Réalité numéro 99 du mercredi 2 juin 2004 |
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Sommaire
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Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 99 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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Éditorial
LE BEEFSTEAK DU DEPUTE
(SUR UN CANAPE D’AVOCAT)
A force de n’en voir que l’aspect le plus servilement caricatural, nos concitoyens en sont venus à ne plus très bien comprendre à quoi peut servir un député sous ce régime de figuration et dans cette Constitution qui réduit le pouvoir législatif à sa plus simple expression : donner l’illusion d’une volonté populaire que le système de fraude généralisée se charge par ailleurs de détourner. Pourtant, à sa modeste dimension, le député version RPP se démène comme un beau diable dans au moins deux rayons : l’intervention et l’interpellation.
L’intervention tout d’abord : avec le phénomène du bras-cassé, c’est une spécialité typiquement djiboutienne, en tout cas dans sa banale quotidienneté. Rares sont ceux qui, à tous les niveaux de l’échelle sociale, n’ont pas un jour sollicité une démarche d’intervention à laquelle tous les députés se prêtent volontiers. Le système politico-administratif fonctionnant sur la base du favoritisme partisan (qui connais-tu au lieu de que connais-tu ?), intervenir au profit d’un cousin ou d’un proche est la première raison d’être du député. Il (et elle depuis peu) a trouvé un mécanisme de clientélisme si rôdé qu’il lui serait bien prétentieux et certainement suicidaire d’ignorer ou de remettre en cause.
La question de la contestation ne se pose même pas, autrement il (ou elle) n’aurait pas été coopté(e) dans ce rôle si son patron n’était pas sûr qu’il (ou elle) accepterait ce rôle. Donc, le député djiboutien mal élu vole d’intervention en intervention : plus qu’une pratique mondaine que laisserait supposer une fréquentation des couloirs bureaucratico-politiques nettement supérieure à la moyenne mondiale (il suffit de voir le monde qu’il y a à la Cité ministérielle), c’est pratiquement son gagne-pain.
Le second beefsteak du député RPP, c’est l’interpellation des membres du gouvernement lorsque le calendrier des sessions oblige ces animaux politiques à descendre dans l’arène parlementaire. C’est d’ailleurs le seul pouvoir qu’une Constitution hybride, née dans l’urgence d’un conflit civil, accorde aux représentants du Peuple : gueule et rentre chez toi ! Justement, il y a quelques jours, un de ces députés, peut-être plus affamé que d’autres, a violemment interpellé un membre du gouvernement. Tempête dans un verre d’eau : la petitesse de l’exploit n’a d’égal que son caractère totalement déplacé.
Ainsi donc, mais peut-être faut-il mettre son agressivité sur le compte d’une indigestion (certains repas copieux passent mal en saison chaude) un député, apparemment l’intellectuel des petits bancs parlementaires, a violemment pris à partie le Ministre accessoirement de la Culture et principalement des médias publics. Motif de son ire : pourquoi le gouvernement tolère-t-il les dérives diffamatoires d’une presse d’opposition qui n’épargne ni les personnes si les institutions ? Et de se livrer à une confidence : lors de ses voyages à l’étranger, ce député VIP/VRP frôlerait même l’excédent de bagages puisqu’il transporterait de nombreux exemplaires de cette presse infamante, histoire de démontrer que Djibouti est plus tolérante que Washington où le dernier film de Michael Moore, Palme d’Or 2004 à Cannes, cherche encore distributeur. Et le Ministre porte-parole du gouvernement de bafouiller, magnanime, que c’est là un des effets pervers de la démocratie djiboutienne, dont profiteraient l’opposition ingrate et sa presse irresponsable.
Le seul problème, c’est qu’avant d’être bon prince, il faut être prince : quand on accède à la députation au terme d’une fraude électorale aussi criante et que l’on ne respecte pas soi-même un minimum de légalité, en ouvrant par exemple les médias publics à toutes les sensibilités politiques, on est vraiment le moins bien placé pour donner des leçons de tolérance ou de responsabilité.
Au demeurant, chacun sait que la presse d’opposition n’a pas à diffamer pour être persécutée, les multiples procès d’intention intentés au Renouveau et à son directeur de publication sont là pour nous rappeler à quel point nous ne sommes qu’en sursis : tant qu’il sera nécessaire pour le régime de singer la démocratie, autant que les limites de l’humainement supportable et du politiquement utile nous le permettront. Surtout, ce régime de fanfaronnade n’ose oublier tout ce qu’une réelle liberté d’expression doit au langage des armes : armes dont le fracas a imposé la timide ouverture politique de 1992 et armes dont le bûcher a imposé le multipartisme intégral de 2002.
Contester des acquis, ce serait inciter à une nouvelle lutte qui, elle, sera tout sauf parlementaire, l’appétit de certains ténors de l’interpellation parlementaire risque alors d’en être définitivement coupé.
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Brèves nationales
Djib-Watch :
Un nouveau regard sur les droits de l’homme ?
