Rapport Annuel 2015
Introduction :
La Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) a l’habitude de dresser un tableau exhaustif des violations perpétrées au cours de l’année écoulée. Les douloureux événements (le massacre de Bouldhouqo, la blessure du Secrétaire général puis l’arrestation et l’emprisonnement du Président de la LDDH) survenus à la fin de l’année 2015 n’ont pas permis l’élaboration du rapport annuel de 2015 et le présent document même tardif répond pour combler ce vide.
1) Politique
L’année 2015 avait commencé sur une note d’optimisme et ce, suite à l’accord-cadre signé entre le gouvernement djiboutien et l’opposition politique USN le 30 Décembre 2016.
L’accalmie a peu duré.
Les régions du Nord qui vivent sous la loi martiale : les populations civiles et nomades sont prises pour cibles par les forces gouvernementales et les arrestations arbitraires et les détentions dans les camps militaires s’enchainent.
Plusieurs dizaines de nomades sont arrêtés puis sont internés dans des camps militaires à Obock, Tadjourah et Assa Gueyla. Ils ont été torturés par les forces gouvernementales. Ces nomades ont tout perdu suite à leurs arrestations illégales. Les militaires ont bombardé les zones de pâturages causant la perte de leurs cheptels, ils ont tout perdu. Cela s’est passé fin Avril 2015 jusqu’au 10 Mai 2015.
Une cinquantaine de personnes sont arrêtées dans les régions du Nord (Obock _ Tadjourah) et sont enfermées dans des camps militaires pendant des semaines au mépris des textes et lois régissant la détention car les militaires n’ont pas de légalité en la matière outres les aléas naturels (sécheresses répétitives) ces nomades ont été durement touchés par ces violations.
Les populations nomades des régions Nord et du Sud Ouest sont tantôt terrorisées car accusée de connivence avec la rébellion du FRUD, tantôt déplacées de force par les forces gouvernementales vivent sous une terreur permanente.
Le 24 Mai 2015, Houmed Moussa Hamadou, Mohamed Omar Aden et Osman Ali Dato sont écroués à la prison de Gabode sous prétexte « d’intelligence avec l’ennemi ». Ils ont été sévèrement torturés mais n’auront pas droit à une consultation d’un médecin.
Depuis, ils sont enfermés à la prison de Gabode et ne disposent pas l’assistance d’un avocat. Toujours au mois de mai 2015, plusieurs femmes et le contrôleur adjoint de la LDDH sont arrêtés par le lieutenant KHALIF du 3ème arrondissement alors qu’ils revenaient de l’accueil réservé à la célèbre chanteuse NIMA DJAMA de retour au pays après un long exil au Canada. Ces personnes ont étés torturées puis emprisonnées à la prison de Gabode. Lors du procès, elles ont été condamnées à 8 mois de prison avec sursis. Il est à noter que ces personnes n’avaient commis aucun délit, elles ont été ramassées dans la rue.
A partir de Septembre 2015, la mobilisation pour un 4ème Mandat du chef de l’état est décrétée et tout les échelons de l’état sont appelés à participer à cette mobilisation sous peine des mesures coercitives.
La RTD relaies et diffuse à longueur des journées cette mobilisation et quand les militants de l’opposition osent se prononcer contre le 4ème MANDAT, ils sont systématiquement arrêtés puis incarcérés à la prison de Gabode et finalement écopent des condamnations en sursis pour les obliger à se taire.
L’opposition de l’USN sommée de se tenir tranquille tente des sorties à l’intérieur du pays.
Les responsables de l’USN ont été interdits de se rendre à Ali-Sabieh (il y’a des blessés et des arrestations), parfois ils ont subi le lynchage par des hooligans à la solde du régime à ARTA-WEA. Ainsi le régime en place à Djibouti n’a pas du tout respecté la liberté de circulation pour l’USN.
Les mêmes arrestations sont opérées à Djibouti, Arta, Ali-Sabieh, Dikhil et Obock. Les personnes arrêtées sont fichées, photographiées puis menacées de prison s’ils affirment leur refus de 4ème Mandat.
Octobre 2015
Plusieurs personnes sont arrêtées dans les régions du Nord et au Sud Ouest (Obock, Tadjourah, Lac Assal).
Une centaine de personnes sont arrêtées, torturées puis internées dans de camps militaires. Finalement une vingtaine de personnes sont déférées au Parquet puis écrouées à la prison de Gabode. Quelques femmes arrêtées aux mêmes moments ont été relâchées au niveau du Parquet.
