Réalité numéro 128 du mercredi 2 mars 2005 |
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Sommaire Editorial Brèves nationales L’ARD en tournée dans le sud-ouest De la réforme du système éducatif Courrier des lecteurs |
Directeur de Publication : ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 128 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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Éditorial
DÉSORDRE DANS LES TÊTES,
ORDRE DANS LES RUES
C’est bien connu, l’humour reste la politesse du désespoir : tourner une injustice en ridicule est le moyen le plus immédiatement accessible de la combattre. Connaissant la nature du régime, les Djiboutiens pressentaient que l’Accord de paix du 12 mai 2001 ne trouverait aucune application. Édifiés par le pathétique bouffon du Conseil constitutionnel lors des législatives du 10 janvier 2003, ils y ont répondu par une boutade : « pour faire croire qu’il a appliqué le point de l’Accord de paix du 12 mai 2001 relatif au Conseil constitutionnel, le régime aurait au moins pu envoyer son président pour un petit stage de formation juridique.» Car, tout le monde sait ici que l’actuel président du Conseil constitutionnel n’a jamais suivi le plus élémentaire cours de droit, certaines vérités méritant d’être crûment énoncées, même si sa seule ignorance en la matière n’avait pas motivé cette réforme démocratique.
« Administratif » : c’est ainsi que ledit président du Conseil constitutionnel s’est permis de qualifier tout le contentieux qui oppose l’UAD au régime. Seule l’incompétente prétentieuse au service d’une usurpation partisane l’autorise à pérorer sur un domaine qui ne relève pas de ses prérogatives. Au demeurant, ce personnage du régime est une incarnation vivante de l’illégalité que nous dénonçons : si un minimum de légalité existait, il ne serait pas à sa place aujourd’hui. Car, la démocratie au respect de laquelle nous invite monsieur le président du Conseil est démentie par sa seule apparition télévisée, parce qu’il n’avait même pas le droit d’être là où il est exhibé. Et, pour donner la plus complète information possible à nos concitoyens voulant mieux comprendre, pourquoi la RTD ne permet-elle pas à l’opposition d’argumenter sa position sur ses ondes, au lieu d’un «Gros Plan» sur un sujet secondaire ? C’est cette circularité spécieuse, par laquelle chaque pantin du régime tente de légitimer l’ensemble de la comédie, que l’UAD a décidé de tout simplement ignorer : le seul verdict qui aura le dernier mot sera celui d’une volonté populaire librement exprimée ailleurs que dans des urnes truquées !
Il y a comme un paradoxe à Djibouti, si l’on suit tel philosophe qui postule que l’ordre règne dans nos rues parce qu’il règne dans nos têtes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que dans la tête de nos compatriotes, est loin de régner un quelconque ordre. Ce serait plutôt le contraire. Soumis à de multiples formes de socialisation politique (tribu, région et classe), le Djiboutien ne connaît aucune paix dans son esprit, parce que la raison de ses conditions quotidiennes d’existence lui commande de radicalement rejeter l’ordre en place. Dans leur grande majorité, les Djiboutiens ont parfaitement conscience que la survie du pays passe par la fin du système actuel : les choses ne peuvent plus continuer comme avant. Et la prochaine échéance électorale est le moment ou jamais pour donner une ultime chance à notre avenir, qui réside dans le respect de notre diversité. Tous les Djiboutiens ont conscience que la politique d’une fausse représentation tribale, telle qu’elle a cours pour le moment, ne garantira pas la coexistence harmonieuse entre les diverses composantes de la communauté nationale, pas plus que le développement équilibré des différentes régions de notre territoire national. Comme cela l’a été rappelé au chef de l’État à Ali-Sabieh, aucune tribu ni aucun district ne pourront jamais se développer au détriment des autres. Tout comme les salariés du privé ou du public ne se sentiront jamais en sécurité, pour leur salaire comme pour leur retraite, tant que des syndicalistes authentiques seront réprimés. Seuls les nantis de l’inégalité ont intérêt à ce que ce régime perdure.
Donc, l’ordre est loin de régner dans la tête de nos concitoyens : tout les inclinerait plutôt à se révolter radicalement contre le système en place. Pourquoi un ordre inexistant dans les têtes régnerait-il alors dans nos rues ? Certainement une question de circonstance : les gens ne se révoltent que lorsqu’ils estiment la situation en leur faveur. L’opposition a conscience de cette réalité: le Peuple ne peut être mobilisé que si et seulement si une réelle perspective de changement lui est proposée.
Ce qui est le cas aujourd’hui, car il n’est nullement question pour nous de tergiverser avec le despotisme en place, tout simplement parce que ce n’est pas l’amélioration de nos situations personnelles qui est en jeu. Au risque d’y perdre ce que nous avons de plus cher, jamais nous n’accepterons de sacrifier une cause pour laquelle tant de sacrifices ont été consentis : pour un démocrate sincère, l’avenir des ses concitoyens n’est pas négociable. Le civil innocent, le rebelle armé et le soldat surarmé ne doivent pas être morts pour que survive ce régime par notre seule inaction.
C’est pour cela que nous irons jusqu’au bout de nos convictions, quoi qu’il nous en coûte. Et nous sommes persuadés que la majorité de nos concitoyens désireux de mettre leur esprit en conformité avec les souffrances quotidiennement endurées nous accompagnera en ce moment décisif. Il est temps de libérer l’esprit torturé, en combattant le tortionnaire. Tant que l’individu vivra mal dans sa peau, toute la société est condamnée.
Brèves nationales
« Kaadi badane, waa loo gogol badiya » :
Candidature bidon !
L’annonce par « La Nation » du lundi 28 février 2005 de la candidature du président du PDD (Parti Djiboutien pour le Développement) à la présidentielle d’avril prochain, constitue pour nous un non-événement. Elle suscite plutôt chez nos concitoyens dérision et suspicion, ne serait-ce qu’au regard du tapage médiatique dont le régime la comble. Dans sa version officielle en langue arabe, « Al Qarn » en dresse un portrait subitement élogieux.
