Réalité numéro 57 du mercredi 25 juin 2003 |
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Sommaire |
- Éditorial
- Brèves nationales
- Le présidentialisme djiboutien (4)
- Tadjourah-Randa : l’échec d’une politique
- La Réhabilitation version calife
- Décentralisation et création de parti
Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED
Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD
Dépôt légal n° : 57
Tirage : 500 exemplaires
Tél : 25.09.19
BP : 1488. Djibouti
Site : www.ard-djibouti.org
Email : realite_djibouti@yahoo.fr
Éditorial
ÊTRE INDÉPENDANT,
C’EST NE PAS ÊTRE DÉPENDANT
A force d’être ritualisée, banalisée, une liturgie commémorative aussi importante que celle de la date fondatrice de notre nation en arrive à perdre son sens véritable : la dimension festive (congé payé) prend le dessus sur la célébration proprement dite de l’Indépendance. Pourtant, échappant un instant et autant que faire se peut, aux tracas de la vie quotidienne, le 27 juin devrait être, pour chaque citoyen djiboutien, l’occasion de se poser une question essentielle : sommes-nous réellement indépendants ?
Certes, par temps de mondialisation, de village planétaire et surtout de dégradation des termes de l’échange, il peut paraître présomptueux pour une Nation de revendiquer une quelconque autarcie. A fortiori lorsque l’on est un minuscule État tel que le nôtre, ne disposant de surcroît de pratiquement aucune ressource naturelle exploitable. Dès le départ donc, nos maigres potentialités nous interdisaient tout optimisme débordant quant à nos chances de développement économique. Mais tout de même, cet handicap ne saurait aucunement absoudre une gestion gouvernementale désastreuse qui nous a rendus plus que jamais tributaires de la générosité internationale. Le problème n’est pas d’être naturellement pauvre, c’est de mal gérer ses ressources. Or, par insouciance autant que par irresponsabilité, le régime djiboutien étale à longueur de temps dans sa presse spécialisée les manifestations les plus flagrantes de son incompétence, de son incapacité, bref son absence d’une réelle volonté politique tendant à réduire autant que possible notre dépendance à l’égard des aides extérieurs.
Ainsi, lorsque l’on apprend que l’État djiboutien n’est même pas capable d’offrir sur fonds propres un petit groupe électrogène aux habitants d’un village sinistré tel que Randa, et qu’il doit pour cela solliciter l’appui financier du PNUD, c’est la preuve pathétique que ce régime prédateur refuse volontairement de mettre nos moyens nationaux à la disposition de ses concitoyens. De même, devoir mendier pour réhabiliter un tronçon routier aussi vital que celui reliant Dikhil à Galafi, alors que nul ne sait officiellement ce que sont devenus les centaines de millions du Fonds d’Entretien Routier, normalement prévues à cet effet, relève à maints égards de la plus totale irresponsabilité politique.
Dans d’autres cas, c’est grâce aux prêts contractés auprès d’institutions financières internationales que des projets vitaux sont réalisés. Mais ceci est tout aussi dramatique car, tôt ou tard, ce sont les contribuables djiboutiens qui devront supporter les sacrifices qu’exigera le remboursement de ces emprunts. Ce ne sont là que quelques exemples parmi beaucoup d’autres : dès qu’il s’agit d’investissement productif ou à caractère social, le gouvernement de la mauvaise gouvernance a surtout recours à la mendicité internationale, préférant réserver les recettes nationales à ses dépenses somptuaires et à sa politique clientéliste.
A deux jours du 27 juin, un tel gaspillage pose une question : à quoi sert un régime politique qui transforme aussi systématiquement ses concitoyens en mendiants internationaux ? Fêter n’est pas célébrer : la comédie politique, avec toute sa mise en scène fastueuse ne peut nous faire oublier que nous sommes de moins en moins indépendants. Djibouti ne survit que grâce à la générosité internationale : nous sommes donc bien loin de la souveraineté qu’incarne normalement le 27 juin. Il est vraiment grand temps que disparaissent ces pratiques misérabilistes d’un régime incapable d’assurer le minimum vital à ses concitoyens.
Brèves nationales
Affaire DAF :
Mea culpa de l’injustice
L’acharnement contre le Président du MRD et directeur de publication du « renouveau Djiboutien », M. Daher Ahmed Farah, a heureusement pris fin le 23 juin, puisque le prévenu a été tout bonnement acquitté à l’issue de son procès en diffamation. Nous nous réjouissons de la libération de notre ami DAF, injustement incarcéré durant plus de deux mois dans des conditions intolérables à la sinistre prison de Gabode, au motif fallacieux d’un délit de presse qui n’a finalement pas été retenu.