Décembre 2015
Triste anniversaire de la LDDH : le 10 décembre, vers midi, le Directeur Général de la Police a agressé verbalement puis physiquement les responsables de l’USN à la place du 27 JUIN.
Le secrétaire général de la LDDH Mr Said Houssein Robleh également député de l’USN a été passé à tabac puis incarcéré plusieurs heures au centre de détention de NAGAD et ce, en compagnie de son père Houssein Robleh et quelques membres de l’USN.
Malgré son état de santé nécessitant une prise en charge médical, Said est détenu dans un camp insalubre et infesté de moustiques. Il sera jeté dans la rue, il se rend au Centre Médico-chirurgical de Bouffard où il a reçu les premiers soins.
Ainsi s’installe la terreur dans le pays.
Après la mobilisation de l’UMP du 1er Novembre 2015 en faveur du 4ème Mandat présidentielle l’USN appelle ses militants le 20 Novembre 2015 à un meeting à Balbala pour s’opposer au 4me Mandat.
Le 24 Novembre 2015, le Gouvernement Djiboutien adopte des mesures restrictives pour le rassemblement à cause des menaces terroristes selon le Pouvoir et s’inspire des attentats de Paris, de Tunis et de Bamako.
L’on est en droit de se demander la raison réelle qui à poussé le gouvernement djiboutien à adopter des telles mesures juste après les mobilisations des deux camps.
Le 21 Décembre 2015
La tribu YONIS MOUSSA, l’une des composantes de l’ethnie ISSA se réunit à la périphérie de BALBALA dénommée BOULDHOUQO pour une cérémonie culturelle et traditionnelle. Les personnes présentes sur le lieu sont appelées à quitter le lieu de leur rassemblement en pleine cérémonie. Ce qui était impossible.
Devant leur refus d’obtempérer, la police puis l’Armée et la Gendarmerie emploient la force pour les faire quitter la place occupée.
Ce qui devait arriver arriva. Le Bilan s’élève à plusieurs morts, plusieurs personnes sont blessées, des dizaines de personnes sont arrêtées puis incarcérées à la prison de Gabode.
Lors de la tragédie du 21 Décembre 2015 plusieurs familles endeuillées ont subi d’énormes pressions pour cacher les noms de leurs proches tombés ou blessés par les balles réelles. Les blessés sont gardés par des policiers sur leur lit d’hôpital, certains se voient refuser l’accès aux hôpitaux donc privés des soins. Ils sont contraints de végéter chez eux avec leurs blessures. Quelques uns succombent de leurs blessures non soignées ou mal soignées.
Parfois les membres de cette tribu sont menacés des mesures de dénaturalisation. Cette mesure discriminatoire accentue la peur chez les YONIS MOUSSA.
Dans l’après midi de cette même journée, la police cagoulée mène un raid sanglant chez un membre de l’opposition où le Haut Conseil de l’USN tenait sa réunion hebdomadaire.
Lors de ce raid sont blessés, le Président de l’USN Ahmed Youssouf Houmed, l’ancien ministre Hamoud Abdi Suldan et le Secrétaire Général de la LDDH, Mr Said Houssein Robleh. Ils sont criblés des balles réelles et enfin le secrétaire général de l’USN, Monsieur Abdourahman Mohamed Guelleh est passé à tabac puis emporté par la police. Le jeune Said et l’ancien ministre Hamoud sont admis à l’hôpital Bouffard pour être soignés. Le Pouvoir ayant appris leur admission à l’hôpital envoie la même police à Bouffard afin de récupérer les deux blessés. Ces derniers refusent de sortir de l’hôpital de leur gré et les responsables diplomatiques et militaires français tergiversent ne sachant quoi faire.
La police Djiboutienne installe un siège devant Bouffard et multiplie la demande de remise des deux blessés djiboutiens. Le siège dure huit jours, finalement le 29 décembre 2015, le Président de la LDDH est appelé par l’Ancien Ambassadeur Mr SERGE MUCETTI afin de convaincre le Secrétaire Général de la LDDH à quitter Bouffard. Ce qui sera fait par le Président de la LDDH. Aussitôt sorti de l’hôpital, le Président de la LDDH est arrêté par la gendarmerie et placé en garde à vue, le Secrétaire Général de la LDDH SAID HOUSSEIN ROBLEH est emporté par la police, il sera relâché peu après. Il faut noter que le secrétaire général de la LDDH avait une balle placée sur une zone sensible du cou, nécessitant une évacuation vers une structure médicalisée. Une demande d’asile de SAID sera rejetée par l’Ambassadeur français.