Passons sur la justification par M. Mohamed Daoud de sa candidature, affirmant qu’il s’agirait pour lui de « montrer sa bonne volonté à l’opinion internationale. » Libre à lui d’attendre Godot, c’est le peuple djiboutien qu’il faut avant tout convaincre de la justesse de sa position.
Parce qu’il a participé aux législatives du 10 janvier 2003 aux côtés de l’UAD, il vu son salaire abusivement suspendu. Son recours auprès de tribunal administratif n’a pas eu de suite.
Il a cosigné en mai 2004, avec l’ensemble de l’UAD, un texte posant les conditions de la participation de l’opposition aux prochaines échéances électorales. Il a été exclu de l’UAD pour avoir abdiqué ses droits et conditions car, depuis ce courrier officiel, rien de nouveau n’est venu rassurer l’UAD quant à la transparence électorale. C’est pour fuir les innombrables injustices que nos compatriotes ont massivement émigré cette dernière décennie en Europe, aux USA et au Canada.
Cette diaspora auprès de laquelle il mènerait campagne en ce moment, soutient massivement le boycott actif prôné par l’UAD et nous l’a fait savoir. Rappelons enfin que sa candidature est loin de faire l’unanimité au sein de son propre parti, qui la condamne majoritairement. Ses membres n’ont pas jugé utile de répondre à une énième manipulation qui ne profite qu’au régime : ils s’exprimeront en temps utile et en toute indépendance, sans publicité de la RTD.
Cette candidature sans crédibilité n’apportera donc pas au pouvoir l’onction démocratique qu’il cherche désespérément.
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Autisme politique et élections :
Transparence zéro !
Un récent éditorial de « Réalité » avait établi un diagnostic du mal dont souffre ce régime : l’autisme politique. Voilà que le ministre de l’Intérieur vient confirmer, dans une tonitruante déclaration radiotélévisée, la pertinence de nos analyses, en lançant un pathétique appel à l’Opposition.
Ainsi, c’est effarés que les djiboutiens qui ont massivement approuvé la position de l’UAD relative au boycott actif de l’élection présidentielle ont suivi les propos décalés de la réalité d’un ministre apparemment sommé de monter au créneau. Sans rire, rappelons ce qu’a dit en substance le Ministre peu inspiré du candidat fatigué :
« je lance solennellement un appel à l’Opposition afin qu’elle reconsidère sa position et accepte de participer aux élections car le temps presse : la CENI doit être mise en place le dimanche 20 février, l’opposition doit donc désigner au plus vite ses représentants ».
Cette invitation fait froid dans le dos pour qui se rappelle que ce Ministre a été le premier à recevoir la réponse négative de l’UAD, quant à sa participation à cette prétendue CENI. Les Djiboutiens se souviennent également que l’opposition a clarifié sa position sur la présidentielle au cours d’un mémorable meeting tenu à l’avenue Nasser, le 13 février dernier.
Confortée par le soutien massif de nos concitoyens au boycott actif, l’UAD a publié quelques jours plus tard un communiqué de presse, on ne peut plus clair, expliquant sa nouvelle démarche politique.
Mais que vient donc chercher un Ministre ne craignant pas le ridicule au point d’affirmer : « je vous promets la transparence comme en Janvier 2003, le Président en personne, m’a ordonné d’organiser les élections de la manière la plus transparence qui soit, alors faites preuve de civisme et de patriotisme et participez à la prochaine consultation électorale… » ?
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De qui croit-il se moquer ?
Notre position au sujet des élections truquées d’avance est irréversible tant que le régime persistera à ignorer nos conditions pour la mise en place d’une réelle transparence.
Enfin, symptôme visible de l’autisme de ce régime, un ministre de l’Intérieur scandant : VIVE L’UAD ! alors que le médiocre pamphlet de son parti, le mal-nommé « le Progrès » clame sans cesse que «l’Opposition djiboutienne n’est pas crédible car anti-nationale ».
C’est pourquoi l’UAD a décidé de lancer un combat sans merci contre l’autisme politique. Le mensonge et l’imposture connaîtront bientôt le cinglant désaveu populaire qu’ils méritent.
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District de Tadjourah :
Armée de développement ou de ratissage ?
Lundi dernier, les généraux des Forces Armées Djiboutiennes (FAD) et les autorités civiles et militaires du district de Tadjourah, ont assisté à une cérémonie d’ouverture de trois pistes récemment réhabilitées par les soldats du groupement interarmes de Tadjourah. Selon les médias gouvernementaux, une centaine de militaires aurait travaillé d’arrache-pied durant plus de deux mois, pour construire trois pistes donnant toutes accès au plateau de Dalha à partir de Guirori et d’Assa-Gayla.
La nouvelle armée de développement du candidat solitaire aurait par la même occasion fourni diverses assistances humanitaires aux populations enclavées de cette région montagneuse. Malheureusement, la situation sur le terrain est loin d’être aussi rose. Il s’agit ni plus ni moins d’une opération de militarisation d’une zone connue pour avoir abrité dans le passé des éléments rebelles. Ainsi, selon nos informations, le régime chercherait, en violation de l’accord de paix du 12 mai 2001, à installer de nouveaux casernements de l’armée sur le plateau de Dalha et à Médého. Ce nouveau quadrillage militaire n’est pas pour rassurer les populations qui redoutent des ratissages de sinistre mémoire. Il y a quelques jours de cela, une jeune fille aurait été sauvagement violée dans la région du lac Assal par plusieurs soldats de cette armée de sous-développement.
La paix reste donc plus que jamais menacée par ces nouveaux déploiements des forces armées dans une zone qui a particulièrement souffert du conflit civil de dix ans.
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Commerce régional :
Obock sous blocus ?
