Djibouti gagné par les printemps arabes ?
Source : TV5 MONDE, 4 mars 2013
Selon la Fédération internationales des droits de l’homme et la Ligue djiboutienne de défense des droits humains, des coups de feu ont été tirés sur les manifestants. S’appuyant sur des témoignages, les deux organisations indiquentdans un communiqué que « le bilan provisoire serait déjà d’une dizaine de morts, d’une quinzaine de blessés, dont certains très graves et des centaines arrestations ».
De son côté, la djiboutienne Aicha Dabale, réfugiée politique en France et membre de l’Observatoire pour le respect des droits humains à Djibouti, dénombre « plus de 400 personnes arrêtées dont certains, au moins quatre, ont été torturés sauvagement » et fait état de « quatre morts » tout en précisant que « les gens ont peur et enterrent leurs défunts sans rien dire à personne ».
Pas facile dans ce contexte d’évaluer avec précision la situation. « Personnellement, je reste très prudent, indique Francis Soler, rédacteur en chef de la lettre de l’Océan indien. Il y a une tendance de l’opposition à exagérer l’ampleur de la répression gouvernementale et une tendance gouvernementale à nier l’existence même de cette répression. Il n’existe quasiment pas de sources d’informations indépendantes et c’est donc difficile à ce jour de définir l’ampleur que prend la répression qui est en soi indéniable. »
Au-delà des simples militants des organisations politiques, le mouvement tend à s’élargir et à toucher les jeunes, « autant les jeunes désoeuvrés que les jeunes universitaires », précise le spécialiste Francis Soler. Il est aussi sur le point de se radicaliser. « Au départ, c’était la dénonciation des fraudes électorales. Maintenant, le peuple réclame la libération de tous les prisonniers politiques et le départ du président Guelleh. Ca évolue très vite », analyse l’opposant franco-djiboutien, Alexis Mohamed du Mouvement des Républicains Solidaires.
Aicha Dabale, elle, veut y croire : « Les gens semblent déterminés. Ils en ont ras-le-bol de la dictature et de la corruption. Les journalistes, les syndicalistes, les opposants politiques, les défenseurs des droits humains sont envoyés en prison. On ne peut plus rien faire à Djibouti. Le président et son clan ont la mainmise totale sur l’économie. Les rentes énormes que versent la France, les Etats-Unis et le Japon pour gérer leurs bases militaires implantés sur le sol djiboutien ne sont absolument pas redistribués. Cela va directement sur les comptes à l’étranger du président ! Il y a aussi le port et l’aéroport. Rien ne revient aux habitants. Alors qu’une petite élite n’arrête pas de s’enrichir, la population est plongée dans la misère. Les gens ne mangent pas à leur faim, surtout dans le nord où le bétail est décimé en raison de la sécheresse. C’est un vrai calvaire. »
Alexi Mohammed nourrit le même espoir : « Jamais le peuple de Djibouti n’a été aussi uni. Cette dynamique-là, il faut la préserver quand le régime de son côté cherche à la casser en jouant sur les divergences communautaires et en faisant des descendantes quotidiennes pour arrêter des dirigeants politiques ou de simples citoyens. »
De son côté, Francis Soler note une nouveauté non négligeable qui pourrait faire basculer le jeu politique en faveur de l’opposition unifiée : la création du Mouvement pour le développement et la liberté (Model).« Ce parti regroupe notamment une partie des ulémas qui sont en rupture avec le régime et le critique ouvertement depuis un certain temps en dénonçant la concentration des pouvoir, les abus et la corruption. Aujourd’hui, certains d’entre eux, que le pouvoir fait passer pour des islamistes intégristes, eux ont été arrêtés. Ce qui a été mal perçu par la population et a rajouté de la colère à la colère. »
Plus optimiste, Alexis Mohamed croit en l’appui de la Maison blanche : « Les Américains préfèrent investir dans un pays pacifié et stable, a contrario de la France qui elle se désengage de Djibouti d’où ses positions contredisent ses engagements parfois militaires, pour la démocratie et les libertés des peuples. » Francis Soler le reconnaît, « les Etats-Unis avaient tout fait en 2011 pour que l’élection présidentielle soit ouverte en appuyant des candidatures via une ONG mais cette histoire s’est terminée en queue de poisson. L’ONG a dû plier bagage avant même le scrutin.»