Il semble que le récent séminaire organisé à l’intention des magistrats leur a été profitable, puisque ces derniers ont miraculeusement daigné rendre justice à un opposant persécuté sans aucun motif sérieux et dont l’acquittement logique contraste fortement avec le refus opposé à sa demande de liberté provisoire.
Rien ne justifiait donc l’incarcération d’un prévenu qui allait être acquitté. Notre compagnon de lutte s’est courageusement défendu en l’absence de son avocat, soutenu qu’il fut par tous les leaders de l’opposition, face à un avocat de la partie civile, autrefois défenseur de droits de l’homme parait-il, qui a fait bien piètre figure. Bravo DAF ! La lutte pour l’avènement d’un véritable État de droit continue…
Randa :
Barrage au mensonge
La presse gouvernementale spécialisée dans la désinformation ne manque par de lyrisme quant il s’agit d’encenser les rares actions gouvernementales entreprises de surcroît sur financement extérieur. Ainsi, nous apprenons ébahis et en sueur, dans un article dithyrambique de l’incorrigible « La Nation » : « il faut dire que l’inauguration du mini-central hydroélectrique, constitue une sorte de renaissance pour le village d’après ses responsables ». Mais qui avait tué ce village, et quelques-uns de ses habitants, depuis un certain 5 juillet 1993 ?
Rappelons, moins pour le lecteur que pour le bihebdomadaire gouvernemental, qu’une centrale hydroélectrique fonctionne, par définition, grâce à l’énergie fournie par la masse d’eau retenue par un barrage. En attendant ce miracle de la pluviométrie nationale, puisse au moins la mauvaise gouvernance fournir les quelques rares barils de gasoil nécessaires au fonctionnement du petit groupe électrogène et la mini motopompe.
Réhabilitation à Randa :
Étape nécessaire mais insuffisante
Si le coûteux déplacement présidentiel, avec sa cohorte de 4×4 rutilantes et ses centaines d’obligés, a permis au village de Randa de sortir de l’obscurité et de se soulager d’une corvée d’eau épouvantable, la réhabilitation version Chef de l’État n’en est pas une véritable. Le système du bakchich privilégié en haut lieu continue à présenter un droit inaliénable à être réhabilité comme une faveur présidentielle réservée à quelques-uns.
Les Randaniens sinistrés ne l’ont pas entendu de cette oreille, préférant dans leur grande majorité boycotter une visite dont ils n’attendaient pas beaucoup : le bla-bla finit sans doute par lasser les auditeurs. Les maisons détruites restent à reconstruire et les jardins pillés, à l’image du verger administratif où la délégation présidentielle a fait une halte remarquée, offre un spectacle de désolation. L’unique jardinier qui arrosait ce qui fut autrefois la plus grande pépinière nationale (jardin créé par un ingénieur français dans les années 40) est aujourd’hui à la retraite et son poste budgétaire n’a pas été pourvu. Tout comme les dizaines de jeunes de ce village condamnés au chômage, la population locale survit tant bien que mal, faute d’un réel intérêt pour sa condition de la part des pouvoirs publics.
Cette station d’altitude, bien peuplée l’été, a préféré se faire représenter aux festivités animées par des groupes ramenées de Tadjourah et de Djibouti, par des vacanciers, pour l’essentiel des curieux et maladroitement comptabilisés au nombre des supporters par les médias gouvernementaux éberlués.
Eau et électricité régionales :
L’énergique de Tadjourah
Comme il fallait s’y attendre, à chaque fois que « Réalité » critique certaines personnifications de la mauvaise gouvernance, le journal « La Nation », qu’il serait peut-être plus judicieux de rebaptiser « La Ration », se croit obligé de donner une tribune aux représentants épinglés de « la gestion de vraie problématique ».
Ainsi, dans l’édition du lundi 23 juin 2003, le responsable régional de l’EDD, que nous avions récemment interpellé au sujet de l’obscurité dans laquelle reste plongée la pêcherie d’Obock à cause de la rupture d’un câble électrique, nous revient miraculeusement par un tour de passe-passe médiatique, pour nous parler de la création d’un comité de gestion de l’eau et de l’électricité à Randa, suite à la tout aussi miraculeuse visite présidentielle.
Il est vrai que le cruel manque de cadres compétents par lequel la mauvaise gouvernance explique le cumul des fonctions et la parodie de décentralisation que sont les « conseils régionaux », lui permet en même temps que ce don d’ubiquité, l’absolution de ses multiples défaillances techniques.
