Plusieurs manifestations ont eu lieu après la diffusion d’une vidéo tournée par un pilote de l’armée de l’air depuis sa cellule de la prison de Gabode.
Le régime du président Ismaïl Omar Guelleh est confronté depuis quelques jours à un mouvement de contestation déclenché par l’incarcération d’un militaire qui avait dénoncé la discrimination clanique et la corruption minant à ses yeux l’armée et la société djiboutienne. Petit pays hautement stratégique de la Corne de l’Afrique, qui abrite des bases militaires française, américaine, chinoise et japonaise, Djibouti est dirigé d’une main de fer depuis 1999 par le président Guelleh.
Jeudi 4 juin, des centaines de manifestants sont descendus dans les rues de la capitale, avant d’être brutalement dispersés par la police, qui a ensuite procédé à de nombreuses arrestations au hasard un peu partout dans la ville, a constaté un journaliste de l’AFP. Vendredi, la police a tiré à balles réelles sur la foule à Ali Sabieh, la deuxième ville du pays, blessant plusieurs personnes et en arrêtant d’autres, selon les organisations de défense des droits humains. Une nouvelle manifestation a encore eu lieu lundi dans l’immense quartier populaire de Balbala, à Djibouti-ville. Et mardi, la capitale était quadrillée de toutes parts par les forces de sécurité.
Une cellule sale et sans fenêtre
Les protestataires ont été indignés par la vidéo tournée par le lieutenant de l’armée de l’air Fouad Youssouf Ali depuis sa cellule de la prison de Gabode, à Djibouti-ville, où le régime est accusé par les défenseurs des droits humains de détenir ses opposants et de parfois recourir à la torture. Dans cette vidéo, le militaire montre ce qui lui tient lieu de cellule : une pièce minuscule seulement équipée de latrines, répugnante de saleté et sans fenêtre.
Le pilote, incarcéré depuis le 22 avril, se filme avec un téléphone portable et dévoile ce qui semble être des blessures aux jambes provoquées par des mauvais traitements. Il se plaint de ses conditions d’incarcération et s’inquiète de ne jamais en sortir vivant. « Il risque de mourir à tout moment », a affirmé à l’AFP son avocat, Zakaria Abdillahi, qui réclame son hospitalisation et a obtenu du tribunal la conduite d’une expertise médicale.
Le militaire était déjà connu depuis quelques semaines des Djiboutiens. Fin mars, il avait publié une première vidéo, dans laquelle il dénonçait les humiliations et persécutions qu’il subissait en raison de son origine tribale, ainsi que le népotisme régnant selon lui dans l’armée. Le même jour, il s’était enfui vers l’Ethiopie pour y demander l’asile politique. Mais, arrêté le 8 avril par la police éthiopienne, il avait été remis quelques jours plus tard à Djibouti. « Ce monsieur a été enlevé, il n’a pas été extradé, argue Me Abdillahi. Pour moi, il est arbitrairement détenu depuis le 11 avril. C’est quelqu’un qui a été enlevé et séquestré, ce qui est criminel. »
Signe peut-être de sa fébrilité, le pouvoir a réagi sur les médias officiels, ce qu’il ne fait presque jamais quand des opposants sont arrêtés. « Pour une fois quand même, il y a une pression de la population. Ce régime autoritaire a peur », a estimé Me Abdillahi, qui a aussi accusé la police de harceler la famille de Fouad Youssouf Ali.
Deux journalistes arrêtés
Le procureur général, Djama Souleiman Ali, a affirmé que le lieutenant avait tenté de voler un avion militaire pour se rendre en Erythrée mais avait raté son décollage et endommagé l’appareil. Il l’a inculpé notamment de « trahison », une accusation passible de la réclusion criminelle à perpétuité mais qui « n’a aucun sens » pour Me Abdillahi.
Les relations entre Djibouti et l’Erythrée sont tendues en raison d’un différend frontalier de longue date concernant Ras Doumeira, un promontoire stratégique qui surplombe l’entrée de la mer Rouge. Fouad Youssouf Ali « a appelé à l’insurrection et à la révolte et cela n’est acceptable dans aucun pays », a déclaré à l’AFP l’ambassadeur djiboutien en Ethiopie, Mohamed Idriss Farah. Le diplomate a démenti que le pilote ait été torturé. Selon lui, ces accusations sont lancées par des Djiboutiens de la diaspora « qui souhaitent la déstabilisation, ce que nous ne pouvons accepter ».
Deux journalistes de La Voix de Djibouti, le seul média libre du pays, qui a enquêté sur cette affaire, ont été arrêtés vendredi et dimanche, a annoncé Reporters sans frontières (RSF). Parmi eux figure le propre correspondant de RSF, Mohamed Ibrahim Wais, déjà arrêté à de multiples reprises ces dernières années. Djibouti est 176e sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse de RSF.