Réalité numéro 119 du mercredi 29 décembre 2004 |
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Sommaire
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Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 119 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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Éditorial
LA FRAUDE MÉDITE :
LA LEÇON UKRAINIENNE
Madagascar, Géorgie, Côte d’Ivoire… Ukraine : ce début de millénaire a vu le rejet des rapports de domination se manifester plus ou moins pacifiquement et a vu presque partout en dernière instance la victoire du Peuple. « Notre pays était indépendant depuis une dizaine d’années. A partir d’aujourd’hui, il est libre. » Voilà ce qu’a déclaré Iouchtchenchko en annonçant à ses supporters sa victoire au troisième tour de l’élection présidentielle, en leur demandant toutefois d’avoir la victoire modeste.
Même si Djibouti est l’un des rares pays au monde à être gouverné par des dirigeants issus de fraudes électorales, il n’en a pas le monopole. Ainsi, soutenu par son puissant voisin russe, le candidat du régime avait annoncé sa victoire, malgré les multiples preuves de fraudes aussitôt dénoncées par l’opposition et tous les observateurs internationaux.
Il a fallu un spectaculaire mouvement de mobilisation et un courageux vote de l’Assemblée nationale déclarant nul et non avenu le résultat officiel pour arracher au sortir des urnes, après d’âpres négociations, la tenue d’un troisième tour, le démantèlement et la recomposition de la CENI locale.
Poutine et son poulain, qui avaient parié sur un essoufflement de la mobilisation, se sont donc lourdement trompés sur le message de la « révolution orange ». Loin de s’essouffler, le mouvement s’est amplifié et a gagné en sympathie à travers le monde, pour son caractère pacifique.
La première leçon à tirer c’est, même et surtout pacifique, la détermination d’un Peuple à prendre son destin en mains, renverse des montagnes : en l’occurrence un régime corrompu et ouvertement soutenu par son toujours puissant voisin russe. Il faudrait aussi saluer le comportement des forces de l’ordre qui sont restées neutres quand elles n’ont pas tout simplement fraternisé avec les manifestants. C’est dans ce contexte que le pouvoir pro-russe a renoncé à passer en force, non sans avoir tout essayé, même une tentative d’empoisonnement du candidat de l’opposition avant le scrutin.
Le résultat du troisième tour prouve de manière éclatante toutes les manœuvres frauduleuses du tour précédent car, avant même la fin du dépouillement, Iouchtchenchko disposait d’une avance de 10 points sur son rival.
Mais l’épreuve la plus dure à surmonter pour le vainqueur sera celle du pouvoir car il lui faudra combattre de front la mafia civile et militaire dont la capacité de nuisance reste intacte, ainsi que le puissant voisin russe résolu à garder l’Ukraine ancrée dans son giron et qui voit d’un très mauvais œil la perspective de son adhésion aux structures euroatlantiques.
A Djibouti, si comme nous l’avons démontré, il n’y a rien à espérer de ce régime, de ses mal-élus, de sa CENI ou de son Conseil Constitutionnel, le Peuple, lui, reste mobilisé et le démontre en chaque occasion, comme lors de la commémoration du massacre d’Arhiba le 18 décembre.
Un candidat solitaire à sa propre succession, flanqué d’une garde républicaine obligée de jurer sur le Coran de fidèlement le servir, face à un Peuple pacifique mais déterminé à ne pas s’en laisser conter, cela promet une campagne électorale insolite. A ne manquer sous aucun prétexte.
Brèves nationales
Premier ministre, Fest’Horn et paix :
Il danse à défaut d’agir :
Comme nul n’est censé l’ignorer, le Fest’Horn est un événement censé promouvoir une culture de paix dans notre sous-région. Initiative que nous ne pouvons que saluer, tellement la Corne de l’Afrique, nonobstant l’inconsistance du président de l’ADAC, association maître d’œuvre de l’événement, mérite que la musique adoucisse les mœurs politiques de dirigeants plus souvent prompts à dégainer qu’à développer.
Au bénéfice du doute, considérons donc que c’est peut-être pour exciper de ses penchants naturellement pacifiques que le Premier ministre a tenu à honorer de sa présence la cérémonie de clôture de l’édition 2004 du Fest’Horn, en compagnie du ministre de la Communication et du sous-ministre en charge de la mendicité internationale. Dommage que les Tambours sacrés du Burundi n’étaient pas là : il faudrait penser à les inviter la prochaine fois.