Lesquelles défaillances sont directement à l’origine de la détresse des pêcheurs d’Obock privés de glace pour conserver leurs poissons, et accessoirement de certains malaises des malades et parturientes qui étaient hospitalisés sans électricité au dispensaire d’Obock dans le courant du mois dernier.
Chambre de commerce :
Victoire du bon sens !
Samedi 21 juin 2003 restera sans nul doute inscrit dans les annales de la Chambre de Commerce de Djibouti, institution quasi-centenaire, comme un grand jour pour la communauté d’affaires de notre pays. En effet, ce jour-là, l’assemblée consulaire réunie en séance plénière et extraordinaire, a procédé à l’élection du successeur du charismatique Président Coubèche, à la tête de cet organisme depuis plusieurs décennies.
Les résultats des élections du bureau de l’ex CICID ont donné vainqueurs des opérateurs économiques reconnus pour leur contribution au développement économique national, même si l’on peut regretter que le secteur bancaire n’ait pas obtenu une place correspondant à son poids réel.
L’un de ces opérateurs, élu président avec une confortable majorité, malgré le vote orienté, selon de nombreuses sources autorisées, de certaines voix aux ordres du régime, mérite nos plus vifs encouragements.
Said Omar Moussa, dynamique propriétaire de la « Pharmacie de la Corne de l’Afrique », est un membre unanimement respecté du Bureau de la Chambre de Commerce auquel il appartient depuis de longues années. Ce polyglotte affable a beaucoup contribué au développement de l’information commerciale de la chambre de commerce.
C’est en effet sous sa houlette que le service d’information commerciale s’est considérablement développé, au point de devenir la vitrine de cet établissement public au service des initiatives privées.
Mise en vitesse de croisière par le président sortant, la Chambre de commerce de Djibouti s’apprête à prendre un nouveau départ sous la conduite du Président Said Omar Moussa et des cadres nationaux expérimentés, qui doivent à présent en prendre nécessairement la direction.
Mauvaise gouvernance :
La mendicité encore et toujours
Toute honte bue, le journal gouvernemental « La Nation » ne craint pas de médiatiser une honteuse mendicité internationale révélatrice de la démission des pouvoirs publics sous ce régime de mauvaise gouvernance.
Après les réhabilitations des écoles de Bondara et celles du district d’Ali-Sabieh, cette semaine, les Forces Françaises Stationnées à Djibouti (FFDJ) sont encore à l’honneur pour avoir accepté d’acheminer l’aide alimentaire internationale destinée aux cantines scolaires des districts d’Ali-Sabieh et de Dikhil.
Où est donc le mérite du régime djiboutien, claironnant que l’Éducation Nationale bénéficie du premier chapitre du Budget national, quand ce sont des organismes internationaux qui fournissent l’essentiel de l’aide alimentaire aux écoles de brousse, autrefois approvisionnées et gérées sur fonds exclusivement nationaux ?
Et que dire de l’acheminement de ces vivres confiée aux FFDJ, alors que des 4×4 rutilantes de l’administration, achetés sur fonds propres, sont mobilisés pour l’acheminement du khat lors des improductives tournées gouvernementales aux quatre coins du pays ? Sans parler des dizaines de camions offerts à l’Armée Nationale par les pays amis, véhicules qui ne sont mobilisés que les jours de parade.
Lamentable gâchis permanent de la mauvaise gouvernance.
Le présidentialisme djiboutien (4)
Démocratie, Dictature ou Caricature ?
4ème et dernière partie : une caricature despotique de la Démocratie
Jusqu’à présent, nous n’avions pas encore clairement défini à quelle catégorie pouvait être rattaché le système politique djiboutien, caractérisé par la prééminence sans contrepouvoir du Chef de l’État, Chef du Gouvernement, Chef suprême des Armées, Président du RPP, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, seul autorisé à signer lois, décrets, décisions et arrêtés. Singer la Démocratie tout en se montrant autoritaire et peu respectueux de l’État de droit, cela a un nom : caricature despotique et délinquante. Clôturons donc cette série en examinant ces deux dimensions fondamentales du présidentialisme djiboutien.
Nous avions dit la semaine dernière qu’il était possible de parler de dictature à partir du moment où l’on se trouve en présence d’un système politique caractérisé par la concentration des pouvoirs aux mains d’un seul individu, d’un groupe d’individus, d’une organisation particulière (parti ou armée). Nous n’en avions alors examiné que deux dimensions pour démontrer que l’on ne pouvait pas parler de dictature à Djibouti, puisqu’il n’y avait ni parti unique structuré, ni groupe ethnique solidaire dans sa domination. Nous avions volontairement laissé pour cette semaine un aspect qui rend assez fidèlement compte de la réalité djiboutienne : la concentration des pouvoirs aux mains d’un seul homme.
