Réalité numéro 110 du mercredi 27 octobre 2004 |
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Sommaire
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Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 110 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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EDITORIAL
RÉALITÉ EN JUSTICE :
UN RÉGIME BÊTE ET MÉCHANT
Tout en sachant qu’une cabale poursuivait nos confrères de l’opposition, nous nous faisions un devoir de ne justifier une quelconque poursuite devant la Justice, au prétexte d’une improbable atteinte à la personne d’une auguste personnalité. Voilà donc qu’aujourd’hui, une plainte a été déposée contre nous par le ministre de la Défense, s’estimant diffamé par deux courriers de lecteurs que nous avons publiés il y a longtemps, conformément à notre souci d’ouvrir nos colonnes aux innombrables sans-voix du pays authentique. La manœuvre, à la fois bête et méchante, trahit en fait le profond désarroi du régime face au refus de l’UAD de ne cautionner aucune consultation électorale frauduleuse.
La bêtise se dévoile en premier lieu dans la procédure de convocation : dans un élan de zèle, la gendarmerie a convoqué le même jour notre directeur de publication et son co-directeur. Or, selon la loi, le second ne peut être convoqué que si le premier jouit d’une immunité ou s’il ne peut être entendu pour raison d’empêchement. Une telle lacune de la part d’un gendarme censé appliquer la loi est pour le moins préoccupante. Par respect pour ce corps d’armes, nous la mettrons sur le compte d’un ordre reçu d’en haut lieu.
La bêtise se trahit en second lieu dans le motif invoqué : les deux lettres incriminées ont des auteurs, qui se manifesteront le moment venu. Qui relatent des faits connus de tous, mais que la presse gouvernementale censure. Plus que cela, ils sont eux-mêmes l’expression d’une légitime colère des populations délaissées par ce régime de spectacle et qui ne se reconnaissent absolument pas dans les prétendus dirigeants préfabriqués que l’on tente vainement de leur imposer, en vertu d’une division clanique du travail politique source de toutes les inégalités que nous dénonçons inlassablement.
Est-ce donc parce qu’il sait compter sur le verdict de sa Justice, dont l’indépendance n’est pas la vertu cardinale, que le régime nous intente aujourd’hui un tel procès ? Pas seulement, d’après Borgès : « les dictatures fomentent l’oppression, la servilité et la cruauté ; mais le plus abominable est qu’elles fomentent l’idiotie ». Car la bêtise se nourrit ici de la méchanceté, laquelle révèle les limites de la comédie politique que le parti au pouvoir veut imposer aux citoyens.
Celle qui consiste précisément à ne pas nous obliger à participer au détournement de la volonté populaire. Car le régime se croyait malin, tel ce peuple indigène qui, pour capturer des singes, évident une grosse noix de coco et y déposent des graines par un orifice juste assez large pour laisser entrer une main ouverte : une fois cette main refermée sur l’objet de la convoitise, elle ne peut plus en ressortir et le singe est ainsi fait prisonnier.
Ceci pour dire si l’objectif premier de tout parti politique digne de ce nom consiste à entrer dans la compétition électorale afin de pouvoir appliquer son programme de gouvernement, les conditions qui prévalent actuellement à Djibouti ne garantissent nullement le droit au changement auquel tout peuple réellement libre peut légitimement aspirer. Tout simplement parce qu’aucune dictature n’a jamais programmé son autodestruction par la voie des urnes.
L’UAD ayant subordonné sa participation à la prochaine présidentielle à une série d’avancées démocratiques dont l’absence est son fondement, le régime, fidèle à sa posture provocatrice, semble avoir décidé de prendre les devants : la meilleure défense reste toujours l’attaque. C’est pour cela que la plainte date du 20 octobre : précisément le jour de la parution de notre précédent numéro.
Sauf que cette fois, il risque de le regretter : nous lui donnons donc rendez-vous le jour du procès. Il se rendra alors compte de notre force et de notre détermination !
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Brèves nationales
L’UAD désigne son Président :
Ismaël Guedi assure la continuité
Lors de sa réunion hebdomadaire du dimanche 24 octobre 2004, l’Union pour l’Alternance Démocratique (UAD), regroupant les partis politiques ARD, UDJ, MRD et PDD, a désigné à l’unanimité M. Ismaël Guedi Hared en qualité de Président.
M. Ismaël Guedi, Président de l’UDJ, assurait jusqu’à présent, en tant que vice-président, les fonctions de président par intérim de notre coalition, née dans le cadre des dernières législatives et reconduite afin de donner une dimension nationale au combat pour l’avènement rapide d’une alternance démocratique.