Lors du dernier passage du candidat solitaire à Obock, une habitante de cette ville s’était adressé au chef de l’État en ces termes : « nous vivons d’un petit commerce maritime avec le Yémen dont nous importons du carburant que nous revendons ici. Malheureusement, l’État taxe trop lourdement ces produits. » Bon prince, le candidat unique avait alors annoncé que ces taxes seraient illico supprimées, mais à condition que le produit importé ne soit revendu qu’à Obock et nulle part ailleurs.
Quelques jours plus tard, après cette énième promesse présidentielle, les trois agents des Contributions affectés à cette tâche à Obock ont été purement et simplement suspendus et le montant des taxes revu à la hausse. Conséquence : les Obockois vivant de ce commerce régional sont pris à la gorge et la mesure gouvernementale s’apparente à un blocus économique du district le plus pauvre et le plus enclavé de notre pays. Bravo le candidat solitaire ! Les Obockois ont parfaitement compris l’avenir économique que leur prépare celui qui a décrété que les deux districts du Nord devraient vivre de la mer.
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La forêt du Day en péril :
A cause du docteur honoris causa
Fatma Samora, Représentante du Programme Alimentaire Mondial (PAM) à Djibouti, a récemment écrit un long article par dans « La Nation » consacré à la forêt du Day, qui force notre admiration. Dans son édition de mercredi dernier, notre confrère en a reproduit de larges extraits. « Réalité » qui l’a lu avec intérêt tient sincèrement à la féliciter et la remercier. Félicitations pour son érudition, la sincérité d’un témoignage poignant où transparaissait la douleur de voir se mourir un patrimoine qu’elle considère comme mondial, la qualité du texte, concis à la différence de beaucoup de textes savants et redondants écrits sur le sujet. Remerciements pour sa démarche : nombre de montagnards de la région nous ayant demandé de lui faire part de leur gratitude.
Si l’on ne devait retenir qu’une seule phrase de son plaidoyer, c’est son espoir de sauver la forêt, résumé en une ligne : « le prix à payer pour la sauvegarde du Day n’égalerait en rien les sommes colossales investies en Égypte pour sauver le temple d’Abou Simbel… on pourrait mettre un terme à l’agonie du Day avec des moyens infiniment réduits. » Déplorant que la superficie de la forêt du Day, qui renferme 60% de la biodiversité du pays, soit passée de 3000 hectares à l’indépendance à 900 aujourd’hui, elle conclue qu’ « il faut sauver cette forêt qui est d’un intérêt primordial pour l’environnement mondial. »
Sa position rejoint ainsi le point de vue de « Réalité » qui, à plusieurs reprises, s’est prononcé pour, sinon son classement au patrimoine mondial de l’UNESCO, du moins sa sauvegarde d’urgence par un don multi ou bilatéral. Mais cette démarche doit être gouvernementale et ce gouvernement crédible et soucieux de l’intérêt général. Force est de constater qu’il ne l’est pas. Gouverner, c’est prévoir, dit-on, or il n’entreprend rien pour enrayer la mort prévisible de cette forêt.
Pire, les préoccupations du gouvernement sont ailleurs et se situent au niveau des mandibules. Son chef, le docteur honoris causa en agriculture y acclimate le khat aux frais du contribuable et en bordure de la forêt. Sur les 4 hectares cultivés dans le ranch présidentiel, une part est occupée par cette plante venue des hauts plateaux éthiopiens.
Si le gouvernement et son chef comprenaient le langage de cette forêt et celui de ses riverains, ils ne lui auraient pas imposé un si mauvais voisinage, mais on ne peut pas comprendre quand on est malvoyant et malentendant.
Heureusement, le bon sens est la chose la mieux partagée au monde : c’est une femme originaire d’Afrique de l’Ouest qui milite pour la sauvegarde d’une forêt primaire d’Afrique de l’Est.
Merci Madame, le Day s’en souviendra toujours ! A notre humble avis, le premier pas pour la sauvegarde de ce patrimoine national inestimable.
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Lutte contre l’insalubrité :
Les pauvres réprimés !
Comme la plupart des décisions prises par la district de Djibouti, la dernière en date concernant le commerce informel, signée par le directeur des services techniques, est une décision irréfléchie. « Réalité » ne désapprouve pas l’intention commandée par le bon sens de réglementer le commerce informel et lutter contre l’occupation sauvage des espaces publics, qui font de notre Capitale une ville sale et aux allures anarchiques.
Mais nous condamnons les méthodes répressives et brutales employées contre ces malheureux commerçants (dont la plupart sont des femmes) et le fait qu’aucune mesure d’accompagnement ne leur ait été proposée. Il aurait fallu au préalable tenir des réunions de concertation avec ces commerçants, en aménageant à leur intention là où c’est possible quelques locaux dans chaque quartier et surtout accorder un délai d’un à deux mois pour leur permettre une réinstallation conforme à la réglementation.
La lutte contre l’insalubrité ne doit pas se faire de façon aussi brutale et répressive (plusieurs dizaines de commerçants sont jetés en prison et leur matériel détruit), mais maintenant que les trottoirs sont dégagés, il faut d’urgence installer des bennes à ordures (la centaine offerte par la Chine est inexplicablement louée à des forces étrangères stationnées sur notre sol) pour transformer notre Capitale qui reste un dépotoir à ciel ouvert.
L’ARD en tournée dans le Sud-Ouest
Le flambeau ARDent se multiplie
Joignant le geste à la parole, l’ARD a commencé sa tournée de mobilisation dans les districts par la région de Dikhil. Ainsi, le week-end dernier, une forte délégation de notre Parti, conduite par le Président Ahmed Youssouf, a sillonné le Sud-Ouest. Compte rendu d’un déplacement historique qui a ébranlé le régime et embrasé le cœur et les esprits d’une population abandonnée à son triste sort.
