Réalité numéro 108 du mercredi 13 octobre 2004 |
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Sommaire
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Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 108 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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ÉDITORIAL
LE TEMPS EST VENU…
D’EN FINIR AVEC LA « PAONDEMIE » !
Comme la montagne accouche parfois d’une souris, surtout quand il s’agit de médiatiser le blabla officiel d’un régime fondé sur l’usurpation, le fameux discours du candidat officiel, donc vainqueur programmé d’une fraude institutionnalisée, aura tenu toutes ses promesses d’inconsistance, de démagogie et de mégalomanie. Difficile dans ces conditions d’accepter la monnaie de singe fournie en guise d’excuse par l’organe de presse gouvernemental La Nation dans ses lignes commises d’office : ce discours aurait été prononcé « sous le coup de l’émotion », l’encre tachée du journal faisant foi. Pour le reste, cette vacuité n’étonne personne.
Tout d’abord, la précipitation avec laquelle s’est tenu ce rassemblement anti-populaire, est diversement analysée selon la proximité que l’on croit détenir par rapport au pouvoir en place. Pour les tenants du régime, voulant battre le fer tant qu’il est chaud, ce serait pour profiter des présumées faiblesses d’une « opposition au faite de son désarroi » : le malheur des uns faisant certes le bonheur des autres, il n’en demeure pas moins vrai que, personnifier n’étant pas personnaliser, une perte aussi inestimable soit-elle n’entame en rien la détermination d’un véritable démocrate, bien au contraire ! C’est peut-être pour cela, qu’Allah faisant toujours bien les choses, certaines mains n’ont pas été serrées à l’occasion d’une cérémonie funéraire : l’hypocrisie doit avoir des limites.
Pour le citoyen ordinaire, priant nuit et jour afin que disparaisse ce régime et avec lui le premier responsable de cette catastrophe nationale, cette précipitation serait surtout due à la crainte qu’une certaine affaire pendante devant la justice française, et mettant en cause les sommets de l’État djiboutien, ne vienne à définitivement saper l’illusoire cohésion du groupuscule au pouvoir. Même si ce n’est pas aussi clinquant que les diamants de Bokassa, ni aussi sanguinolent que l’anthropophagie du feu dictateur de l’empire centrafricain, il fait aujourd’hui mal vivre dans l’Hexagone de côtoyer des assassins présumés. Donc, pour toute l’opposition démocratique, le dernier congrès du parti au pouvoir est un non-événement : une tempête dans un verre d’eau !
Cela dit, il convient de comprendre, par-delà les contraintes internes et externes sans aucune réalité sur les véritables enjeux nationaux, pesant sur tel candidat à sa propre succession, et sur sa cour d’obligés par conséquent, le ressort ultime de toute cette gesticulation qui n’a pas fini de faire couler toute l’encre officielle et déclencher toutes les salives hargneuses, partisanes et sectaires. Ajouté à la mise en scène d’un entraînement de la Garde présidentielle aux dernières techniques de combat (urbain ?), grâce à la généreuse coopération des forces françaises stationnées à Djibouti, ce positionnement sur une scène électorale frauduleuse, par définition comédie dans un pays où tant de citoyens cherchent encore désespérément de pièces d’identité nationale et quand tant d’autres se voient dépossédés de leur carte d’électeur, n’appelle pour le moment aucune réaction officielle de notre part.
Car le fin mot de ce brouhaha médiatique est tout simplement d’occuper un terrain d’avance miné : entre des forces de défense et de sécurité partisanes, une administration terrorisée qu’aucune centrale syndicale libre et indépendante ne peut défendre, et un Conseil constitutionnel d’un ridicule caricatural, le prétentieux d’un régime lui appartenant corps et âme peut facilement jouer au paon : le vernis tolérant et démocratique du pouvoir en place ( que peut légitimement laisser croire le seul fait de lire ces quelques lignes) cède lentement place à sa véritable nature intolérante et oppressive. Pour qui ne le savait pas déjà ! Quand tant de crimes d’État restent encore impunis, il est bien évident que l’instauration d’un État de droit en République de Djibouti passe inévitablement par la chute de ce régime : aucun compromis n’est donc possible. En attendant, le théâtre officiel, aux frais du contribuable, continuera de déployer son faste indécent. Plus pour longtemps !