Malheureusement, le Premier ministre, artisan proclamé de l’accord de paix de Paris du 7 février 2000, n’a modestement pas tenu à rappeler son immense contribution à l’instauration de la concorde civile en République de Djibouti. Se contentant juste d’« exécuter quelques pas de danse », comme le rapporte a capella le journal gouvernemental « La Nation ».
Et c’est bien dommage, car cette tribune aussi culturelle que multiculturelle aurait certainement été très intéressée de savoir où en est la paix dans le pays hôte. Parce que, contrairement à une idée reçue, un artiste doit réfléchir pour prétendre convenablement chanter.
Étant donné le bide monumental de son discours du 26 décembre (des ingrats présumés n’ont pas daigné communier avec ses « instants d’allégresse » à l’occasion de la célébration du dixième anniversaire d’une paix à laquelle il a si peu contribué, si ce n’est en facilitant l’extradition plus tard d’une civile du nom d’Aïcha Dabalé vivant à l’époque à Addis-Abeba et opérant dans un domaine humanitaire n’impliquant pas le FRUD), le Premier ministre aurait été bien inspiré de ne pas rater cette occasion du 19 décembre 2004.
Peut-être a-t-il commis cette erreur politique parce qu’il ne sait pas saisir à chaque occasion l’opportunité politique qui se présente à lui ?
Pourtant, il est à bonne école : celle de l’opportunisme politique. Mais tout ne se met pas forcément en chanson : la musique se défend comme elle peut.
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Conseil des ministres a Arta :
Sous le signe de la gabegie
A court d’imagination et ne sachant que faire pour doper sa campagne qui bat de l’aile, le candidat solitaire a convoqué un Conseil des ministres décentralisé à Arta le 21 décembre dernier. Ce conclave ministériel a bien sûr mobilisé des centaines de personnes, forces de sécurité comprises, toutes venues de la Capitale aux frais du contribuable évidemment.
Comble de l’ironie, l’Éducation nationale figurait en bonne place dans l’ordre du jour de ce Conseil des ministres organisé dans l’enceinte de l’ancienne école hôtelière. Si, comme ont tenté de le faire croire les médias gouvernementaux, l’Éducation nationale constituait une priorité de l’action gouvernementale, le lieu était décidément mal choisi pour l’affirmer.
En effet, tous les Djiboutiens savent que l’école hôtelière d’Arta a fermé depuis la mauvaise gouvernance instituée sous l’actuel mandat présidentiel. Depuis l’Indépendance, ce centre de formation professionnelle avait formé des serveurs, maîtres d’hôtel et cuisiniers qualifiés, pour la plupart originaires d’Arta.
Donc, cette école a fermé ses portes et les natifs de la région sont les premiers à déplorer cette situation, dont ils rendent directement responsable le candidat à sa propre succession, surtout connu pour généreusement distribuer du khat lors de ses fréquents passages dans cette station climatique où il possède une modeste résidence secondaire.
A Arta, personne ne se fait d’illusion sur les promesses annoncées par un régime même pas capable d’installer le portail d’entrée des bureaux administratifs du district !
Pour ce qui est de la réalité de la décentralisation dans ce nouveau district, à la naissance duquel nul n’a attenté contrairement à certaines allégations cherchant à semer la discorde au sein de la communauté nationale, il y a fort à craindre que relèvera de la même mystification que celle qui impose actuellement la paralysie la plus complète au bon fonctionnement de ce qui existe déjà.
Les actuels conseils régionaux n’ont nulle part créé d’emplois nouveaux, pas plus qu’ils n’ont initié un quelconque programme de développement porteur pour leur région.
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Mécénat militaire à Wéa :
Crayons et cahiers pour les écoliers
Le régime nous le répète sans cesse : l’Éducation nationale constitue la priorité de l’action gouvernementale, bénéficiant comme il se doit de plus de 12 milliards de nos francs par an. Ainsi, comme l’a souligné le Conseil des ministres tenu à Arta le 21 décembre dernier, parmi ses plus récents succès figureraient : « les actions de réduction sinon d’élimination des coûts telles les dotations gratuites de fournitures scolaires, l’accès gratuit aux manuels scolaires dans le primaire, etc. » Comprenne qui pourra !
Si tel avait réellement été le cas à l’École primaire publique, pourquoi alors les États-Unis d’Amérique ont-ils financé pour quelques millions de nos francs des kits scolaires au bénéfice des 40.000 élèves de l’enseignement public ? Pourquoi les forces françaises, à travers la 13ème DBLE basée à Wéa, ont-elles tenu à distribuer le 19 décembre dernier des « fournitures scolaires comme des crayons et cahiers » au cours d’une cérémonie généreusement rapportée par le journal gouvernemental « La Nation » ? Où passent alors les milliards officiellement budgétisés pour l’Éducation nationale si nos enfants restent toujours tributaires des dons gracieusement proposés par le mécénat militaire étranger ?