Selon l’hebdomadaire parisien « La Lettre de l’Océan Indien » daté du 29 mai 2004, une nouvelle organisation de défense des droits de l’homme à Djibouti aurait été récemment créée au Canada. Fondée par des Canadiens et des Djiboutiens, cette ONG serait présidée par un Canadien ayant vécu vingt ans en Centrafrique. Le vice-président, le trésorier et le webmaster seraient des Djiboutiens vivant au Canada depuis plus d ‘une décennie. Djib-Watch aurait déjà lancé son site Internet (djibwatch.com). La situation chaotique des droits de l’homme dans notre pays semble préoccuper nos compatriotes émigrés au Canada. Rappelons que la diaspora djiboutienne installée au Canada est composée en grande partie de victimes de la mauvaise gouvernance ayant fui la précarité. Cependant, on compte aussi parmi elle de nombreuses familles de dignitaires du régime opportunément mises à l’abri au cas où…
« Réalité » salue par principe la naissance de Djib-Watch et suivra ses activités avec un vif intérêt.
Presse nationale :
Un « Miroir » sans tain ?
La presse écrite djiboutienne vient de s’enrichir d’un nouveau titre : « Le Miroir » dont le premier numéro a été publié mercredi dernier, se veut un journal indépendant. Imprimé sur papier glacé, ce mensuel semble être sorti des rotatives de l’Imprimerie Nationale. Apparemment peu astreint aux impératifs de rendement, son tirage est limité à 300 exemplaires.
En parcourant ses pages, le lecteur aura du mal à se faire une opinion sur ce journal d’opinion qui se veut pourtant au centre. Tout juste quelques piques maladroites en direction de l’opposition et quelques traces d’une certaine promiscuité avec le pouvoir de sa part semblent accréditer la thèse selon laquelle d’anciens amis du Club Miroir des années 70 et comptant un ancien ministre du gouvernement y officient.
En attendant que ces « centristes » affirment leurs idées, « Réalité » salue par principe la naissance de ce nouveau confrère et attend patiemment la parution du numéro 2 de ce mensuel, afin d’apprécier la justesse de son « combat pour la juste cause ».
Que d’eaux :
Il Jano contre Masafi
Même en doutant de la réussite du projet, parce que ce régime réussit peu de chose à part la régression, le gaspillage et la zizanie, nous avions sincèrement appelé de tous nos vœux le succès du projet d’eau minérale d’Ali-Sabieh. Las ! C’était encore pêcher par naïveté, preuve s’il en est que ce régime n’a de tribaliste que l’apparence pour mieux diviser ses concitoyens à l’approche d’importantes échéances électorales. Ainsi, alors qu’Il Jano reste désespérément introuvable sur le marché national, sauf en Conseil des Ministres pour les besoins d’une caméra complaisante, la délégation éthiopienne venue dans le cadre des travaux de la commission mixte a eu droit, au mépris de notre fierté nationale, à de centaines de bouteilles d’origine émirati du nom de Masafi, estampillées 27ème anniversaire de la République de Djibouti.
Triste image de notre pays ainsi donnée à la délégation d’une Ethiopie qui, en quelques années, a spectaculairement diversifié sa production d’eau minérale, proposant à côtés des antiques eaux gazeuses (Ambo, Toosa et Babilé) des eaux irréprochables de standard international telles que Highlands, Aquafine ou encore Aquaddis. Et ce n’est pas fini : chaque Etat régional peut promouvoir ses propres eaux minérales même sur initiative privée.
Pauvre Il Jano, prise en otage par un régime sectaire qui préfère la réduire à un mirage tribal plutôt que de lui donner les moyens de devenir une oasis pour toute la région Assajog.
Djib-Télécom :
Nouveaux panneaux pour nouveau départ ?
L’opérateur Djib-Télécom, dont la gestion a récemment été confiée à des expatriés grassement rétribués s’apprête, en vue de sa prochaine privatisation, à se doter d’une nouvelle image. Annoncé pour juin 2004, cette nouvelle image devant normalement symboliser un nouveau départ, promet d’être une surprise.
S’agit-il tout simplement d’un nouveau logotype (identification visuelle) ou d’une nouvelle politique commerciale en direction des usagers ?
Quoi qu’il en soit, cette entreprise aiguise les appétits des prédateurs du pouvoir et les méchantes langues n’hésitent pas à affirmer que les nouveaux panneaux qui fleurissent un peu partout en ville seraient destinés, dans une deuxième étape, à la campagne de l’illustre candidat cherchant lui aussi un nouveau départ. Les sceptiques seront fixés à la rentrée.
Délestages :
Lampes-tempête pour maison en dur
Depuis quelques semaines, les lampes-tempête sont de rigueur dans les quartiers populaires, en raison des fréquents délestages opérés dans certains secteurs de la Capitale. Chaque nuit, l’électricité disparaît pour quelques heures, plongeant une partie de la Capitale dans l’obscurité et la moiteur.
Pourtant, l’EDD claironnait il n’y a pas si longtemps qu’un nouveau méga-groupe était en voie d’installation. En attendant, ils sont des milliers de Djiboutiens à passer chaque jour et chaque nuit de longues heures sans électricité, sans que le grand chef, spécialiste du social sans société, ne s’en émeuve outre mesure.
