Réalité numéro 83 du mercredi 11 février 2004 |
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Sommaire
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Directeur de Publication :
ALI MAHAMADE HOUMED Codirecteur : MAHDI IBRAHIM A. GOD Dépôt légal n° : 83 Tirage : 500 exemplaires Tél : 25.09.19 BP : 1488. Djibouti Site : www.ard-djibouti.org Email : realite_djibouti@yahoo.fr
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Éditorial
GARDE PRÉSIDENTIELLE : LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE EN UNIFORME
Le matricule 77/5531/T, qui préside aux destinées de la nouvelle Garde Présidentielle, a beaucoup de raisons d’être content, même si l’uniforme rouge sang dont il était accoutré, dans la plus pure tradition d’opérette qu’affectionnait Idi Amin, ne restera certainement pas dans les annales du bon goût militaire. Par contre, voir des soldats sur le Coran prêter serment de fidèlement servir leur chef est chose inédite : à notre modeste connaissance, et en droite lignée de la secte des Asaasiyyiin ( Fondamentalistes auxquels la langue française doit le terme assassin), seules les recrues fanatisées du Hamas, du Hezbollah ou du Djihad Islamique jurent devant Allah de ne pas trahir leur cause. Mais au moins, ces forces paramilitaires n’ont jamais prétendu incarner ou défendre une quelconque institution républicaine. Le fait qu’en République de Djibouti, seuls les hommes de la Garde Présidentielle, mieux payés et mieux équipés que ceux des forces régulières, jurent sur le Coran n’en est que plus révélateur d’une dérive autocratique et policière que nous dénonçons sans cesse.
En disant cela, l’on ne peut manquer de songer à l’émission « Djibouti : la République en uniforme », de Michel Honorin et diffusée par une télévision française au début des années 80. On y entendait un actuel haut fonctionnaire, à l’époque paria pour cause de parti unique, racontant par le menu détail les diverses tortures à lui infligées par les sbires du SDS, au prétexte d’une imaginaire tentative d’assassinat contre la personne du chef de cabinet de la Présidence. Tandis que tel avocat jurait, main sur le cœur, qu’aucune forme de torture n’était pratiquée à Djibouti. On sait ce que sont devenus le présumé terroriste, sa prétendue cible et l’avocat du Diable.
Quel rapport ? De son temps, et même au plus fort du conflit civil, Gouled n’avait jamais estimé utile de s’entourer d’une milice personnelle pompeusement appelée Garde, présidentielle ou républicaine. Nous sommes donc bien en présence d’une nouvelle République en uniforme, même si les troupes gouvernementales ont la gâchette moins facile à l’encontre des civils depuis février 2000 et si l’impunité surbookée des tortionnaires du SDS appartient au passé du moind pour le moment. Le matricule 77/5531/T de l’AND a donc beaucoup de raisons d’être content : pour lui et pour les troupes qu’il commande, le régime a allègrement violé les dispositions du décret n°970054PREDEF du 4 mai 1997 portant définition des effectifs budgétaires de l’Armée Nationale et de la Force Nationale de Police. Lequel décret, classé sans raison « Confidentiel Défense», devait, tel que stipulé en son article premier et en application de la Loi n°118/AN963èmeL du 25 janvier 1997 portant orientation et programmation sur la sécurité et la défense, définir le volume des troupes (AND, FNP et Gendarmerie) à l’issue des opérations de démobilisation. Si cette démobilisation, qui devait concrétiser le retour à une situation de paix intérieure, ne s’est pas déroulée telle que programmée, c’est surtout pour une raison inavouable : la Paix impliquant l’incorporation d’anciens combattants au sein des forces de défense et de sécurité, et le régime ayant toujours présenté le conflit comme un problème tribal (comme en témoignent le recrutement massif et sélectif des Mobilisés puis le recours à des mercenaires étrangers à l’époque), il était devenu extrêmement périlleux pour lui de congédier les victimes d’un tel mensonge.
Problème aggravé, comme chacun s’en souvient, par les conditions dans lesquelles l’ancien patron de la Police avait été démis de ses fonctions et placé dans l’impossiblité de se soigner. Le nouveau chef d’état-major de la Garde Présidentielle est donc content : à l’instar de ses collègues de l’AND et de la Gendarmerie, il aura son petit pâturage clanique, sur lequel il pourra régner en roitelet. Comme pourrait en témoigner le premier recensement des effectifs en fonction de l’origine, il y a encore un long chemin à parcourir avant que ces forces ne soient réellement au service d’institutions démocratiques et garantes de valeurs républicaines en assurant, en leur sein, une représentation équitable des diverses composantes de la communauté nationale.
En attendant, tel la grenouille voulant devenir plus grosse que le bœuf, la Garde Présidentielle enfle, au plus grand malheur d’un Budget national dont le Peuple Djiboutien souhaite prioritairement voir l’essentiel affecté vers de vrais chantiers de développement et non investi à perte dans la sécurité personnelle d’un dirigeant s’installant un peu vite dans l’avenir. Quand on sait à quoi a abouti le serment sur le Coran des membres de la CENI, aucun doute ne semble permis sur le sens de ce geste de la part des recrues de la Garde Présidentielle : servir la consolidation d’une autocratie capricieuse autant qu’outrageusement armée.
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Brèves nationales
Mouloud :
Arrestation de chômeurs
Lundi dernier, de jeunes chômeurs désirant travailler sur le chantier de réhabilitation de la route Dikhil-Wéa ont bruyamment manifesté leur mécontentement devant le camp de base installé à Mouloud par les services cantonniers. Suite à ce coup de colère qui n’aurait causé aucun dégât matériel, les autorités ont procédé à l’arrestation d’une trentaine de jeunes, aussitôt transférés à Dikhil. Rappelons qu’en décembre dernier, 25 jeunes chômeurs avaient été emprisonnés à Dikhil puis à Djibouti pour les mêmes raisons. Le malaise social perceptible dans tout le pays semble s’aggraver dans ce district. En privilégiant la répression, le régime ne contribue certainement pas à l’apaisement du climat social. N’ayant aucune politique visant à résorber le chômage des jeunes, il poursuit sa fuite en avant.
District de Dikhil :
Le régime protège-t-il des hyènes tueuses ?
Depuis quelques mois, les populations rurales de Hanlé, Gagadé et Goba’ad se plaignent régulièrement des ravages causés à leur bétail par des hyènes tueuses sévissant dans leur région. Ainsi, des centaines de chèvres, moutons et dromadaires auraient déjà été dévorés par ces prédateurs dans tout le Sud-Ouest. Périodiquement alertées, les autorités du district de Dikhil n’ont pas crû utile de prendre des mesures à l’encontre de ces bêtes sauvages qui sèment la désolation sur leur passage. Il est vrai qu’étant écologiste, ce régime préfère sauvegarder la faune sauvage aux dépens du cheptel domestique.
