5ème Forum Mondial des Droits de l’Homme : Nantes – le 25 mai 2013
Liberté de la presse à Djibouti… Liberté tout simplement :
par AÏNACHÉ
Les défenseurs des Droits de l’Homme le savent bien : une des premières actions pour agir consiste à inventorier sans relâche les manquements aux libertés.
Dans ce domaine, il ne faut pas craindre de se répéter !
Lors d’une conférence en avril dernier à Paris à la Maison d’Afrique, j’avais évoqué le paysage médiatique de Djibouti …
Ancien Directeur-Général de la RTD, (Radio et Télévision de Djibouti), c’était en professionnel mais aussi en citoyen que j’avais décrit la situation des medias dans mon pays.
Permettez que je vous en dresse ici le panorama.
Ce ne sera pas long et pour cause …
Un journal unique,
Une radio et une télévision étatique.
Point final.
A Djibouti, on n’aime pas les journalistes, aucun
n’obtient de visa pour entrer.
Plusieurs journalistes se sont vu refuser leurs demandes de visa, d’autres se sont vu refoulés à l’aéroport.
Ce fut la mésaventure du correspondant de la chaîne Qatari »AL JAZIRA » dans la région qui avait essayé sur plusieurs frontières de rentrer à Djibouti lors des manifestions unitaires de l’opposition de février 2011.
C’est simple, dans nos représentations et notamment à Paris, la première question que les agents d’accueil posent aux demandeurs de visa est celle-ci »êtes-vous journaliste ? ».
Ce qui désarçonne les simples touristes et finalement en décourage certains.
Il y a quand même une exception à ces refus, les journalistes du Magazine Jeune-Afrique.
Ces derniers n’ont pas besoin de faire de démarches pour obtenir des visas. Ils ne risquent aucun refus comme leurs collègues car ils sont régulièrement invités par le pouvoir à chaque fois que celui-ci a besoin de faire passer un message.
Quant à l’opposition, interdiction lui est faite de créer un media indépendant.
Le pouvoir s’est fait violence durant la campagne électorale en couvrant partiellement les réunions de l’opposition. La couverture obligatoire se transformait régulièrement en un sabotage.
En effet, les trois minutes octroyées généreusement à l’opposition, dans »l’Édition
Spéciale élection » se résumait à un plan large de la réunion et quelques phrases hachées des différents orateurs donc forcément dénaturées. Cela frisait le ridicule.
La plupart du temps, pour ne pas dire quotidiennement, le journal télévisé se limite intégralement à l’activité présidentielle. Il n’est pas surprenant pour ceux qui subissent le déroulement du journal télévisé, de voir de longues minutes sans commentaires, comme au temps des films muets…
En effet, les journalistes de différentes rédactions, journal écrit, agence de presse, radio et télévision ne produisent rien sur les informations locales : ils reçoivent du cabinet présidentiel les textes à lire et à imprimer.
Il n’est pas étonnant que les Djiboutiens suivent les radios et télévisions étrangères. Cela agace prodigieusement le pouvoir. Il fait régulièrement des tentatives auprès des médias étrangers et particulièrement des chaînes qui diffusent des informations en langue somalie : BBC de Londres et VOA de Washington. Il se murmure que les journalistes de ces différentes radios seraient approchés régulièrement par des émissaires gouvernementaux afin de monnayer un contenu bienveillant pour le pouvoir en place…
Quant à RFI, (Radio France International) … Le pouvoir ne s’est pas gêné pour fermer purement et simplement son relais pour la région de la corne d’Afrique.
Jusqu’à présent, le gouvernement ne montre pas la moindre ouverture dans le domaine des médias, bien au contraire, il refuse toute demande de création d’un journal ou d’une radio indépendants.
Il n’est donc pas étonnant que notre pays se loge au 167ème rang du classement mondial de « Reporters Sans Frontière ».
Pourtant le gouvernement de Djibouti a légiféré dans ce domaine en créant il y a 20 ans une Commission Nationale de la Communication.
Je vous lis le texte de la Constitution à ce sujet :
» La Commission Nationale de la Communication est une autorité indépendante prévue par la loi n°2/AN/92 2ème L du 15 septembre 1992 relative à la liberté de la communication.
La liberté de communication est garantie par la Constitution et, est définie par l’article 3 de la loi susvisée: « La liberté de communication est le droit, pour chacun de créer et d’utiliser librement le média de son choix pour exprimer sa pensée en la communiquant à autrui, ou pour accéder à l’expression de la pensée d’autrui.