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Quand la vie part en fumée
LUTTE ANTITABAC : IL NE FAUT PAS MEGOTER
La République des slogans, des banderoles et des journées de célébration : ainsi pourrait-on définir la vision que ce régime se fait de l’action politique, si l’on met pour le moment de côté la distribution gratuite de khat par les dignitaires en campagne. L’occasion de la Journée internationale contre le tabagisme, célébrée lundi dernier, ne déroge pas à cette règle et, comme le démontre si bien le rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) établi pour la circonstance, ce ne sont pas les professionnels de la Santé qu’il convient de pointer du doigt : la progression vertigineuse du nombre de fumeurs dans les pays pauvres s’explique essentiellement par le laxisme des pouvoirs publics.
Soucieux de coller aux impératifs internationaux, et conscient du rôle mystificateur qu’il est aisé de faire jouer par les médias publics, le régime djiboutien a célébré comme partout ailleurs dans le monde la Journée internationale contre le tabac, lundi 31 mai. L’intention est louable, car il y a effectivement péril en la demeure. Aussi, nous formons le souhait de voir les pieuses intentions déclamées en cette circonstance se transformer en une réalité palpable, sous la forme d’un programme politique soutenu, constant. Mais, devant l’absence de toute sensibilisation contre les méfaits du tabagisme en dehors de cette seule journée internationale, il est permis de douter que le sérieux s’impose au moins en ce domaine.
En effet, il est tout d’abord remarquable que les pouvoirs publics djiboutiens soient incapables de fournir la moindre quantification, les moindres chiffres sur l’étendue de ce désastre : aucune statistique n’est disponible quant au nombre de fumeurs dans le pays selon les diverses variables (âge, catégorie socioprofessionnelle, niveau d’études, lieu de résidence, nombre de cigarettes fumées par jour, type de tabac, etc.). De même, aucune donnée chiffrée n’est disponible en ce qui concerne le volume de tabac importé en République de Djibouti et combien cela rapporte en termes de taxes et surtaxes : une partie de ces recettes fiscales aurait normalement servi à financer une campagne de prévention cohérente et inscrite dans la durée.
Et cette démission des pouvoirs publics n’est peut-être pas un hasard car aucun Etat digne ne peut prétendre ignorer un tel flux de marchandises, à moins qu’il ne le fasse exprès et qu’il y ait dans les instances de décision des personnes n’ayant aucun intérêt à ce que la transparence prévale en la matière. Djibouti semble de plus en plus devenir la plaque tournante régionale d’une contrebande de haute volée. Il suffit pour s’en convaincre de recenser les sociétés de transit apparues depuis quelques années ou de garder à l’esprit le contentieux entre Djibouti et Hargueisa à propos d’un commerce illicite de cigarettes ou encore l’énorme travail des autorités centrales et régionales éthiopiennes contre cette contrebande dont une part essentielle provient de notre pays.
Donc, sans chiffres clairement établis par les services gouvernementaux auxquels cette mission est normalement dévolue, impossible de mesurer l’ampleur du fléau, donc impossible d’en quantifier les incidences négatives au niveau de la santé publique. Or, un minimum de connaissance des réalités nationales suffit à établir un constat alarmant : les Djiboutiens sont de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes à fumer.
Ainsi, alors que les lycéens fumeurs étaient extrêmement minoritaires dans les années 70-80 (il s’agissait de rares brouteurs occasionnels), le tabagisme est devenu tout à fait banal aujourd’hui, non seulement au lycée, mais plus gravement dans les collèges d’enseignement secondaire. Pour preuve, au lieu de la cigarette pour l’achat de laquelle il lui faut parfois affronter le regard inquisiteur de commerçants scrupuleux, le jeune collégien se voit offrir, le plus légalement du monde et pour la modique somme de 50FD, une pleine dose de narguilé, Chicha dans les langues locales.
Même les petits baigneurs que la raréfaction des lieux de loisir a poussé sous les fenêtres de la nouvelle résidence du Premier ministre à la Brise de mer (on connaît des dirigeants que cette foule aurait dérangés) se voient proposer cette intoxication au sortir de leur baignade du vendredi. Quant aux méfaits du tabagisme passif (être obligé de supporter la fumée des autres dans les lieux publics tels que bureau ou bus ), il est totalement ignoré. Sans même parler des adultes, dont les femmes sont de plus en plus adeptes (parce qu’elles sont de plus en plus nombreuses à consommer du khat) de ce tabagisme jugé plus soft et moins choquant que la cigarette occidentale, où est au moins l’indispensable protection des mineurs ? La démission à ce niveau, des parents comme des pouvoirs publics, est tout simplement criminelle !
Mais il y a beaucoup plus grave et il serait dangereusement hypocrite de se voiler la face : les jeunes s’orientent aujourd’hui vers des drogues bien plus dures que le seul tabac. De petites pilules ont ainsi fait leur apparition dans certains quartiers populaires, au prix de 60 FD pièce : l’extasy est désormais disponible sur le marché local et il semblerait que la demande soit tellement supérieure à l’offre que son importation et sa commercialisation sont de plus en plus contrôlées par d’importants personnages bénéficiant de suffisamment d’entrées dans les coulisses du pouvoir pour introduire et écouler cette drogue en toute tranquillité.