Transport urbain :
Réorganisation ou anarchie ?
Il y a quelques années, de réelles mesures pour organiser le transport en commun de la Capitale avaient été prises par les autorités du district, notamment par l’installation des abris-bus sur tous les trajets. Aujourd’hui, le ministère des Transports voulant justifier sa récente réorganisation interne, a pris l’initiative de perturber les conditions de transport des usagers. Ainsi, il semble que, probablement sur décision du Commissaire de la République, Chef du district de Djibouti, aurait été initié le chamboulement des transports en commun. Tout en ne perdant pas de vue les responsabilités et les prérogatives de chaque ministère, cette décision de changement d’itinéraire affecte depuis peu les usagers et propriétaires des transports en commun, ainsi que les commerces de la Capitale.
Il semble que ce choix a des conséquences économiques et sociales sur les lieux de travail (commerces et autres) se situant au-delà des «caisses», point séparant l’ancien quartier commercial du temps colonial de la ville basse. La rue parallèle à la célèbre rue des mouches étant désormais devenue le point de passage des « grands bus », il aurait été plus sage pour ce régime incohérent d’œuvrer pour une concertation juste et équitable entre les usagers et les propriétaires du transport en commun. Nous savons que malgré l’augmentation des effectifs de la police routière, les accidents causés par ce type de transport en commun appartennant à la nomenklatura continuent. Cette dernière usant et abusant de certains passes-droits lui permettant de bafouer les règles qui régissent cette catégorie de moyen de transport, sans polices d’assurance, sans vignettes, sans permis de conduire valable, ni même une conscience professionnelle impliquant entre autre la sécurité des usagers, persiste dans son inconscience.
Daffeynaïtou-Gawra :
L’école insolite n’est plus
L’école insolite de Gawra, installée à 6 kilomètres au nord du hameau de Daffeynaïtou et inaugurée en grande pompe lors de la dernière rentrée scolaire, aurait dernièrement fermée ses portes. Il faut rappeler que cette curieuse école n’a jamais fonctionné et l’unique instituteur qui y avait été affecté était plus visible à Tadjourah que sur son lieu de travail. La lutte contre l’ignorance à Wéïma s’est une fois encore révélée n’être qu’une esbroufe de mauvais goût.
Mais il est vrai que dans un autre district du nord, un gardien est régulièrement payé au nom d’une école qui n’existe pas, tandis qu’un infirmier est censé officier dans un dispensaire qui n’existe pas : c’est à Obock. Ainsi va la mauvaise gouvernance : gaspiller l’argent public pour des raisons uniquement partisanes, au détriment du vrai développement. A quand une véritable école à Daffeynaïtou et à Illisola ? A quand un vrai dispensaire à Dorra et à Khor-Angar ?
Union Européenne :
Visite d’une délégation parlementaire
Une délégation parlementaire de l’Union Européenne viendra prochainement à Djibouti afin de s’informer sur place de la situation politique et économique dans notre pays. Attendus pour le 20 février, les députés auront des entretiens avec les autorités djiboutiennes et les partis politiques de l’opposition nationale. Ce sera pour l’UAD l’occasion d’exposer à nos partenaires Européens la réalité de la situation prévalant dans notre pays.
Ali-Sabieh :
Eau et politique ?
La route Djibouti-Ali-Sabieh risque d’être particulièrement encombrée dans les prochains jours. En effet, selon le Assajogs, un imposant convoi présidentiel composé de l’inévitable Garde Présidentielle, de l’UNFD, des associations-maisons, courtisans en tous genres et autres fonctionnaires réquisitionnés, s’apprête à déferler sur leur ville. Initialement prévue pour ce week-end, la médiatique inauguration de ce projet d’eau minérale devrait se faire la semaine prochaine, si certaines difficultés techniques sont résolues d’ici là. Pourtant, les préparatifs de l’événement vont bon train et rappellent curieusement le lancement d’une campagne présidentielle. Des centaines de T-shirts et casquettes seraient déjà imprimés depuis plusieurs jours et tout ce que le pays compte de griots patentés serait mobilisé pour l’occasion.
Colloque de Paris : les conclusions
COLLOQUE DE PARIS SUR LA CORNE DE L’AFRIQUE :
LES CONCLUSIONS
Voici le point final de ce colloque organisé par Les Nouvelles d’Addis et le député vert Noël Mamère à l’Assemblée Nationale française le 2 février 2004, sous la plume de M. Ahmed Ibrahim.
Corne d’Afrique 2004 : L’année de tous les dangers ?
Cette contribution de Ahmed Ibrahim a été publiée par Les nouvelles d’Addis en marge des travaux du Colloque du 2 février. Selon son auteur, les perspectives sont inquiétantes. Par AHMED IBRAHIM
Janvier 2004. – La corne d’Afrique vient de terminer l’année 2003 dans l’incertitude totale. A l’horizon se faufilent déjà des nuages sombres mais non inaccoutumés. Parmi les quatre pays que sont Djibouti, l’Érythrée, l’Éthiopie et la Somalie, malgré les apparences, la situation est grave. En Éthiopie, Érythrée et Somalie, les bruits de bottes annoncent des conflits qui vont inévitablement et inutilement verser le sang des innocents.
De même que les pleurs des affamés nous rappellent continuellement que, plus de trente ans après la tristement fameuse famine du Wello qui avait précipité la chute du Négus et celle de 1984-1985 qui avait ému la planète entière et qui avait forcé Hollywood à chanter «We are the world», les populations meurent toujours de faim. Tandis que l’Érythrée, en dépit des guerres passées et de l’énorme sacrifice consenti dans sa chair, elle n’a toujours pas troqué son uniforme pour la tenue de travail. De son côté, Djibouti n’a pas l’air d’avoir appris les leçons de sa guerre civile et des incertitudes qui ont suivi. Sa situation en ce début d’année 2004 n’est guère différente dans le fond de celles qui prévalaient avant l’avènement du Frud. Quant à la Somalie, cette gangrène de la Corne paraît être vouée à l’imputation totale, du moins dans l’esprit des gens.
Éthiopie. Dans une volte-face aussi extraordinaire qu’imprévue, le Premier ministre de l’Éthiopie, Mélès Zénawi, a rejeté la décision de la cour internationale d’arbitrage sur le tracé de la frontière entre son pays et l’Érythrée, qui attribuait la ville de Badme à l’Érythrée. Même si a fortiori la cour a été imprudente dans cette démarche de ne pas tenir compte du fait que la ville de Badme est une des causes principales pour lesquelles l’Éthiopie est entrée en guerre, il n’en reste pas moins toutefois que Mélès Zénawi dans sa désinvolture, peut rapprocher la région du précipice d’un conflit meurtrier.
