Comme nous l’avons dit, autant que le Chef de l’Etat, dont le favoritisme n’est pas à démontrer puisque la plus petite nomination requiert sa signature, le ministre de l’Emploi devrait donner l’exemple, lui qui cherche dans son propre département à violer la loi en court-circuitant la hiérarchie établie pour nominer (si l’on peut dire, quoiqu’il ne s’agisse pas ici d’Oscar) une proche parente à lui.
3) Renforcer les effectifs de la Justice (magistrats, greffiers) et assurer leur formation. Doter cette institution de moyens en locaux et matériels pour améliorer son fonctionnement : à quoi ont donc servi les états généraux de la Justice tenus en 2000, puisque ces recommandations avaient déjà été retenus ?
4) Assurer le traitement en temps réel des dossiers : les justiciables djiboutiens ne demandent pas mieux ! Mais il est illusoire d’attendre beaucoup de cette recommandation.
5) Accélérer la rédaction des jugements, ce qui empêchera toute falsification : donc, certains jugements restent purement verbaux ? Société d’oralité, d’accord, mais là c’est vraiment trop.
Quoique, l’Assemblée Nationale djiboutienne soit, à notre humble connaissance, la seule au monde à ne dresser aucun procès verbal de ses séances. Certes, il ne s’y dit pas toujours des choses intéressantes, mais les députés sont quand même censés représenter la volonté populaire et incarner le pouvoir législatif.
6) Inciter l’Etat à prévoir une dotation budgétaire en vue de prendre en charge les honoraires des avocats commis d’office afin de permettre l’accès à la justice aux personnes les plus démunies : l’universalité de la Justice est donc bien une douce utopie. Dans ces conditions, l’on comprend pourquoi tel avocat s’élève contre la corruption au sein de la magistrature djiboutienne : la concurrence devient vraiment déloyale si le magistrat profite de ce mur de l’argent pour se mettre à travailler au plus offrant.
7) Adopter des textes juridiques pour protéger les victimes du VIH/SIDA contre toute discrimination au regard de l’emploi et dans la société : c’est bien, c’est même très bien, quoique c’est peut-être appréhender les problèmes par le petit bout de la lorgnette en cédant à un thème à la mode dans les pays où les droits fondamentaux sont assurés aux citoyens.
Il y a tout d’abord lieu d’inciter la population à risque à pratiquer le dépistage volontaire d’une part en assurant un maximum de confidentialité dans une ville où tout le monde se connaît et où la rigueur professionnelle n’est pas forcément la chose la mieux partagée du monde, d’autre part en garantissant autant que faire se peut l’accès aux antirétroviraux au plus grand nombre.
Ne faudrait-il pas également et principalement protéger certaines personnes socialement démunies contre les réels risques de propagation du virus ? Ainsi, nous l’avions préconisé il y a longtemps, ne serait-il pas possible de lutter contre la contamination de la femme au moment du mariage en incitant le couple à procéder au dépistage préalable ?
Mais, pour ce régime de verbiage, les droits des femmes consistent à être représentées par des mal-élues. En attendant, ce sont les forces vives de la Nation qui sont condamnées au nom d’une pudibonderie qui obère sérieusement toute réelle chance de développement.
8) Permettre aux associations, aux syndicats, aux partis politiques et à la presse d’exercer pleinement leur rôle : c’est tout simplement l’hommage du vice à la vertu. Alors que le mouvement universel est à la déréglementation et au désengagement de l’Etat dans de nombreux domaines, prétendre légiférer et garantir les Droits de l’Homme dans les sphères associatives, syndicales et partisanes, c’est la preuve la plus flagrante que les ingérences du régime y sont encore vivaces. Car, si ONG, syndicats et partis politiques sont assez mûrs pour fonctionner sans avoir à être dopés, le minimum que le régime (on ne peut pas parler d’Etat à ce niveau) devrait faire, c’est de les laisser tranquilles. En ce domaine, sa seule contribution au plein rendement démocratique de la société civile, ce serait de ne pas confisquer le service public et les médias publics à son seul profit partisan.
C’est, pour le moment, la plus grave entrave à la liberté d’expression.
9) Sensibiliser pour assurer la scolarisation des enfants des milieux défavorisés des zones rurales et améliorer la qualité de l’enseignement dans son ensemble : c’est à se demander à quoi ont servi les états généraux de l’Education Nationale puisque les professionnels en ce domaine avaient déjà évoqué la même préoccupation. Tout en rappelant que les zones rurales ne sont la seules à héberger des milieux défavorisés, le premier effort devrait réduire les effets dévastateurs que fait peser sur le niveau scolaire des enfants ruraux l’affectation des enseignants en fonction de leur compétence : les meilleurs et les mieux formés restent dans la Capitale tandis que les moins bons et les moins formés (suppléants et volants) vont dans les districts).
De même, il conviendrait de regretter que de nombreuses écoles abusivement fermées n’aient pas été rouvertes (sauf celle de Guérenlé, fermée par manque d’eau puis rouverte parce que cette zone ravitaillait en eau le khat présidentiel du Day). Tout comme il est regrettable que certaines constructions ou réhabilitations d’écoles, pourtant budgétisées, souvent grâce à la générosité internationale, tardent encore à se concrétiser. En attendant, des centaines d’élèves vont s’asseoir sur des boîtes de Nido en guise de bancs : le verbiage officiel trouve cela normal.