Dans ces conditions, il est malheureusement illusoire d’attendre une quelconque sincérité de la part d’un régime dont des secteurs entiers vivent de la misère populaire : si la lutte contre le tabagisme était réelle, les autres fléaux qui contribuent tout autant sinon plus à la dégradation du niveau et des conditions de vie de nos concitoyens auraient également été combattus avec la sévérité qu’exigent les désastres dont ils sont responsables.
C’est donc au citoyen conscient de ses devoirs publics et privés de protéger ses enfants et de donner le bon exemple en se protégeant lui-même !
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Interview de M. Noël Abdi à la BBC
Dans le cadre du forum relatif à l’état des Droits de l’Homme en République de Djibouti, la section somali de la BBC a posé quelques questions au Président de la Ligue Djiboutienne des Droits Humains, M. Jean-Paul Noël Abdi. Voici la traduction de l’essentiel de ses propos, se résumant à quatre points : 1) la Justice doit tout d’abord être totalement indépendante, ce qui n’est malheureusement pas le cas actuellement car, sans le Conseil du Contentieux Administratif, la Justice djiboutienne continue d’être bancale; 2) les organisations internationales n’ont pas été associées, ne serait-ce que pour nous aider ; 3) les partis politiques de l’opposition, alternance démocratique, ainsi que les syndicats libres n’ont pas été associés à la préparation de ce forum et 4) il n’y a donc aucune utilité à aller à ce forum où seuls les proches du régime ont été largement conviés. En clair, pourquoi se rendre à ce forum les mains dans les poches, juste pour applaudir, car aucun ordre du jour n’a été communiqué ? CQFD.
BBC : Pouvez-vous nous dire pourquoi vous n’avez pas participé au Forum sur l’état des Droits de l’Homme organisé par le Gouvernement de votre pays ?
Jean-Paul NOEL ABDI : En fait, il y a une conjugaison de plusieurs facteurs. Je suis membre du Comité ad-hoc sur les Droits de l’Homme mis en place par le Ministre de la Justice le 15 mai 2002.
L’objectif de ce Comité était de préparer une conférence nationale sur les Droits de l’Homme. En ce qui me concerne, je suis Président d’une Association indépendante oeuvrant pour la promotion des Droits de l’Homme. Donc, bien que ce Comité ad-hoc ait travaillé depuis sa formation, ce forum qui est organisé maintenant devait se tenir en principe au début de cette année comme prévu.
Or, bien que nous ayons interpellé à plusieurs reprises le Ministre de la Justice sur la date réelle de la tenue de ce forum, nous n’avions obtenu aucune réponse. Toutefois, nous n’avions pas manqué de lui signifier que, pour pouvoir régler les multiples problèmes de notre pays dans ce domaine, la participation de tous devait être concrète et efficace.
Je vous précise au passage que si la Justice n’est pas indépendante, il ne peut y avoir de respect pour les Droits de l’Homme. Ces raisons ont été pour quelque chose dans notre démarche auprès du Ministre de la Justice chargé des Droits de l’Homme, afin que la tenue de ce forum soit repoussée. Nous n’avons reçu aucune réponse, y compris pour les précédentes requêtes. Ce qui prouve que l’Etat djiboutien manque d’une réelle volonté en la matière.
BBC : Qu’est ce que vous attendez d’autre du Gouvernement ?
JPNA : Dans la mesure où le Gouvernement a tenu à organiser ce forum tel qu’il l’a prévu, nous souhaitons qu’il réalise une bonne fois pour toute notre doléance principale plusieurs fois signifiée : l’indépendance de la Justice. Dans l’état actuel, il n’y a pas de respect pour les Droits de l’Homme. Je rappelle qu’une loi datant de l’époque coloniale et utilisée jusqu’en 1996 donnait la possibilité au citoyen ordinaire de pouvoir porter plainte auprès d’une juridiction chargée de réprimer tout responsable coupable d’un abus de pouvoir et autres délits analogues.
Cette juridiction n’existe plus depuis 1996. Ce qui revient à dire que la paralysie imposée à cette juridiction importante prouve à elle seule qu’il n’y a pas une réelle justice ici.
Donc, ces constants faits, nous avons écrit aussi bien au Ministre la Justice en charge des Droits de l’Homme qu’à son collègue de l’Intérieur et de la Décentralisation, pour un report de ce forum au mois de septembre prochain.
BBC : Qu’est ce qui vous a réellement poussé à demander le report de ce forum ?
JPNA : Tout simplement, d’une part le fait que les associations des Droits de l’Homme indépendantes du pouvoir n’y participent pas, d’autre part que les partis politiques de l’opposition nationale n’y participaient pas non plus. Or, pour pouvoir trouver des remèdes aux problèmes du pays, leur participation est plus qu’indispensable.
Dans ce forum tenu du 17 au 18 de ce mois, de nombreux responsables étaient issus d’associations contrôlées par le régime.
Seules ces dernières ont été invitées à participer à ce forum, pas les organisations issues véritables de la société civile. Aussi, dans la mesure où ces organisations issues du peuple n’ont pas pu participer, puisqu’elles sont celles qui accusent les pires difficultés et qui ont des reproches à faire en matière de justice et de droits de l’Homme, ce forum n’aura aucune retombée sérieuse.