Une chasse aux membres de YONIS MOUSSA est menée sous la houlette du Procureur de la république. Plusieurs personnes de cette tribu sont arrêtées puis mises en détention à Gabode. Au début de JANVIER 2016, l’ancien ministre Hamoud est placé en mandat de dépôt à la prison de Gabode.
Le 26 décembre 2015, la LDDH publie un communiqué de presse établissant un bilan provisoire de la tragédie.
Après 48 heures de garde à vue, le Président de la LDDH est déféré au Parquet puis mis en dépôt à la prison de Gabode.
Il est accusé de diffamation publique.
Et le 17 Janvier 2016, il est condamné à 3 mois de prison de prison ferme en vertu d’un article d’une loi relative à la profession d’un rédacteur en chef et la presse écrite Il est soumis à un isolement total et les audiences de son procès se tiennent à huis clos. Même les membres de sa famille n’assistent pas aux audiences. Ils sont refoulés à plusieurs kilomètres du tribunal par la gendarmerie.
Pendant ce temps le Secrétaire Général de la LDDH tente par tous les moyens à quitter le pays pour se faire soigner en Europe.
Le vaillant JEAN-LOUP SCHAAL et sa dynamique équipe de l’ARDHD déclenchent une campagne mondiale :
_ Pour aider Said Houssein Robleh à venir en Europe pour se faire soigner, ce qui sera fait après un long périple.
_ A obtenir la libération du Président de la LDDH, ce qui sera obtenu lors du procès en appel le 14 février 2016.
2) Économie
Un nouveau partenaire économique du pays en l’occurrence, la CHINE multiplie son emprise sur le tissu économique du pays dont le taux d’endettement (sujet tabou) menace l’existence du pays en tant que nation souveraine, le taux de croissance tant vanté par le gouvernement n’a aucun impact sur la vie des citoyens djiboutiens.
La pauvreté et ses corollaires font partie du quotidien des djiboutiens et la vie est tellement chère que les citoyens sont plongés dans les ténèbres et l’espoir de sortie est fort mince.
Les populations ont peu d’accès aux crédits malgré la prolifération des banques et le niveau de vie très peu élevé permet uniquement la survie des populations et celles des régions de l’intérieur sont totalement délaissées par le Pouvoir Central et ne survivent que grâce à l’aide des vivres du PAM. Ceci est inadmissible et le peuple djiboutien a peu d’espoir pour sortir de l’assistanat.
Le Khat est un fléau qui détériore, ruine et sa consommation détruit la majorité des djiboutiens de toutes les tranches d’âges confondus. Le régime en place à Djibouti encourage cette situation.
Le pouvoir d’achat des djiboutiens se rétrécit d’année en année et beaucoup de ménages frôlent l’étranglement à chaque fin de mois. L’électricité et l’eau potable sont devenues des produits de luxe car leurs prix est inaccessible aux citoyens ordinaires. Parallèlement, la classe dirigeante affiche son opulence d’une façon ostentatoire.
La corruption fait rage et la commission anti-corruption récemment instaurée est comparable à un oiseau sans ailes car les abonnés de la corruption et des détournements des deniers publics sont hors de son champs d’action parce qu’il y’a manque de volonté politique à y mettre fin : La commission de lutte anti-corruption fait partie du folklore rien que du folklore.
3) Services Sociaux :
La santé et l’éducation ne sont pas prioritaires dans la politique gouvernementale et leur faillite ne cause aucun souci à nos gouvernants.
La chute de la qualité de l’éducation continue sans qu’aucune mesure pour arrêter l’hémorragie ne soit entamée par les responsables politiques du pays. Les difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants sont énormes et l’ingérence politique a fait dérailler le système éducatif. De nouveau les états généraux de l’école Djiboutienne s’imposent si l’on veut sauver l’éducation et laisser les techniciens et les enseignants proposer des solutions durables est un impératif.
Même constat de faillite pour le système de santé : le paludisme fait ravage sur l’ensemble du pays et le ministère n’a aucune politique de prévention pour cette maladie.
Les travailleurs employés dans les bases des armées étrangères sont exposés d’une façon excessive au risque de cancer car les services de sécurité de ces bases utilisent des appareils hautement toxiques lors des sorties et des entrées dans l’enceinte des bases. Il nous a été rapporté qu’une dizaine d’employés djiboutiens du camp Lemonnier (Base Américaine) sont morts de cancer ces derniers temps.