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BRÈVES NATIONALES
Les droits de la femme version RPP :
Au mépris des parturientes
« Le temps est venu d’assurer à la femme djiboutienne la place et le rôle prépondérants qui sont les siens dans la communauté nationale, en l’arrachant au doute, à la violence, à la moralité, à la marginalisation et à l’exclusion, afin de s’appuyer sur elles pour édifier les chemins de l’avenir. »
Ce court extrait du pompeux discours prononcé par le chef de l’État à l’occasion de sa « désignation » comme candidat lors du folklorique congrès du parti au pouvoir, tentant abusivement de faire croire que le gente féminine djiboutienne serait respectée sous nos cieux officiels. La réalité quotidiennement vécue par ces femmes dément catégoriquement cette propagande d’État.
Pendant que l’illustre candidat autoproclamé discourait du haut d’une tribune à sa cause acquise, sur la promotion des droits de la femme sous son gouvernement, l’actualité récente d’une situation vécue dans une zone rurale de Tadjourah démentait ses prétentions progressistes.
Ainsi, il y a quelques jours de cela, une parturiente, donc sur le point d’accoucher, dans le secteur de Garrassou, petit village de montagne à l’est de Randa, et dangereusement affaiblie, par une grossesse difficile, y a failli faire les frais de la mauvaise gouvernance assassine. La parturiente étant sur le point de mettre au monde, ses proches se sont rendus à Tadjourah afin de solliciter du dispensaire local une ambulance pour l’évacuer autrement qu’à dos de chameau.
Quelle ne fut leur surprise et leur déception quand les autorités médicales de ce district leur répondirent que ladite ambulance ne se déplacerait pour cette évacuation sanitaire que si et seulement si les demandeurs s’acquittaient des frais de carburant et consentaient également à financer l’achat de deux pneus neufs pour le véhicule. Avant, on ne demandait que l’argent pour le gasoil, plus l’achat du khat pour les ambulanciers !
Choquée, la famille de la parturiente en difficulté a préféré louer un véhicule privé. Arrivé sur les lieux, la dame avait tout de même réussi à accoucher, dans des conditions que chacun imagine délicates ; mais, étant miraculeusement en vie malgré de graves problèmes de santé.
Deux jours plus tard, elle fut évacuée sur un brancard de fortune jusqu’au campement d’Am’isso, situé en bordure de la piste Tadjourah-Randa, d’où elle a finalement été transportée vers le dispensaire de Tadjourah, s’y remettant péniblement de son calvaire. Dans un pays où un hélicoptère d’État est mobilisé pour le transport de khat en zone rurale au prétexte d’une sensibilisation partisane au profit du parti au pouvoir, ce énième mépris sonne comme une terrible négation au droit à la vie.
Où est donc le sens de responsabilité affiché par le candidat officiel du parti au pouvoir, prêt à rempiler pour parachever la destruction du pays ?
Tourisme politique au Day :
le khat ne nourrit pas !
Le parti au pouvoir, en campagne prématurée, n’en saisit pas la mesure : pour la population du village du Day, le pic de pollution politique a atteint le sommet du pic Deloncle. On se souvient que, dans cette région particulièrement affectée par le conflit, les électeurs avaient massivement sanctionné l’UMP et son chef de file lors des législatives de janvier 2003. Depuis cette date, pas une semaine ne passe sans que les missi dominici présidentiels n’y déversent leurs sempiternels lots de mensonges et autres ballots de khat.
Ainsi, on raconte ces derniers temps qu’un dignitaire zélé, au demeurant directeur d’un établissement public vache à lait patenté du régime, chercherait moyennant une généreuse distribution de khat, à amadouer les populations victimes du chômage pour cause de développement non durable, de l’insécurité perpétrée par la garde présidentielle affectée au khat présidentiel et de la précarité généralisée à l’échelle nationale.
Ce haut fonctionnaire en campagne pour quoi de droit pousserait même le culot jusqu’à recueillir les doléances de la population pour, paraît-il, les fidèlement et directement transmettre au grand chef. Comme si les visites du docteur honoris causa dans le coin n’avaient servi à rien : prétentieux !
Rappelons que l’illustre gentleman-farmer propriétaire du ranch agropastoral sis sur les lieux, est actuellement en train de bâtir dans ce village une « modeste » (comme dirait un journaliste alimentaire de Jeune Afrique/L’Intelligent) résidence secondaire dont le chantier est sévèrement gardé par des éléments de la fameuse garde présidentielle.
Par ailleurs, les usagers de la piste Randa-Day, impraticable sur un tronçon de quatre kilomètres depuis août 2003, remarquent avec amertume que les engins des Travaux Publics affectés à l’aménagement de la propriété présidentielle du Day sont ceux-là mêmes qui manquent cruellement à la réhabilitation de cette piste.