BBC : Est-ce que vous voulez que tous les problèmes soient résolus d’une seule fois, n’est-il pas plutôt sage de le faire par étape ?
JPNA : Je vous cite un dicton somali qui dit que « c’est par les branches du dessus que l’on commence pour la construction d’un enclos formé de branchages d’acacias ». Par conséquent, il faut d’abord restaurer la justice et donc les tribunaux. Je suis pour ainsi dire convaincu que s’il y a une réelle justice, les droits de l’Homme seraient, au moins dans sa plus grande partie, respectés.
BBC : M. Jean-Paul êtes vous opposant ou défenseur des Droits de l’Homme ?
JPNA : Il fut un temps ou j’étais opposant. Je suis maintenant un défenseur des Droits de l’Homme, ce qui veut dire que je dois dire la vérité sur les manquements au respect des Droits de l’Homme d’où qu’ils viennent. En ce qui concerne la différence entre l’opposition et les défenseurs des Droits de l’Homme, c’est que l’opposition étant politique, elle rejette la gestion d’un individu responsable, politique aussi, et œuvre pour son remplacement éventuel ; quant à nous, nous surveillons le gouvernement et relatons ses dérives. Il en va donc de notre responsabilité avec pour seul objectif de veiller au respect des droits de l’Homme.
BBC : Pouvez-vous me donner des preuves de ce non-respect des Droits de l’Homme de la part du Gouvernement ?
JPNA : Je vous cite quatre preuves, entre autres :
1- Il existe une juridiction chargée de juger les délits commis par les responsables gouvernementaux. Je vous dis que cette instance judiciaire ne travaille pas depuis 1996. Depuis cette date, nous n’avions pas cessé d’en parler, et nous continuerons. Il faut que le Président de la République donne instructions précises au responsable de la Cour suprême pour que cesse ce vide juridictionnel. Le nombre de plaintes déposées auprès de cette juridiction, qui n’est autre que le Tribunal du Contentieux Administratif, se monte à 180 dossiers. Nous-mêmes avions déposé une plainte contre l’ancien Ministre de l’Intérieur, et celle-ci reste à jour une lettre morte, aucune réponse. La raison est en fait qu’il n’y a pas une véritable justice.
2- La République de Djibouti a signé des conventions avec le Bureau International du Travail (BIT). Et pourtant il n’y a aucun respect pour les travailleurs et leurs représentants ici.
3- Le gouvernement n’a rien fait en ce qui concerne l’information sur les élections à venir. Nous avons décidé d’œuvrer pour faire comprendre à la population en quoi consistent ces élections et pour vulgariser les lois. En tant que LDDH, nous allons former la population sur cela. Nous lui présenterons des supports expliquant dans les deux langues Afar et Somali les Droits et les Devoirs de chacun en matière d’élection.
4- Il faut que le gouvernement instaure véritablement la bonne gouvernance car elle seule peut permettre d’éviter les conflits armés.
BBC : N’est-il important ou pas, selon vous, que ces points auraient dû être présentés et discutés au Forum ?
JPNA : Nous avons déjà écrit ce qui était palpable et la façon dont chacun en particulier était concerné par la justice et l’injustice. Le peuple dans son ensemble est seul souverain pour dire s’il y a justice ou injustice. Par conséquent, si je ne suis pas allé à ce forum, je peux vous confirmer qu’étant membre du comité ad-hoc, donc responsable, j’avais demandé au PNUD l’aide indispensable pour la tenue d’un forum national sur les Droits de l’Homme. Depuis cette doléance nous n’avons été aucunement informés par le Ministre de la Justice, ni sur la date de la tenue de ces assises, encore moins des démarches et de l’Agenda le concernant.
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Le djibouto-pessimisme
A PROPOS D’UNE REMARQUE MINISTÉRIELLE
Pour certains hommes politiques occasionnels ( à moins que ce ne soit la mauvaise occasion qui fasse l’homme politique jetable, comme les rasoirs Bic), l’amnésie sélective et partiale procure la douce euphorie insouciante qu’exige les comédies médiatisées auxquelles le contraint le régime qui l’a recruté. Ainsi, feignant oublier la lettre ouverte par laquelle l’UAD lui avait poliment expliqué les raisons pour lesquelles il lui était impossible d’honorer de sa présence le prétendu forum gouvernemental placé sous son égide et consacré à la situation des Droits de l’Homme en République de Djibouti, le Ministre de la Justice s’est estimé dans l’obligation de justifier notre absence. Donc, l’UAD aurait décliné son invitation uniquement parce qu’elle serait pessimiste. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, nous sommes tout à fait d’accord avec son envolée psychologique : tout juste faut-il préciser dans quel registre se situe ce pessimisme. En clair, est-il raisonnable d’espérer transformer ce régime avec les armes d’une légalité qu’il bafoue quotidiennement ?