En répudiant ainsi sa promesse de se soumettre à la décision de la cour internationale, partie intégrante des accords d’Alger qu’il a pourtant signés, Zénawi a démontré son imprévisibilité dans ses actions régionales. Il est par ailleurs constamment accusé par le TNG de Mogadishio d’être la cause principale de la persistance de l’anarchie en Somalie, en ne le reconnaissant pas comme gouvernement légitime de la Somalie comme convenu, lors de la célébration de la fin de la conférence d’Arta. De plus, il est fortement soupçonné de pourvoir aux chefs de guerre de Somalie en leur fournissant armes, support financier et appui diplomatique constants au cours des dernières années.
Au même titre, Djibouti lui reproche aussi d’être contreproductif dans cette approche. Ensemble, la majorité des pays arabes, Djibouti et le TNG accusent indirectement Mélès Zénawi de créer en Somalie un champ fertile pour les extrémistes de tout bord.
D’une manière générale dans la région, les populations locales se voient dérober les opportunités d’améliorer leur quotidien et de prévenir la détérioration de l’économie et de l’environnement, raisons sous-jacentes des famines à répétition. A titre d’exemple, en Somalie, ce désordre total empêche l’établissement d’un état responsable qui pourrait empêcher la dégradation accélérée de l’environnement et des moyens de subsistance. En effet, au rythme et à la nature des dégâts observés par les organismes internationaux, la Somalie sera devenue, dans un avenir très proche, un vaste dépotoir désertique aux côtes maritimes déblayées de toutes ressources. Ses habitants seront durablement affectés et de cette destitution pourrait naître une instabilité qui affecterait profondément la paix et la prospérité de la région toute entière.
Le Premier ministre Zénawi s’avère avoir autant de difficultés que ses prédécesseurs, jadis honnis, à pouvoir rehausser la qualité de la vie des Éthiopiens. Certes, les citoyens ne sont plus tués par centaines et la république apparaît pouvoir fonctionner convenablement ; il n’empêche que l’Éthiopie reste toujours un kaléidoscope de peuples, de cultures et de religions ingouvernables en ce début d’année, comme nous le remémorent par ailleurs les actes de rebellion advenant un peu partout dans le pays.
De l’OLF à l’OGL en passant par les rebelles Afars, les extrémistes d’Al-Itihad Al-Islamia, des insurrections larvées des régions frontalières, des conflits aussi sporadiques que récurrents et meurtriers entre les composantes ethniques comme, par exemple, celui entre les nomades Afars et Somalis Issas dans le sud-ouest et celui qui a récemment endeuillé le village de Gambella dans l’ouest du pays, l’Éthiopie reste une bouilloire prête à déborder.
Par ailleurs l’Éthiopie, en dépit de ses potentialités, reste synonyme de famine et de déstabilisation dans les médias occidentaux. Cette année, comme les précédentes, commence avec les nouvelles des famines présentes et pressenties, des taux de mortalité par maladies curables énormes, avec la pauvreté abjecte et l’indice de développement humain abyssal.
Érythrée. Pas mieux lotie, l’Érythrée fait même pire dans certaines catégories. Issayas Afeworki faisait partie avec Mélès Zénawi de cette nouvelle génération de leaders sur lesquels la région comptait pour sortir de son sous-développement. Malheureusement, il a lui aussi failli spectaculairement à ses responsabilités de mener sa région et son peuple vers la paix et la prospérité. D’un modèle de gestion exemplaire et d’un rythme de développement à envier, l’Érythrée est devenue l’exemple à ne pas suivre. Reconversion tardive à la dictature, bâillonnement systématique de la presse libre, élimination de toute opposition…
Issayas Afeworki s’est avéré être un dirigeant décevant dans la conduite des affaires de son pays. Il possède le record douteux d’être entré en conflit avec presque tous ses voisins ; voisins qui, dernièrement, ont senti le besoin pressant d’afficher ouvertement leur front uni lors une réunion très médiatisée à Addis-Abeba. A défaut de construire son pays, il l’a aliéné de l’intérieur de ses frontières comme de l’extérieur. Au lieu de remplacer l’uniforme par la tenue de travail, il a décidé de mener son peuple dans des guerres aussi futiles que meurtrières.
Il a compromis l’intégration régionale tant souhaitée en allant confronter en duel meurtrier le géant voisin. Il a été le précurseur d’une animosité régionale latente et qui risque de s’enflammer à tout instant. D’ailleurs, en 2003, Kofi Annan a fait part aux dirigeants de l’Éthiopie et de l’Érythrée de l’agacement de la communauté internationale sur le conflit futile qui les oppose depuis des années. Il ajoutait que les ressources consacrées à la MINUEE « pourraient être utilisés ailleurs, où elles font cruellement défaut, s’ils ne parvenaient pas, le plus tôt possible, à un accord définitif sur leur diffèrend frontalier ». L’Érythrée commence 2004 comme elle avait commencé 2003 et 2002 : dans l’incertitude totale et sous menace de guerre.
Somalie. Quant à elle, la Somalie continue sa chute libre vers les entrailles de la terre. Les conférences grotesques de réconciliation sont devenues une industrie et un métier pour nombre de groupes hétéroclites. Les bailleurs des fonds payent, les organisateurs en profitent pour raviver leur économie moribonde ; les seigneurs de guerre se chamaillent, mangent et boivent aux frais des princesses occidentales, rehaussant dans la foulée leur blason en donnant des interviews à la section somalie de BBC et par-ci, par-là.
D’ailleurs, l’un des effets pervers de ces conférences est que les chefs de guerre paraissent pousser comme des champignons, étant donné que le titre n’est pas contrôlé. Dernièrement, à Nairobi, le gouvernement kenyan, confronté au nombre ahurissant de chefs de guerre, a poussé le loufoque jusqu’à distribuer des titres de chefs de guerre agréés. Pendant ce temps, le peuple somali se meurt. Le cynisme est porté à son paroxysme par des chefs d’État de la région intéressée et par la sempiternelle Igad, fidèle à son inaptitude.
Toute la cour se déplace d’une capitale à l’autre pour organiser une énième conférence qui n’intéresse que ses acteurs et ne bénéficie qu’à eux. Pourtant, la solution est évidente. Mais personne ne paraît s’intéresser à trouver une issue définitive aux problèmes de la Somalie ; au contraire, elle se trouve être plus profitable comme cela à ses pourvoyeurs. En 2004, ayant exhaussé toutes les capitales de la Corne, l’immuable conférence se déplacerait maintenant, d’après les dernières rumeurs, vers la Tanzanie ou l’Afrique septentrionale.