« Là où passe la caravane de la vérité, le mensonge n’a plus sa place » : cette phrase d’un vénérable notable de Yoboki résume l’accueil populaire enthousiaste réservé à l’ARD dans le district de Dikhil. Lassée du verbiage stérile du régime, et souffrant autant qu’ailleurs des méfaits de la mauvaise gouvernance, la population veut entendre un discours nouveau, à mettre en pratique dans les plus brefs délais.
Galafi
La délégation de l’ARD a quitté Djibouti tôt jeudi matin, en direction de Galafi, première étape de cette tournée. Arrivés sur place vers 11 heures, les dirigeants et cadres de notre Parti ont été portés en triomphe par une population massée devant notre annexe. Après une courte réunion avec notre comité de Galafi, les dirigeants de l’ARD se sont adressés à la foule en liesse qui scandait : « Vive l’ARD ! Vive la vérité ! » Les différents orateurs ont pointé du doigt les misérables conditions de vie imposées aux habitants de cette contrée oubliée. Le message de lutte et d’espoir délivré sur place a été bien reçu.
Le meeting a été suivi d’une réunion avec les notables et les jeunes de cette localité. Tous ont parfaitement compris la nouvelle démarche de l’UAD concernant l’élection présidentielle et promis d’œuvrer concrètement à nos côtés. Dans ce bureau de vote, les délégués de l’opposition avaient été brutalisés puis emprisonnés par les militaires lors des législatives du 10 janvier 2003 : inutile d’exposer qui que ce soit à ces vols à main armé.
Ils ont également témoigné de leurs difficultés quotidiennes : la peur des mines antipersonnel enfouies par les troupes gouvernementales et encore disséminées dans le coin les empêchent de librement circuler. C’est dire combien la paix n’est pas encore une réalité pour eux. Sans parler de développement : il n’y a que des chômeurs, aucune école ni dispensaire. Dans ces conditions, pas étonnant que le régime ne soit pas aimé. Et l’ARD est à l’heure actuelle le seul parti à s’être installé à Galafi.
D’ailleurs, la réussite de notre implantation dans cette zone a été telle que les habitants de Daoudaouya ont réclamé à leur tour l’ouverture d’une annexe chez eux dans les plus brefs délais. Après Galafi, ce fut au tour de Yoboki, où la délégation est arrivée peu avant 13 heures.
Yoboki
Il faut dire que les habitants de ce gros village étaient massés devant notre annexe en plein soleil depuis 10 heures du matin. Hommes et femmes chantaient et dansaient en scandant « Vive l’ARD ! Le RPP, on n’en veut plus ! » Paniqué par l’ampleur de l’accueil réservé à l’ARD, le Commissaire du district avait dépêché des forces anti-émeutes dans ce village, avec pour mission d’empêcher coûte que coûte le meeting public de l’ARD. Nos dirigeants ont alors poliment fait savoir aux autorités policières et administratives que notre Parti est légalement constitué et qu’il s’adressera à la population, quoi qu’il arrive.
Passant outre ces manœuvres d’intimidation, les responsables de l’ARD ont pris la parole vers 13h 30, sous un soleil de plomb et dans une grande ferveur militante. Là aussi, le mot d’ordre de l’UAD est très bien passé.
Rappelons que ce village martyr, aux ¾ détruit lors du conflit civil, n’a jusqu’à présent bénéficié d’aucun programme de reconstruction digne de ce nom. La petite centrale électrique dispose de deux groupes électrogènes, mais un seul fonctionne et une partie de la journée seulement. Pas un seul jeune ne travaille. Le ras-le-bol de cette jeunesse a d’ailleurs failli la conduire à violemment exprimer sa colère ce jour-là en manifestant sur la route qui traverse Yoboki, n’eût été les conseils d’apaisement de notre Parti.
Le meeting public a été suivi d’un copieux déjeuner auquel a pris part une centaine de militants de cette localité. Dans l’après-midi, la direction de l’ARD s’est entretenu avec les notables et les jeunes. Les discussions ont surtout porté sur les difficultés de vivre à Yoboki et ses environs, principalement causées par la mauvaise gouvernance instituée par le candidat solitaire.
L’ARD a rallumé la ferveur de lutte et son passage à Yoboki restera inoubliable. Les habitants de Gourabous, présents à Yoboki lors de ce meeting, ont demandé à l’ARD d’installer une annexe dans leur village.
La délégation de l’ARD a ensuite rejoint As-Eyla, troisième étape de sa tournée, peu avant le coucher du soleil.
As-Eyla
Chaleureusement accueillis par les habitants de cette bourgade, notre délégation a passé la nuit sur place. Après la prière du soir, une délégation de Sages et de jeunes d’As-Eyla a été reçue par le Président de l’ARD, entouré de ses proches collaborateurs. Les Sages et les jeunes nous ont tous fait part de leur rejet du RPP et de son chef, qui ont réduit au chômage la jeunesse en âge de travailler et dont une grande partie a quitté l’école après le BEPC, à survivre en brûlant du bois mort pour le transformer en charbon. Voilà, ont-ils conclu, l’avenir auquel ce régime de mauvaise gouvernance et de favoritisme condamne les forces vives d’As-Eyla. Le boycott actif de l’UAD est une chance de les débarrasser d’un système voulu et institué par le candidat solitaire. Système de mépris officiel consistant à affamer le peuple pour le soumettre.
Le lendemain, vendredi, l’ARD avait prévu de tenir un meeting devant son annexe à 10 heures. Vers 9 heures, quelle ne fut pas sa surprise quand le chef de poste administratif du coin est venu nous signifier que le meeting public était interdit et qu’une réunion avec les militants à l’intérieur de l’annexe était seulement tolérée. Là encore, les autorités administratives de Dikhil avaient ordonné aux forces de l’ordre d’empêcher la tenue du meeting public.
Rejetant cette énième provocation et soutenue par toute la population d’As-Eyla, notre délégation s’est adressée à la foule à 10 heures précises. Les forces de l’ordre prétendument mises en alerte n’ont pas quitté leurs casernements et le meeting fut un grand succès.