« Pour accéder au pouvoir dans certains de nos petits pays arriérés en démocratie, l’opposition doit créer l’événement : soit se faire élire sur un programme militant ralliant une majorité écrasante d’électeurs, soit créer un climat insurrectionnel dans la rue, dangereux car incontrôlable ; faute de lois pour tous et d’institutions pour les garantir, ils exposent les manifestants à la répression sanglante. Les élections transparentes sont elles aussi jugées dangereuses : elles risquent de provoquer le changement qui se solderait par des déballages d’affaires illégales pouvant aller du délit jusqu’au crime et dont l’issue serait fatale aux pachas des régimes dictatoriaux. » Tel est le constat on ne peut plus lucide que le ministre-philosophe dressait dans son livre intitulé Indépendance, Démocratisation, Enjeux stratégiques à Djibouti, paru aux Editions L’Harmattan en mai 2002.
Donc, soit un miracle électoral, soit le verdict de la rue. Seulement, l’auteur a expliqué en long, en large et en travers pourquoi il était totalement impossible que l’opposition démocratique remporte un quelconque scrutin électoral à Djibouti où, à l’instar du régime de Milosevic, le RPP peut frauder comme il veut grâce au contrôle total qu’il exerce sur « 1) des hommes en armes ; 2) des finances par des méthodes maffieuses » et « 3) des médias afin de noyer d’une propagande déroutante ceux qui peuvent seulement comprendre les langues locales et ne peuvent faire de comparaison avec d’autres informations pour se forger leur propre opinion ».
Si le ministre-philosophe en charge de la promotion des Droits de l’Homme a noté une quelconque amélioration des pratiques gouvernementales sur ces trois registres, nous lui saurions infiniment gré de bien vouloir nous en informer. Quoique, selon nous, une partie pas nécessairement féminine des hommes en armes continuent sa danse du ventre partisane, la gestion des deniers publics est sinon maffieuse, du moins illégalement opaque et que les médias publics brillent plus dans un rôle de griot que par le pluralisme de l’information qu’ils proposent.
Donc, selon ce théoricien de la révolution immobile, il serait illusoire de rêver un jour conquérir le pouvoir de façon démocratique et pacifique : « c’est là où le bât blesse, et c’est à ce niveau que les démocrates doivent mener un travail de réflexion et d’action politiques » conclut-il. Merci pour l’info.
La rue alors ? C’est-à-dire prendre acte de ce que le régime est le premier (et souvent le seul) à violer la légalité qu’il est normalement censé appliquer et garantir ? Là, Monsieur le ministre-philosophe commence sérieusement à intéresser quelques praticiens en quête d’une théorie de la pratique : peut-être devrait-il leur indiquer certaines lectures idoines, telles que Sun Tsu, Rosa Luxembourg ou les penseurs nombreux et pertinents des dévolutions violentes du pouvoir ?
Le malheur c’est que les leçons de l’Histoire donnent raison à notre penseur de la révolution mais praticien de la compromission : c’est la rue, c’est-à-dire la révolte populaire qui a le plus souvent humilié et chassé les despotes qui se croyaient inamovibles de droit du plus fort et assez malins pour se déguiser en démocrates.
La plus récente démonstration de cette implacable logique des fins brutales, c’est bien évidemment la fuite à laquelle a été contraint l’ancien Président pourtant démocratiquement élu d’Haïti, le père Aristide. Quand le despote ne peut même pas se prévaloir de la sincérité des urnes, quoi que s’illusionnent ses médias tous azimuts, la chute n’en est que plus inéluctablement brutale.
Dans ces conditions, le ministre-philosophe aura certainement compris, au moins lorsque les immenses charges de sa figuration politique lui laissent le loisir d’une introspection méditative, pour ne pas dire contemplative, les raisons pour lesquelles l’opposition n’a pas jugé utile de perdre son temps dans le spectacle qu’il avait si gentiment préparé à notre intention.
A défaut de sa compréhension, nous restons persuadés que ceux qui attendent le vrai changement, et non sa grotesque illusion de 1999, auront compris le sens de notre démarche : c’est ailleurs qu’il faut bouger pour faire bouger les choses.
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Obock : un petit tour (médiatisé) puis s’en va
« Depuis le lancement de la politique de décentralisation par le gouvernement en 1999, Obock s’est dotée d’un conseil régional provisoire qui est constitué de 14 membres de la société civile et qui compte 3 femmes en son sein. Bénéficiant d’une subvention de 50 millions FD comme fonds de développement communautaire, le conseil régional d’Obock a du mal à démarrer et la liste des doléances que les notables et membres du conseil régional soumettront au Président de la République est longue. C’est sur le sujet de la décentralisation, avec les acquis, les problèmes entravant sa bonne marche et les perspectives d’avenir que seront axées les discussions entre le Président de la République et les notables obockois. » Ces quelques lignes sont tirées des Cahiers de l’ADI, n°2, mars 2002. Le Chef de l’Etat s’y est donc rendu à l’époque, 2ème étape d’une longue tournée préélectorale, préparant les législatives de janvier 2003. un petit tour et puis s’en va : plus de deux ans après, les problèmes demeurent.
