Dix mois après son coup d’Etat électoral d’avril 2016, l’assassin présumé du juge Borrel est reçu à l’Elysée par François Hollande, le président « normal avec les dictateurs ». La diaspora djiboutienne se battant pour la démocratie à Djibouti condamne cette réception d’Ismaël Omar Guelleh à l’Elysée. La coalition d’opposition Union pour le salut national a appelé à deux manifestations, le samedi 25 février place Trocadéro, puis le mardi 28 février Place Madeleine.
L’Elysée n’a pas communiqué avant le 28 février sur les raisons de son choix de recevoir un chef d’Etat criminel et isolé, au risque de salir son image déjà bien écornée en Afrique. Les journaliste de RFI ou Monde ont été obligés de faire des hypothèses sur la politique militaire ou laréaction à l’influence chinoise à Djibouti.
Finalement, le 28 février, la présidence française a sorti un communiqué sans référence à l’Etat de droit, axé uniquement sur les aspects militaires et économiques, avec une référence imaginaire ou ironique à la démocratie au travers de la francophonie, qui pourra être aussi comprise comme une insulte méprisante à l’égard des démocrates. Le message affiché est celui d’un soutien « normal » à un dictateur alors que celui-ci a maintenant augmenté le niveau de dictature à un niveau très élevé, réprimant maintenant fortement toutes les activités politiques d’opposition.
Les partis sont systématiquement clonés, et les politiciens des vrais partis empêchés d’agir. Ismaël Omar Guelleh est à nouveau décomplexé. Débarrassé d’une surveillance internationale qui s’était installée avant la présidentielle, il peut facilement désorganiser les opposants. A l’ombre des bases militaires, il pourrait même bientôt se payer le luxe de développer un peu le pays – ce qui n’est pas si fréquent dans les pays où les richesses sont détournées par un clan – en faisant comprendre au peuple qu’il ne sert à rien de perdre son temps avec de la politique !
Ce que l’on observe, principalement, c’est que durant tout le quinquennat, François Hollande et son gouvernement auront été incapable de sortir d’une soumission à l’influence militaire dans plusieurs pays d’Afrique, Djibouti en particulier. Dans ce pays, le soutien constaté en 2014 des diplomates occidentaux à la démocratisation s’est effacé en 2015 quand le dictateur a fait progressivement valoir ses arguments, militaires et économiques. François Hollande est dans la continuité de la reculade de début 2016.
En 2012, au moment où les Verts sont entrés au gouvernement et ont accepté le Ministère du développement pour une personnalité de type ‘économiste’ et très peu ‘politique’, il était alors question du protocole d’accueil des dictateurs africains, avec ou sans tapis rouge. Ce n’était sans doute pas la bonne question. Les échanges diplomatiques ne s’arrêtent jamais. Un rejet trop marqué des dictateurs par les anti-néocolonialistes alors que ces chefs d’Etat interviennent dans le domaine militaire, a peut-être facilité indirectement le jeu des conseillers militaires français, qui ont trouvé chez des dirigeants socialistes peu compétents et sans programme une écoute attentive, parce que ceux-ci se sentaient dans une obligation de mettre en œuvre une politique réaliste et compatible avec les contraintes sécuritaires. Il y a eu un coup de balancier quand la bonne volonté de départ pour la démocratie a disparu fin 2012 et au premier semestre 2013. Les conseillers militaires étaient alors devenus très présents et les démocrates africains n’ont presque plus été écoutés jusqu’à mi-2014.
Que se serait-il passé si les opposants démocrates avaient développé leurs positions dans une «approche globale» sur le modèle européen ? Est-ce qu’il aurait été possible d’empêcher les militaires français et le gouvernement d’oublier la nécessité de maintenir des exigences fortes sur la démocratisation de l’Afrique, en dehors de la gestion des crises militaires, au Mali et en Centrafrique? La question se repose en 2017. Si un nouveau président très incompétent sur l’Afrique accède à la présidence française, est-ce que la politique française en Afrique peut se rééquilibrer ou pas ? Ce nouveau président va-t-il par défaut se laisser guider par des stratèges du Ministère de la défense sous prétexte de lutte anti-terroriste ?
Les démocrates djiboutiens confrontés à la violence de la répression des dictatures attendent eux et elles de la politique française qu’elle affiche un soutien réel et ferme à la démocratie. Sur RFI, Maki Houmed Gaba, le représentant en France de l’USN, a indiqué:«Nous lui disons : vous allez recevoir Ismaïl Omar Guelleh, ce qui est une mauvaise opération puisque Omar Guelleh a une politique antidémocratique dans son pays. Aucune opposition à Djibouti ne peut fonctionner. La société civile, les opposants… à Djibouti, pratiquement tout le monde est sous surveillance. Djibouti est un pays complètement fermé à la liberté, à la démocratie, aux élections… Ce que nous disons à Monsieur François Hollande c’est que Djibouti, représente, évidemment, un intérêt majeur et stratégique pour la France, avec le passage maritime et… la piraterie [qui] est surveillée. Nous comprenons donc que François Hollande ait besoin que la France – partenaire historique de Djibouti – soit toujours présente et il est normal que la France soit présente. Néanmoins, la France a tout à fait la possibilité de conseiller son partenaire djiboutien pour qu’il ne favorise pas uniquement son clan et qu’il n’interdise pas la démocratie à Djibouti».
Pour ce faire, il serait utile que la diplomatie française accepte de mettre en œuvre réellement une «approche globale», qui respecte l’équilibre entre les domaines, Démocratie et Etat de droit, Paix et sécurité, Economie et développement. En ce qui concerne la démocratie, la priorité serait évidemment à mettre sur la qualité des processus électoraux. Ismaël Omar Guelleh n’a jamais été élu selon une élection démocratique, et à Djibouti, même l’Assemblée nationale n’est pas élue puisque le résultat a été totalement inversé aux législatives en 2013. Des élections municipales viennent d’avoir lieu qui n’ont aucun écho puisque elles n’ont aucun rapport avec la démocratie.
Faut-il encore s’appesantir sur François Hollande ? La question est maintenant de savoir quelle politique mènera son successeur. Le point de l’influence anormale et excessive de l’armée française est en suspens, parce que le soutien à la démocratie en Afrique n’est toujours pas mis en avant par des propositions concrètes incontestables, en particulier dans le domaine électoral. Dans ces conditions, après l’élection de 2017 en France, les décisions seront sans doute de plus en plus prises à Bruxelles, et, dans le domaine de la politique étrangère, les transferts de pouvoir continueront de se faire par défaut, faute de politique française adaptée à l’évolution de l’Afrique.
Régis Marzin
Source: regismarzin.blogspot.fr