De fait, la Constitution djiboutienne accorde des pouvoirs absolus au Chef de l’État. Elle organise également les autres pouvoirs, pensera-t-on : Législatif et Judiciaire. Inutile de nous répéter : c’est justement à ce propos que l’on est en droit de parler ici de caricature. Les textes ne sont là que pour masquer un profond dysfonctionnement de nos institutions.
Ainsi, la vie politique nationale se caractérise par deux traits essentiels : un autoritarisme personnifié profitant au Chef de l’État à tel point qu’il est possible d’évoquer la notion de despotisme ; une violation permanente des textes de loi autorisant quant à elle le recours à la catégorie de « régime délinquant ».
Le despotisme renvoie donc à l’absence totale de contrepouvoir susceptible d’encadrer ou de contrôler les immenses pouvoirs du Chef de l’État. Même si la Constitution organise les pouvoirs des membres du gouvernement, le fait par exemple qu’aucun ministre ne puisse recruter le plus humble gardien ou la plus modeste femme de ménage sans une décision présidentielle montre bien qu’il dispose d’un pouvoir de vie ou de mort sociales sur l’ensemble de ses concitoyens.
C’est une forme d’organisation politique dans laquelle le pouvoir est arbitraire, c’est-à-dire non fondé sur le droit, le bénéficiaire l’exerçant de façon absolue
Les traits caricaturaux de cette disposition constitutionnelle n’autorisant aucun garde-fou au pouvoir du Chef de l’État, se trouvent grossis par une gestion quotidienne des affaires publiques justifiant l’utilisation du concept de patrimonialisme, forgé par Weber, ou encore celui de despotisme oriental inventé par Montesquieu. Tous deux ont en commun de décrire une forme d’organisation politique dans laquelle la société est gouvernée à la manière d’un foyer domestique, les relations normalement impersonnelles caractéristiques de tout État de droit y sont remplacées par des réseaux d’allégeance liant le Chef à ses courtisans. Il n’y est pas rare que la confusion soit généralisée entre biens publics et privés.
Cette privatisation de l’espace public s’appuie sur des pratiques de favoritisme, eux-mêmes indissociables d’une culture de la fidélité par laquelle le Chef est obligé de constamment réactiver la loyauté des bénéficiaires de ses largesses. Comme le jardin d’acclimatation du Day, il lui faut irriguer ses réseaux de soutien, laquelle manne liquide qui, comme pour le ranch agropastoral du Day, n’est pas forcément budgétisée de façon réglementaire.
Ce n’est pas par abus de langage que nous parlons de caprice à propos des conditions dans lesquelles l’eau est arrivée sur ces hauteurs. Que l’on en juge par la définition que donne Montesquieu dans son Esprit des Lois : « Le gouvernement républicain est celui où le peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la souveraine puissance ; le monarchique, celui où un seul gouverne mais par des lois fixes et établies ; au lieu que, dans le despotique, un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et par ses caprices. »
Le document que nous vous présentons en page 7 de ce numéro est exemplaire à cet égard : le favoritisme par lequel des nécessiteux sont soumis au chantage et la violation de l’Accord de Paix du 12 mai 2001 y trouvent une actualité qui serait caricaturale, n’eût été le drame de ceux qui ont tout perdu dans le conflit.
Inutile de dire que, dans ces circonstances, le favoritisme despotique est près peu compatible avec le respect des normes de droit : c’est le règne de l’arbitraire absolu sans lequel, justement, le pouvoir arbitraire, discrétionnaire du Chef ne pourrait exister ou se perpétuer.
C’est la seconde dimension caractéristique du présidentialisme djiboutien : la violation quasi-systématique des règles les plus élémentaires, définissant toute Démocratie autorise à dire que nous sommes en présence d’un régime délinquant.
Laquelle délinquance se définissant généralement par l’existence de pratiques déviantes par rapport aux normes édictées et s’appliquant uniformément à tous.
Le droit est remplacé par le passe-droit : tout devient, à condition que l’on sache à quelle porte frapper et quelle intervention solliciter, affaire de marchandage. Il n’est pas nécessaire d’illustrer cette déviance devenue norme à Djibouti : la seule physionomie volontairement rachitique d’une Chambre des Comptes qui, comme par hasard n’adresse les résultats de ses investigations qu’au Chef de l’État (alors que sa justification serait de les rendre publics), suffit à démontrer que ce que l’on nomme pudiquement « opacité dans la gestion des deniers publics » est une dimension constitutive du système politique djiboutien.