Somaliland-Puntland. La Somalie du nord, quant à elle, boite bon an mal an sur son chemin de croix solitaire. Dans un souci de vouloir séduire le monde et d’appuyer sa position, le Nord, autoproclamé Somaliland, a fait une transition démocratique paisible et remarquable vues les circonstances. Même si une authentique démocratie reste à prouver par une succession présidentielle en règle dans une défaite électorale. Toutefois, les Somalilandais ont le bénéfice du doute, et le mérite d’avoir parachevé ce que la grande majorité des pays du Sud n’ont pas réussi : une démocratie fonctionnelle avec ses institutions, une presse libre et une opposition jouant plus ou moins son rôle d’opposition constructive.
En dépit des progrès, l’année 2004 n’est pas de bon augure pour le peuple du Somaliland. Les démons de la guerre s’annoncent à l’horizon. Ainsi, utilisant les chevaux de bataille habituels et traditionnels des Somalis que sont le tribalisme et le népotisme, Abdillahi Youssuf Ahmed, l’un des plus sanguinaires des seigneurs de guerre somaliens, président éternel de la région autoproclamée du Puntland, a décidé de spolier le respect que se forgeait le Somaliland dans la région et dans l’arène internationale. Abdillahi Youssouf ressent apparemment une douleur stomacale à propos de Daher Rayaleh, président du Somaliland, qui dans une période très courte a non seulement su se faire accepter de son allié traditionnel, l’Éthiopie, mais aussi de son adversaire coriace qu’est le président Ismaël Omar Guelleh de Djibouti, ainsi que par une multitude de chefs d’État et d’organismes internationaux.
Abdillahi Youssuf offre un Puntland sous sa botte depuis sa création, sans progrès aucun et sans notoriété ; tandis que Rayaleh construit à petits pas sa province.
En 2004, la guerre apparaît inévitable entre ces deux voisins sans une intervention divine. Les deux régions vont en découdre. Toutefois, celle qui a le plus à perdre est le Somaliland. A première vue, une guerre est hors de ses moyens, elle compromettrait son développement bourgeonnant. Dernièrement, la reprise de ses exportations de bétail vers les pays du Golfe et l’utilisation du port de Berbera par l’Éthiopie, ainsi qu’une entente secrète avec Djibouti lors de la dernière visite du président Rayaleh, avaient amorcé l’apparition d’une économie prometteuse. Aujourd’hui, les tensions avec le Puntland risquent de remettre en question la stabilité économique et politique de cette région.
Côté politique, 2004 au Somaliland sera intéressant dans la mesure où nous verrons l’affirmation du pouvoir de M. Rayaleh et son attitude envers son opposition. Mohamed Silanyo, le perdant de la dernière élection présidentielle, paraît avoir très mal digéré sa défaite électorale de 2003. A l’époque, il avait à peine accepté les résultats et ne les avait concédés que du bout des lèvres, sous la pression des vieux sages de son clan, qui lui ont « forcé la main », au bénéfice et en l’honneur du pays.
Lui et son parti, « Kulmiye » (Unificateur en français), continuent une campagne inlassable et acerbe de discréditation contre le gouvernement de M. Rayaleh. Sous-jacente est une lutte de pouvoir, basée sur les clans et présentée par euphémisme comme une lutte politique. Ceci ne paraît pas judicieux pour l’équilibre fragile, chèrement acquis du Somaliland.
Dernièrement, Silanyo a effectué une longue tournée en Angleterre, terre de prédilection, de soutien et de financement de l’élite fondatrice du Somaliland. Sa campagne (axée sur Rayaleh, ponctuée de discours forts en émotions, et menée tambour battant avec l’aide d’un groupe d’intellectuels en tête duquel se trouve Rakya Omar de « African Watch », et avec le soutien partiel d’une presse libre qui est en train d’apprendre à tâtons l’équilibre entre objectivité et partialité), risque de diviser les Somalilandais en deux grands groupes, alignés sur les partis politiques de Rayaleh et de Silanyo. Ceci ressemble étrangement à la seule expérience de démocratie des Somalis, à l’époque de Abdirazak Haji Houssein, au début des années soixante. Cette démocratie avait fini par s’exaspérer et par imploser. De ce fait, Silanyo et Rayaleh, à eux seuls, tiennent entre leurs mains l’avenir du Somaliland.
Impact wahhabite. Rayaleh est aussi confronté à l’émergence d’un radicalisme islamique, résultat de la liberté d’action qu’ont les Wahhabites saoudiens sur toute la Somalie depuis le début de la guerre civile. Quoique n’ayant aucune ambition régionale, du moins dans cette partie de la Somalie, ils ont néanmoins la vocation de transformer le Somaliland en un Afghanistan couleur locale.
Les assassinats des étrangers, pour la plupart membres des charités catholiques œuvrant pour diverses causes sociales, en sont le témoignage. De même que l’assassinat en pleine ville de responsables et décideurs publics. Selon la presse locale, ceci est apparemment un acte de défiance envers le gouvernement de Rayaleh. Cependant, l’impuissance de ce dernier à appréhender les auteurs et commanditaires de ces actes peut être interprétée comme une mesure des limites de ses capacités. C’est aussi un test d’endurance pour un gouvernement qui continue à promettre à ses alliés (Ethiopie, Etats-Unis) la sécularité du Somaliland où la religion reste en dehors de la politique et à la mosquée. Ni l’Éthiopie voisine, réfractaire à tout intégrisme islamique, ni les marines américains basés au Djibouti voisin ne permettront d’ailleurs que cette mainmise sectaire perdure.
A cet égard, les dernières activités des marines américains au Somaliland, de même que l’autorisation qui leur a été accordée pour œuvrer le long des côtes du Somaliland, ainsi que l’arrestation de quelques vieux militants de l’OLNF et de OLF à Hargeisa, sont les preuves de l’adhésion de Rayaleh à la lutte contre l’intégrisme régional. Il en va du salut du gouvernement de Rayaleh ainsi que de celui des habitants du Somaliland : que les coupables et commanditaires de ces assassinats soient arrêtés et traduits en justice le plus tôt possible ; que leurs activités cessent, pour que les ONG, dont l’absence est âprement ressentie par la population, reviennent en 2004.
Djibouti. Depuis le 9 avril 1999, Ismaël Omar Guelleh règne sur la destinée de ce pays et essaie de jouer, au propre comme au figuré, dans la cour des géants de la Corne. Il n’a échappé à personne qu’il n’a pas été invité à la réunion d’Addis-Abeba, où s’est réuni récemment le nouveaux club des amis de la Corne. Ce n’est pas une surprise. Depuis son arrivée au pouvoir, Guelleh s’est engagé dans une politique régionale de collision frontale avec le mastodonte d’à-côté, l’Éthiopie.