Nombreux sont ceux, aujourd’hui déçus, qui figuraient en 1995, lors de la pose de la première et seule pierre pour la Réhabilitation d’Obock, dans le comité d’accueil qui, en toute bonne foi, applaudissait chaleureusement le lancement de ce programme. Pourtant, des millions de dollars américains ont été engloutis, sans qu’aucune maison en planches n’ait été réhabilitée. Dix ans plus tard, cela fait maintenant dix jours que la première Capitale du pays est privée d’électricité, au plus fort de la suffocante humidité du mois de mai. Les moustiques s’en donnent à cœur-joie. Le dispensaire regorge de malades atteints de paludisme…
Il convient de rappeler que le groupe électrogène aujourd’hui en panne a été gracieusement offert par un généreux donateur : l’Etat djiboutien préfère donner ces unités électriques aux voisins plutôt que d’électrifier ses propres villes et villages. De plus, que l’Etat et son conseil régional soient incapables d’entretenir un don privé en dit long sur leur mépris envers nos concitoyens.
A la mi-février 2002, une équipe de journalistes de « La Nation » se rend en reportage à Obock et constate que « le conseil régional d’Obock, confronté à divers problèmes et dont le bilan d’activités s’annonce très déplorable (sic), n’arrive pas à répondre aux attentes des Obockois ; problèmes dus notamment au déficit financier et technique et aux non-réalisations des projets qui s’expliquent en grande partie par le retard des prises des décisions… », nous apprenant qu’à sa formation, le conseil régional avait à sa disposition 50 millions FD comme fonds destinés au développement communautaire et que selon le Commissaire de la République, il n’avait « consommé que la moitié de ce fond.» Donc, depuis sa création à mars 2002, il aura disposé que de 50 millions FD…
De toutes les façons à Obock comme dans la Capitale, faute de compte rendu public, l’opacité ambiante autorise toutes les hypothèses. Le Chef de district de l’époque en a cependant retenu une, plausible, expliquant que « la non-réalisation de divers projets incombe à la Direction de la décentralisation du ministère de l’Intérieur qui ne s’est toujours pas prononcée sur ce sujet. » Sans manquer de recommander « une autonomie financière urgente et importante », pour ne pas être tributaire de « décisions qui ne viennent pas ». Sans commentaire!
Nos lecteurs savent ce que nous dénonçons régulièrement dans nos colonnes : l’inadmissible tutelle exercée par une administration djiboutoise totalement déconnectée des réalités locales. Tout le monde sait depuis que nous l’avons souligné dans une de nos éditions, que les budgets cumulés de l’ensemble des districts représentent 1% du Budget national. Comment dans ces conditions, nos dirigeants et mal élus, osent-ils encore parler de décentralisation et de développement régional ? De qui se moquent-ils ?
Il y a exactement un an, en mai 2003, Obock a connu plusieurs semaines sans électricité. Ses habitants se souviennent que nous avions été, avec notre confrère Le Renouveau, les seuls à l’avoir condamné. En septembre de la même année, un pompeux et très médiatisé séminaire sur le développement décentralisé d’Obock a eu lieu, sans suite, comme tous les séminaires et autres états généraux qui ont décoré ce sextennat qui, heureusement, prendra bientôt fin. Inutile mandat durant lequel les habitants d’Obock ont dû se contenter de paroles creuses.
Quand on sait, à en croire le gouvernement, que la décentralisation est depuis l’Indépendance inscrite dans nos lois et est effective depuis 1994, puis 1999, que signifie le « s’entourer au préalable de toutes les précautions nécessaires à ce genre d’entreprise » par quoi les faux experts prétendent freiner la marche de la décentralisation ? Est-ce de l’adoption de ce projet de loi faisant main basse sur toutes les ressources exploitables du pays qu’il est question ?
N’eût été le holà opposé par l’opposition vigilante, c’était une privatisation en douce des 23000 km2 qui se préparait. Notre microscopique portion de la terre d’Allah ne demande qu’à justement être administrée et mise en valeur dans le respect de ses habitants et non pas privatisée au profit d’intérêts inavouables et spéculatifs. En attendant, Obock est sans électricité, donc à peu près sans eau, à moins d’aller se ravitailler au puits de Tikibleyta : c’est cela, le développement à reculons.
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Lâche moi ? les baskets
DE Y.A.C à KA YAACAY
Décidément, alors que le Chef de l’État y voyait maladroitement un scandale franco-français, l’affaire Borrel est en train de devenir ici un contentieux djibouto-djiboutien. C’est ainsi que nos dernières publications s’y rapportant ont suscité, sous diverses formes et pour le moment dans l’inimitable pamphlet du RPP dont, chacun le sait, le premier responsable n’est autre que le Chef de l’État et président du Conseil Supérieur de la Magistrature, des répliques aussi violentes que disproportionnées.