4) Syndicalisme :
Le dialogue est inexistant à Djibouti car les pouvoirs publics ont peu de considération pour les travailleurs et leurs représentants.
Les recommandations de l’OIT ne sont pas appliquées par la partie gouvernementale.
Le syndicalisme est étouffé et l’exercice de la responsabilité syndicale est périlleux, les contrevenants subissent des sanctions allant des suspensions de salaire jusqu’à l’emprisonnement. Oui ! Le syndicalisme libre conduit les travailleurs djiboutiens à la stigmatisation, ce qui explique le peu l’engouement pour postuler à la représentation syndicale.
Les licenciements sont monnaie courante dans le secteur public : 8 professeurs de l’université ont été licenciés de leur fonctions pour appartenance à l’opposition.
La même situation prévaut dans le privé.
Toute idée de dialogue est sévèrement combattue par les Pouvoirs Publics et la peur de licenciement enchaine tout esprit d’élaboration des doléances des travailleurs djiboutiens.
Toutes les sociétés étrangères (chinoise, libanaise etc.) sont exonérées d’enregistrer leurs employés à la CNSS exposant ces derniers à un déni de justice sociale. Nous ignorons la raison d’être d’une telle politique mais les victimes sont Djiboutiennes pénalisées pour longtemps.
5) Jeunesse :
Les tenants du régime en place à Djibouti sont abonnés à la politique de spectacle et tous les projets vantés à la RTD ne produisent aucun effet sur le chômage des jeunes djiboutiens lequel avoisine les 90%. La jeunesse n’a aucun espoir dans le futur car sous-formée et en chômage, la jeunesse Djiboutienne est en proie de sombrer dans la délinquance. Ces derniers temps, cette jeunesse consomme l’alcool et parfois la drogue dure ce qui constitue un mauvais présage. Face à ce constat négatif, les responsables politiques du pays s’affichent absents et le problème est soulevé aux moments des élections ne débouchant sur aucune solution durable.
La première richesse de Djibouti étant la jeunesse, la négligence à leur endroit condamne l’avenir du pays. Le seul rêve de cette jeunesse se résume à l’exil au péril de leur vie. Même les jeunes diplômés de l’Université de Djibouti ont peu de chance de trouver un emploi. Lorsque ces derniers osent demander un emploi ils sont systématiquement incarcérés à NAGAD durant plusieurs jours. Plusieurs dizaines d’entre eux ont été arrêtés puis détenus à Nagad en Juin 2014 puis en Mai 2015. Donc demander un emploi constitue un délit à Djibouti, Cela est arrivé aux jeunes Damerjog qui ont passé un mois à la Prison de Gabode. Des jeunes Ali-sabiens ont vécu la même mésaventure.
Conclusion :
Au cours de l’année de 2015, les violations des droits humains en République de Djibouti ont été intermittentes et violentes car il y a beaucoup de sangs coulés et des pertes de vies humaines. Les auteurs du massacre du 21 décembre 2015 à Bouldhouqo n’ont jamais été poursuivis en justice et bénéficient de la bienveillance des autorités ce qui renforce l’impunité. D’ailleurs la justice djiboutienne n’a pas diligenté une enquête pour déterminer les causes et les conséquences de ce drame. Les victimes et les proches des victimes demeurent terrorisés et n’osent pas se plaindre à la justice.
A la longue, les soi-disant investissements chinois risquent de coûter cher à Djibouti car ne pouvant rembourser à temps les fonds chinois, ces derniers s’approprieront l’exploitation des chemins de fer, les aéroports, les ports etc.… Et Djibouti n’aura aucun droit de regard.
Les naufrages de l’école djiboutienne et de la santé publique vont affecter d’une manière irréversible l’avenir du pays.
Les dégradations de l’environnement causées par les chinois et les camions éthiopiens dans le sud du pays constituent un véritable désastre écologique et ceci est le cadet des soucis de nos autorités.
L’accord cadre signé à la fin de l’année 2014 n’a pas été appliqué par la partie gouvernementale et l’USN a manqué des moyens pour contraindre le régime à appliquer les clauses du dit accord. Ainsi l’accord-cadre est mort de facto.
La LDDH n’a pas manqué de dénoncer, condamner toutes ces violations et sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale sur la dérive répressive du régime et militer pour la fin des violences et la levée de l’impunité.
Fait à Djibouti le 11 mars 2016
Le Président de la LDDH
Omar Ali Ewado