Afrikarabia : L’arrivée surprise d’Abyi Ahmed en Ethiopie, le renversement du président El-Bachir au Soudan, et la situation délicate de l’économique djiboutienne bousculent le président Ismaël Omar Guelleh. Est-on arrivé à la fin d’un cycle ?
Adan Mohamed Abdou : C’est clairement une période de fin de règne à Djibouti, et nous le remarquons avec une accentuation de la répression. Ismaël Omar Guelleh se prépare à un cinquième mandat. Le changement politique en Ethiopie a eu un effet boule de neige dans la région, en faisant la paix avec l’Érythrée. Les alliances se recomposent entre l’Ethiopie, la Somalie, l’Erythrée, et même le Kenya, ce qui isole davantage Djibouti. Aujourd’hui l’Érythrée est redevenue fréquentable et Djibouti est un pays que l’on regarde désormais avec défiance. Nous avons de nombreuses bases militaires, et Djibouti est également au coeur du bras de fer entre la Chine et les Etats-unis.
Afrikarabia : On a l’impression que le président djiboutien cherche une porte de sortie avant la présidentielle de 2021 et serait prêt à dialoguer avec l’opposition. C’est le sentiment que vous avez ?
Adan Mohamed Abdou : L’opposition a dialogué avec Ismaël Omar Guelleh a de nombreuses reprises. La rébellion armée du FRUD a dialogué à deux reprises avec le pouvoir, sans jamais que ces accords soient appliqués. Il a ensuite dialogué avec l’USN, toujours sans tenir aucun de ses engagements. Donc aujourd’hui, il n’est plus question pour l’opposition de dialoguer seul avec le président djiboutien. Il faut une médiation internationale. Nous ne lui faisons plus confiance. Pour l’instant, nous ne pensons pas qu’Ismaël Omar Guelleh soit capable d’entamer ce processus.
Afrikarabia : Quelles seraient vos conditions à une transition politique avec le président djiboutien ?
Adan Mohamed Abdou : Il faudra s’entendre sur une transition avec ou sans Ismaël Omar Guelleh. L’opposition devra se mettre d’accord sur la question. Il doit ensuite y avoir une Commission électorale (CENI) véritablement indépendante. Il faut également que tous les partis de l’opposition soient légalisés par le pouvoir et arrêter de créer ces partis « clones ». Ces partis dédoublés qui prennent le même nom que des partis d’opposition pour faire croire qu’ils ont rejoint le camp présidentiel. Enfin, il faut une tierce partie pour encadrer ce processus de transition.
Afrikarabia : Souhaitez-vous que la France s’implique dans un rôle de médiation entre le pouvoir et l’opposition à Djibouti ?
Adan Mohamed Abdou : Pourquoi pas. Il y a la France, mais il y a aussi dans la région l’Ethiopie. Nous avons toujours dialogué avec la France depuis le dernier ambassadeur qui a été renvoyé de Djibouti. Mais aujourd’hui, c’est plus compliqué. Nous avons l’impression que la France a peur que son ambassadeur soit de nouveau renvoyé du pays, et elle demeure donc trop attentive aux pressions du régime. Nous ne sommes pas contre un rôle de médiateur de la France, mais elle doit avoir une position plus claire. Parfois elle s’accroche à ce régime, parfois elle se rapproche de l’opposition.
Afrikarabia : En 2018, l’appel du Bourget a réuni à l’initiative du FRUD armé de Mohamed Kadamy, votre parti l’ARD, mais aussi d’autres partis d’opposition, comme le RADDE de l’ancien maire de Djibouti « TX », le CDU d’Omar Elmi Khaireh, mais aussi le PADD, le FPC, et l’UDJ. Où en être-vous dans cette volonté de rassembler l’opposition djiboutienne ?
Adan Mohamed Abdou : Le FRUD prône la lutte armée, alors que nous, nous prônons la lutte politique. Nous avons bien sûr le même objectif, mais nous n’utilisons pas les mêmes moyens. Nous avons répondu présent à l’appel du Bourget qui estime qu’il faut une transition politique à Djibouti. Après cet appel, nous avons pris l’initiative de récréer l’USN (Union pour le Salut National) pour regrouper l’opposition politique avec nous, en attendant que les autres soient prêts.
Afrikarabia : Quels partis vous ont suivi au sein de cette nouvelle USN ?
Adan Mohamed Abdou : Il y a l’ARD (Alliance Républicaine pour le Développement) que je préside, l’UDJ (Union pour la Démocratie et la Justice) de Said Houssein Robleh, le PMP (Parti pour le Mérite et le Progrès) de Abdourahman Djama Andoleh, le PND (Parti National Démocratique) d’Ismaël Abdillahi Doualeh.
Afrikarabia : De grands partis comme le MRD de Daher Ahmed Farah « DAF », le MoDel ou le RADD de « TX » ne vous ont pas rejoint ?
Adan Mohamed Abdou : Ces personnes nous ont dit qu’ils allaient nous rejoindre, mais qu’ils avaient pour priorité de réformer leur parti et de réfléchir un peu. Nous avons pris l’initiative de récréer l’USN pour combler un vide politique.
Afrikarabia : Vous avez bon espoir que le MRD et les autres vous rejoignent ?
Adan Mohamed Abdou : Bien sûr. Mais si pour certains le nom de l’USN est encore trop assimilé à l’échec des dernières élections, nous pouvons changer le nom de la plateforme, et même établir une nouvelle charte. On peut aussi se contenter d’un plan d’action commun pour créer les conditions d’une alternance politique. Tant que l’opposition ne sera pas unie, le pouvoir ne sera pas sérieusement inquiété. Pour la communauté internationale, il faut également qu’il y ait une alternative crédible à Djibouti… et donc une opposition rassemblée.
Afrikarabia : Avec l’ouverture politique en Ethiopie, les révoltes au Soudan ou en Algérie, vous avez l’impression que Djibouti est prête pour l’alternance politique ?
Adan Mohamed Abdou : Bien sûr. Le peuple djiboutien aspire maintenant à ces changements. Le peuple est mûr. Seulement, il y a la chape de plomb du régime et la force de la répression qui empêchent tout changement à Djibouti. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, une étincelle peut tout faire exploser.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Source : afrikarabia.com