Dès sa nomination, M. Ismaël Guedi s’est engagé à oeuvrer pour la consolidation de l’Unité nationale, seule à même de concrétiser un véritable changement démocratique.
Ramadan gouvernemental :
L’un hiberne, l’autre gouverne ?
On raconte que chaque année depuis son accession à la magistrature suprême, le « numéro un » djiboutien hiberne les dix premiers jours du Ramadan. C’est, nous semble-t-il, la raison pour laquelle le numéro deux virtuel est chargé, pendant les vacances présidentielles à Haramous, de gesticuler au maximum afin de donner l’illusion qu’il gouverne un peu. Ainsi, l’on a appris que le week-end dernier, le Premier ministre n’a pas du tout chômé.
Dans l’après-midi de jeudi, il s’est rendu à Obock à bord d’une vedette de la Force Navale, accompagné d’un petit groupe de dignitaires RPPistes. En cette période de « désenclavement » tous azimuts, son déplacement par mer (boude-t-il AIR-FAD ?) augure-t-il de l’ouverture prochaine d’une ligne maritime par la Force Navale « au profit des populations du Nord à des prix exceptionnels » comme il se doit ?
Toujours est-il que les Obockois ont été un peu surpris de voir débarquer cette délégation lourdement chargée en khat, venue passer la nuit dans leur ville. Le lendemain vendredi, le Premier ministre est arrivé en fin de matinée à Tadjourah, où il a aussitôt procédé, dans l’indifférence générale, à la pose d’une première pierre des travaux de construction d’un mur devant protéger la ville contre les fortes marées. Le même genre d’ouvrage qui a été réalisé à Obock dans les années 60.
Dans la soirée, l’enfant du pays a rencontré quelques notables et des jeunes de la vie associative locale, sans créer l’événement et sans convaincre. Espérons que la veillée de Ramadan organisée par la jeunesse ARD de Tadjourah aux abords de notre annexe du front de mer n’a pas dérangé les cogitations de l’illustre visiteur en campagne. Décidément, si l’un a choisi d’hiberner, l’autre n’arrive toujours pas à gouverner : où est donc la fameuse « gestion de vraie problématique » ?
Démission de l’Etat :
Des étudiantes laissées à l’abandon ?
La mauvaise gouvernance conduit fatalement au désengagement de l’Etat de toutes ses responsabilités premières. Conséquence : toutes les couches de la société pâtissent de cette situation.
Dernier exemple en date : des jeunes Djiboutiennes bachelières de l’année 2004 ont été envoyées récemment au Sénégal afin de poursuivre leurs études dans les universités de ce pays. Ayant tout juste bénéficié d’un billet d’avion et d’une petite somme d’argent (30.000 FD), une dizaine de ces étudiantes, arrivées à Dakar il y a deux semaines, n’ont toujours pas pu s’inscrire dans les facultés sénégalaises, les autorités de ce pays leur réclamant, pour la constitution de dossiers, le fameux extrait n°3 du casier judiciaire.
Les autorités djiboutiennes ne semblent pas pressées de débloquer la situation et les parents de ces étudiantes se démènent comme ils peuvent pour venir en aide à leurs progénitures en difficulté si loin de chez elles.
Piètre image ainsi donnée de notre pays à l’étranger à l’heure où le régime mène ici une campagne démagogique centrée sur les droits de la femme. Ainsi, on peut lire sur les banderoles disséminées sur les principales artères de la Capitale depuis la désignation du président-candidat à sa propre succession : « Avec Ismaël, l’intégration de la femme dans la sphère publique est une réalité ». Le calvaire de ces jeunes étudiantes laissées à l’abandon à l’étranger illustre de manière dramatique que, sous ce régime de mauvaise gouvernance, l’exclusion des femmes est une réalité ordinaire.
Pôle universitaire :
Heurs et malheurs de l’enseignement supérieur
La création du Pôle universitaire, au lendemain des Etats Généraux de l’Education Nationale tenues en 200, fut sans conteste une avancée. L’ouverture de cet établissement permettait à une grande partie des bacheliers Djiboutiens de poursuivre leurs études supérieures sur place. Beaucoup de familles sans ressources suffisantes étaient soulagées de voir leurs progénitures décrocher un diplôme universitaire dans leur pays.
Pourtant, derrière cette façade positive, se cache une quantité de problèmes qui finissent par décourager nombre d’étudiants. La première cause de frustration se situe au niveau de l’orientation. Il semble que la direction du Pôle décide arbitrairement du choix des filières à suivre par l’étudiant.