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Code de la famille :
Obock ne comprend pas
Dans le cadre d’une opération de sensibilisation au nouveau Code de la famille, la sous-ministre chargée de la Promotion de la Femme s’est rendue à Obock accompagnée de ses principaux collaborateurs. Au cours d’une réunion tenue dans le chef-lieu de ce district en présence des autorités coutumières, religieuses et féminines, de vives discussions sur ce nouveau texte de loi ont provoqué les protestations unanimes des administrés ne comprenant pas les innovations imposées en la matière.
Ainsi, les Obockois se disent outrés par la réforme des formalités du mariage, désormais célébré par des juges installés à Djibouti-ville, en lieu et place des anciens cadis présents sur pratiquement l’ensemble du territoire. Les Obockois se disent déterminés à continuer de passer par les autorités religieuses traditionnelles pour tout ce qui a trait aux procédures d’officialisation du mariage ou du divorce.
La nouvelle législation prétendument moderne ne les satisfait pas, ils la considèrent inadaptée à leurs conditions de vie, ne leur permettant pas de dégager la somme nécessaire pour un séjour dans la Capitale.
Les pouvoirs publics l’entendront-ils de cette oreille, avant de déclarer bâtards et indignes d’obtenir un acte de naissance tout enfant né hors-la-loi ? Affaire à suivre…
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Haramous s/mer :
Emirat tropical à risques ?
Dimanche dernier, un terrible séisme sous-marin de magnitude 8,9 sur l’échelle de Richter, s’est produit dans l’océan Indien, provoquant un gigantesque tsunami (raz-de de marée) dévastateur sur les côtes de plusieurs pays riverains. Un récent bilan fait état de plus de 40.000 morts et disparus au Sri Lanka, en Thaïlande, Inde, Indonésie, Malaisie, aux Maldives et même en Somalie, où l’on dénombrerait au moins une cinquantaine de morts et autant de disparus.
A Djibouti, selon nos informations, l’illustre pensionnaire de la modeste résidence présidentielle sise à Haramous, paniqué à l’idée de se voir emporté par un raz-de-marée, n’aurait pas dormi la nuit du dimanche 26 décembre. Les experts consultés sur les risques dans la zone n’ont pas pu le rassurer sur l’absence du danger.
Le candidat solitaire sait en effet que seuls les scientifiques japonais sont en mesure de prévoir un tsunami deux minutes avant son déclenchement et donner ainsi une alerte à l’échelle nationale. Aussi, peu rasséréné par les assurances de ses experts courtisans, le docteur honoris causa se serait réfugié dès lundi dans sa résidence d’Arta. On raconte même qu’il songerait sérieusement à s’établir au Day, à 1500 mètres d’altitude, dans la toute nouvelle résidence dont il vient tout juste d’achever la construction. Ainsi haut perché tout près de ses plants de khat Awaday, il attendra patiemment que les plaques tectoniques se calment, avant de redescendre dans l’arène politique nationale. Élection présidentielle oblige.
Il a vraiment de la chance, lui le bâtisseur national, d’avoir construit un peu partout aux frais du contribuable djiboutien, de modestes résidences refuge en cas d’intempérie climatique ou politique. A ce sujet, nous osons modestement lui suggérer de construire au sommet du Moussa Ali et au Mont Arrey, tout comme nous le félicitons pour ses innombrables pieds-terre en France, en Afrique du Sud, en Éthiopie à Debré Zeit et surtout dans sa ville natale de Diré-Dawa où brille son château flambant neuf. Mais en attendant l’heure de vérité, il lui faut choisir entre fuir ou construire.
La mystification de la décennie : Ab’a dix ans après
Contre toute attente, le chef de l’État fossoyeur de tous les accords de paix, par procuration ou en personne, a décidé cette année de commémorer la mystification à l’origine de sa conquête du pouvoir. Pour l’ARD, continuité historique du Frud politico-militaire, signataire de la paix définitive du 12 mai 2001, le régime en campagne vient ainsi bruyamment de reconnaître son forfait politique : la violation de l’accord de paix définitive et historique, signé avec le regretté Ahmed Dini Ahmed. Le Président candidat mesure-t-il les conséquences d’un tel complot contre la réconciliation nationale ?