Depuis la conférence de réconciliation somalienne, tenue à Arta dans l’arrière-pays djiboutien en 2000, l’Éthiopie accuse indirectement Djibouti d’empiéter sur son domaine réservé. A priori, Zénawi considérait l’idée comme bonne en soit, il ne pouvait pas la rejeter derechef, et il a assisté en personne à la cérémonie de clôture. Néanmoins, le produit de cette conférence, le TNG de Mogadishio, n’a pas été du goût de l’Éthiopie. Dans une célèbre interview à la section somalie de la BBC, et en réponse à une question du journaliste sur le rôle et l’importance de Djibouti dans les affaires de la Somalie, l’ambassadeur de l’Éthiopie à l’Onu, Abdoumajid, a répondu : « Djibouti est en fait insignifiant dans ces dossiers […] c’est juste par courtoisie que nous l’incluons dans ces affaires, sinon, son avis n’est que consultatif ».
Il est évident que l’homme fort de Djibouti se nourrit plus d’illusions que de réalité en ce qui concerne ses influences dans la conduite des affaires de la région. Il est aussi apparent que l’Éthiopie et le Kenya le dédaignent dans leur conduite des affaires de la Somalie. De plus, les propos de l’ambassadeur Abdoumajid ont été corroborés par Daniel Arap Moi (ancien président du Kenya), lors d’une conférence donnée aux États-Unis l’an dernier. Il a confirmé que l’Éthiopie et le Kenya s’étaient concertés et qu’ils n’avaient aucune envie de voir une Somalie réunie et forte émerger. Il a cité, entre autres, le passé irrédentiste de la Somalie et a ajouté que l’Éthiopie et le Kenya ont une longue frontière avec elle, contrairement à d’autres. Le seul « autre » pays ayant une frontière terrestre avec la Somalie étant Djibouti, la conclusion est rapide.
A maintes reprises, Éthiopie et Kenya ont signifié une rebuffade à Djibouti dans la conduite des conférences somaliennes. Durant celle de Nairobi, les trois pays associés dans ce qu’on a pudiquement appelé les pays du front (Frontline States), membres de l’Igad, les dissensions cachées sont remontées à la surface. Marginalisé et humilié au sein du trio, Djibouti n’a trouvé d’autres choix que de se retirer momentanément des pourparlers.
La rupture était totalement consommée et, avec un ton amer trahissant son désarroi, Guelleh a annoncé à la BBC que lui et son « ami » Mélès ne voient pas de la manière l’imbroglio somalien. A la fin, ni l’effort de Ali Abdi, ministre djiboutien des Affaires étrangères, ni celui de l’ambassadeur Bethuel Kiplagat, coordonnateur de la conférence de Nairobi et représentant du Kenya au sein de celle-ci, ni la rencontre entre Guelleh et Zénawi durant les réunions de l’Igad, n’ont réussi à améliorer la place et rôle de Djibouti dans cette conférence. Au bout du compte, seule une intervention emphatique des États-Unis a permis le retour de Guelleh à la table de négociations.
En 2004, Ismaël Omar n’aura d’autres choix que de suivre le flot des événements et de s’acquitter de la seule influence qui lui est permise : convaincre sa créature, le TNG somalien, de ne pas boycotter les pourparlers. Dans sa mansuétude, Guelleh a reconnu devant ses adversaires son impuissance quant aux affaires de la Somalie. Comme l’a prouvé dernièrement la fausse note causée par une déclaration intempestive du président du TNG.
Après son passage à Djibouti, Abdikassim avait annoncé prématurément le résultat de pourparlers confidentiels à Djibouti, stipulant que Guelleh donnerait a priori son accord tacite pour une conférence de réconciliation parallèle, en Somalie. Rien ne pouvait être pire pour Guelleh déjà malmené dans la conduite de cette conférence de Nairobi. Cette déclaration passait pour un désaveu des promoteurs de la conférence de Nairobi ; Guelleh passant pour un coupeur d’herbe, sous les pieds de Mélès et du nouveau président du Kenya, Mwai Kibaki. Dans une panique sans précédent, Guelleh fit la démarche extraordinaire d’une dénonciation officielle et publique du TNG, par son ministre des Affaires étrangères.
La situation intérieure n’est pas plus reluisante pour le président djiboutien. Depuis son héritage du pouvoir, Guelleh a multiplié les initiatives économiques, suivant judicieusement les conseils du FMI et de la Banque mondiale, en privatisant le port et l’aéroport et en réduisant les dépenses de l’État. De même qu’il a pu rétablir l’équilibre des finances publiques, notamment à l’aide des revenus perçus sur la présence des armées étrangères, en plus de celles que la France, mise en rude concurrence, a été forcée de payer. Tout cela a réussi d’une certaine façon à détendre l’atmosphère. Les salaires sont payés et l’électricité fournie bon an mal an. Ceci dit, Guelleh n’a pas su capitaliser cette bonne conjoncture économique par un progrès politique significatif.
Par un tour de passe-passe de génie, il a réussi à faire rentrer au parlement une diversité hétéroclite qui lui est toujours acquise. En 2004, il y a très peu de chances que l’Assemblée nationale sorte du cocasse et joue proprement son rôle de législateur. Cette chambre d’enregistrement, comme l’appellent sarcastiquement les Djiboutiens, est à l’image du désarroi politique qui règne à Djibouti en ce début d’année.
Il n’y a toujours pas d’opposition digne de ce nom, pas de presse libre et crédible, pas de paix consommée dans le pays. Et Guelleh va commencer sa campagne électorale pour se succéder à lui-même, puisque l’élection présidentielle est en 2005, sans avoir digéré celle de 1999. Les fruits de la paix avec le FRUD se font attendre, la décentralisation promise reste à venir, les résultats des divers états généraux ne se sont toujours pas concrétisés et le débat public se résume au folklore de la république. En 2004, les Djiboutiens se préparent à se faire littéralement saturer les sens par les louanges au chef de l’État, relayées ad nauseum par les médias officiels : la RTD, l’ADI et La Nation.
En économie, Guelleh parie sur des projets grandioses, clefs en main, qui peuvent servir le pays mais qui comportent aussi le risque de n’être que des éléphants blancs. L’endettement du pays engendré ces cinq dernières années dépasse largement ce que le vieux Gouled avait contracté pendant l’ensemble de son règne de vingt-deux ans. Par ailleurs, le manque de démocratie empêche tout débat public sur la validité et l’utilité de ces emprunts, ainsi que sur le taux d’endettement du pays.
Le bradage du patrimoine national et des instruments économiques du pays, commencé sous Gouled avec la cession douteuse de l’hôtel Sheraton à l’homme d’affaire très influent, Borreh, s’est accéléré en 2003. Le dessaisissement de ces biens au profit d’intérêts plus ou moins obscurs, dans l’opacité totale et sans appels d’offres crédibles, présage mal du futur. En 2004, le président Guelleh aura presque parachevé les privatisations avec la cession du Chemin de fer djibouto-éthiopien, après celle de DjibTelecom. Le paradoxe est que ces privatisations ne semblent pas s’accompagner de mesures de protection des acquis sociaux et financiers des contribuables. – AI
OU EST DONC LA DEFORMATION DE LA REALITE ?