Peu avant la fin du meeting, deux véhicules 4×4 flambant neufs sont entrés dans la ville en voulant passer par l’artère principale où se tenait le rassemblement populaire de l’ARD. Des proches du régime, pour l’essentiel de hauts fonctionnaires dont un responsable du service technique de l’ONED, connu pour son zèle partisan et un membre de la rédaction du « Progrès », faisaient partie de cette étrange délégation venue là sous couvert d’une activité associative. Des jeunes surexcités ont commencé à les huer en scandant « Aux voleurs ! » avant de tenter de bloquer leur passage. Nos dirigeants qui s’adressaient à la foule ont alors intimé l’ordre de les laisser passer.
On le voit, la jeunesse désœuvrée de la région de Gobaad est particulièrement remontée contre le système prédateur du RPP, personnifié par la candidat solitaire qui, rappelons-le, s’était déplacé en catimini à As-Eyla en juillet 2003, au lendemain du passage d’une équipe de « Réalité » invitée par les forces américaines venues soigner la population. Rien n’a changé depuis, dans cette localité très peuplée où l’eau courante et l’électricité ont disparu. La population s’abreuve au puits du coin et le groupe électrogène ne fonctionne que lors de brefs et rares passages des dignitaires du régime.
D’ailleurs, les Sages de la ville nous ont fait remarquer que l’électricité était miraculeusement revenue, dans la partie électrifiée, une heure avant l’arrivée de la délégation de l’ARD, jeudi soir vers 18 heures. Manque de pot pour les partisans du mensonge, nos dirigeants ont passé la nuit chez l’habitant dans le secteur non éclairé de cette vaste bourgade.
Profitant du passage de l’ARD, la population a massivement démontré sa volonté de changement, celle-là même que notre Parti préconise depuis la transformation du FRUD-armé en organisation politique, au lendemain de la signature de l’accord de paix du 12 mai 2001. C’est pourquoi des militants de Koutabouya et de Kontali, présents ce jour-là à As-Eyla, ont demandé à ce que l’ARD ouvre rapidement et vienne inaugurer une annexe dans leur village. Demande acceptée et bientôt honorée. Cap sur la dernière étape : Dikhil, ville de l’Unité.
Dikhil
Après la prière du vendredi midi et le repas, jeunes, notables et femmes, toutes communautés confondues ont envahi notre annexe de Dikhil pour participer à une réunion de travail destinée à dynamiser cette structure. Là aussi, le même message de mobilisation et de vigilance leur a été délivrée par les responsables de l’ARD qui leur ont donné rendez-vous pour une prochaine rencontre, avec toute l’UAD cette fois.
Le district de Dikhil s’était illustré en réservant un accueil froid au candidat solitaire lors de son dernier passage, d’autant plus écoeuré par sa distribution tribale d’argent de poche (50.000 FD par clan), généreux avec les uns, oubliant les autres.
La ville de l’Unité ne pouvait tolérer une telle zizanie, cherchant à semer la discorde entre ses habitants. D’autant plus que, sur près d’une trentaine d’agents de l’Etat récemment licenciés de l’Assemblée nationale, plus de vingt étaient originaires de cette région. A l’occasion de la visite de l’ARD, Dikhil a démontré qu’il était aussi frondeur que la ville d’Ali-Sabieh. Ce sera bientôt au tour de Tadjourah et d’Obock.
Dans un somali lyrique, une ancienne militante de la LPAI a galvanisé l’assistance en rappelant les heures glorieuses de la lutte pour l’indépendance. Pour appeler ses compatriotes à encore plus d’unité face à ce régime de division, elle a évoqué une anecdote. Un jour, les forces coloniales avaient encerclé la cité d’Arhiba pour réprimer ses habitants.
Sous la conduite du regretté Ahmed Dini, les militants de la LPAI, toutes ethnies confondues, ont alors déferlé sur Arhiba, en signifiant à l’administration coloniale qu’ils partageaient la colère de cette cité. Les forces de répression ont fait marche arrière et l’unité nationale est sortie renforcée de cette épreuve.
C’est cette même unité nationale que cherche à saper le régime divisionniste du candidat solitaire. Aux jeunes générations, oubliant parfois les leçons de l’Histoire, elle a expliqué en quoi le RPP est pire que le colon : « non seulement il tue comme lui et même plus, mais il dénie tous les droits, salaire, santé, école, travail, liberté d’expression, rien n’est plus comme avant. Avec l’UAD, mettons fin à ce système pour que renaisse enfin notre pays » a-t-elle conclu.
Quelle meilleure preuve que la maturité de notre peuple, plus décidé que jamais à mettre un terme aux agissements néfastes de ce régime.
De la réforme du système éducatif
QUEL BILAN ?
Son précédent article ayant soulevé une certaine polémique dans le milieu enseignant, un instituteur nous a fait parvenir cette contribution à l’indispensable réflexion sur notre système éducatif.
Nous avions refusé de participer au forum-débat sur l’Éducation Nationale organisé par le ministère, car nous estimions que les grandes cérémonies de ce genre ne servent à rien du moment que l’on ne peut donner abondamment son opinion ni exercer l’acuité sceptique de son jugement. A cela, nous avons préféré « le silence de la réflexion ». C’est donc tout naturellement que j’envois mon article critique à « Réalité». En effet, je vous le demande, où devrait s’adresser tout citoyen en quête de vérité, lorsqu’il cherche un soutien moral, si ce n’est à ce journal : n’est-il pas vrai que l’on y parle réalité ? Bref, commençons !
Nous avons déjà, dans ce même journal, dressé une vive critique à l’encontre de l’actuelle réforme de l’École, dont on vient de faire le bilan officiel. Nous avons, entre autre, suffisamment montré comment celle-ci ne remettait pas fondamentalement en cause l’inadéquation du système éducatif; qu’elle n’a en réalité abouti qu’à l’aménagement du statu quo par des réformettes. Errare humanum est, perseverare diabolicum : persister dans l’erreur, n’est-ce pas la marque du diable ?