C’est ainsi qu’il est même arrivé à des étudiants sachant à peine lire l’arabe d’être orientés vers la filière LEA (Langues Etrangères Appliquées, option Arabe). Autre casse-tête pour les étudiants en première année : l’impossibilité de redoubler. Aussi, ils sont des dizaines à être exclus chaque année de l’établissement, grossissant ainsi le flot des jeunes chômeurs. A ce rythme, il y aura bientôt autant de bacheliers chômeurs que ceux exclus du système scolaire au niveau du primaire ou du secondaire.
On se souvient que l’été dernier, le chef de l’Etat en précampagne n’avait pas hésité à descendre dans l’arène du gymnase du lycée afin de remettre lui-même les diplômes à plus d’un millier de bacheliers. Combien parmi ces heureux récipiendaires de 2004 inscrits en cette année universitaire au Pôle pourront réellement terminer leurs études ? Quel effort l’Etat a-t-il fourni cette année afin d’améliorer les conditions d’études de la future élite nationale ?
Mis à part les travaux d’extension du Pôle sur le domaine de l’ancien camp Barkat Siraj. On raconte que ces bâtiments préfabriqués auraient été offerts par un généreux donateur d’un pays du Golfe. Mais la mendicité n’a jamais fait progresser un pays.
Journée des Nations Unies :
Le constat lucide de Kofi Annan
A l’occasion de la Journée des Nations Unies, le Secrétaire général Kofi Annan a adressé à tous les citoyens du monde un message dont la concision vaut la pertinence : « Il, y a cinquante-neuf ans, y dit-il, l’Organisation des Nations Unies était créée afin de servir la paix, les droits de l’homme et le développement. Le monde dans lequel nous vivons est meilleur grâce à l’ONU. Cependant, trop de gens continuent de souffrir de la violence, de l’oppression, de la pauvreté, de l’analphabétisme et des maladies.
Nous pouvons et devons mieux faire. Tous les êtres humains méritent de vivre à l’abri de la peur et du besoin. Il faut qu’ils puissent espérer un futur meilleur. Il le faut pour l’avenir de l’humanité. Il le faut pour notre sécurité à tous.
Toute nation a besoin d’un gouvernement qui soit vraiment au service de son peuple. Et nous avons tous besoin que l’Organisation des Nations Unies soit efficace, qu’elle reflète le monde dans lequel nous vivons, et qu’elle soit capable de relever les défis auxquels nous devrons faire face demain. Je pense que nous pouvons bâtir une meilleure Organisation des Nations Unies.
Fort de cette conviction, je présenterai bientôt aux dirigeants du monde entier un ensemble de mesures destinées à revaloriser l’Organisation. Il appartiendra à vos dirigeants de faire preuve de hauteur de vues et de bonne volonté. Il faudra qu’ils trouvent un terrain d’entente lors de la réunion historique qui aura lieu dans un an.
Je vous demande d’encourager vos dirigeants à offrir à notre monde l’Organisation des Nations Unies qu’il mérite. Avec votre aide, je sais que ce sera possible.
Nous vivons une ère nouvelle. Il nous faut une nouvelle Organisation des Nations Unies. Faisons en sorte qu’elle voie le jour. »
A Djibouti un peu plus qu’ailleurs, nous appelons de tous nos vœux une telle Organisation, plus soucieuse du droit des peuples à vivre dans la dignité. A condition qu’elle soit capable en retour, d’amener les régimes tels que le nôtre à véritablement œuvrer au service du peuple djiboutien : la peur (pour son salaire, sa pension de retraite ou même son intégrité physique) et le besoin (droit à la citoyenneté, à l’Education, au travail, à la Santé, au changement, etc) on connaît ce que cela veut dire à Djibouti.