La coupure de cet axe routier les obligeant à un détour de plus de 80 kilomètres pour relier les deux localités. Quelle meilleure preuve du mépris présidentiel pour les difficiles conditions des populations rurales ! Unique pitance uniquement servie par ce régime alimentaire : le khat et le bakchich.
Enclavement médiatique :
Obock ne connaît pas « Le Progrès »
La vérité sort de la bouche des enfants : sommé de dire son mot, un militant RPP de la ville d’Obock convoqué au récent congrès du parti présidentiel, a résumé à sa façon le terrible enclavement imposé à sa région.
« C’est curieux, s’est-il demandé, nous sommes tellement isolés à Obock que les journaux gouvernementaux, La Nation et Le Progrès, ne nous parviennent pas, alors que Réalité, hebdomadaire de l’opposition, est disponible chaque semaine dans notre ville ».
Preuve que notre journal s’intéresse aux pénibles conditions de vie des populations isolées de tous les districts de l’Intérieur, contrairement aux médias de propagande du régime. Pour nous, Obock veut dire quelque chose, pas pour les pilleurs du régime ! Être RPP, quel calvaire pour la conscience.
Belgique et réfugiés djiboutiens :
Le régime fait fuir…
Désireux de comprendre le pourquoi de l’afflux aussi massif de réfugiés djiboutiens sur son territoire, le royaume de Belgique a envoyé la semaine dernière une de ses fonctionnaires aux fins de saisir en République de Djibouti ce qui peut bien pousser ses ressortissants à fuir leur pays. Dans le cadre de cette mission , Mme Katelinje Hermans, a séjourné quelques jours dans notre Capitale, soucieuse de recueillir les avis de tous les horizons : régime, opposition et société civile.
A ce titre, elle a tout d’abord pris contact avec des défenseurs des droits de l’homme dans le pays. Ensuite, elle a rencontré des responsables syndicaux licenciés en 1995 pour fait de grève, donc potentiellement candidats à l’exil, mais résistants de l’intérieur fidèles à leur engagement.
Sur ce, elle aurait reçu la visite impromptue des sbires de la police politique cherchant à la dissuader de prendre contact avec ces indésirables patentés.
Ayant eu carrément peur pour sa vie, parce que ne s’attendant pas à un tel comité d’accueil, elle a préféré décommander tous ses rendez-vous ultérieurs avec des représentants de l’opposition, dont elle a néanmoins rencontré un dirigeant du MRD.
Le régime ayant lui-même démontré sa nature totalitaire, une question se pose alors : est-il préférable pour l’opposition démocratique que ces forces vives exilées rentrent au pays pour lutter sur place contre un pouvoir qu’ils ont fui ? Certainement, même si le risque est réel de les voir subir une oppression à huis-clos dont la dénonciation n’aurait forcément pas la même valeur dans les rues de notre Capitale que si elle perturbait la quiétude bruxelloise. A chacun d’y répondre en son âme et conscience.
Bien sûr, la question ne se pose pas pour les familles de certains dignitaires cherchant dans l’exil doré une tranquillité qu’ils ne semblent pas prédire pour notre pays. La confiance règne.
Rwanda-Djibouti :
Une triste constance
On se souvient qu’il y a quelques mois, la Présidence djiboutienne, furieuse des derniers rebondissements de l’affaire Borrel, s’était fendue d’un communiqué virulent contre la France. L’accusation sans nuance la rendait responsable du génocide rwandais. Certes, la France, dans le cadre d’un accord de coopération militaire avec le régime tribaliste de Kigali, équipait et entraînait les forces régulières dévouées à la cause de Juvénal Habyarimana. Mais un régime sectaire préfère voir ce qui se passe loin de chez lui et occulter les scandales au fondement de sa pérennité.
Bis repetitas : le journal gouvernemental La Nation nous apprend que, dans un contexte de raidissement du régime, les forces françaises stationnées à Djibouti ont assuré l’entraînement des éléments de la garde présidentielle.
Or, ne serait-ce que par sa composition, ce n’est un secret pour personne que ladite garde présidentielle a toutes les caractéristiques d’une vulgaire milice tribale, pratiquement une force paramilitaire exclusivement chargée de la protection du chef de l’État, comme si la Police et l’AND n’inspiraient plus confiance en haut lieu.
Même si, là encore, la formation fournie par l’ancienne puissance coloniale s’inscrit dans le cadre des accords de coopération militaire, et considérant les risques d’instabilité que ce régime de division fait courir au pays, il n’en demeure pas moins vrai que ce soutien n’améliorera en rien l’image de marque de la France auprès de nos concitoyens.