Saboter à ce point l’avenir scolaire de ces enfants (sans parler des conditions d’obtention des bourses d’études) puis prétendre instaurer des concours de recrutement dans la fonction publique, cela relève tout simplement d’une ségrégation aux conséquences incalculables, comme le démontrera un proche avenir.
10) Assurer les soins médicaux et l’accès à l’eau, domaines prioritaires et essentielles en zone rurale pour prévenir l’exode : ce sont effectivement des domaines prioritaires, au sens où la Santé et l’accès à l’eau sont prioritairement laissés à la générosité bilatérale où aux programmes d’assistance multilatérale.
En attendant, les rares ressources financières nationales sont affectées à la sécurité présidentielle, quand il est possible d’identifier leurs mouvements.
Au total, du bruit pour à peu près rien.
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Communiqué de la LDDH
DIFFUSION D’INFORMATION DU 24 MAI 2004
SUR LES RECOMMANDATIONS DU FORUM
« Des Droits de l’Homme à cœur ouvert »… mais évidemment sans tapages et surtout bouche cousue sur les violations, les abus de pouvoir, le maintien de l’impunité, et : attention de ne pas faillir à l’obligation de garder un silence complet sur les détournements des deniers publics et des biens sociaux sinon… »
Voici des commentaires et des soutiens sur les recommandations tout en sachant d’avance qu’elles sont vouées à l’échec exactement comme les recommandations de novembre 2000 dans le rapport des Etats Généraux sur la Justice et issues des trois fameux ateliers, où la présence humaine était beaucoup plus étoffée et responsable.
Une chose reste malheureusement constante dans notre pays : c’est le manque total de volonté politique pour mettre fin aux différents abus de pouvoir, et le maintien d’une dictature foncièrement sournoise, ? Jusqu’à quand ? Actuellement, le ras-le-bol se fait sentir à tous les niveaux, seul le miroir de la peur persiste encore !
Sans nous appesantir sur les périls réels d’une mauvaise gouvernance fondée sur les mensonges, les manipulations d’information à travers notamment la mainmise totale sur les médias de l’Etat, les effets d’annonce, il est de notoriété publique que les recommandations d’un Forum sur les Droits de l’Homme, pour généreuses et justes qu’elles soient , ne peuvent trouver une application sincère que si la volonté politique existe.
1- L’existence d’une justice indépendante avec des magistrats compétents constitue l’une des premières exigences des investisseurs. A cet aune « stimuler les investissements n’a pas de sens dans un pays où la justice brille par son opacité et par l’inertie des juridictions spécialisées telles que la Chambre des Comptes et le Conseil du Contentieux Administratifs, et de l’absence totale de toute jurisprudence.
2- « S’assurer » de l’équité dans les recrutements et les promotions est une chose et les mystères des voies et moyens en usage dans l’administration pour fonder ceux-ci sur « la base du mérite, de la compétence et de l’ancienneté » en est une autre. A moins de rêver, les objectifs de cette démarche, ne peuvent aboutir que si elles s’inscrivent dans un cadre dépouillé de toutes magouilles politico-électorales d’où les préoccupations tribalo-claniques se doivent d’être absentes ;
3- Tous les points énumérés dans les recommandations du « Forum sur les Droits de l’Homme » découlent sans aucun doute d’une bonne intention et nous en savons gré aux contributions. Mais, comme le dit si bien l’adage : « même les sentiers de l’enfer sont pavés de bonnes intentions », au risque de nous répéter et d’agacer, nous insistons sur l’absence au plus haut sommet de l’Etat d’une volonté politique susceptible d’instituer un fonctionnement transparent des institutions à commencer par la Justice.
4- En ce qui concerne les recommandations sur les associations, les syndicats, les partis politiques et la presse, nous prenons acte de cet aveu sans ambages, du forum sur le sort réservé à la société civile, aux organisations politiques et à la presse, en dépit d’une constitution leur garantissant toutes les libertés. Des termes « permettre …d’exercer pleinement leur rôle » merci au Ministre de la Justice d’avoir laissé filtré cet aveu. Pour ce qui est de la loi sur la communication, le plein exercice de la liberté de la presse, il faut que soient créées les dispositions nécessaires dans le cadre de cette loi. Djibouti faisant l’objet d’une attention particulière sur les violations permanentes des Droits et libertés syndicales de la part du BIT et autres organisations internationales des défenses des Droits humains depuis près d’une décennie, le forum aurait pu insister sur ces violations et exiger la réintégration des dirigeants syndicaux licenciés depuis 1995. Cela eut été un gage de sérieux pour un conclave qui prétend avoir réussi le tour de force de rassembler associations, syndicats et partis politiques, sans que l’on sache lesquels et qui les représentaient.
5- Pour le reste « le forum qui se serait modestement penché sur les Droits de l’Homme à cœur ouvert » ne semble pas avoir drainé les institutions internationales qui font notoriété telles la FIDH (Fédération Internationale des Droits de l’Homme), Amnesty International, l’UIDH (Union Interafricaine des Droits de l’Homme), tout comme les deux organisations nationales qui sont la LDDH et l’ADDHL.
6- En conclusion, la mauvaise foi comme le mensonge et toutes les pratiques politiques pernicieuses trouvent leurs origines et forcément leur explication dans l’absence de volonté politique qu’elles concourent à occulter.
7- Nous interpellons qui de droit sur les conséquences de cette inertie politique et institutionnelle qui débouchera forcement sur le pire.
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