Nous avons dû renoncer à apprécier en détail toutes les mesures prises pour améliorer le système ; le pauvre enseignant que je suis ne pouvait prétendre rechercher ou examiner toutes les sources éparses auxquelles les auteurs de la réforme ont puisé leurs arguments. Il a fallu laisser cette tâche à de plus compétents en la matière. Nous avons exclusivement critiqué la réforme du seul point de vue linguistique. Nous avons pu affirmer, en effet, que la cause principale, sinon la racine, de la faillite de notre système éducatif résidait dans le maintien d’une politique linguistique qui exclut les langues nationales du cursus éducatif. Or, on sait aujourd’hui que le problème de la langue joue un rôle considérable dans l’échec scolaire, explique en grande partie le phénomène de déscolarisation, le retard dans le développement cognitif (inutile de s’y attarder ici, nous avons longuement exposé les données du problème dans notre précédent article). C’est à ce point précis que l’on a pu mettre le doigt sur les insuffisances de l’actuelle réforme de l’École, qui aborde les problèmes de façon unilatérale, en négligeant le facteur linguistique (de seules spéculations sur les conditions économiques ne mèneront jamais à rien). Ainsi, nous avons pu affirmer qu’aussi longtemps que nous négligerons cet aspect, le problème de l’École restera non résolu et cette pseudo-réforme ne pourra satisfaire qu’un public plutôt naïf mais jamais les enseignants que nous sommes.
La tenue des États Généraux sur l’École avait éveillé à l’époque chez nombre d’entre nous l’espoir que l’on arriverait à dégager de nouvelles perspectives plus réalistes pour notre École. En réalité, cela s’est révélé être un leurre : la montagne a accouché d’une souris. La méconnaissance de la question linguistique n’a pu avoir pour conséquence que de rendre les discours sur la réforme insignifiants, inefficaces et relativement insensés par rapport au projet du ministère exprimé dans son vœu de créer un système éducatif authentique, enraciné dans les réalités socioculturelles de notre pays.
La question de savoir à quelles finalités répond le choix de la langue française comme langue exclusive de scolarisation, comme langue officielle, n’est pas si oiseuse qu’il n’y paraît, surtout quand on sait que la grande majorité de nos concitoyens échappe à toute alphabétisation en français. C’est pourquoi nous avons souligné la nécessité de voir redéfinir le rôle et la place du français et, partant, de décider sans plus tarder de l’introduction des langues nationales à l’École. De plus, s’il est vrai que les choix linguistiques dépendent de choix éducatifs, il nous a paru contradictoire de maintenir le français dans son statut de langue d’enseignement, maintenant que nous avons résolument opté pour le concept d’école de base (qui centre ses actions sur l’acquisition des savoirs de base que sont lire, écrire et compter). Le ministère, on le voit, cède à la magie du nominalisme, qui croit changer les choses en en dépossédant les signes (en abandonnant le concept d’école primaire pour celui d’école de base). Nous avons enfin répondu à ceux qui, de leur hauteur, jettent un regard de mépris sur les langues nationales, qu’ils ne devraient pourtant pas ignorer eu égard à l’importance stratégique partout confirmée de leur introduction à l’École.
Mais, lorsque certains d’entre eux qualifient mes propos de réactionnaire au prétexte qu’il est inutile de lutter contre la France (sic), ils donnent une preuve supplémentaire de leur totale incompréhension sur ce point. Or, nous n’avons rien prétendu de tel. Il nous faut rappeler ici une évidence, pour dissiper tout malentendu : les langues afar et somali, de même que la langue française, n’appartiennent à ceux pour lesquels elles sont maternelles. Par définition, une langue appartient à tous ceux qui la maîtrisent. Nous avons distingué les langues des nationalités et des pays. Ce n’est pas à nous mais à eux-mêmes que les auteurs doivent s’en prendre pour cette généralisation abusive. La seule chose qu’il faut se demander, est donc celle-ci : est-il logique et réaliste d’enseigner à nos enfants dès le CI à renommer en français le réel qui les entoure et qu’ils appréhendent dans leur langue maternelle ? C’est pourtant ce que les instituteurs exigent de nos enfants à l’école: nommer les tables, les chaises, la parenté, les fables, les contes, raconter une histoire en français : on pourrait multiplier les exemples à l’infini. Le fait est que c’est uniquement dans les ménages à haut niveau de scolarisation que le français est couramment usité à la maison : l’école ne fait donc que reproduire des inégalités sociales fondées sur la maîtrise de cette langue. Et ce n’est pas un hasard si les enfants des classes sociales supérieures sont les seules à fréquenter les écoles françaises : Nativité ou Dolto.
Le plaidoyer pour la réforme de l’École aurait gagné en crédibilité si le ministère avait publié les résultats effectifs des élèves ; or, il s’en est bien gardé, à juste titre. Pour toutes ces raisons, il nous est difficile de partager le sentiment triomphaliste des auteurs de la réforme. Un tel langage de satisfaction est le malheur qui s’ignore. Ainsi, faute de convaincre sur le terrain, il leur faut convaincre par l’image, ce qui explique le tapage médiatique, la multiplication es journaux édités par le ministère, les colloques et rencontres organisés, etc. La débauche verbale est une nécessité dans cette économie de l’impuissance. Le bavardage nous semble être quant à lui comme une manière de nier le réel. On préfère discuter de tout et de travers, superficiellement, de toutes choses insignifiantes, pour éviter d’aborder en paroles et en pensée ce qui est réellement important. Une autre manière de faire accepter ce que la simple logique rejetterait et d’entourer la discours en question, en témoigne encore l’ouvrage édité par le ministère, qui retrace le bilan de la réforme, de considérations apologétiques. L’attention du lecteur est détournée du problème crucial, de la vérité du discours sur la réforme, pour se porter sur d’autres questions. Mais nous savons que l’apologétique est un déguisement qui veut combattre la nécessité de créer un authentique système.