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LA SOMALIE
SUR LA BONNE VOIE ?
Le nouveau Président aura du pain sur la planche
Le colonel Abdillahi Youssouf, jusque là président du Puntland, est sorti vainqueur du scrutin présidentiel organisé dimanche dernier à Nairobi, face à 26 autres candidats, dont Abdilkassim Salat Hassan, poulain du pouvoir djiboutien et éliminé dès le premier tour. L’élection du nouvel homme fort somalien suscite un immense espoir dans le monde, les avis sont partagés dans la région.
La conférence de réconciliation somalienne, ouverte au Kenya il y a deux ans sous l’égide de l’IGAD semble avoir porté ses fruits. Les 275 députés du Parlement de transition ont désigné, à une large majorité, le colonel Abdillahi Youssouf, président de la région autonome du Puntland, comme le nouveau Président intérimaire de la Somalie.
Abdillahi Youssouf est loin d’être un inconnu dans la région. Dès 1978, il s’est opposé à Siad Barré en créant à partir de l’Éthiopie un mouvement armé connu sous le sigle SSDF (Front Démocratique du Salut Somalien).
A la chute du dictateur en 1991, il regagne son pays, mais n’arrive pas à s’imposer à la tête de la Somalie. Il restera jusqu’en 1997 un des chefs de guerre membre du Conseil National Somalien (NSC).
En 1998, il se replie sur sa zone d’influence traditionnelle et devient ainsi le président de la région autonome du Puntland. Homme à poigne, ce militaire de carrière dirige alors cette zone d’une main de fer et refuse d’y organiser des élections. Chassé du pouvoir en 2002, il n’hésite pas à le reprendre de force quelques mois plus tard, certes avec le concours de l’Éthiopie dont il reste un fidèle allié.
En 2001, comme plusieurs autres chefs de guerre renommés, il boude souverainement le processus de réconciliation intersomalien organisé à Arta sous l’égide du chef de l’État djiboutien. L’élection du nouveau Président de la Somalie, aujourd’hui âgé de 70 ans, semble rassurer la communauté internationale désireuse de durablement pacifier ce pays.
Le Secrétaire Général des Nations-Unies, M. Kofi Annan a d’ailleurs fait une déclaration dans laquelle il estime que cette élection constitue « une nouvelle étape importante vers le rétablissement de la paix et de stabilité en Somalie, et il attend la formation, dans un proche avenir, d’un gouvernement fédéral de transition capable d’entamer le processus de réconciliation et de reconstruction dans un esprit de consensus et de dialogue ».
Cette étape sur la voie de la reconstruction d’un État somalien unitaire, donc plus à même de neutraliser certains groupuscules rassure également la coalition engagée dans la lutte contre le terrorisme, qui suspecte Al Qaïda d’avoir des bases dans la sous-région. Hantise également d’un gouvernement éthiopien qui a maille à partir avec des mouvements séparatistes pouvant utiliser une Somalie anarchique comme base arrière. Mais ce choix est cependant loin de faire l’unanimité dans la corne de l’Afrique.
Le Somaliland tout d’abord, dont l’homme fut un voisin difficile en tant que président du Puntland, considère avec méfiance la montée en puissance d’un leader qui avait des visées territoriales affichées sur les provinces somalilandaises de Sool et Sanag, ainsi que sur la ville de Las Anod. D’ailleurs, dans son premier discours en sa qualité de Président fraîchement désigné, M. Abdillahi Youssouf aurait promis qu’il oeuvrerait à la restauration de l’intégrité territoriale de l’État anciennement connu sous l’appellation de République Démocratique de Somalie, ce qui implique bien évidemment à ses yeux le retour du Somaliland dans le giron de Mogadiscio.
C’est pourquoi, aussitôt les résultats proclamés, le gouvernement du Somaliland a tenu une réunion extraordinaire à l’issue de laquelle une déclaration officielle a été rendue publique par son ministère de l’Information.
Dans ce document, le Somaliland, fort d’une Constitution ratifiée par 97% de sa population, n’entend pas renouer avec un passé unitaire dont les stigmates d’une guerre civile sont encore vivaces.
Des tensions sont donc malheureusement à craindre à ce niveau entre les deux voisins, celui qui n’est pas reconnu sur la scène internationale étant de surcroît affaibli par le retour programmé de l’administration centrale somalienne dans le Puntland jusque-là plus ou moins autonome. A ce chapitre enfin, il sera intéressant de suivre la position du plus grand voisin, l’Ethiopie, qui entretient de bonnes relations avec les deux entités.