Subitement inspiré ou sérieusement ébranlé par la commémoration nationale réussie des tragiques évènements d’Arhiba, le régime a précipitamment décidé de fêter le 10ème anniversaire de la paix d’Ab’a. Comble du ridicule, les médias gouvernementaux ont été rapidement et maladroitement mis à contribution pour diffuser le communiqué suivant concocté à la hâte par d’obscurs organisateurs : « L’Alliance Rpp/Frud organise une cérémonie de commémoration du 10ème anniversaire de l’accord de paix d’ABB’A conclu le 26/12/1994. Une marche de la paix s’effectuera à partir du port de Pêche jusqu’à l’esplanade du Palais du Peuple le dimanche 26/12/2004. Le départ de la marche est fixé à 7h 30. La Paix étant le bien commun l’Alliance invite l’ensemble des Djiboutiens à prendre part massivement à cet important événement ». Sollicité en renfort, le Secrétaire Général de l’ex-parti unique et actuel Président de l’Assemblée nationale, mal-élue, s’est empressé, à travers une circulaire datée du 23 décembre dernier, de réquisitionner les «députés» pour cet « important événement » (voir fac-similé ci-dessus).
Malgré la propagande gouvernementale effrénée et les moyens matériels et financiers mobilisés pour marquer ce dixième anniversaire de la paix d’Ab’a, la journée fut un bide monumental sur le plan politique.
Les observateurs n’ont pas manqué de relever avec humour que le candidat solitaire, déstabilisé par la commémoration citoyenne du massacre d’Arhiba, en a même oublié la composition réelle de sa fantomatique mouvance présidentielle, se référant uniquement à l’alliance boiteuse Rpp/Frud imaginée lors des législatives de 1997.
De son côté, l’ARD continuité historique du Frud-armé signataire de l’accord de paix définitive du 12 mai 2001 considère que le régime vient une nouvelle fois de se couvrir de ridicule en tentant vainement de glorifier un accord de paix allégrement violé et majoritairement considéré comme une mystification qui a vécu.
Pour sa part enfin, l’opposition nationale constate que cette pseudo célébration consacre la faillite du mensonge officiel sur la consolidation de la paix et la réconciliation. Car elle nie expressément la réalité nationale ayant cours depuis la paix définitive de 2001.
Comme on le sait, l’accord sanctionnant cette paix historique et proposant les vrais remèdes contre tout renouvellement du conflit, est honteusement violé par un Chef de Gouvernement cherchant à crédibiliser aujourd’hui la mystification d’Ab’a, perçue par les Djiboutiens comme un processus qui lui a surtout permis d’usurper le pouvoir.
Mais, tout bien considéré, il est normal que ce genre de régime préfère le faste clinquant d’une commémoration vide de contenu, plutôt que de prouver, chiffres et réformes à l’appui, les acquis concrets de la paix. Sa nature répressive étant à l’origine de ce drame, son irresponsabilité lui interdit toute remise en cause, quand bien même elle serait salutaire pour la conscience nationale et pour la suite des événements.
Par contre, cette négation des causes et de la Cause impose aux anciens rebelles une posture clownesque (restons polis) qui ne peut que les discréditer davantage chez tous ceux qui, en toute bonne foi, attendaient de leur initiative de paix une réelle amélioration de leurs conditions de vie.
C’est pourquoi il aurait été plus intéressant et instructif, du point de vue civique de tout Djiboutien, soucieux de voir avec quelle intensité les causes du conflit sont traitées pour en éviter le renouvellement. Si l’accord de paix d’Ab’a ne comportait aucune disposition relative à la citoyenneté et aux réformes démocratiques (le système despotique à l’origine du conflit y avait été reconduit dans son refus de délivrer des pièces d’identité et dans ses fraudes électorales), force est de regretter que, dans l’ensemble et à des degrés divers, les autres titres n’ont pas encore trouvé une application satisfaisante, au bout de dix ans. Même un chapitre aussi porteur que celui de la réhabilitation des zones affectées par le conflit n’a pas été sérieusement pris en considération. En effet, il avait fallu attendre les négociations en 2000-2001 pour qu’un état des lieux exhaustif des pertes et des dégâts soit dressé par les deux parties signataires de l’accord de paix du 12 mai 2001.
Là aussi, malgré une clause invitant les parties signataires à solliciter l’aide internationale, pour sa part disposée à soutenir un tel effort propice à la consolidation de la paix civile, le régime impose un refus systématique de remédier aux conséquences du conflit. Se permettant même d’affliger le triste spectacle de quelques infrastructures publiques gracieusement retapées par une force militaire étrangère, alors que le maigre budget prétendument affecté au chapitre de la «Réhabilitation des zones de guerre» est allégrement dilapidé à d’autres fins partisanes.
