Le témoin-clé dans l’affaire du juge français
Bernard Borrel, retrouvé mort à Djibouti en 1995, a été aujourd’hui la cible de coups de feu au Yémen, deux jours après sa sortie de prison, a-t-on appris auprès de sa famille en Belgique. « Des hommes habillés en policiers ont tiré sur lui », a déclaré son frère, Saleh Houssein Nadrin. Il n’a « pas été blessé » mais un policier qui l’accompagnait « aurait été tué », a-t-il ajouté.L’attaque s’est déroulée ce matin à Al Bayda, une zone tribale du sud d’où est originaire Mohamed Saleh Alhoumekani, selon son frère. « On ignore les raisons de cette attaque. Dans les zones tribales, il y a parfois des erreurs », a avancé Saleh Houssein Nadrin. Joint au téléphone par la radio France Inter, Mohamed Alhoumekani a expliqué n’avoir pas le droit de quitter le territoire yéménite et lancé un appel aux autorités françaises et belges. « Ici, je suis devenu une cible. Le Yémen est une prison à ciel ouvert. Tout le monde est armé. C’est la raison pour laquelle je demande à la France et à la Belgique d’intervenir (…) pour que je puisse quitter le territoire », a-t-il dit à France Inter.Alhoumekani, qui est domicilié à Bruxelles et a la double nationalité belge et yéménite, est considéré comme un acteur-clé ayant permis de relancer l’enquête sur la mort du juge Borrel. Cet ancien officier de la garde républicaine de Djibouti avait mis en cause auprès des autorités judiciaires françaises l’actuel président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh, et son entourage, pour leur implication dans la mort du juge. Il avait été arrêté à son arrivée au Yémen le 24 août. Les autorités yéménites avaient mis en avant une demande d’arrestation émise par Interpol à l’initiative des autorités de Djibouti, qui réclament son extradition, selon sa famille. Il a été libéré mardi.
La veuve du juge Borrel, elle-même magistrate en France, en appelle à l’Union européenne pour faire rapatrier en toute sécurité Mohamed Alhoumekani, dans une interview à paraître vendredi dans le quotidien régional Le Progrès. « S’il venait à disparaître, il ne resterait plus de témoin direct », a déclaré au journal Elisabeth Borrel, déplorant que « la protection des témoins n’existe pas en droit français ». « J’ai contacté cet été Daniel Cohn-Bendit, Corinne Lepage, des députés européens, mais ça n’a rien donné. L’année dernière, Christiane Taubira avait promis de me recevoir, elle ne l’a pas fait. Toutes les personnes dont j’ai les coordonnées ont été averties de la situation. Moi aujourd’hui, je suis un pion, une balle de ping pong dans cette affaire. Je ne peux que demander à l’Union européenne de rapatrier Mohamed Alhoumekani en Belgique le plus rapidement possible », a-t-elle ajouté.
Magistrat français détaché à Djibouti, Bernard Borrel avait été retrouvé mort le 19 octobre 1995, son corps en partie carbonisé. Les enquêteurs djiboutiens et français avaient privilégié dans un premier temps la thèse du suicide. Mais en se fondant sur de nouvelles expertises et des témoignages, l’enquête française privilégie désormais celle d’un assassinat. L’affaire Borrel a empoisonné pendant des années les relations entre Paris et son ex-colonie, où la France dispose de l’une de ses plus importantes bases militaires à l’étranger.