Car, avant même les Somaliens qui attendent des actes concrets du nouvel homme fort, cette élection a concrétisé la suprématie de la diplomatie éthiopienne dans la région, au grand dam des autorités djiboutiennes.
Celles-ci ne portent pas dans leur cœur le tombeur de leur protégé, Abdilkassim Salat, choisi à Arta en 2000 et digèrent difficilement la retentissante faillite du processus jadis imaginé par le « visionnaire national ».
C’est donc une certaine diplomatie djiboutienne, prétentieuse sans en avoir les moyens, projetant le plus souvent sur la scène régionale de sombres calculs de domination interne, qui est clairement sanctionnée.
Pour les affairistes du pouvoir djiboutien, c’est la fin d’un lobby militaro-commercial qu’ils cherchaient à établir à Mogadiscio, pour pouvoir profiter de la manne financière qu’une communauté internationale désireuse de participer à la reconstruction de la Somalie, était censée déverser.
Mais le plus grand chantier qui attend Abdillahi Youssouf se situe au plan intérieur. La pacification complète du pays requiert de moyens financiers colossaux.
Le désarmement de toutes les milices armées sera une tâche particulièrement ardue et il n’est pas acquis que les chefs de guerre s’assagissent si leurs appétits de pouvoir ne sont pas satisfaits comme ils y sont jusqu’à présent habitués.
Dans un pays où tout a été détruit, la mise en place d’une administration centrale ne sera pas chose facile. La lutte contre le tribalisme et l’esprit de clan est indéniablement un important défi que devra relever, pour inscrire sa fonction dans la durée, cet ancien officier de l’armée somalienne formé en Europe.
Rappelons qu’au cours du long conflit civil qu’a connu la Somalie tout a pratiquement été détruit et le nouveau pouvoir sera contraint de repartir de zéro. Ainsi, depuis 1991 des centaines de milliers de somaliens sont morts de violence, de famine et de maladies tandis que plusieurs dizaines de milliers ont pris le chemin de l’exil. L’élite nationale a massivement émigré en Europe, en Amérique et dans les pays arabes et africains. Il n’est donc pas certain que les forces vives retournent dans leur patrie avant bien longtemps. Pourtant ce pays est potentiellement riche. L’agriculture et la pêche constituent ses atouts majeurs avec l’élevage.
Du fait du conflit les Somaliens sont devenus une des populations les plus pauvres de la planète vivant avec un revenu national par habitant estimé à 110 dollars par an. En raison du chaos aucune donnée statistique fiable n’est disponible faute d’administration centrale.
Pour réussir dans sa mission de reconstruction nationale, le nouveau Président devra impérativement convaincre ses compatriotes qu’il est bien l’homme de la situation, capable d’œuvrer dans le sens d’un intérêt général qui a si dramatiquement fait défaut au Peuple somalien depuis si longtemps.
De ce contrat de confiance dépend essentiellement la suite des événements, afin que l’espoir suscité par cette élection ne soit pas déçu. C’est, en tout cas, le sentiment majoritairement partagé à Mogadiscio.
Et c’est une fois cette paix intérieure acquise, qu’il sera temps, si toutes les parties en décident ainsi, de rechercher les voies et moyens de parvenir à la réunification de la Somalie et du Somaliland. Car, à y bien réfléchir, seuls des ennemis de la Nation somalienne peuvent espérer qu’elle reste durablement divisée. Ce n’est pas notre position.
Mais du temps est nécessaire pour parvenir à la paix des cœurs et des esprits qu’impliquent de telles retrouvailles. C’est ce que nous leur souhaitons de tout cœur.
BON RAMADAN
A l’occasion du mois béni du Ramadan, l’ARD et la Rédaction de Réalité adressent leurs meilleurs vœux à tous leurs concitoyens et aux musulmans du monde entier. Elles leur souhaitent de passer ce mois béni dans les meilleures conditions matérielles et spirituelles.
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LU POUR VOUS
VU DE DOS
Avec la campagne qui s’ouvre, le citoyen courtisé pour la circonstance subira les assauts déchaînés d’une presse gouvernementale à laquelle s’adjoindront certainement d’éphémères publications ad hoc. La modestie ne sera pas la première caractéristique de ce déluge programmé : seul pharaon aura peut-être fait plus grand dans le culte de sa personne. A titre prophylactique, nous proposons cette semaine un autre regard sur le candidat de son propre pouvoir. Paru sur le site des Nouvelles d’Addis en décembre de l’année dernière, ce texte restitue « l’Homme » (comme aimait à se qualifier feu Causescu avant de finir dans les poubelles de l’Histoire) dans l’héritage de son oncle, dont il fut la tristement célèbre main de fer, et dans un contexte régional dont il n’a pas contribué à apaiser les convulsions. A l’heure donc de l’ouverture tambour battant d’une campagne qui est synonyme de perte de temps pour nos concitoyens, et au moment où la Somalie de Mogadiscio a désigné son Président intérimaire, ce portrait vaut le détour.