Enfin, quand un des responsables de la paix d’Ab’a reconnaît tranquillement qu’au bout de dix ans, la réinsertion des démobilisés reste encore à finaliser, tout donne lieu de penser que cet accord n’a fait des heureux que chez de rares responsables politiques : la masse victime ou combattante a tout simplement été oubliée. Et ce n’est certainement pas une pompeuse commémoration en 2004, quand un enjeu électoral pousse une improbable mouvance présidentielle à se donner en spectacle pour nier les réalités, que cette masse se sentira enfin respectée.
Il ne s’agit donc pas ici de juger la légitimité de la paix d’Ab’a : il reviendra à l’Histoire, lorsqu’elle pourra s’écrire à l’abri de la manipulation de ce régime, de remettre chacun à sa place pour que l’anecdotique n’étouffe pas l’événement et qu’une trahison ne soit plus présentée comme un acte de courage politique.
Car cette commémoration qui pousse les dignitaires sédentaires à piquer un footing dont ils se seraient bien passés renvoie à une perception pitoyable de la paix et de la guerre. Précisément celle qui consiste, au mépris des souffrances et des sacrifices, à ne considérer l’être humain que comme de la chair à canon, à utiliser pour servir des ambitions personnelles. Que les premiers responsables du conflit, trouvant de surcroît dans cette initiative de paix un moyen de se positionner dans une course à la succession, méprisent les sacrifices des opprimés et inscrivent ceux de leurs troupes dans le cadre tribal d’une conquête territoriale, c’est d’une affligeante banalité dans une Afrique postcoloniale dont les États sont squattés par des cohortes d’arrivistes prétentieux et ambitieux.
Et tant qu’ils ne seront pas sanctionnés par la Vox Populi, d’une façon ou d’une autre, il n’y a aucun miracle citoyen à attendre de ces politiciens-là : ils ne veulent le pouvoir que pour y rester, divisant pour régner et s’enrichissant au passage par la prédation.
Mais il est rare que d’anciens maquisards arrivés au pouvoir en oublient le fondement de leur engagement ultime et se contentent d’être de simples faire-valoir exhibés en cas de besoin par ceux dont ils ont naguère combattu les abus.
Et, à l’examen de ce qui s’est passé depuis le 26 décembre 1994, c’est uniquement sous cet aspect de désinvolture qu’il vaut mieux considérer le processus aujourd’hui célébré en grandes pompes par le régime. C’est pourquoi trois questions sont posées aux ex-rebelles :
1) « Qu’avez-vous fait pour les combattants dont vous avez déposé les armes ? »
2) « Qu’avez-vous fait pour ceux dont vous prétendiez soulager les souffrances grâce à votre paix ? »
3) « Quelle a été votre contribution pour instaurer une culture de paix afin que tous les Djiboutiens, sans aucune distinction, se sentent responsables de leur destin et imposent la seule voie pour prévenir de nouveaux déchirements : la Démocratie ? »
De la réponse à chacune de ces questions dépend en premier lieu le jugement que l’on pourra porter sur ce qui s’est passé non seulement en ce 26 décembre 1994, mais aussi de toute la gestion en aval depuis le 11 novembre 1991. D’elle dépend également la crédibilité accordée à l’alliance au pouvoir pour véritablement remédier aux causes du conflit et en soigner les conséquences.
Plus gravement enfin, il s’agira pour le Peuple d’en tirer les conclusions qui s’imposent afin que, en dépit de toutes les manœuvres de ceux qui cherchent uniquement à garder le pouvoir, les innombrables souffrances ne constituent pas un terreau fertile aux germes de la division que plante ce régime impopulaire ne respectant même pas les morts.
Nos chancelleries se barricadent : le 18 décembre en Europe
LE 18 DECEMBRE 2004 EN EUROPE
Une fois encore, l’union autour de la défense des Droits fondamentaux a permis de réunir un nombre considérable de Djiboutiens dans une manifestation pour dire « Non à l’impunité à Djibouti». Le rassemblement fait suite à douze mobilisations précédentes contre l’impunité et pour la justice aux victimes du massacre d’Arhiba, perpétré le 18 décembre 1991. Comptes-rendus de cette mémorable journée à Paris et à Bruxelles par l’ARD-France et le Forum pour la Démocratie et la Paix (FDP) à Bruxelles.
Pour cette treizième année de mobilisation, les manifestants s’étaient rassemblés face à l’Ambassade, à l’angle de la rue Emile Meunier dans le 16e arrondissement de Paris, à l’appel de l’Association pour la démocratie et le développement (ADD), de l’Association pour le respect des droits de l’homme à Djibouti (ARDHD) et du Comité en France de l’Alliance républicaine pour le développement (ARD).