Mais l’aspect le plus dramatique de cet usage privé des biens publics, c’est incontestablement dans le mépris qu’un tel système affiche à l’égard de la volonté populaire. Jusqu’aux dernières élections législatives, il est bien établi qu’un pouvoir absolutiste, despotique, ne laisse aucune liberté de choix à ses concitoyens et aucune place à l’opposition pacifique.
La fraude massive du 10 janvier 2003, ainsi que l’acharnement contre un opposant tel que DAF sont monnaie courante dans ces situations monopolistiques : même éclairé, un despote ne peut accepter une quelconque diminution, la plus légale soit-elle, de son autorité. Dans cette logique, leur propension naturelle à renforcer le pouvoir central amènent les despotes de par le monde à refuser toute idée d’une décentralisation : les caricatures que constituent les actuels « conseils régionaux » et le sort réservé au projet de Décentralisation signé le 12 mai 2001 montrent bien que sous nos cieux également, cette constante autoritaire se retrouve.
Ainsi va la République de Djibouti : des textes consacrant largement l’État de droit et la ratification de presque toutes les conventions internationales coexistent sans douleur, tant la duplicité est devenue une seconde nature, avec les formes les plus extrêmes de la personnalisation du pouvoir (et de ses abus) et les violations les plus flagrantes de toute règle de droit. La maturité politique dont ont fait preuve tant le Peuple que l’Opposition djiboutienne, nous autorisent enfin à conclure cet article par une interrogation qui hantait Rousseau : « On dira que le despote assure à ses sujets la tranquillité civile. Soit : mais qu’y gagnent-ils, si les guerres que son ambition leur attire, si son insatiable avidité, si les vexations de son ministère les désolent plus que ne feraient leurs dissensions ? Qu’y gagnent-ils, si cette tranquillité même est une de leurs misères ? On vit tranquille aussi dans les cachots ; en est-ce assez pour s’y trouver bien ? »
Malheureusement, Djibouti n’a pas toujours connu la « tranquillité civile » le refus gouvernemental d’appliquer l’Accord de Paix du 12 mai 2001, persistant donc dans son acharnement à reconduire les causes du conflit en creusant davantage le déficit démocratique, nous inclinent à penser que le despotisme local n’a même pas certaines vertus dont ce genre de pouvoir est capable ailleurs.
De même que le gauchisme était la maladie infantile du communisme, du moins si l’on en croit ses détracteurs, on peut considérer que le despotisme est la maladie infantile des systèmes politiques issus du processus de décolonisation. Heureusement qu’une caricature se fait au crayon: ça s’efface tôt ou tard.
Tadjourah-Randa : l’échec d’une politique
Six mois après le hold-up électoral du 10 janvier 2003, le Chef de l’État entouré de ses mal-élus traumatisés, s’est rendu dans la Ville-Blanche pour y inaugurer un mausolée, pardon, un nouveau bâtiment de l’ex- parti unique rejeté à l’échelon national et totalement défait à Tadjourah. Raison pour laquelle son illustre président s’est personnellement investi dans une campagne cherchant à le réanimer. Peine perdue!
C’est curieusement sur la place de l’Indépendance où règne l’annexe de l’ARD, et haut lieu des rassemblements de l’UAD, qu’un fantaisiste siège du parti illégalement au pouvoir a été bâti. Le fait d’avoir choisi ce lieu emblématique dans une ville considérée comme le bastion de l’opposition, ne trompe personne. Ce régime d’esbroufe cherchait à tester son influence, moyennant faveurs et mensonges : échec total.
Quelques jours auparavant, des missi dominici envoyés en éclaireurs et des agents de la sécurité présidentielle pré positionnés, ne cachaient pas leur pessimisme. Dans leur rapport d’inspection, ces grenadiers-voltigeurs avouaient sans fausse modestie l’échec de leurs entreprises de sensibilisation, ou plutôt de désinformation. Ce serait, semble-t-il, suite à leurs conseils avisés que le Chef de l’État, qui avait initialement prévu d’aller à Tadjourah par mer, a finalement préféré se rendre en hélicoptère dans la Ville-Blanche.
Ce changement d’itinéraire au dernier moment est en soi révélateur du désarroi d’un régime déstabilisé et frileux. Il est vrai que la veille, les dynamiques militants de l’Alliance Républicaine pour le Développement (ARD) n’avaient pas caché leur opposition à ces festivités qui leur apparaissaient comme une provocation de la part d’un régime particulièrement détesté depuis la mascarade électorale du 10 janvier 2003.