Géopolitique / Djibouti
Géopolitique de la corne d’Afrique : Le pouvoir d’Ismaël Omar Guelleh
« Au lieu de voir les Djiboutiens vivre en harmonie, aussi bien avec eux-mêmes qu’avec leurs voisins, axe sur lequel la corne de l’Afrique évolue, le Président Guelleh demeure obnubilé par le maintien d’un statu quo complètement dépassé et anachronique. »
ABDOURAHMAN YASSIN
9 décembre 2003. – Le président de la république de Djibouti, M. Guelleh, est un homme empêtré dans la solitude du pouvoir, pour lequel il ne dispose pas de beaucoup de chances.
Le contexte dans lequel M. Guelleh a pu accéder au pouvoir est « infériorisé » par rapport à celui qu’a connu son prédécesseur M. Hassan Gouled. Plusieurs raisons fragilisent celui-ci par rapport à son tuteur.
Malgré la vision de grandeur que son «père » n’avait pas, M. Guelleh, avec l’habilité tactique et manœuvrière dont il dispose, reste un homme malchanceux. D’abord, il hérite d’une situation quasi chaotique où, sur le plan socio-économique, tout marche mal : forte récession, arriérés de salaires des fonctionnaires, administration en décadence totale, etc.
Ensuite, son règne coïncide avec le moment où une relative prospérité géopolitique dont Djibouti a pu bénéficier jusqu’ici vient de se tarir. La dualité entre ses deux grands voisins, la Somalie et l’Éthiopie, sur laquelle a tablé Djibouti depuis sa création, n’a plus raison d’être avec la disparition de l’État somalien.
Aujourd’hui, seule reste sur l’échiquier régional une Éthiopie démocratisée et moderne (comparée à Djibouti), face à laquelle le petit pays se trouve complètement démuni.
Devant les pressions de l’Éthiopie comme de la Somalie, M. Gouled avait la possibilité de recourir à l’un pour neutraliser les ambitions de l’autre. Ceci lui conférait une position suffisamment confortable, avec l’assurance d’une certaine marge de manœuvre.
Position tellement confortable que ça le conduisit, à deux reprises, à initier des missions de bons offices entres les deux belligérants, en 1986 et 1988.
La formule de la grenouille se faisant passer pour aussi grosse que le bœuf a bien marché ; au point d’aboutir à la création d’une organisation de regroupement régional (Igad), ayant pour siège Djibouti !
Au lendemain de la guerre de l’Ogaden où les deux régimes sortent affaiblis et meurtris, M. Guelleh, agissant sous l’ombre de Gouled, tisse avec ces derniers des accords secrets, dans lesquels Siyad Barré et Menguistu concèdent chacun une portion de leur territoire respectif : la partie septentrionale de la Somalie et l’Est éthiopien passent de facto, pour raisons de sécurité, sous protectorat Djiboutien.
Enfin, dans ce contexte, le premier dirigeant djiboutien a pu naviguer calmement en eaux troubles tout en bénéficiant des mannes financières aussi bien des pays du Golfe que de l’Occident, attachés qu’ils étaient tous à pérenniser un petit pays convoité de tous côtés.
Cette conjoncture, relativement favorable, a permis à Gouled d’usurper le pouvoir et toute la puissance publique, au profit d’un seul groupement clanique parmi les composantes nationales du pays, auparavant unies dans la lutte pour l’indépendance.
Sur le plan économique, certes la mise à disposition du pays, sous le contrôle des forces militaires internationales coalisées, après le 11 septembre, rapporte quelques bouffées d’oxygène au régime de Guelleh ; mais ça ne change fondamentalement pas la donne socio-économique.
Actuellement, avec la disparition de l’État somalien, est rompu l’équilibre qui faisait contrepoids à l’Éthiopie : le Président Guelleh se trouve devant la suprématie « éthiopienne » désirant naturellement remodeler la région en fonction de ses besoins stratégiques, bien qu’il dispose de beaucoup d’affinités biographiques et culturelles avec ce pays.