NECROLOGIE |
Nous avons appris avec tristesse le décès survenu à Djibouti dimanche 17 octobre 2004 de M. Idriss Abdillahi Fod. L’homme qui vient de nous quitter à l’âge de 34 ans était un militant actif de l’UAD, candidat spolié aux dernières élections législatives dans la circonscription d’Ali-Sabieh, où il exerçait en tant que commerçant connu et apprécié de tous. Il laisse une veuve 3 enfants. L’UAD, l’ARD et la Rédaction de Réalité adressent leurs condoléances attristées à toute la famille du regretté Idriss Abdillahi Fod. Qu’Allah l’accueille en Son Paradis Eternel.amin INNA LILLAH WA INNA ILAYHI RAAJI’UUN |
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Comprendre la Somalie (2)
Partons d’une anecdote, pour exemplifier cette partie consacrée aux difficultés qu’il y a à reconstruire la Somalie. Quelqu’un racontait qu’au lendemain de la désignation de M. Abdillahi Youssouf en qualité de Président intérimaire de la Somalie, il n’arrivait plus à circuler tranquillement à Djibouti-ville, tellement il recevait de félicitations en raison de son appartenance au même clan que lui. Ce qui l’avait énervé au plus haut point, trouvant anormal que lui, Djiboutien, soit complimenté pour un événement se déroulant à Mogadiscio. Pour lui, cet amalgame trahissait l’absence d’une véritable conscience nationale djiboutienne. Mais, lui a-t-il été rétorqué, en préférant pérorer et parader à Arta dans le cadre d’une conférence de réconciliation somalienne, plutôt que de s’investir dans les négociations interdjiboutiennes entre son gouvernement et le FRUD-armé, le chef de l’Etat djiboutien n’a-t-il pas lui aussi contribué à la fragilisation de cette conscience nationale djiboutienne ? Mutatis mutandis, l’analyse de l’inadéquation entre structures mentales et structures étatiques, que l’auteur développe dans l’article ci-dessous reproduit à propos de la Somalie, ne vaut-elle pas aussi pour Djibouti ? Nous y reviendrons dans nos commentaires. Pour le moment, place à cette étude, dont les trois volets peuvent être consultés sur le site www.lesnouvelles.org.
Esquisse d’une sociologie des clans somalis
(1/3) Les termes, la situation, la structure
par Youssouf Karieh
Dans le premier volet de cette importante contribution adressée aux « Nouvelles d’Addis », Youssouf Karieh, universitaire djiboutien spécialiste de la corne de l’Afrique, s’interroge sur l’existence même d’un pays nommé « Somalie ». L’auteur insiste sur l’absence historique et sociologique d’une « autorité centrale » dans l’organisation des clans somalis. De son point de vue: « Il existe tout juste des aires ou zones d’habitation, plus ou moins délimitées à leurs extrêmes par les rapports de force établis avec les ethnies de proximité. »
Septembre-octobre 2001
1. Introduction
Le terme « clan » n’englobe pas la même réalité et les mêmes structures socio-claniques partout dans les aires d’habitation des peuples désignés par le terme. Il existe des différences notables selon la localisation du clan – à proximité des côtes, continentales ou périphériques – et selon les rapports entretenus par les clans autour de la femme (mariage ).
Selon nous, ces deux variables constituent un axe à partir duquel une sociologie des clans somalis pourrait être entreprise. La réalité du clan n’est pas une donnée intrinsèque, immuable et uniforme.
Elle n’est ni une réalité vécue de la même manière partout, ni une structure imposée à tous les Somalis de façon univoque.
Dans cet article, nous étudions les clans somalis à partir des matériaux obtenus empiriquement sur les terrains pendant une période de dix années. Les matériaux s’appuient également sur des études généalogiques des « échantillons » somalis.
Les observations retenues dans ces travaux sont rassemblées dans cette période ( 1987 -1997) où l’auteur de l’article a été un observateur de terrain. En d’autres termes, l’auteur a séjourné des fins fonds de l’Éthiopie à la Somalie, en passant par Djibouti.
Les travaux d’observation empiriques, issus de l’esquisse de cette sociologie des clans seront affinés par des postulats théoriques.
2. Situation contextuelle
Les nostalgiques d’un État-unifié-somalien essaient de reconstituer l’histoire de façon erronée. Tout d’abord, il n’y a pas d’histoire de la Somalie pour la simple raison qu’il n’y a jamais eu de Somalie. Il existe tout juste des aires ou zones d’habitation, plus ou moins délimitées à leurs extrêmes par les rapports de force établis avec les ethnies de proximité: Oromos, Hararis, Afars, etc. ; zones à l’intérieur desquelles cohabitent des clans somalis, juxtaposés les uns à côté des autres, chacun ayant un périmètre de pâturage et d’influence.
Ensuite dans ce contexte, il n’y a jamais eu d’autorité supra clanique ou d’institution commune pouvant réunir les Somalis sous une même bannière. L’on avait tout au plus du temps précolonial, comme aujourd’hui – ou il n’y a pas d’État -, des terroirs ou fiefs des clans, avec le périmètre de chacun, sur lequel s’établissent des règles soit conflictuelles, soit de coexistence pacifique, selon les circonstances du moment, avec les clans voisins.