Si sa fonction de presse gouvernementale, en dépit des consciences individuelles, a souvent exposé le journal « La Nation » à notre critique ; nous avons toujours cherché, autant que faire se peut, à ménager ses journalistes, pour lesquels écrire est avant tout un gagne-pain. Qu’ils prennent leur travail, surtout lorsqu’ils sont pigistes surexploités, tellement au sérieux, qu’à l’instar de leurs collègues de la RTD, ils aimeraient être fiers de leur métier. Malheureusement, c’est à se demander si, cet égard faisant quelques jaloux parmi les plumitifs partisans, la police politique ne cherche à définitivement discréditer « La Nation » en lui assignant les pires besognes. Comme celle qui a consisté, dans son édition de jeudi 5 février 2004, à répondre anonymement à certaines de nos considérations sur la dernière tournée du Premier ministre. Le fait que ce soit le seul texte à connotation politique non signé en dit suffisamment sur son origine extérieure : il vient d’un quelconque collaborateur (non au sens de Vichy) des services de la police politique spécialisés dans la propagande. Quant à son contenu, pour ceux qui n’auraient lu ni nos commentaires ni leurs réponses, il n’est pas inutile de tout mettre à plat, citations contextualisées à l’appui. Chacun verra alors de quel côté se situent la désinformation et le mépris des citoyens.
Commençons par le mépris : l’anonyme répondeur de « La Nation » et défenseur du Premier ministre commence sa charge légère en s’étonnant : « Il est d’ailleurs surprenant de constater que les journalistes de Réalité ne s’offusquent que lorsque l’édition spéciale est réalisée en afar. Leur indignation sélective n’est pas dénuée d’arrière-pensée politique ». Ce n’est pas tout à fait exact et nous avions expliqué les raisons de ce cloisonnement linguistique dans l’article incriminé : il s’agit d’un cloisonnement tribal par lequel, le régime, au lieu du renforcement de l’Unité Nationale devant se concrétiser par une unité dans les programmes à vocation civique ou politique, dit et promet ce qu’il veut en fonction de ses auditeurs divisés selon leur origine.
Et même si nous devions nous offusquer que lorsque l’édition spéciale est en langue afar, nous aurions pour cela une très bonne raison : c’est dans cette langue que le régime prend vraiment les auditeurs pour des tarés. Et ce sont, en témoignent les gesticulations puériles de tous ceux qui prétendent les représenter, parmi lesquels ledit Premier ministre occupe une place de choix, les locuteurs de cette langue que le régime considère comme des citoyens de seconde classe.
Justement, à propos de cette inégalité entre les citoyens (à l’origine du conflit, rappelons-le), le lecteur appréciera ce morceau choisi : « A aucun moment le Premier Ministre n’a demandé que la population de cette région soit privilégiée par rapport à d’autres. Il a simplement demandé que cette population soit équitablement représentée parmi les jeunes qui seront formés dans le cadre du Service National Adapté. Le Premier Ministre aurait tenu de tels propos dans n’importe quelle localité de la République de Djibouti, car il est de son devoir de veiller à l’équité entre les citoyens ».
Chacun pourra se reporter au reportage de la RTD : tout ce qui a été dit y est consigné et l’on saura clairement si nous déformons la réalité (ce serait un comble) ou si d’autres tentent vainement de rattraper la énième gaffe politique du Premier ministre. Quoi qu’il en soit, s’il est bien évident que ce Service National est tout sauf adapté à la lutte contre le chômage des jeunes, nous n’aurons pas la cruauté de rire : le Premier ministre, si tant est qu’il en ait les moyens institutionnels, serait bien inspiré de veiller à cette équité entre les citoyens, dans tous les domaines en exigeant la fin de toutes les formes de discrimination tribale. Il a de quoi s’occuper ! Quant à nous, ce problème de déséquilibre est tellement préoccupant que sa résolution est explicitement prévue par l’Accord du 12 mai 2001, qui stipule en son article 15 que «les institutions politiques et militaires reflèteront équitablement, dans le respect des qualifications requises, par leur effectif, encadrement et hiérarchie, la pluralité de communautés composant le Peuple Djiboutien».
Par contre, eu égard aux souffrances infligées à toutes les populations des zones affectées par le conflit et auxquelles, dans une logique de chantage électoraliste, le régime refuse tout droit à l’indemnisation et à la réhabilitation, nous ne pouvons que dénoncer la mascarade de la première pierre présidentielle posée à Obock.
Ainsi, lorsque ce défenseur d’une cause impossible à défendre parce que profondément inexacte, ose affirmer que « Les rédacteurs de Réalité profèrent encore des mensonges en affirmant que la promesse du Président de la République est restée lettre morte à Obock alors que les travaux de reconstruction des logements détruits sont en cours dans cette ville. », n’importe quel visiteur voyant verrait que depuis la paix d’Aba’a de décembre 1994, absolument rien n’a été reconstruit à Obock, ville détruite et pillée par les troupes gouvernementales novembre 1991.
Considérant les deux points qui précèdent (l’inégalité entre les citoyens et le refus de réhabiliter les zones affectées par le conflit malgré toutes les promesses de financement), nous sommes au regret de ne pas pouvoir satisfaire ce défenseur du régime lorsqu’il qu’il se réjouit « de voir que Réalité admette la réalité dans ce domaine. Avec un peu de temps ces rédacteurs finiront peut-être par reconnaître que les dirigeants actuels du pays ne sont pas non plus tribalistes ».
Avec toute la mansuétude dont nous pourrions faire preuve à l’égard de représentants ethniques sans aucune compétence institutionnelle, incompétence qui les pousse souvent à nier la réalité, comme tel ministre prétendant à l’époque que pas une maison n’avait été détruite à Obock. Mais il y a une différence entre l’ancien régime et le nouveau, qui nous oblige à nuancer la connotation tribaliste : jamais autant d’hommes d’affaires affairistes n’avaient gravité autour des sphères du pouvoir, car jamais Gouled ne s’était investi de façon aussi marquée dans les affaires d’argent.
Enfin, à ceux qui nous accusent de déformer la réalité, au Premier ministre qui ne semble pas au courant de certaines réalités, à d’autres qui nous accusent d’ignorer la réalité et aux lecteurs qui veulent connaître la réalité, nous proposons, exceptionnellement le jeu suivant, révélateur d’une ségrégation contre laquelle les collaborateurs de ce régime d’exclusion seraient bien inspirés de lutter, par respect pour ceux qu’ils prétendent représenter. Voici la répartition ethnique et tribale des 174 officiers supérieurs et subalternes de l’Armée « Nationale» Djiboutienne au 27 juin 2000, établi par le Renseignement du FRUD-armé. A chacun de deviner qui est quoi. Indice : qui sont les généraux. Solution la semaine prochaine.