N’est-il pas né et n’a-t-il pas étudié à Diré-Daoua? M. Guelleh reste désarmé face à ce qu’il appelle le diktat éthiopien, destiné à le mettre dans une position de pure vassalité.
Conscient de ce danger le président djiboutien fait tout afin de rétablir l’équilibre régional et pourquoi pas, à terme, le contexte de belligérance. Rompu en essayant, vaille que vaille, de remodeler un État somalien disloqué et difficile à trouver ; ou bien, s’il le faut, prêt à s’allier avec « le diable», entre autres par la recherche d’une alliance auprès de l’Érythrée, devenu l’ennemi numéro un de l’Éthiopie.
Se prémunir contre une Éthiopie, à ses yeux hégémonique, devient la principale préoccupation de sa politique.
Ceci explique sa démarche, à peine élu : s’atteler à la tenue d’une conférence de réconciliation somalienne, assez coûteuse et conduire du même coup une politique d’hostilité déclarée vis-à-vis du Somaliland, pourtant situé à la porte de son domicile.
Avec la débâcle d’Abdoulkassim Hassan et de son « gouvernement », sortis tous deux des mains magiques de M. Guelleh, celui-ci persiste et signe ! Et va jusqu’à s’en prendre au Kenya, dernier pays organisateur des pseudos conférences somaliennes.
C’est à se demander, si cela ne constitue pas une véritable obsession ? Non !, loin de là. M. Guelleh est toujours en symbiose avec lui-même, fidèle à la poursuite d’une même politique : celle de voir pérenniser une domination clanique, devenue par la suite tribale, au détriment de l’émergence d’une véritable identité nationale djiboutienne.
Or, la perte du fameux équilibre régional, avec dislocation de la Somalie et l’émergence à sa place une nouvelle entité, le Somaliland, pourtant inoffensif et non reconnu internationalement, constitue pour M. Guelleh un danger qui met en cause les « acquis ».
Certes, le Somaliland n’est pas particulièrement hostile au régime de Djibouti, mais celui-ci lui prête une intention de vouloir, à terme, du fait de son influence grandissante, donner un « coup de main » à plusieurs composantes nationales dont on a usurpé la place sur l’échiquier politique local.
Au lieu de voir les Djiboutiens vivre en harmonie, aussi bien avec eux-mêmes qu’avec leurs voisins, axe sur lequel la corne de l’Afrique évolue, le Président Guelleh demeure obnubilé par le maintien d’un statu quo complètement dépassé et anachronique.
Son hostilité épidermique envers l’Éthiopie, et plus encore à l’égard du Somaliland avec lequel pourtant les citoyens djiboutiens partagent beaucoup de biens, s’explique aisément : cette nouvelle république risque à terme de bouleverser l’équilibre des forces politico-ethniques établies et héritées du processus de décolonisation.
Le Président Guelleh ne voudrait en aucun cas se faire passer, aux yeux de son prédécesseur toujours à l’affût et devant l’histoire, comme un fossoyeur de la suprématie clanique sur Djibouti.
Sur ce point, rendons hommage à monsieur Guelleh dans sa tentative de vouloir perpétrer l’héritage.
S’il s’en sort à merveille, du moins reste-t-il vulnérable dans la mesure où il navigue à contre-courant. – AY
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HOMMAGE
L’HOMME ENGAGÉ S’EST ÉTEINT
MAIS LA LUTTE DEMEURE
Par souci de ne pas donner l’impression de vivre dans le passé, nous avions décidé de ne plus publier aucun hommage. Mais ce courrier de lecteur, qu’il nous a fallu traduire de l’arabe, nous a interpellé, par respect pour le militantisme de ses rédacteurs.
Une maxime anglo-saxonne nous éclaire par ces mots « Il ne faut pas échanger ton honneur contre la fortune, ni ta liberté pour le pouvoir ». L’engagé d’envergure, le regretté Ahmed Dini Ahmed, a fait sienne cette maxime comme sa devise, sa version et son point de repère. Depuis sa prime jeunesse datant d’une soixantaine d’années, il s’est donné comme principe clair en faisant don de sa vie à son pays, à ses compagnons, à sa nation. Cette vision l’a poussé pour lutter un jour pour l’indépendance de notre pays. Nous savons que sans la volonté d’Allah et sans sa farouche détermination, celle-ci aurait été repoussée aux calendes grecques ou irréalisable à jamais. Le peuple djiboutien, sans distinction aucune, reconnaissent que ses compagnons de lutte d’antan étaient eux aussi élancés dans les quatre coins du monde pour y porter notre désir d’indépendance. Cette passion l’empêchait de connaître le sommeil des gens ordinaires. Cela mérite de vivre pour sa patrie alors que d’autres excellaient, sans irruption jusqu’à cette date, dans l’art de s’enrichir à l’encontre de leur pays.