Même dans le vocabulaire, les Somalis ne disposent pas de concept commun pour designer l’autorité suprême de l’ordre culturel clanique. Nous en avons recensé neuf appellations différentes: Sultan, Garad, Ugas, Malaq, Boqor, Baqow, Webber, Imam, Isim.
Enfin, tout marche aujourd’hui comme si les Somalis, depuis la disparition de cette éphémère autorité centrale (l’État somalien n’a duré que trente ans) étaient projetés d’un seul coup dans une réalité à tous points de vue identique à celle d’avant la colonisation.
La situation décrite en 1854 par Richard Burton dans son fameux livre (1) est la même que connaissent les Somalis d’aujourd’hui: absence d’autorité centrale, prééminence de la logique clanique. . . insertion des individus dans le périmètre de protection clanique. Les pratiques de razzia de conquêtes de nouveaux espaces de pâturage, de points d’eau. . . sont des phénomènes qui jalonnent l’histoire des Somalis.
Les tenants d’un État unitaire somalien, et qui pleurent aujourd’hui sur la disparition de l’autorité centrale, ont beau argumenter sur les agrégats constitutifs de la nation somalienne, unique en son genre en Afrique. Certes, les Somalis partagent la même langue, religion, culture, etc. Mais ceux-ci occultent souvent l’essentiel: l’absence chez les Somalis d’avoir à partager le même vécu, de disposer de la même histoire, de projeter sur l’avenir des espérances similaires. . . bref d’avoir des rêves identiques. La volonté de vivre ensemble fait toujours défaut chez ces peuples. Et il en a été ainsi depuis les calendes grecques.
À part quelques Cités-États, qui ont émergées a des périodes différentes ( entre les Xème et XVème siècles), l’absence d’institution supra clanique reste le fondement de l’organisation sociale chez les Somalis.
Aujourd’hui comme hier, est pris en otage ou comme cible tout ce qui relève du droit régalien de puissance publique: équipements publics, aide alimentaire internationale. . . sont l’objet de, razzia car cela n’appartient à aucun clan, donc par définition à personne, Par contre, la propriété privée semble elle respectée puisqu’elle s’apparente à un individu, par conséquent au clan.
Ceci démontre combien la notion de puissance publique ou d’intérêt général reste réfractaire à l’entendement mental des Somalis.
Pourtant la situation vécue par les Somalis est contrastée et n’est pas si dramatique. Comme l’a bien souligné Gérard Prunier dans son article « La recomposition de la nation somalienne » (2), les choses ne vont pas si mal et le chaos n’est pas partout en règle comme certains le décrivent.
Au contraire, une tentative de regroupement des clans et l’établissement d’un minimum d’ordre sont perceptibles ici et là. Les clans opèrent des processus de pacification – comme ils le faisaient depuis des lustres – et de réconciliation selon les affinités culturelles, d’alliance, de liens de sang et de voisinage.
Par-delà les vicissitudes et les schémas chaotiques véhiculés par les médias, les Somalis offrent une capacité d’adaptation extraordinaire à l’absence d’État et un dynamisme assez inégal de survie.
L’on constate sur le plan économique une augmentation même de la richesse nationale: la production de banane, de peaux, l’exportation de cheptel ( ovin, bovin) – principale richesse des Somalis . . . – ont presque doublé et le score demeure meilleur qu’au temps de l’existence de l’État.
Le secteur de télécommunication est en pleine effervescence: des fiefs les plus reculés sont desservis et reliés au monde, à travers l’aménagement des petits aérodromes et grâce aux téléphones cellulaires. La différenciation contrastée des situations en Somalie s’accompagne d’une différenciation d’organisation sociale chez les clans que nous allons analyser dans cet article.
3. Structure sociale: le clan
La société somalienne est une société stratifiée avec une juxtaposition de clans. À l’intérieur de chaque clan, l’on assiste à une trame de sous-clan, tribu, sous-tribu, fraction et sous-fraction.
La logique de cette trame fonctionne de la façon suivante: chaque niveau est assujetti à celui qui lui est supérieur. À titre d’exemple, l’individu appartient d’abord à une famille, à une sous-fraction, puis à une fraction et sous-tribu, ensuite à une tribu et ainsi de suite jusqu’au clan, entité de souveraineté par excellence.