La recherche de l’authenticité exige quant à elle la rigueur de la pensée, au-delà des slogans. Du reste, peut-on parle de réforme quand en réalité on ne fait que perpétuer la logique coloniale qui a imposé le français comme unique langue de scolarisation. On ne peut qu’être encore frappé dans cette réforme par la persistance d’éléments tout à fait traditionnels, de discours au milieu de la prétendue nouveauté : le thème de la généralisation scolaire est un exemple frappant. Dès l’accession de notre pays à la souveraineté, l’objectif d’un enseignement public de masse fut très tôt proclamé. L’actuelle réforme ne semble suivre que la même politique, tout en se gardant de refonder le système en profondeur. Proposer une réforme, c’est marquer une rupture avec l’ancien système ; or, tel n’est pas le cas aujourd’hui. Pourtant, le discours du ministère de l’Éducation est partout applaudi, on le qualifie de révolutionnaire. C’est de n’avoir rien appris et d’être voué à la répétition de la renonciation à soi, qui doit être sans cesse dévoilée, dénoncée. Mais il est toujours possible de chercher la cohérence et la logique de l’attitude de quiconque veut aller plus loin, qui refuse de se contenter du fait accompli.
Nous revendiquons le droit d’explorer la vérité par une voie nouvelle. Au demeurant, la complète faillite du système éducatif classique excuserait toute tentative et la stérilité de l’orientation classique devrait inciter ses adeptes (je parle ici des auteurs de la réforme) à plus de mesure et de modestie dans leur critique des enseignants : il est vain de les critiquer quand les responsabilités incombent à ces auteurs incapables de percevoir les contradictions internes dans lesquelles l’actuel système s’est enfermé.
Certes, on ne saurait nier le formidable effort d’investissement entrepris pour améliorer l’actuel système éducatif (augmentation de ses capacités d’accueil, multiplication des postes d’enseignant). Cependant, la portée de ces actions reste limitée : elles ne couvrent qu’une partie des besoins. D’ailleurs, en cela, le ministère n’a fait que suivre les recommandations de la Banque Mondiale (dont nous regrettons ici le déphasage par rapport à nos réalités) qui s’intéresse plus au budget consacré à l’Éducation, qui reste confiné dans des généralités sur la nature des matériaux utilisés pour la construction des écoles, qu’à la question « simple mais essentielle de savoir si les enfants comprennent ou non la langue dans laquelle on leur donne l’enseignement » comme l’écrit Chaudenson dans sa « nouvelle francophonie ».
On l’aura compris, la rhétorique de la réforme devenue une langue nationale supplémentaire a pour dessein d’occulter la réalité de la défaite de la pensée. Elle a pour fonction, pouvons-nous dire encore, de faire l’économie d’une réflexion autonome puisant aux meilleures sources des principes d’éducation et fortement ancrée dans les réalités de la société djiboutienne : quand 80% sont analphabètes, est-il sérieux d’imposer le français ? Les inconséquences dont les auteurs de la réforme se sont rendus coupables en généralisant un présupposé de classe, parce qu’ils parlent le français à la maison à leurs enfants, nous laissent penser que l’idée de la réforme n’est qu’un prétexte. Notre analyse nous permet d’ores et déjà de supposer que les discours sur la réforme (et leur tapage médiatique) n’est pas seulement au service d’intérêts pratiques (ils n’indiquent pas un vrai désir de changement) mais de s’assurer de la reconduite de certains dans les affaires du pays.
Sur un autre plan, on peut légitimement s’étonner de voir s’accepter la réforme telle qu’elle se présente, avec un contenu pauvre, des prétentions que ses méthodes et sa pratique rendent dérisoires. Il est désormais clair que sa force ne lui vient pas d’abord de son contenu de vérité : sa valeur ou sa fascination proviennent d’une régulation externe qui en impose, avec sa certitude et son assurance, ses thèmes, concepts méthodes et toute leur légitimité. Seules les « autruches » que nous comptons parmi les cadres du ministère pourront nier cela. En réalité, ils ne feront qu’ânonner ou bégayer des concepts venus d’ailleurs. Mais la négation de soi nous installe dans une éternelle dépendance. L’aide et l’assistance caractérisent notre être ; en témoigne par exemple le discours du ministère de l’Education dans son ouvrage sur « la réforme de l’école. Bilan des réalisations ». Voici ce qui y est écrit pages 4 et 5 : « Il a fallu pour conduire la réforme, faire appel à nos partenaires financiers et techniques ». Le langage adopté est celui de la servilité et de la négation de soi. On veut s’affirmer selon une loi qui n’est pas celle de son être : l’entreprise est contradictoire. C’est ainsi que s’explique la haute estime souvent peu justifiée où l’on tient les idées des autres, de même que le mépris pour tout ce qui est authentiquement national.
Quant à nous, il nous faut dénoncer cet état d’esprit qui permet le déni de soi, de sa culture propre. Car, on ne comprend pas comment les assistants techniques qui ignorent la morale propre de notre société, nos besoins concrets, pourraient comprendre mieux que nous ne comprenons, nous apporter l’aide dont nous avons vraiment besoin. Il est difficile pour nous d’accepter un tel état d’esprit.
Apparaît encore un autre phénomène, que peu ont relevé : c’est celui de s’octroyer des parrains (ainsi du ministère sollicitant toujours l’avis des experts de la Banque Mondiale, de l’UNICEF, etc, qui les supplie de donner leur assentiment). On est allé jusqu’à solliciter l’onction de l’ambassadeur de France (voir Educ-Info/MENESUP n°10 de mai 2004 : on y trouve en page 6 le compte rendu de la réunion du 24 mai) pour donner sa « bénédiction » à la réforme. On aura saisi le sens de cet étrange comportement : le ministère recherchait une caution de conformité de la part des anciens maîtres.