Le citoyen a le droit à une information complète et objective, et le droit de participer à l’information par l’exercice des libertés fondamentales de pensée, d’opinion et d’expressions proclamées par la Constitution.
La Commission Nationale de la Communication est chargée de veiller au respect du pluralisme de l’information ».
Impressionnant, n’est-ce pas ?
Cette commission n’a jamais été constituée.
Dans ces domaines concernant les Libertés, le gouvernement rédige des lois qui ne seront jamais appliquées. Autant de belles paroles, de beaux textes inspirés … pour maquiller les offenses quotidiennes à la démocratie.
Comme nous sommes nombreux à le constater, la situation empire depuis l’élection détournée du 22 février dernier.
Au-delà des atteintes à la Liberté de la presse, ce sont les Droits de l’Homme qui sont gravement bafoués.
Sur place, il est difficile et dangereux pour les Djiboutiens de lutter directement. Les mesures d’intimidations sont fréquentes et les portes de la prison de Gabode s’ouvrent facilement pour ces hommes qui se lèvent pour s’opposer, protesté …
Voire seulement pour s’exprimer.
Voire seulement pour démontrer leur amitié et apporter leur soutien …
Oui, il existe un délit d’amitié à Djibouti …
Les détentions arbitraires sont monnaie courante et comme le dénonce l’ODDH dans son communiqué de presse du 19 mai dernier, certains prisonniers ont été « soumis à un traitement inhumain et dégradant dans des conditions extrêmes. »
Un certain nombre de personnes ont été refoulées à l’aéroport de Djibouti. Il leur a été interdit de quitter le pays. Une liste d’une centaine de personnes ainsi privées de sortie de territoire aurait été établie par le pouvoir.
Voilà l’état des lieux.
La situation se détériore, il convient de nous mobiliser davantage et nous en sommes conscients. Conscients et déterminés.
Quelles sont nos forces et quels sont nos outils pour combattre cette situation sur place et à l’extérieur de Djibouti ?
Sur place, rendons hommage à l’ODDH, l’Organisation Djiboutienne des Droits de l’Homme qui œuvre depuis de nombreuses années. (1999)
A Jean-Paul Abdi Noël en particulier, hélas décédé, et aujourd’hui à son successeur,
Farah Abdillahi Miguil.
Depuis déjà quelques années, des sites internet favorisent l’échange et la circulation de l’information. Le développement des réseaux sociaux comme twister et Facebook facilite cette démarche. Malheureusement, l’accès à Internet n’est pas encore à la portée de tous les Djiboutiens soit par éloignement géographique, soit pour des raisons culturelles et économiques. Sans compter que la censure intervient également à ce niveau en privant sporadiquement Djibouti de connexions.
Nous constatons que, malgré la censure, malgré l’information manipulée, malgré les arrestations, les Djiboutiens expriment leur frustration et n’ont plus peur de réclamer le changement.
A Djibouti, le vendredi* est devenu un jour dédié à la revendication. Les hommes et des femmes se retrouvent à la mosquée que personne ne peut encore leur interdire.
Ce phénomène inquiète à tel point le pouvoir en place que la présidence a convoqué les imams pour une réunion au cours de laquelle le contenu de leur prêche leur est suggéré…
Il nous appartient d’envoyer à ces hommes et à ces femmes des manifestations de soutien,
La diaspora d’Europe et d’Amérique du Nord, elle, se rassemble et s’organise, comme aujourd’hui à Nantes.
Nous allons constituer des groupes de travail thématiques, multiplier les réunions matérielles et immatérielles, participer à des Forums, tel que celui-ci pour contribuer à porter haut et fort la parole bâillonnée de nos concitoyens.
AÏNACHÉ
*MALINTA JIMCAYY JAABUUTI LAJIRAAY
GUUMEESIGA JIIFFIYAA JILCIYAY
SIIDAD OOLAH JIDHAAY KII TAGUE
KANJOGANAAH JAANTA UUKO LAAB*
Traduction rapide et raccourcie :
(Oh toi vendredi qui a toujours favorisé Djibouti –
Toi qui a terrassé le colonialisme et l’a affaibli–
Comme tu as renversé celui qui est parti –
Fait du même pour celui là aussi…..i)’’