L’individu se trouve confronté à des relations de type horizontal et vertical, hiérarchisées différemment à chaque niveau. Ce labyrinthe de niveaux décisionnels gère et régule sa vie pastorale devant lesquels il doit constamment négocier pour juguler ses atteintes à leurs exigences. La vie pastorale devient ainsi une véritable survie.
3.1 Catégories des clans. – L’hégémonie considérable des clans, chez les Somalis, demeure réfractaire aux exigences de l’intérêt collectif de l’ensemble des entités. Le passage d’une réalité clanique à un ensemble de ce qui peut être appelé « le national » demeure difficile dans le contexte somalien.
À partir des matériaux des lignées généalogiques, nous pensons qu’il existe quatre types de clans chez les peuples appelées Somalis :
3.1.1 – Clan à filiation ou descendance unique.
3.1.2- Clan à filiation mais doublée d’une certaine adhésion. Apparaît ici un facteur de différenciation: le xeer, ébauche d’une forme de consensus social.
3.1.3 – Clan non-filiatif mais à pure adhésion.
Émerge à ce niveau un contrat social plus affirmé qui s’apparente à la structure clanique plus relâchée.
3.1.4 – Clan sab. Bien qu’ayant une lignée généalogique qui lui soit propre, ce clan dispose d’un statut différencié et infériorisé par rapport aux autres catégories de clans. C’est un clan marginalisé vivant seulement dans les zones de deux premières catégories. Tout indique qu’il est réellement intégré dans le troisième groupe.
3.2 Localisation des clans. – L’analyse de la localisation – éloignement ou proximité des côtes – nous amène à de nouvelles perspectives de recherche sur la nature des clans. Les structures de ceux-ci les uns a l’égard des autres – sont d’abord liées à leur emplacement spatial.
3.2.1- Clans Périphériques. Il s’agit des clans éloignés des côtes. Nous regroupons sous le vocable de « périphérique » la 3ème catégorie de clans, à savoir les clans non-filiatifs mais opérant par simple adhésion. Ils sont généralement cantonnés à la limite de « l’espace » des Somalis.
3.2.2- Clans du Centre. Ce sont essentiellement les clans côtiers qui se trouvent assez éloignés des hauts plateaux de l’Abyssinie. Les clans du centre correspondent parfaitement aux clans à descendance unique opérant par la filiation de sang.
3.2.3- Clans tampons. La localisation de ces clans est à mi-chemin entre la périphérie et le centre. Ils opèrent par système généalogique à filiation d’une part et par contrat social et adhésion d’autre part. Les Somalis appartiennent à ces quatre catégories de clans et, selon leur localisation à trois groupes de clans ou la forme et l’organisation de structures claniques différentes d’un clan a l’autre, ou d’un espace donne à un autre. Ça varie d’une structure rigide à un relâchement fonctionnel entre les liens au sein des membres du clan.
Youssouf Karieh
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(1) « The first foot steps in Horn of Africa », Richard Burton, 1854.
(2) « Recomposition de la nation somalienne », Gérard Prunier, le Monde diplomatique, avril 2000.
(*) Universitaire djiboutien, spécialiste des pays de la corne de l’ Afrique, Youssouf Kariye est diplômé en Sciences politiques de l’lEP de Grenoble (1980), et titulaire d’un DESS en économie auprès de l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne ( décembre 1981 ).
Il vit actuellement à Seattle, États-Unis.
COMMENTAIRES |
«Le malheur des sciences sociales, écrivaient les auteurs du métier de sociologue, c’est d’avoir un objet qui parle » : inutile de dire à quel point ce genre d’analyse se voulant scientifique, donc idéologiquement neutre, rencontrera une certaine réticence. C’est un luxe offert aux chercheurs exilés que de revendiquer en acte le statut d’« intellectuel sans attache ni racine » dont révait Mannheim : les diverses formes de pression du groupe d’origine, subordonnant la reconnaissance et le prestige à la satisfaction de ses attentes, interdisent toute distance critique : c’est peut-être à cause de cela que les études sociales sont pratiquement inexistantes à Djibouti.
Cela étant, tout en ayant démontré la causalité entre structures sociales et structures mentales, et selon quelle logique celles-ci entrent, dans le cas d’espèce, en contradiction avec une forme d’organisation étatique moderne impliquant la sauvegarde de l’intérêt général, cette étude appelle de notre part deux nuances et une comparaison.
La première concerne l’Ogaden. En effet, même si elles ne s’étaient pas dotées d’une autorité politique centrale, les populations somali de l’Ogaden n’ont jamais dépendu d’un quelconque Négus éthiopien. Inutile de rappeler ici dans quelles conditions, sujettes à débat et parfois à caution, cette région a été rattachée à l’empire éthiopien.