A ce tarif, nous accepterions presque comme un compliment le fait que ce défenseur du Premier ministre nous reconnaisse au moins la politesse en écrivant : « Par ailleurs, il est piquant de constater que l’opposition reconnaisse enfin des qualités à l’ancien Président de la République et à son dernier Premier Ministre lavés de tout soupçon de tribalisme.» Effectivement, contrairement à tel ministre tenant dans son livre des propos diffamatoires à l’encontre de Gouled, nous n’avons jamais attaqué la personne de nos adversaires politiques.
Gouled n’était que la clé de voûte d’une dictature de parti unique et, quoi que veulent faire croire ceux qui n’ont que la désinformation comme méthode de gouvernement, c’est cet aspect dictatorial que nous avons combattu entre 1991 et 2000. D’ailleurs, nous avions juste écrit : « Sauf preuve du contraire, Gouled n’a jamais explicitement demandé une telle stupidité de la part de son Premier ministre : un tel degré dans la tribalisation excessive des enjeux politiques est bel et bien une nouveauté que l’on doit à l’actuel Chef de l’Etat. Heureusement qu’il est allé à la Mecque.». Il y a bel et bien une différence, n’en déplaise à tous ceux qui souffrent d’amnésie honteuse et de servilité pressée.
D’une part, nous défions quiconque de prouver qu’un seul Premier ministre avant l’actuel ait une seule fois fait autant référence à une tribu. D’autre part, pour avoir sévèrement combattu Barkat, nous sommes les premiers à lui reconnaître au moins une qualité : l’estime de soi et de sa fonction, fût-elle protocolaire. En effet, personne ne l’a jamais vu embrasser sur la tête la Première Dame de l’époque. Tout comme cette regrettée n’aurait pas trouvé normal non plus qu’un Premier ministre l’embrasse sur la tête. Surtout au retour de la Mecque : c’est interdit par l’Islam !
Par contre, il y a comme un retour du refoulé lorsque l’anonyme de La Nation estime : « De toute façon, de par la confiance que lui témoigne le Président de la République, l’actuel Premier Ministre est celui qui dispose le plus de prérogatives de tous ses prédécesseurs ». En toute logique, cela signifie que si les anciens Premiers ministres avaient moins de prérogatives que l’actuel, c’est uniquement parce que l’ancien Président de la République ne leur faisait pas autant confiance. Est-ce à dire que Gouled était soit autoritaire, soit tribaliste ? A chacun de comprendre ce qu’a voulu dire l’anonyme défenseur.
Alors, comment ne pas sourire de son côté franchement enfantin lorsqu’il prétend que les rédacteurs de Réalité « croient encore bien faire en parlant du « souriant premier des ministres » et non premier des Ministres, avec toutes les charges qu’implique cette fonction qui fait de lui le deuxième personnage de l’Etat après le Président de la République. Si la fonction de Premier Ministre est aussi honorifique que le prétend l’opposition, on ne comprend pas pourquoi les leaders de l’opposition manigancent tout le temps justement pour occuper ce poste tant décrié.».
Par respect pour nos lecteurs, nous ne commenterons pas une telle gaminerie : la compétition politique n’est pas un jeu de billes que des gosses se disputent. Surtout dans le contexte djiboutien où tant de citoyens sont victimes de tant d’injustices.
Avant-dernier point à mentionner : le déséquilibre au sein de l’Exécutif . « En outre, Monsieur Ahmed Dini , leader de l’opposition, est le seul homme politique djiboutien à s’être opposé publiquement au renforcement du pouvoir du Premier Ministre, en expliquant aux Nouvelles d’Addis qu’il serait dangereux d’installer un pouvoir bicéphale au sommet de l’Etat et que l’exécutif ne saurait avoir deux chefs de même que deux imams ne peuvent diriger la prière dans une mosquée.» rappelle un peu rapidement ce défenseur. A quoi nous répondons une seule chose : quand un imam se montre aussi incompétent, il faut le remplacer, impérativement !
Dernier point cocasse, pour clôturer cette triste parodie de démocratie : « Enfin, il est curieux de constater que certains préfèrent la grimace au sourire. Là, le Premier Ministre ne leur sera d’aucun secours, puisqu’il lui sera difficile de faire des grimaces sans raison. Il gardera donc son sourire, et la population avec lui, n’en déplaise aux inconditionnels de la grimace.». C’est littéralement donner le bâton pour se faire taper dessus car sourire n’est pas toujours sourire. Il y a une différence ontologique entre le sourire dilettante auquel autorise une béatitude constitutionnellement garantie et le sourire satisfait du dirigeant responsable de ses actes et fier de sa trajectoire comme de ses réalisations. Encore faut-il en avoir.
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Pour des raisons que nous ignorons et déplorons, le député Mohamed Dilleita a tenu a réagir à propos d’un de nos articles. Par amitié pour cet ancien compagnon de Lutte, nous aurions préféré ne pas recevoir ce texte. Même si nous devons lui rappeler, par respect pour toutes les victimes de ce conflit, tous les sacrifices consentis par ceux qu’il accuse de « journalisme de sofa », surtout depuis qu’il a quitté la Lutte. Ce député mal élu fait ainsi l’impasse sur le fait que ce « journalisme de sofa gêne tellement son régime que ce dernier n’a pas hésité à le punir en violant l’Accord de Paix » et en bloquant leur salaire : ce comité de rédaction n’a donc aucune raison de se mettre à dos les victimes de cette intolérance. Mais, également par respect pour nos lecteurs et électeurs, au rang desquels figurent ceux de Sagalllou qui ont massivement voté UAD le 10 janvier 2003, il nous a semblé nécessaire de le publier sans le commenter outre mesure. Admol toome kabella ansarradal ma taysa, dit le proverbe : par communauté, nous disions tous les habitants de ce district. sans trop rappeler que des promesses sans lendemain avaient également été faites aux jeunes de Tadjourah le premier mai 2003 par le Premier ministre. Ce que n’ignore pas ce député mal élu qui, vu ses explications techniques sur la confection d’un reportage, manque cruellement à l’univers médiatique. Il devrait se réfugier dans son milieu professionnel d’origine car il est difficile de faire de la politique avec de telles réactions épidermiques. Une question top chrono : depuis combien de législatures Sagallou attend sa Réhabilitation ? au moins deux : les siennes !