Le froid hivernal et la pluie fine n’y changèrent rien : les Djiboutiennes et les Djiboutiens de France rassemblés dans leur diversité s’étaient donné rendez-vous sous les fenêtres de la diplomatie djiboutienne, le temps de dire leur colère et leur refus de l’impunité et de la dictature d’Ismaël Omar Guelleh.
En ouverture de partie, une lecture des versets du Saint-Coran, de la sourate Yacine, appelés « les versets des morts », a été faite pendant quinze minutes par un jeune Djiboutien à l’émotion prenante en souvenir des 59 martyrs de la tuerie d’Arhiba.
Aussitôt le pardon imploré pour les défunts, et pour que plus jamais cela ne se reproduise, les revendications ont fusé, clamées dans un porte-voix tonitruant, circulé de manifestant en manifestant pour donner de la voix la plus forte.
Des slogans choisis en rapport direct avec la tragédie djiboutienne se sont donnés libre cours, déchirant la quiétude parisienne de toutes parts : « Pas de paix sans justice », « Justice pour Arhiba », « Solidarité avec les femmes victimes de viol », ou encore « 27 ans d’impunité, ça suffit», « Pour un État démocratique à Djibouti »…
La voix était forte, l’image était sans concession. Sur une pancarte figurait un portrait du dictateur Guelleh barrée d’un grosse croix rouge avec l’inscription « Cet homme est responsable d’assassinat, de torture, de viol ». Une banderole imposante de 3 m sur 1 m avec la légende « Justice pour Arhiba » dominait une myriade d’une quinzaine de pancartes de 80 cm x 40 cm garnies d’inscriptions diverses comparables aux slogans entendus.
Des riverains aussi étaient de la partie depuis les fenêtres de leurs appartements, certains tendant l’oreille depuis plus d’une décennie à la même fenêtre pour écouter parfois les mêmes revendications. Certaines voitures passantes s’arrêtaient un court moment pour écouter elles aussi les slogans et les tambours. Beaucoup de voix, beaucoup d’images, et donc beaucoup de curieux en cet après-midi parisien.
Mais le beau monde démocrate faisait peur. Il était contenu par de barricades entières de policiers français. Découvrez plutôt : un front armé de gourdins et de matraques constitué de six agents de police, tenait la rangée de manifestants à une distance de dix mètres de l’entrée de l’ambassade. Quatre patrouilles d’agents de police supplémentaires restaient à proximité prêtes à intervenir, quatre autres patrouilles circulaient à la ronde en voiture, deux voitures « civiles» et encore deux autres de police étaient stationnés dans les parages des cinq mètres.
Ce qui restera l’incident du jour faillit coûter aux policiers leur sang froid. C’était Ibrahim, pense-t-on, chauffeur ès qualité de l’ambassade, blotti lâchement contre une voiture sur un trottoir situé en face de la manifestation, une caméra à la main, en plein tournage commandé du rassemblement.
C’est alors que les manifestants les plus alertes sortirent eux aussi leurs appareils photo, les faisant crépiter de tous leurs flashs en direction de l’arroseur arrosé dans une montée soudaine de la tension. Les policiers tentaient de repousser quasiment désespérément les photographes des deux camps, constituant un barrage au milieu d’un véritable tir croisé de flashs.
Rappelons que le 18 décembre 2004, les Djiboutiens de Belgique ont tenu également à manifester en masse pour commémorer le massacre d’Arhiba devant notre ambassade dans la Capitale Européenne. Par élan patriotique plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées pour scander les mots d’ordre lancés par les intervenants.
Nos compatriotes venus en masse de toute la Belgique, ont déplié leurs banderoles reprenant les slogans du jour. Les photos des victimes du Massacre furent brandies. Évidemment, les « reporters » (police politique et employés zélés) de l’ambassade n’ont pas manqué l’occasion, pour filmer, photographier les manifestants.
Comme d’habitude, le régime et ses larbins utiliseront ces supports contre les opposants afin de faire pression sur leurs familles restées au pays et sur eux. Ce ne sera ni la première ni la dernière fois.
Cet après-midi restera symbolique dans la lutte pour la démocratie à Djibouti.
Point de vue
Présidentielle de 2005 :
Un enjeu National ?
Nous publions volontiers ce point de vue d’un fidèle lecteur qui s’interroge sur la portée politique de la future échéance électorale. Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement le point de vue de notre journal.