La seconde se rapporte au danger qu’il y a à inférer d’une structure sociale donnée une culture politique censée être uniformément observable chez tous les sujets. La seule expérience que vit actuellement le Somaliland , tirant les enseignements des drames récents, nous incite à reconnaître qu’il existe un consensus sur la nécessité de sauvegarder un intérêt général sans lequel aucune coexistence ne serait possible. Par contre, l’absence de cet intérêt général est patent chez les actuels dirigeants djiboutiens. Sans que, bien entendu, cela doive donner lieu à une généralisation abusive et idéologique. En effet, pour ne prendre que l’exemple le plus célèbre, tout le monde sait que le regretté Elabé n’a jamais succombé aux tentations, si faciles ici, de la corruption. De même que, dans tous les départements ministériels qu’il a dirigés, il a toujours cherché à garantir l’indispensable équilibre entre les différentes composantes de la communauté nationale. Dire qu’on ne peut pas en dire autant de l’actuelle équipe au pouvoir est un euphémisme : elle n’a pas encore compris que l’intérêt général est la soustraction et non la somme des intérêts particuliers.
D’où une comparaison qui s’impose, afin de mieux saisir tout le danger qu’il y a à utiliser un concept aussi délicat que celui de structure mentale. En effet, sans le nommer explicitement, c’est au concept d’«habitus» que l’auteur fait référence, défini comme schème intériorisé de pensée et d’action, acquis au cours d’un processus de socialisation : en d’autres termes, les structures mentales ne sont que des structures sociales intériorisées. Ainsi, on sait que, contrairement à d’autres, l’ethnie afar s’est depuis longtemps dotée d’un solide corpus juridique dont les dispositions s’appliquent uniformément à tous les individus. Il existe même un droit de l’environnement protégeant l’écosystème contre les abus de l’homme.
Mais, quand bien même le sens de l’intérêt général existe au sein de cette communauté, il n’en demeure pas moins vrai que, dans le contexte étatique, certains de ses indigènes s’adonnent sans vergogne à la corruption. Pire, on observe depuis quelque temps un repli sur les intérêts claniques et régionaux remarquable, par exemple, dans une instrumentalisation partisane des hauts fonctionnaires que l’on rencontre rarement d’une façon aussi caricaturale chez ceux des autres composantes de la communauté nationale.
Ce qui signifie que, pour ne pas céder à la facilité des généralisations culturalistes, l’habitus primaire doit être affiné au cas par cas, en fonctions des multiples habitus secondaires que façonnent d’autres processus de socialisation : école, religion ou profession.
Les retraités humiliés
VIE QUOTIDIENNE |
Dimanche 17 octobre 2004. de 8h 30 à 11 heures devant la Caisse Nationale de Retraite, une quarantaine de retraités, parmi lesquels un député, un ancien ministre et des agents de la FNP, attendent de percevoir leur pension trimestrielle. Des gendarmes en faction les brutalisent, sans égard pour leur âge avancé. Les infortunés retraités sont obligés de subir de telles humiliations pour toucher leur pension. Deux vieux en ont même failli tomber en syncope. Cette barbarie a provoqué une légitime colère chez l’un de ces retraités humiliés : voici la réaction indignée de M. Jean-Paul Abdi Noël, ancien député.
Courrier à l’attention de l’Opinion Publique
le 17 octobre 2004
Sur les humiliations, les dégradations
inadmissibles et insupportables en République de Djibouti
par certainement des dirigeants mécréants
Alors que faire ? Oui que faire ?
Que vieux, vieilles et jeunes en ce mois béni du Ramadan se posent en silence cette question: alors que faire ?
Oui j’écoute, ici le CNR
Centre des Nouveaux Recrutements ou
Caisse Nationale des Retraites (imposées)
Age anticipé pour le recrutement: 50 ans ; Age final: 150 ans.
A mon commandement !
Toutes et tous, vielles ou vieux, « c’est un ordre, si vous voulez rentrer pour percevoir votre argent il faut vous asseoir ou vous mettre à genou, sinon attention aux schlagues! » ( il faut vraiment être physiquement présent pour l’entendre et le croire.) Cela se passe tout naturellement à l’entrée de la CNR.