REMETTRE LA RÉALITÉ A SA PLACE
Votre article intitulé « Quand l’enfant du pays s’émerveille » (en der le 28 janvier 2004) m’a particulièrement interloqué, et à plus d’un titre. Comme la plupart des sujets événementiels que vous tentez de traiter ces derniers temps, celui de la visite du Premier Ministre à Sagallou « brille » en premier lieu de par votre ignorance des faits, gestes et propos réellement tenus sur le terrain. Ne pouvant avoir accès ou (pire encore) ne daignant chercher les vraies infos, vous affublez à tout-va, brodant à votre guise à travers des effets de style faussement enjoués et des jeux de mots tirés par les cheveux, avec pour seule source d’informations … les quelques minutes de reportages de la R.T.D. si encore ce journalisme de sofa qui a comme unique support le maigre apport cathodique national, n’avait pas la prétention de cerner à travers chaque événement le pourquoi du comment des intentions cachées dans les replis des subconscients des responsables politiques !
Mais hélas… Au-delà de ces tentations de facilités, qui dans tous les cas desservent la réalité (sic), je suis attristé de constater que pour vous adonner sans retenue à l’éphémère plaisir du matraquage gratuit et irréfléchi de vos adversaires politiques, vous ne craignez pas de broyer au passage de votre collimateur toute une communauté nationale et de renier à travers vos propos inconséquents, les principes de base pour lesquels vous dites lutter.
En tant que député originaire de Sagallou, il est de mon devoir de rétablir la vérité vis-à-vis de certaines de vos élucubrations et des conclusions hâtives et gratuites que vous en tirez. Affirmer que le Premier Ministre aurait déclaré ne pas être au courant du fait que cette région a été détruite par la guerre, est le fruit, je tiens à le souligner, de votre seule imagination.
Tout au contraire, les premiers mots de M. Dileita Mohamed à la population de Sagallou, lors d’une brève allocution, ont été d’affirmer qu’il avait du mal à reconnaître le village où juste avant la guerre il venait encore rendre visite à des proches, et de souligner qu’il était informé des dégâts causés, là aussi, par ce conflit. Dégâts, a-t-il souligné, qu’il a personnellement eu l’occasion de vérifier lors de ses derniers passages dans ce village. Et d’ailleurs, douteriez-vous de ma version des faits que la flagrante contradiction qui se dégage de vos propos, devrait suffire, sans l’appui d’aucune argumentation, à vous éclairer quant à l’énormité de vos propos.
Comment pouvez-vous affirmer dans un même paragraphe qu’un Premier Ministre conscient de l’importance de clan maternel, et de surcroît le sien… ignore tout de l’état de destruction dans lequel se trouve le principal village de ses oncles maternels ? Pour ce qui est de votre tirade (anthropologique, dites-vous) sur l’importance du matrilignage dans cette région, fait que vous identifiez comme étant une organisation sociale qui caractérise la composante de la communauté de Sagallou ; permettez-moi de vous faire remarquer que plus de 90% des communautés Afars où qu’ils soient, se caractérisent, eux aussi, par ce trait social, qu’ils n’hésitent pas, on ne peut plus fièrement, à mettre en avant.
En quoi donc est ce que cette évidence sociologique de notre Communauté, mérite, à cette occasion, d’être pointée du doigt et se retrouve embrochée par votre légère plume sous l’aspect d’une bizarrerie propre à seulement « une certaine communauté », en l’occurrence celle visitée par le Premier Ministre ce jour-là, et qui se trouve être de surcroît ses « abinos » ? Je ne puis cacher mon dépit face à votre jusqu’au-boutisme dans votre volonté de « descendre» ce premier ministre, quitte à gratuitement égratigner toute une région dans votre aveuglement…
Par ailleurs, qui voulez-vous que le Premier Ministre remercie à Sagallou pour l’accueil chaleureux, (les martiens peut-être ? si ce n’est les habitants de ce village qui s’avèrent tous être, exclusivement, de son matrilignage ? Comprenne qui pourra ! Vous affirmez par la suite, au sujet du Premier Ministre qui aurait demandé au Commissaire de la République de favoriser les jeunes de Sagallou pour le Service National Adapté : « Il est proprement inouï qu’un dirigeant politique, sans préjudice de sa trajectoire (puisse) demander que certains soient favorisés sur une seule base tribale par rapport à d’autres tout aussi nécessiteux.)
Cette petite phrase, entendue à la télé dans l’édition spéciale consacrée à cette tournée, et que vous tenez apparemment pour un scoop, une perle inespérée propre à vos survoltés épanchements moralisateurs, n’en est pas une, malheureusement pour vous. Pour en convaincre vos lecteurs que vous tentez d’induire en erreur, il me faut les informer (il faut bien que quelqu’un le fasse !) que le Premier Ministre, lors de sa tournée, s’est entretenu pendant tout l’après-midi du jeudi et jusqu’au soir avec les vieux sages de Tadjourah, qui ont été relayés par les représentants des jeunes et celles de la gente féminine.
Les premières heures de la journée suivante du vendredi ont été consacrées aux représentants de la communauté de Kalaff, suivi de celle de Sagallou. Expliquez-moi donc par quel effet de fixation votre journal, de tous ces événements, consacre toute une page sur Sagallou et fait l’impasse sur Tadjourah et Kalaff ? Votre journalisme d’investigation à deux sous en est certainement la seule cause. Pour prétendre informer les autres, faut-il encore l’être soi-même.
Je m’explique. Etant matériellement impossible de retransmettre le long périple dans sa totalité, la RTD a choisi, pour illustrer les contacts et discussions du Premier Ministre avec les représentants de la population, un petit extrait des débats tenus à Sagallou. Des deux heures d’échanges et de discussions fournies entre les interlocuteurs, seules quelque trente-cinq secondes (chrono au poing) de propos discontinues (montage oblige) et donc extraits de leur contexte global, forcément complexe et subtil, ont survécu dans ce reportage.
Ces quelques secondes ont donc eu le malheur d’être visionnées par votre « journaliste », qui selon toute vraisemblance désespérait de ne pouvoir trouver angle éminemment polémique à ce sujet. Et après tout, suivant votre … (j’hésite à dire logique, tellement elle fait défaut) raisonnement à deux sous, supposez même que le Premier Ministre veuille pour une raison ou une autre, (les sentiments du matrilignage, tiens !) augmenter le nombre de jeunes de Sagallou au SNA ; vous devriez être les derniers à crier aux loups, puisque vous ne cessez d’affirmer que ce service national est un leurre et que vous appelez vos militants à ne pas s’en approcher. Il me semble que vous avez érigé en politique rédactionnelle cette volonté de faire feu de tout bois, et pour les besoins de la cause, de raccommoder même certaines réalités (exit la politique du vrai), quitte à jeter, dans les élans de ces périlleux exercices, le bébé avec l’eau du bain. La communauté de Sagallou vient d’en faire les frais. A qui le tour ?
Morale de l’histoire : à confronter la formule au fronton de votre journal « La seule vraie politique est la politique du vrai » avec vos écrits hebdomadaires, je crains et pour l’éternel repos de ce cher Edgar Faure qui doit se retourner dans sa tombe, et pour les illusions perdues de vos lecteurs. Le Député Mohamed Dilleita.
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