Si nous étendons nos observations au niveau du collège et à l’université, nous ressentons les mêmes ambiguïtés, les mêmes embarras. Les contenus des disciplines enseignées n’ont jamais été clairement définis. Ainsi, l’Histoire et la Géographie la littérature étudiées sont celles de la « métropole des vrais hommes ».
Pour le ministère, peu importe que le contenu des disciplines soit sans aucun encrage réel, sans lien avec les besoins réels de notre pays, il lui faut accepter cela. Mais, quel genre de citoyen voulons-nous vraiment former pour demain ? Le système actuel, tel qu’il est constitué, ne produira comme il l’a produit par le passé, qu’une élite acculturée, incapable de scruter la réalité de notre société. On a toujours privilégié la culture cosmopolite. Il en est ainsi parce que ce n’est pas le ministère de l’Éducation qui fixe ni organise les programmes. Les professeurs sont jugés dignes d’exercer leur fonction au collège ou a l’université à partir du moment où ils ont obtenu les attestations et diplômes par les universités françaises. Du reste, n’est-ce pas un abus de langage que de parler d’université autonome à Djibouti, quand en réalité on ne fait que reproduire le modèle français ?
Les considération énoncées plus haut montrent que notre pays est à la croisée des chemins : ou bien nous nous engageons dans la voie d’une profonde réforme utile à la majorité de nos enfants, ou bien nous continuons à maintenir l’actuelle tyrannie d’un système sans finalité collective parce que ne profitant qu’aux enfants des classes supérieures.
A.W
Courrier des lecteurs
« Je tiens par la présente vous demander de bien vouloir insérer dans les colonnes de votre journal cette copie de mon message électronique dont je sais que la Nation ne le fera pas. Comme vous constatez j’ai réagi à l’offre d’emploi du Port de Djibouti. Sachez enfin que j’avais envoyé cette réaction pour soulager ma conscience.» Sachant nous aussi que ledit journal gouvernemental étouffera toute réalité incompatible avec la propagande officielle, et considérant inadmissible qu’au chômage endémique s’ajoute le favoritisme qui pénalise la majorité des postulants non pistonnés par le régime, c’est un devoir pour nous de publier ce cri de détresse et de révolte.
Djibouti, le 24/02/05
VOS LECTEURS VOUS ECRIVENT :
A
Mr le rédacteur en chef de la NATION
lanation@intnet.dj
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DJIBOUTI DOIT ETRE UNE REPUBLIQUE DES CITOYENS
ET NON UNE REPUBLIQUE DES COUSINS ET DES CLANS.
Dans l’édition du Mercredi 16 Février 2005, le Port de Djibouti faisait une annonce d’offre d’emploi concernant son service de pompier qui sera créé prochainement.
Je tiens à réagir à cette offre du port parue dans cette édition et je vous demande de bien vouloir insérer cette réaction dans vos colonnes.
Il est demandé officiellement aux citoyens djiboutiens d’avoir des conditions normales ou la compétence est exigée. Ces conditions sont bien sur l’âge, des diplômes, un casier judiciaire vierge et un CV bien garni…
Il n’est un secret pour personne qu’il faut aussi montrer « pattes blanches » même après avoir remplis les conditions officielles.
Pour cela il faut justifier par des preuves à l’appui que les candidats à ces postes sont des «citoyens honnêtes.»
Ces citoyens honnêtes sont, ceux qui soutiennent profondément ce régime et ont par conséquent les droits à être embauchés dans les services publics avant les autres. Il faut dire aussi que la priorité est donnée au clan du président même s’il y a très peu de chômeurs en son sein.
Pour le poste du chef de service du future service pompier du port, au lieu de prendre le plus compétent des chômeurs, l’exécutif décide de mettre en position d’indisponibilité un officier mobilisé qui est réellement sergent du pompier et proche famille du président à cette poste. Quant aux autres, ces sont des sous citoyens selon les critères de l’exécutif.
Il serait donc judicieux de ne pas insulter l’intelligence des djiboutiens et d’ajouter aux conditions, lescritères essentielles (conditions officieuses) que sont :
1) Détenir la carte d’adhérent du RPP,
2) Avoir une caution morale d’un membre du bureau politique de ce parti.
En 2001, lors d’une embauche des employés de la sécurité de ce même port, j’avais répondu à toutes les conditions officielles. J’avais été qualifié et mon nom était apparu dans la Nation du Lundi 17 Septembre 2001, mais je n’avais pas montré pattes blanches.
Dans cette même année un autre djiboutien avait été sélectionné pour le poste du chef de service de la sécurité mais il n’a pas pu montrer patte blanche donc présenter une caution morale. Ce dernier il faut reconnaître était plus diplômés et plus expérimenté que moi et avait même été un officier d’un corps national.
C’est fort regrettable qu’afin de participer au développement de mon pays les responsables politiques s’il y a et les établissements publics m’obligent à faire la danse du ventre et à mentir.
Dans tous les cas, je ne regrette pas d’avoir soutenu l’UAD lors des dernières élections. Cette fois-ci je serais beaucoup plus malin et je ferais tout pour avoir ce travail de pompier.
Ne dit-on pas que l’expérience corrige !!!
Signé : Daniel
COMMENTAIRES |
Merci de nous avoir fait confiance pour la publication de cette lettre : que « La Nation » l’ait censurée ne nous étonne guère. Tout comme nous comprenons l’usage du prénom Daniel : c’est certainement un pseudonyme utilisé pour préserver ses chances de postuler à un futur emploi : c’est dire combien le simple droit d’exprimer son désarroi n’est pas toléré sous ce régime.
La triste histoire que vous nous racontez confirme la pertinence de nos analyses : non seulement ce régime impose un chômage massif aux jeunes du fait de choix budgétaires incohérents de la mauvaise gouvernance privilégiant le gaspillage et le favoritisme, mais en plus il crée une intolérable ségrégation entre concitoyens auxquels l’avenir devrait normalement appartenir. Il faut en finir.
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