Djibouti : Arrestations massives d’opposants au lendemain des élections
Mise à jour le 25 février 2013
La FIDH et son organisation membre, la Ligue djiboutienne des droits Humains (LDDH), s’inquiètent des arrestations massives de membres de l’opposition, à Djibouti deux jours après des élections législatives marquées par de très nombreuses irrégularités entachant leur crédibilité. Alors que doit se tenir dans l’après-midi un meeting d’information de l’opposition, la FIDH et la LDDH interpellent les autorités djiboutiennes pour qu’il ne soit pas fait un usage disproportionné de la force publique, qu’elles stoppent immédiatement la vague d’arrestation en cours et libèrent les personnes arrêtées.
Depuis hier les autorités djiboutiennes mènent une vague d’arrestation sans précédent à Djibouti, la quasi-totalité des leaders de l’opposition ayant été arrêtés ou placés en résidence surveillées. Ainsi, M. Ahmed Youssouf, président de l’Alliance républicaine pour le développement (ARD) et M. Ahmed Dini, président du Parti populaire djiboutien (PPD), ont été arrêtés ce matin vers 10h30. M. Ahmed Youssouf Houmed, président de l’Union pour le salut national (USN) et Ismaël Guedi Hared, tête de liste de l’USN pour la circonscription de Djibouti-ville, ont été arrêté et conduits au Commissariat de police de la capitale sous la responsabilité du colonel Omar Hassan, chef de la sécurité publique. Ils viennent d’être libérés. Pour sa part, M. Sougueh Ahmed Robleh, le président du Mouvement pour le développement et la liberté (MoDel), formation membre de l’USN, est détenu au commissariat de police de la cité Hodane dans la quartier périphérique de Balbala avec trente partisans de l’USN. M. Daher Ahmed Farah dit « DAF », président du Mouvement pour le Renouveau démocratique et le Développement (MRD) et porte-parole des partis d’opposition a, quant à lui, été placé ce matin sous résidence surveillée. La veille, M. Abdourahman Mohamed Guelle, le Maire de Djibouti et deux de ses adjoints, MM. Ali Mohamed Dato et Aden Dalieh Dirieh ont eux aussi été arrêtés, conduits au commissariat central de police de la capitale puis libérés après avoir été interrogés par le chef de la police, le colonel Abdillah Abdi Farah, sur le meeting d’information de l’USN prévu pour le lendemain.
En outre, 120 partisans de l’opposition ont été arrêtés dans la nuit du 24 au 25 février et sont détenus au centre de retenue administrative de Nagad. 7 militants de l’opposition arrêtés la même nuit au quartier 7 bis et au Vieux Balbala (Balbala Caadi) demeurent toujours non-localisables. En effet, plusieurs témoins ont affirmé que dans la nuit du 24 au 25 février, l’armée, notamment la Garde républicaine, la police et la gendarmerie, s’étaient largement déployés dans la capitale et avaient bloqué tous les accès de plusieurs quartiers populaires de la capitale dont le quartier de Balbala et que la police et la gendarmerie avaient procédé à de nombreuses arrestations.
En dépit de cette vague d’arrestations, des milliers de militants de l’opposition doivent se retrouver cet après-midi à 15 heures aux alentours de l’Avenue Nasser, prêts à prendre part à un meeting d’information qui a été interdit par le Ministre de l’intérieur.
« Ces arrestations jettent le discrédit sur la légalité du scrutin législatif et sur la volonté des autorités de permettre un réel pluralisme politique. Il est impératif que les arrestations, les actes de représailles et d’intimidations cessent, et que soit garantie la liberté de manifestation à Djibouti » a déclaré Paul Nsapu, Secrétaire-général de la FIDH.
Les élections législatives se sont tenus le 22 février 2013 dans un climat tendu et, selon les résultats donnés par le ministre de l’Intérieur Hassan Darar Houffaneh, ont été remportées par l’Union pour la majorité présidentielle (UMP), la coalition des partis au pouvoir, qui empocherait 80% des 65 sièges de députés selon la nouvelle loi électorale. Pour la seule ville de Djibouti où vivent les trois quarts des habitants du pays, « l’UMP a eu 49,39% des voix contre 47,61% pour l’opposition », a-t-il déclaré à la presse.
Des observateurs ont toutefois relevé de nombreuses irrégularités au cours des opérations électorales qui semble avoir été marquées par de nombreuses fraudes, en particulier dans les villes Obock, Tadjourah et Dikhil : manque de cartes électorales, expulsion des représentants de l’opposition des bureaux de vote, présence de la Garde républicaine à l’entrée de bureaux de vote, filtrage des entrées par des militants du parti au pouvoir, « bourrage » d’urne à l’issue du scrutin, etc.
La FIDH et la LDDH appellent la communauté internationale, et en particulier l’Union africaine (UA), la Ligue des États arabes (LEA), l’Organisation de la conférence islamique (OCI), et l’Autorité intergouvenementale pour le développement (IGAD) dont des observateurs électoraux ont été dépêchés dans le pays ; la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples ; les Nations Unies et l’Union européenne à :
- dénoncer les pratiques contraires aux droits humains du pouvoir djiboutien particulièrement dans le contexte post-électoral actuel ;
- se prononcer sur les conditions d’exercice du vote et la validité du scrutin ;
- rappeler les autorités djiboutiennes à se conformer à leurs engagements régionaux et internationaux.
Contexte
Pour la première fois depuis près de dix ans, les partis politiques de l’opposition djiboutienne avaient décidé de prendre part aux élections législatives. Réunis depuis un mois au sein de l’Union pour le salut national (USN), plusieurs de leurs représentants ont, depuis lors, eu à faire face à des arrestations et détentions arbitraires, actes de harcèlement et autres formes d’intimidation. Depuis son retour d’exil le 13 janvier 2013, Daher Amhed Farah, président du Mouvement pour le Renouveau démocratique et le Développement (MRD), et porte parole de l’USN a été arrêté à quatre reprises.
Depuis plus de dix ans, les opposants, les syndicalistes, les défenseurs des droits humains et les citoyens subissent une répression continue à Djibouti, qui s’intensifie à l’approche de chaque élection. Lors de la présidentielle d’avril 2011, le bilan de cette répression a été le plus lourd de toute l’histoire du pays : plusieurs dizaines de jeunes manifestants tués, des centaines d’autres arrêtés et détenus durant des mois.