C’est triste à l’entendre, c’est triste à le dire, et c’est révoltant, oui c’est provocant et intolérable d’essayer d’acculer des vieux de la Fonction Publique, de la FNP, de l’Assemblée Nationale, des vieux Ministres (un ancien ministre de la Défense Nationale en tête) à se révolter, car à leur âge, il n’est plus possible pour eux de prendre le fusil ou de prendre leurs armes et de dire avec courage: à mon commandement citoyenne, citoyen prenez vos armes contre tous les mécréants, tous les traîtres qui violent les principes de la République et de l’Etat de Droit.
C’est vrai qu’à leur âge ils savent dire non aux candidat(s) qu’ils estiment comme des pourris, car ils sont complètement corrompus, car ils sont profondément ancrés dans une politique dictatoriale foncièrement sournoise.
Ces vieilles et ces vieux ont encore la mémoire fraîche et ne manqueront pas, s’il plaît à DIEU, toutes les prochaines occasions pour épauler et libérer à nouveau leur patrie, en facilitant le terrain du combat contre les mesures despotiques en vigueur encore chez nous.
C’est vrai, que l’actuel très, très jeune Président n’a rien à cirer de ces vieux croulants.
A voir l’œil d’Abou et en ce mois béni du Ramadan, on a vraiment l’impression d’être dirigé par des mécréants, dirigé par des païens.
Le Droit à l’Assurance de la pension retraite est un droit non imposable d’autant plus qu’en République de Djibouti, jamais, plus que jamais et à aucun moment, les Pensions retraites n’ont jamais été revalorisées (financièrement parlant et compte tenu des inflations galopantes presque à un rythme inférieur aux vastes Détournements des Finances Publiques et des Biens Sociaux). On ne quémande pas son droit, une fois qu’on a largement cotisé à sa retraite.
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Réalité dérange
L’EX MILITAIRE REPREND DU SERVICE
Marx l’avait dit : « L’histoire se répète, une fois tragique, une fois comique ». Beaucoup se souviennent des tragiques événements qui ont marqué l’actuel mandat présidentiel : sans respect pour son immunité parlementaire, M. Moussa Ahmed Idriss, candidat spolié, a été traîné en justice par le ministre de la Défense au motif que le journal qu’il dirigeait avait porté « atteinte au moral des troupes » et les forces de police chargées de faire appliquer le verdict avaient pris son domicile d’assaut, tuant au passage son fils adoptif. Aujourd’hui, c’est le même ministre qui nous traîne en justice : une telle constance dans l’acharnement contre les forces démocratiques par celui que le régime auréole d’un glorieux passé de maquisard mérite une mention spéciale.
Un constat s’impose au chapitre de la répression journalistique : l’actuel ministre de la Défense est celui qui, dans l’équipe gouvernementale détient le record de plaintes déposées contre les organes de presse de l’opposition !
Rappelons que c’était lui qui avait été à l’origine de l’emprisonnement de Moussa Ahmed Idriss, Général Ali Meidal Wais, Daher Ahmed Farah, en septembre 1999. C’est encore lui qui avait poursuivi DAF, en plus du Général Zakaria, lors de sa dernière arrestation, et il récidive aujourd’hui, en cherchant à museler notre organe de presse à quelques mois de la présidentielle.
En effet, par une plainte enregistrée sous le n°3331/04 et déposée le 20 Octobre courant pour « outrage et diffamation », le Ministre de la Défense poursuit notre organe pour deux textes le mettant en cause par deux fois pour une affaire touchant sa région d’origine, dont la dernière en date est une lettre écrite et signée, insérée dans la rubrique « Courrier des lecteurs».
Cet acharnement s’explique par plusieurs facteurs, le premier étant la conjoncture dans laquelle il a accédé au pouvoir. Arrivé aux affaires publiques dans le cadre d’une dissidence traumatisante dont il fut le principal initiateur et que nul ne lui a pardonné, il ne s’estime peut-être pas avoir des comptes à rendre aux « ingrats » qu’il est censé représenter.
Les infortunés mandants présumés le lui rendant bien, qui ont vainement attendu une quelconque contribution de sa part à l’amélioration de leurs difficiles conditions d’existence. La boucle étant bouclée par le fait que le régime, estimant ne rien perdre en le perdant, lui confie ses sales besognes.
Celui qui, depuis la signature en décembre 1994 des accords d’Aba’a été relégué au poste honorifique de Secrétaire Général dans son parti, joue donc le rôle de cerbère de la dictature tout simplement parce qu’il n’est qu’un ministre en sursis ! Parce qu’il n’est qu’un minuscule rouage de l’appareil répressif, nous implorons pour lui la clémence de notre lectorat.
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