Pari gagné : nous avions promis que nous laisserions au régime le monopole de l’insulte, dépossédé qu’il serait de toute argumentation crédible. Sa presse partisane vient de le démontrer de façon lamentable. C’est tout d’abord une leçon de philosophie politique qui nous est donnée à travers une réflexion sur la djiboutianité. A ce chapitre, notre position a toujours été claire : seul un père qui prend bien soin de ses propres enfants a le droit de prétendre adopter ceux d’autrui. Quand un individu qui se perd dans Djibouti-ville, qui ne sait même pas où se situent Daasbiyo ou Yoboki, sans même parler de Randa ou d’Assa-Gayla, se retrouve du jour au lendemain ambassadeur de Djibouti quelque part, uniquement parce qu’il est né dans une minuscule section des Bah Fourlaba, nous disons qu’il y a un problème de citoyenneté et d’inégalité entre les citoyens. Pour le reste : que ceux qui se sentent morveux se mouchent !
C’est ensuite sur toute la page 9 du numéro 109 du « Progrès » le grand écart du régime pour désespérément essayer de se disculper dans la mort d’un seul ressortissant français en République de Djibouti. A cela, nous ne répondrons qu’une seule chose pour le moment : nous n’admettrons jamais que la mort du juge Borrel devienne l’arbre qui cache la forêt. Il y a depuis le 27 juin 1977, plusieurs centaines d’innocents civils djiboutiens qui ont été sauvagement exécutés sans autre forme de procès par certains éléments des forces de défense et de sécurité auxquels l’idéologie de la sécurité politique expliquait qu’il s’agissait d’instaurer une suprématie tribale.
Or, comme chacun le sait à la seule lecture de la biographie officielle du «numéro un djiboutien», la consolidation de l’unité nationale relevait, de 1977 à 1999, des seules prérogatives du Chef de cabinet de la Présidence. Au vu du désastre national de cette gestion, les vrais Djiboutiens savent mieux que quiconque s’il faut parler d’incompétence criminelle ou de sabotage délibéré. Alors, l’affaire Borrel : c’est le dernier de nos soucis ! Si les centaines de civils exécutés, les milliers de torturés sans raison et les dizaines de milliers de déplacés et aujourd’hui encore démunis pour cause de zones dévastées par le conflit en attente de réhabilitation, pouvaient faire couler autant d’encre et de salive, provoquer la mobilisation des juges et des avocats locaux, la réconciliation nationale y gagnerait certainement en crédibilité, la culture de paix en enracinement et la démocratie en densité.
A moins de supposer que la mort d’un Français est supérieure aux malheurs d’innombrables Djiboutiens, malheurs dans lesquels la culpabilité ou la complicité de l’actuel Chef de l’État sont formellement établies.
C’est enfin, comme quoi la bassesse de ce régime n’a pas de limite, une insulte contre M. Dini, que nous nous faisons un devoir de soumettre au jugement critique des vrais Djiboutiens (puisqu’il semble y en avoir de faux). Sur cette même page 9 ainsi que dans un courrier de lecteur paru en page 8 sous la signature d’un certain Y.A.C, M. Dini est accusé de « poltronnerie » et de « lâcheté exemplaire » jamais démenties depuis la période coloniale, tandis que l’actuel Chef de l’État est paré de toutes les vertus de courage et de probité. Ceci nous ramène à notre point de départ : il y a de toute évidence un problème de djiboutianité ou un complexe de fausse djiboutianité dans ces insultes. Nous insistons, il faut être des D17 et suivants mal dans leurs pièces d’identité djiboutienne et ignorant tout de notre Histoire contemporaine pour oser une telle translation, en transférant sur leur patron les qualités que les vrais Djiboutiens ont toujours reconnu au Président de l’ARD.
Alors qu’à peine âgé de 17 ans, ce dernier a participé en 1949 à une manifestation violemment réprimée, et dont le bilan s’était soldé par un mort, plusieurs blessés et arrestations, tel autre fraîchement diplômé de l’Alliance Ethio-Française (niveau primaire) débarquait à Djibouti pour « courageusement » s’engager dans les plus basses besognes de la police coloniale. C’est ainsi que, lors d’un mémorable meeting de la LPAI, au cinéma Le Paris en 1975, au cours duquel Ahmed Dini mobilisait les foules sur le thème de l’Indépendance, un inspecteur de police (toujours le même) était venu sur les lieux en service commandé pour prendre des photos et enregistrer les propos.
Enfin, tous les militants indépendantistes savent qu’aux heures les plus chaudes de la lutte, M. Dini était toujours soit en tête des manifestations, soit à appeler au calme et à la fraternité les différentes communautés que les suppôts politiques et policiers de la puissance coloniale avaient montées les unes contre les autres. Alors, lâche-moi les baskets, tu n’as aucune leçon de courage ou de patriotisme à nous donner ! Combien même nous voudrions pardonner le passé colonial ou postcolonial, le présent immédiat depuis février 2000 ne plaide pas en faveur de ton innocence. On comprend donc mieux pourquoi les griots du Chef de l’État préfèrent ennuyer les Djiboutiens avec l’affaire Borrel.
Pour notre part, si Jeune Afrique/L’Intelligent s’est permis de déprogrammer la seconde partie de l’interview présidentielle, notre lecteur comprendra aisément que nous nous accordions le droit le déprogrammer la seconde partie des Tribulations Présidentielles que nous avions promise cette semaine : c’est remplacé par des sujets plus brûlants et plus importants que ses élucubrations mercantiles et électoralistes. Nous y reviendrons donc dans le numéro suivant.
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