Nous saurons, bientôt, si l’ère du paternalisme en vigueur depuis l’indépendance et celle des urnes bourrées, héritage de l’époque coloniale, appartiennent à un passé révolu.
Une hirondelle ne fait pas le printemps, dit-on. Je parle évidemment de la démocratie de façade imposée à notre pays. Partant de ce proverbe, on peut se demander si l’élection présidentielle peut changer le paysage et surtout les mœurs politiques. Nul n’est dupe, il ne faudra sans doute pas mettre beaucoup d’espoirs dans cette consultation, eu égard au passé proche (souvenons-nous des mascarades électorales des années précédentes). Les dirigeants djiboutiens se sont toujours substitués au peuple pour décider en lieu et place de ce dernier.
Le quart de siècle d’immobilisme politique, dont le régime actuel est grandement responsable, la gabegie financière et l’état de délabrement moral, qu’il a installés, sont autant de boulets dont il aura bien du mal à se défaire. Mais en rameutant tous ceux qui à un moment ou à un autre ont exercé des responsabilités politiques ou administratives, il compte une fois de plus sur la carte régionaliste ou tribaliste en cherchant à mobiliser sa « clientèle » pour réitérer une fraude électorale dont le refrain nous est connu.
Il est par ailleurs scandaleux de faire de l’acte civique, celui du vote, un acte rémunéré à l’image de ces hauts fonctionnaires grassement rétribués sur le dos du contribuable djiboutien.
Mais au fait ! que peut-on attendre de l’élection présidentielle ? Le système, tel qu’il est organisé ici veut que le Président soit responsable autant des instances dirigeantes de son parti que du pouvoir Exécutif. Une telle organisation conduit inévitablement à une personnalisation du pouvoir. Le vote, on l’aura compris, sera détourné de sa finalité qui est de se prononcer pour des idées, des programmes et non pour un homme. C’est pourquoi nous croyons à la nécessité de modifier le régime « présidentiel » (en réalité hybride) au profit d’un régime parlementaire. Du reste, ne l’oublions pas, la Constitution de 1992 (que des structures qu’elle a enfantées) a été taillée sur mesure pour l’ex-Président Gouled qui, toujours refusait le débat démocratique. Il serait donc dommage de maintenir cette Constitution.
C’est pourquoi nous appelons à modifier le régime présidentiel au profit du régime parlementaire : la distribution de trois pouvoirs (Législatif, Exécutif et Judiciaire) serait effective au lieu d’être de pure forme.
La démocratisation ne pourra être garantie que si toutes les sensibilités du pays sont représentées à l’Assemblée Nationale. Afin de contribuer à résoudre ce problème, favoriser les chances d’une réelle démocratie dans notre pays, pour que l’équipe gouvernementale ne réponde plus au seul Chef de l’État, mais aussi à toute autre instance représentant le peuple et pouvant sanctionner ses manquements, il nous faudra opter sans hésitation pour un régime parlementaire. Outre la réforme du système politique, nous voulons souligner la nécessité de réformer le code électoral dans le sens d’une juste représentation de toutes les sensibilités de notre peuple. Ce serait la seule manière d’éviter qu’une minorité ou un groupe de citoyens puisse confisquer le pouvoir et le conserver pour son propre profit.
Mais tant que ces conditions ne sont pas réunies, il est immoral d’appeler le peuple à voter pour un Président car, en réalité, cette élection est sans enjeux véritables. Sauf pour la classe dirigeante qui pour des raisons évidentes a intérêt à maintenir le statu quo.
Si, un tel système perdure, c’est qu’il existe peut-être dans la masse le désir d’avoir un homme fort et dur auquel il faut se soumettre, un dictateur « éclairé ». Quelle attitude enfantine ! On a vu ou est-ce que cela nous a menés : une présidence impériale personnifiant l’État tout entier et la société. Ce régime est répressif, manipulateur, débilitant, corrupteur, muselant, terrorisant à l’égard du peuple ; c’est une machine à tuer moralement et physiquement exigeant du peuple djiboutien une obéissance docile. La pensée, la volonté politique, l’initiative, la liberté de parole des citoyens sont brimées.
C’est l’opposé d’une politique basée sur la palabre, essence de notre démocratie nomade.
C’est la raison pour laquelle il serait criminel de ne pas dévoiler ces tares.
Et l’opposition devra sans relâche dénoncer cet état de fait. Pour toutes ces raisons, nous pouvons affirmer, sans risque de nous tromper, que l’élection présidentielle prévue en 2005 ne constitue pas, aux yeux des Djiboutiens, un véritable enjeu national sincère. Dévoiler cet état de fait, le dire, tel sera, nous l’espérons le credo politique des élites intellectuelles nationales, opposition incluse.