Une fois sur place, le Président de la République et son gouvernement, habitués à amadouer en ces circonstances, ont eu la désagréable surprise de voir que quelque chose ne tournait pas rond dans cette ville normalement connue pour son respect du visiteur et pour la chaleur de son accueil.
Aussi, après une symbolique cérémonie d’un local tout aussi symbolique, le Chef de l’Etat a préféré retrouver la fraîcheur de l’altitude en se rendant par hélicoptère à Randa. Pourtant, les engins des Travaux Publics, absents du Nord depuis fort longtemps, avaient fait des miracles sur la route PK9-Randa à son intention, au plus grand bonheur des usagers de ce tronçon, bénéficiaires bien malgré eux de cette manifestation inattendue des services publics.
De l’avis même de certains représentants de l’entourage présidentiel, la dernière visite du « numéro un djiboutien» à Tadjourah a été un cuisant échec. Pour preuve, les membres du second parti de l’alliance illégalement au pouvoir, sous-traitants locaux du RPP, ont préféré adopter un profil bas, n’apparaissant qu’au dernier moment aux festivités organisées par courtoisie en l’honneur d’un Président de la République qui a déçu à beaucoup d’égards. Certains d’entre eux s’éclipsant même pour rejoindre illico presto Randa , toujours avec la même discrétion. Pendant ce temps, nos braves militants de Tadjourah se sont retrouvés à l’annexe de l’ARD pour nettoyer ses alentours et badigeonner ses murs. Ainsi, des centaines de femmes de Elaamo, Fii’a, Tadjourah-centre et Marsaki ont allègrement boudé la comédie présidentielle en restant chez elles
Quoi qu’en pense le RPP local fossilisé, l’ARD, le grand parti emblématique de l’opposition nationale et membre de l’Union pour l’Alternance Démocratique, plus connu là-bas sous le sigle « UAD 100% », reste absolument maître des lieux, parce qu’elle incarne la seule solution crédible face à la démagogie d’un régime plus soucieux de faire croire que de réellement rendre service aux citoyens.
Aux dernières nouvelles, nous apprenons que, suite au coûteux déplacement présidentiel censé tirer un trait sur « la soif et l’obscurité » à Randa, dès samedi 21 juin 2003, les habitants auraient constaté le retour de l’obscurité et de la corvée d’eau. Et ce quarante-huit heures après la médiatique visite présidentielle qui s’est terminée, comme on le sait, en queue de poisson : dans le cadre enchanteur du jardin d’acclimatation du Day.
Qui peut donc croire que ce régime peut encore survivre uniquement en mentant au Peuple et en investissant des millions en propagande alors que la réalité la plus évidente démontre qu’il a totalement échoué dans la construction de l’Unité nationale et dans le Développement économique durable.
Et dire que le vice-président du Conseil Régional de Tadjourah prétendait que « l’État va contribuer aux dépenses de gasoil et aux frais d’entretien de ce groupe électrogène.»
Si le vernis ne dure qu’un temps, la dure réalité insuffisamment combattue réapparaît tout le temps.
La Réhabilitation version calife
Comme nous le disions dans l’article précédent, Djibouti est sous un régime essentiellement fondé sur le seul caprice d’un leader qui se croit tout permis, parce que lui-même préfère récompenser les citoyens djiboutiens en fonction des attentes qu’ils formulent à son égard. Ce qui est d’autant plus grave qu’il s’agit d’une situation dans laquelle, par respect pour les nécessiteux, aucun chantage ne doit être moralement permis. Malheureusement, le régime despotique que les citoyens djiboutiens doivent supporter jusqu’à l’inévitable changement n’a quant à lui aucun scrupule à terroriser de malheureux nécessiteux uniquement désireux de voir réhabiliter un cadre de vie qu’ils on perdu à cause de la prédation de soldats gouvernementaux impunis. Le courrier ci-dessous reproduit, émanant du Président du Croissant Rouge pour la région d’Obock, est assez révélateur de toute cette injustice institutionnalisée.
Mr MOHAMED AHMED CHEHEM
Président du Croissant Rouge d’Obock
Tél. : 81 8642
Djibouti
Djibouti, le 21 Juin 2003
A
Son Excellence Monsieur le Ministre
de l’Habitat Et de l’Environnement
Djibouti
Objet : Doléances
Excellence,
En ma qualité de président du Croissant Rouge d’Obock, j’ai assisté à la Réunion à Obock dans l’enceinte du Centre Communautaire et on nous a soumis la liste nominative de 240 personnes qui bénéficieront de la réhabilitation de leurs logements à Obock, lequel projet est financé par la communauté européenne.
Toutefois, j’ai été surpris de constater que la majeure partie des personnes figurant sur ladite liste ne sont pas réellement les personnes dont leurs logements ont été endommagés par la guerre.