Qu’il est paradoxal, que le fossé est profond entre celui qui profite de son pays et l’homme qui meurt jusqu’à son dernier souffle pour sortir son pays du joug colonial. L’homme intelligent et l’homme de la rue reconnaissent ensemble que le citoyen et son pays ne peuvent être que les deux faces d’une même pièce. C’est pour le bien-être de chaque citoyen djiboutien, quelle que soit sa tribu, que le regretté Dini a passé des nuits difficiles en prison. C’est pour le même intérêt de ce citoyen qu’il a été emprisonné dans les geôles de sa ville natale à Obock après l’indépendance. C’est aussi pour le souci de ce citoyen opprimé qu’il rejoint la rébellion, c’est toujours dans la détermination de tirer ce citoyen de la souffrance qu’il était amené à vivre loin de sa famille dans l’exil. Soulager ce citoyen de la souffrance a été l’unique raison qui a motivé son retour au bercail et sa signature de l’Accord-cadre.
C’est pour cette même cause qu’il a proclamé solennellement à toute la nation que la partie gouvernementale n’a pas respecté ses engagements. Cet amour du citoyen l’a poussé à créer un parti accepté dans un court laps de temps, par des grandes personnalités et aussi toute la foule djiboutienne sans distinctions tribales ni régionales. L’intérêt de ce même citoyen l’a amené, en accord avec d’autres, à fusionner toutes les aspirations d’une sorte de confédération en une alliance puissante qui a remporté avec éclat la victoire confisquée lors des dernières élections législatives. C’est aussi, pour le souci de ce citoyen que cet homme sublime dans ses aspirations, sublime dans sa foi, dans ses valeurs, dans sa vie et sa mort, sublime auprès des siens et envers ses ennemis. C’est de cette façon qu’il a préféré mener sa vie au nom du citoyen quels que soient les obstacles et quel que soit le prix à payer.
Il croyait sans relâche à la Liberté. C’est pour cette raison qu’il a offert son honneur lorsque certains hommes s’échangeaient à bas prix au marché de la foire, sous la criée des vendeurs d’hommes au vu et su de toute la nation. Cette vente à la foire n’a épargné qu’une poignée d’hommes avec à leurs têtes Ahmed Dini. Celui-là même qui avait épousé à jamais cette maxime citée en première ligne « il ne faut pas échanger ton honneur contre la fortune, et ta liberté contre le pouvoir». Il est donc de notre devoir à nous autres, après sa disparition, de proclamer haut et fort qu’il a été un martyr dans un monde de courtisans sans scrupules et qu’il était un martyr dans un monde où l’honneur s’échange contre le pouvoir. Le peuple djiboutien, dans sa conscience collective retiendra profondément en lui ses qualités pour la transmettre aux générations futures afin qu’elles sachent dans le futur que cette nation a eu des hommes illustres.
Mais la haine qui anime ce système d’oppression a refusé de déclarer le jour de son décès un jour de Deuil National. Qu’allait-il lui coûter de placer en berne le drapeau pour trois jours ? Ont-ils oublié qu’il a été le premier homme a proclamé par sa voix l’Indépendance ? Ils ont préféré oublier que l’indépendance a été le fruit de sa lutte. Que diront les générations futures en lisant le passé de cet homme, quand ils sauront qu’il a été le fondement de cette indépendance et que ces hommes au pouvoir ne lui ont pas rendu justice le jour de sa mort ?
Il était un homme dynamique, un homme d’action dans ce temps où la rareté des hommes politiques de cette envergure est criante. Le peuple djiboutien croit fermement qu’il faisait partie des martyrs qui meurent pour le bien-être de ses concitoyens. Ils sont convaincus qu’il sera l’éternel vivant dans la conscience de chaque citoyen, dans l’esprit des générations futures et dans chaque maison. C’est aussi une science pour toute génération, c’est une éducation pour une lutte sans relâche. C’est un mouvement vers l’avant et sans recul. Il y a des morts-vivants sur terre, alors qu’il est vivant dans sa tombe tant qu’il existera sur terre un opprimé et un oppresseur, un peuple sous un dictateur, un droit confisqué et un ayant-droit exigeant. Et nous suivrons sa voie et la lutte continuera !
Des militants sincères et convaincus.
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