A.M.A
Promotion de la Femme : Djibouti en pâle position
La posture de scribe gouvernemental provoque souvent des crampes cérébrales : à trop défendre l’indéfendable, cela en devient grotesque. Pour avoir porté un jugement négatif sur la place de la femme dans la société djiboutienne, un site Internet a récemment subi les foudres d’une plume mal inspirée de « La Nation ».
Il y a quelque temps, parce qu’elle avait affirmé que notre pays était à ce point dépendant de l’extérieur qu’il ne produisait même pas la plus petite aiguille à coudre, une journaliste égyptienne avait subi le courroux d’une plume gouvernementale plus prompte à insulter qu’à réfléchir. Une récente anecdote montre que le retour réflexif n’est pas la vertu première des plumes réquisitionnées pour désinformer.
Ainsi, selon le journal gouvernemental « La Nation », un site féministe arabe aurait récemment médit sur le compte de notre pays. En réponse aux allégations de notre consœur en ligne, notre confrère local prompt à défendre la promotion féminine version RPP, tire à boulets rouges sur ce site Internet coupable d’avoir critiqué la condition de la femme djiboutienne.
Dans une réaction épidermique et faussement chauvine, le journal gouvernemental s’insurge contre la déclaration d’un membre du conseil national des droits de l’homme en Jordanie qui aurait déclaré : « pour les oubliés du monde arabe tels que la Somalie et Djibouti, c’est la femme qui assume en premier lieu les conséquences des conflits régionaux et de la pauvreté. » Offusquée sinon ulcérée, la plume gouvernementale répond ainsi : « Premièrement cette dame ignore que la République de Djibouti depuis son accession à l’indépendance jouit d’une stabilité politique et n’est nullement touchée par les conflits qui secouent la région.» Trêve de délire !
Dans un pays sortant d’un douloureux conflit civil de dix ans (dont le dixième anniversaire d’une parodie de résolution était pourtant célébrée le 26 décembre dernier), et au cours duquel des dizaines de filles et de femmes ont été soit froidement exécutées soit sauvagement violées par les troupes gouvernementales, lire de pareilles inepties révisionnistes est proprement révoltant.
Les Djiboutiennes des zones rurales pauvres parmi les pauvres n’ont jusqu’à ce jour accès ni aux soins, ni à l’eau courante ni encore moins à Internet, n’en déplaise aux promesses démagogiques du candidat solitaire et de son épouse la présidente de l’UNFD, partie en voyage cette semaine encore en Boeing présidentiel pour faire son shopping à Dubaï.
Mais ce n’est pas tout. Dans un pays où les crimes ordinaires que sont les mutilations génitales féminines n’ont pas encore donné lieu à une quelconque sanction pénale, il est démagogique de prétendre protéger autrement que par l’incantation législative toutes les fillettes victimes de cette pratique durablement inscrite dans les mœurs tant que le niveau de scolarisation et de réussite scolaire n’aura pas été sensiblement élevé.
Et, dans ce registre, étant donné que c’est par la gente féminine que de telles blessures plus physiques que symboliques se perpétuent, les multiples entraves à la scolarisation de ces fillettes persistent, faute d’une véritable volonté politique, tout simplement parce que l’École génère trop d’intolérables déchets. Une salutaire remise en cause de cette pratique païenne semble encore avoir quelques jours devant elle.
Une simple étude statistique montrerait clairement que c’est dans le milieu rural que nos petites filles sont victimes de ce droit pharaonique à disposer du corps d’autrui. Parce cela n’a pas été codifié par le Coran, peut-être faudrait-il rappeler à ces familles coupables et complices le verset 21 de la Sourate 31 : « Et quand on leur dit « Suivez ce qu’Allah a fait descendre », ils répondent : « Nous suivrons plutôt ce que nos ancêtres faisaient » et cela même si c’est l’œuvre du Diable qui les incite au châtiment de la fournaise. »
Du fait de la saturation du marché du travail et la sélection scolaire (le caractère obligatoire de la scolarité n’existe que sur le papier), la femme est statistiquement moins bien placée que l’homme pour prétendre à une quelconque indépendance financière. État qui induit une soumission forcée et la rend d’autant plus victime des violences conjugales.
On ne change pas la société par décret. Ce n’est pas parce qu’un dirigeant politique prétendument moderniste prône la promotion de la femme que celle-ci accède du jour au lendemain et comme par miracle à un statut social supérieur.
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