J’ai d’ailleurs avisé le Commissaire de la République, Chef du District d’Obock à ce sujet car il est regrettable que les réelles personnes qui ont subi un préjudice par la guerre ne sont pas figurés sur cette liste.
C’est pourquoi, je recours à vous, Excellence, afin qu’une autre commission soit reconstitué pour déterminer sur le terrain même à Obock en procédant à une enquête auprès des habitants d’Obock pour connaître les vrais personnes qui étaient propriétaires des terrains sur lesquels ils possédaient dans le temps leurs logements endommagés par la guerre. .
Aussi, il existe des personnes qui ont construit des habitations de fortune à la suite de l’endommagement de leurs logements par la guerre et qui habitent dans des conditions pénibles, exposés aux intempéries et aux moustiques. C’est donc ces gens qu’il faudrait aider et assister en premier lieu et en urgence car c’est vraiment eux qui ont subi des préjudices et qui se sont installés suivant leurs moyens. Tandis que ceux qui vont construire dans la Zone Palmeraie aux abords de l’OUED et sur le LIT de l’OUED, il est recommandé de leur octroyer par le District d’Obock des terrains dans d’autres emplacements car l’OUED a déjà fait assez de victimes.
En conséquence, je vous prie de bien vouloir intervenir afin que les vrais nécessiteux soit servis avant les autres qui veulent ont profité car cette affaire risque d’avoir des conséquences fâcheuses si l’on détermine pas les réelles sinistrés.
Comptant sur votre compréhension et sur votre précieux recours ainsi que sur le bien fondé de votre décision pour cette affaire.
Je vous prie de croire, Excellence, Monsieur le Ministre, l’assurance de mon profond respect.
COMMENTAIRE
Il fallait s’y attendre : s’est pour s’adonner à ce favoritisme malveillant et injuste que le régime a saboté la Réhabilitation prévue par l’Accord de Paix du 12 mai 2001. or, durant les négociations, le FRUD-armé avait dressé un tableau exhaustif des destructions subies dans les zones affectées par le conflit. Il aurait suffi au régime de se référer à ce document annexé au dit Accord pour savoir qui indemniser et de quoi. Mais son souci n’est pas de rendre justice. La dérive dont se plaint M. Mohamed Ahmed Chehem s’est déjà produite par le passé, lorsqu’il a été question d’indemniser les pêcheurs ayant perdu leur outil de travail, de même que les jardiniers dont les potagers ont été détruits durant le conflit. Contrairement à ce régime démagogique qui ne veut récompenser que ses seuls fidèles, il prône quant à lui une réhabilitation prioritaire des vraies victimes.
Décentralisation et création de parti
Dans son édition du lundi 23 juin, le journal gouvernemental « La Nation » a donné la parole, sur visite spontanée comme d’autres le font à « Jeune Afrique-L’Intelligent », pour rétablir ce qu’ils estiment être une vérité que le lecteur ne peut ignorer à propos des négociations entre le gouvernement et le FRUD-armé. on y apprend beaucoup de choses, comme par exemple le fait que le FRUD-armé aurait demandé à ce que l’administration fonctionne sur la base des quotas ethniques. C’est tout le contraire : nous avions insisté sur la nécessité d’éviter les situations monocolores que l’on observe çà et là, préjudiciables à l’Unité Nationale. On y apprend également que nous aurions cherché à attenter à l’Unité nationale en proposant l’abrogation d’un article de la Constitution. Voyons cela.
« La Nation » propose donc au lecteur une sorte de mise au point, d’autant plus intéressante qu’elle émane d’un fonctionnaire présenté comme avoir participé aux premières loges aux pourparlers de paix entre le gouvernement et le FRUD-armé entre avril 2000 et mai 2001. Accessoirement à sa participation à la « Commission des Réformes Démocratiques », l’interviewé, un certain Monsieur Ali Djama Abdi, n’est pas un inconnu à « Réalité ». Au nom du ministre de l’Économie et des Finances, il s’était en effet autorisé à nous répondre à propos de quelques considérations économiques, en nous invitant, au nom du gouvernement djiboutien « à faire preuve de patience » car, selon lui, de centaines de millions de nos francs avaient été investis par le régime dans « la consolidation de paix ».
Histoire peut-être de nous suggérer de détourner une partie de ces fonds puisque, de toute évidence, la partie signataire que nous sommes n’a jamais entendu parler d’une concrétisation dudit Accord de Paix.
Voilà donc que notre génial fonctionnaire nous revient aujourd’hui pour éclaircir un point d’histoire essentiel de notre pays. Sous le titre « Ils n’ont pas le monopole de la paix », cet apparemment paisible citoyen djiboutien qui, sommé par le journal gouvernemental de « donner des exemples concrets » des bonnes dispositions du régime quant à une concrétisation rapide et sincère de l’Accord-cadre conclu le 7 février 2000 à Paris, livre au lecteur des « révélations » pour le moins inexactes.
Le monologue étant l’arme des situations dictatoriales qu’il incarne, peut-être bien malgré lui , ce sieur Ali Djama Bakal, qui jouait un rôle plus que marginal dans cette « Commission des Réformes Démocratiques » dont le co-président côté gouvernement n’était autre que l’actuel Président de la mal-élue Assemblée Nationale, se croit en droit de prétendre qu’ « à la discussion qui a porté sur la constitution, deux points ont été particulièrement importants à nos yeux, car il était question de la sauvegarde de l’unité du pays et de l’union des communautés. Le premier point était la réforme de l’article 6 de la constitution, et nos adversaires nous avaient proposé de réviser cet article pour extraire les éléments tels que ‘’ ethnie, langue et région’’ comme base d’identification pour un parti politique.
Autrement dit, toute organisation à caractère politique aurait la possibilité de s’identifier à une ethnie, à une langue ou à une région. Ce projet de réforme était inacceptable dans notre esprit, dans la mesure où elle s’inscrit dans une logique de division ethnique et de haine tribale. Accepter cette proposition, reviendrait à dresser les différentes communautés les unes contre les autres pour entraîner notre pays dans une sorte de ‘’balkanisation’’. »
Comme il le dit lui-même, et sans nécessairement convoquer comme lui le pléonasme, « ne pas évoquer l’intégralité de l’ensemble des arguments émanant des deux parties et en ne tenant pas compte de tous les aspects et contexte lié directement ou indirectement aux pourparlers, consiste à manquer de respect à la nation », une simple précision s’impose.
En effet, si lors de ces négociations le FRUD-armé a suggéré l’abrogation de cet article de la Constitution, c’était avant tout en référence à la loi relative aux partis politiques dans le contexte d’une réelle Décentralisation. Laquelle loi relative aux partis politiques dispose, comme chacun le sait, que des représentants de chaque région et de chaque composante de la communauté nationale se portent garants de la création de tout parti politique en République de Djibouti.
Ce qui peut sembler plus ou moins normal dans le contexte d’une compétition nationale, même s’il est bien évident que la référence à la sauvegarde de l’Unité Nationale a toujours servi d’alibi à toutes les situations de parti unique dans l’Afrique post coloniale : une domination tribale a besoin de figurants d’autres groupes tribaux pour se légitimer.
Mais si le FRUD-armé, c’est-à-dire nous, a suggéré une telle réforme dans la constitution de partis politiques, c’est pour une raison bien simple. Imaginez, par exemple, dans le cadre d’une réelle Décentralisation, que les citoyens d’une région décentralisée comme Ali-Sabieh ou même Arta, aient envie de s’organiser en parti politique pour mieux défendre leurs intérêts régionaux à l’échelle de leur région, ce qu’ils ont parfaitement le droit de faire.
Pourquoi les obliger alors, afin de pouvoir créer leur propre parti politique, à s’adjoindre des représentants de communautés ne vivant absolument pas ou marginalement dans leur région ?
Il est donc tout à fait stupide et malhonnête d’exiger des citoyens de ces régions d’exhiber des faire-valoir d’autres communautés, d’autres régions ou d’autres groupes ethniques pour être autorisés à défendre leurs intérêts régionaux légitimes, dans la sauvegarde bien entendu de l’Unité Nationale.
Car, dans une Décentralisation digne de ce nom, il s’agit avant tout de respecter les choix des citoyens pouvant librement désigner leurs élus locaux : pourquoi leur imposer alors de passer par un parti politique implanté à l’échelle nationale, avec tout ce que cela suppose comme fraude, pour être autorisés à exister ? Une telle entrave au libre exercice de la représentation politique est totalement contraire à ce que l’on entend communément par Démocratie.
Mais il est vrai que la République de Djibouti est tout sauf une Démocratie. Il est donc bien normal que certains représentants d’un régime illégal et illégitime inventent des quotas régionaux ou tribaux pour perpétuer la domination d’une minuscule clique au pouvoir, s’autorisant de textes taillés sur mesure pour étouffer des démocraties locales qui sont, à y bien regarder, l’unique chance de survie d’un État pluriethnique comme le nôtre.
Il est dramatique que le régime cherche éperdument à fuir cette réalité incontournable : temps perdu !
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